En-tête
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  Lettre de D&S n°171

Mai 2020

 

Table des matières

Éditorial

Dossier du mois : Déconfinement
Nouvelles exigences démocratiques

Libre propos

Résonances spirituelles

Echos

Que font nos partenaires ?

Agenda

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"L'événement sera notre maître intérieur" – Emmanuel Mounier

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EDITORIAL

 

Accueillir l’événement

 La crise du Covid 19, comme sa gestion planétaire, constitue un événement, au sens historique, de quelque chose qui vient à la fois détourner le cours naturel des choses, mais qui en révèle en même temps les aspects tragiques et porteurs d’espoir. Un événement qui vient déchirer le tissu clair-obscur qui recouvre cette période de crise que vit notre époque.

 Nous avons cherché à accueillir cet événement, global, en tous les sens du terme : ce qui nous a conduits à repenser notre programme de travail, comme de reporter notre assemblée générale, et notre université, comme à modifier nos méthodes de travail, en utilisant les possibilités offertes par la société numérique. Cela nous a amené aussi à remettre sous le lampadaire, des questions que nous avions volontairement laissé de côté comme le vieillissement, la mort, la pauvreté et les inégalités, par exemple, mais aussi à aborder celles que nous avons mises à l’étude, comme la question environnementale, celle du dialogue inter-convictionnel, ou celle de la responsabilité, à travers cette gigantesque leçon de choses que constitue cet événement.

Si nous avons, en accueillant l’événement, modifié notre angle de vision, nous avons pu aussi vérifier la pertinence de notre double grille de lecture, celle des exigences démocratiques, et celle des moteurs spirituels, pour aborder ces questions complexes et inter-reliées, et surtout la pertinence de cette esperluette, ce &, qui associe, dans une tension dialogique permanente, les deux termes de notre méditation, de notre réflexion et de notre action.

Ce numéro de la Lettre rend compte de ces premiers travaux et contributions. N’hésitez pas à réagir[1] de façon à ce que D&S remplisse pleinement sur ces questions, et dans tous les sens du terme, sa fonction d’intelligence collective.

 Daniel Lenoir

Jean-Baptiste de Foucauld.

 

[1] Un groupe travaille actuellement à la refonte du site pour lui permettre d’être davantage interactif.

 

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DOSSIER DU MOIS :

DECONFINEMENT

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Compte-rendu de la conviviale du 21 avril 2020 sur la pandémie du coronavirus (qui fait suite à celle du 2 avril)

26 personnes ont participé à cette réunion téléphonique, qui s’est déroulée en deux parties.

Pendant la 1ere heure, il s’agissait pour chacun d’évoquer ses préoccupations par rapport à la sortie du confinement, les conséquences de cette crise sanitaire, et de dire, ce qu’à ses yeux, elle a révélé.

La place de la mort dans notre société, les préoccupations sociales, la situation politique et économique ont été successivement évoquées.

Si les gestes de solidarité, de fraternité impressionnent les participants, ils s’interrogent sur la place de nos ainés, privés de leur libre-arbitre, éloignés de leurs familles par l’interdiction des visites, en Ehpad, notamment. Une participante déplore que l’on ne fasse pas appel à la responsabilité de chacun pour décider de son éventuelle hospitalisation. Plus largement, c’est l’acceptabilité de la mort dans notre société, notre système de valeurs, qui sont en question. Qu’allons-nous transmettre aux jeunes ?

La crise sanitaire a amplifié des problèmes qui existaient déjà : inégalités sociales très fortes, décrochage scolaire, désorientation des jeunes dans les quartiers défavorisés et premières manifestations, situation de l’emploi. La crise va entrainer la disparition de secteurs entiers d’activité, beaucoup devront se reconvertir et viendront grossir le nombre des sans-emploi. A la sortie du confinement, il nous faudra continuer à accompagner ceux qui se trouvaient déjà sur les bas-côtés, les bénéficiaires du RSA, ceux qui arrivaient en fin de droits, ceux qui les avaient totalement épuisés. Quelles solidarités nouvelles pouvons-nous mettre en place pour éviter de creuser les inégalités entre ceux qui auront conservé leur emploi et ceux qui en seront dépourvus ? Quelle synergie entre les associations ? Il nous faudra engager une vaste réflexion sur la place du travail dans notre société, sur celle des exclus, sur le besoin de se sentir utile.La transition écologique pourra-t-elle permettre un rebond pour l’emploi ?

Sur le plan politique, ont été dénoncées la restriction des libertés individuelles : celle d’aller et venir, le tracking des personnes positives au virus, et les initiatives autoritaires des maires.Les institutions ne se sont pas montrées à la hauteur de la situation, en raison d’un état sanitaire dégradé liées aux restrictions budgétaires : manque de lits, de matériel dans les hôpitaux etc. De plus, le gouvernement n’a pas joué la transparence au départ et n’a pas été assez attentif aux besoins des populations, n’a pas assez consulté les instances syndicales, les maires… qu’en est-il de la démocratie ?  L’échelle des territoires est évoquée pour répondre aux défis nombreux et complexes à venir : emploi, déconfinement. Un participant exprime son admiration pour la capacité des décideurs- dirigeants politiques, chefs d’entreprise-à absorber intellectuellement cette situation inédite, à s’y adapter, à la prendre en charge.

Quelle réponse peut être apportée à la crise au niveau national et international ? Les échos mondiaux montrent que les systèmes sont à bout. Des inquiétudes s’expriment sur les défaillances de l’Europe, avant la crise sanitaire déjà (sur la question des migrants par exemple), et qui est aujourd’hui désunie sur la gestion de l’épidémie.  Comment résoudre ensemble les conséquences de la crise ?

Dans le domaine économique, les avis divergent, avec globalement deux points de vue opposés.

Pour certains, ce « temps suspendu » nous offre l’opportunité de tourner la page du néolibéralisme et de mettre en place une alternative, en plaçant l’humain au centre. Un participant évoque le nécessaire développement de l’alter croissance-pas de la décroissance-car la croissance est propre au vivant.

D’autres craignent que, vu l’ampleur de la crise financière, la prise de conscience collective ne suffise pas pour changer de paradigme. Faute de propositions, de forces politiques, nous risquons plutôt un retour au modèle ancien, avec plus de factures à payer. Un participant souligne le paradoxe actuel : la situation financière d’une partie de la population - les retraités, les rentiers- s’améliore grâce à la crise, avec la chute de leur consommation et le maintien de leurs revenus, alors que le gouvernement s’endette très largement pour sauver les entreprises, en pensant que d’autres paieront, plus tard.

 

La 2ème heure a permis d’échanger sur les priorités et besoins à mettre en avant, à court, moyen et long terme ? Comment rompre avec le modèle de l’économie néolibérale, intégrer les préoccupations environnementales et prôner un autre modèle de société, plus juste et plus sobre ?

Après un point de Jean-Claude Devèze sur son groupe de travail « Le monde que nous voulons après le coronavirus », orienté sur « culture, spiritualité, politique, fraternité », des réflexions sont proposées en réponse aux questions sur le futur immédiat, l’action personnelle et collective, le changement à espérer.

Comment gérer l’équilibre entre la protection sanitaire et une catastrophe économique annoncée ? (Cf. A. Comte-Sponville qui dénonce le caractère presque sacré de la santé). Ne peut-on craindre aussi qu’un déconfinement qui s’avèrerait positif sur le plan économique ne s’opère au détriment de la transition écologique ? Quelle échelle considérer pour une action efficiente, celle du territoire ?

Chacun-e à notre niveau, il va nous falloir être résistant-e, trouver ensemble des solutions concrètes, nous répartir les tâches. Car un vaste et long combat va s’engager entre les forces qui croient en un avenir davantage tourné vers la vie et celles qui veulent conserver les acquis. Comment participer à une convergence ? Relever les points communs entre l’ancien et le nouveau système, créer des ponts pragmatiques ? Car passer du modèle néolibéral au participatif n’est pas évident. Comment mesurer le changement culturel à l’œuvre aujourd’hui dans la conception de l’existence, voir sa direction ? C’est surtout le système économique qu’il faut changer ; or c’est nous qui le produisons, note un participant.

Peut-être faudra-t-il dissocier le fond et la forme, se concentrer sur l’organisation en mobilisant de nouvelles capacités. Un aspect positif du numérique est la possibilité du travail à distance avec les outils d’une intelligence collective. Agir sur de nouvelles bases cognitives, mentales, agir avec le cœur aussi, car une toile subtile, de conscience, de solidarité et de prière s’est tissée autour de la Terre. Articuler transformation personnelle et collective, développer l’éthique de la discussion et de la délibération.

Mais ne pas céder aux « vendeurs d’illusions » ; car serons-nous vraiment capables de changer demain ? Jean-Baptiste rappelle la création, après la crise de 2008, du Pacte Civique, qui prônait les valeurs de créativité, sobriété, justice et fraternité, à mettre en œuvre dans notre vie personnelle et dans la sphère publique. Cela n’a pas bien marché, est-ce que cela marchera mieux demain ? Il souligne également les grandes différences entre les États dans la gestion de la crise : l’Allemagne a recensé à ce jour environ 4.500 morts contre 20.000 chez nous, ce qui doit nous interroger. Certes, avec la crise sanitaire, on constate une diminution des émissions de CO2, mais au prix de sacrifices humains énormes. Quel serait le coût d’un changement environnemental, en termes de dette sociale et financière ?

Pendant le confinement, le maintien de revenus fixes a facilité l’épargne : comment répartir l’effort financier à la sortie de la crise ? Pour l’emploi, à court terme, certaines initiatives politiques sont à développer, comme l’opération « Territoires zéro chômeurs », actuellement engagée sur 10 territoires. A long terme, passer d’une fraternité de crise à la fraternité durable, à une sobriété choisie et organisée, inventer des formules de rationnement avant de mettre tout le système économique à terre.

Profonde et mondiale, la crise est une opportunité de se poser les vraies questions. Nous avons besoin d’un nouveau récit, qui ne soit ni idéologique ni politique. Les religions sauront-elles dialoguer et s’unir pour répondre aux demandes de sens, en favorisant chacune la relecture de leurs textes sacrés ? 

La crise liée à la pandémie peut être un stimulant de notre intelligence collective, « un test pour notre humanité » selon les mots du président de la république allemande, d’où l’intérêt d’une réunion comme celle-ci, et des différents groupes de travail mis en place à D&S.                                     

 Eliane Fremann

 

Démocratie & Spiritualité appelle à une triple transformation : personnelle, collective et politique
Pour une Humanité fraternelle et une Terre vivante

Ce document de travail, interne à notre association, vous est proposé par un groupe composé de Marie-Jo Bernardot, Marc de Basquiat, Jean-Claude Devèze, Régis Moreira, Monika Sander, Jean-Claude Sommaire. Vous pouvez envoyer vos observations aux rédacteurs du texte ou à l’association.

 

L'épreuve inédite que nous vivons est un défi inattendu sur le plan tant personnel que collectif, remettant chaque homme à son humble place, face à ses fragilités. Elle oblige l’humanité à s’interroger sur ses vulnérabilités, en premier lieu sur la santé des hommes et du vivant qui est menacée et sur le rôle d’une économie mondialisée où la croissance du PIB est devenue incompatible avec l’environnement menacé par le changement climatique,

 La tragédie actuelle, porteuse de multiples incertitudes, nous oblige donc à nous interroger sur les nouveaux équilibres à inventer entre vie personnelle, collective et politique, et aussi sur le plan personnel entre corps, âme et esprit, sur le plan collectif entre le social, l’économique et l’écologique et sur le plan politique entre liberté, égalité et fraternité.

 A la recherche de ces cohérences personnelles et collectives, nous devons nous interroger sur le rôle de la culture et de la spiritualité pour promouvoir une vie personnelle centrée sur l’essentiel et une vie ouverte aux relations avec la riche diversité de notre univers.

 En privilégiant le rapport au vivant et le lien social, pourrons-nous ensemble mobiliser nos ressources humaines et créatives pour, tirant les enseignements de cette crise, relever des défis qu’elle a rendue encore plus préoccupants ?

 

1.    Premiers enseignements de cette épreuve inédite

Cinq enseignements essentiels peuvent être tirés – plus particulièrement pour les pays développés – dans une crise frappant l’ensemble du monde.

La santé de l’humanité entière dépend de l’état et de la vitalité de l’ensemble du Vivant.

Quelques soient les polémiques sur l’origine précise de ce virus, le fait est qu’il a émergé dans une mégapole chinoise caractérisée par un débordement des interactions humaines (hyperdensité urbaine, élevages intensifs d’animaux pour la consommation alimentaire de masse, etc.) avec un environnement naturel fragile. De nombreux éthologues et biologistes estiment que les virus émergents de notre 21e siècle « sortent » des espaces naturels (et des espèces) où ils étaient jusque-là « confinés ».

 Le virus a été diffusé par les innombrables voyages des humains, qu’ils soient liés au tourisme ou au commerce international (l’année 2018, il y a eu en France 89 millions de franchissements de frontière, dont seulement 400 000 arrivées de migrants, soit 0,6% des entrées).

 La démonstration de l’interdépendance des êtres humains entre eux et de la dépendance de l’espèce humaine à notre écosystème Terre est dramatiquement établie. La démonstration symétrique a été faite de l’incapacité des institutions internationales (ONU, OMS) et supra-étatiques (UE) à anticiper le risque pandémique et, lorsqu’il a été avéré, à réagir avec la rapidité requise pour faire face de façon solidaire et coordonnée.

 

Notre santé à chacun, voire notre vie, dépendent fortement des comportements de nos semblables.

 Tout particulièrement dans les espaces très denses, le respect de l’autre, connu ou inconnu, dépend de notre capacité et de notre volonté à prendre des précautions pour autrui (gestes-barrières, masques, etc.). Personne ne peut plus ignorer la nécessité du civisme, le sentiment d’appartenir à un « monde commun » où la santé est l’affaire de chacun et de tous.

 Dans une société gérée par un État responsable, la préservation de la santé de la population suppose aussi une politique efficace de santé publique, avec un système de soins de proximité et hospitaliers robustes et réactifs.

 

Alors que le virus peut infecter tout hôte humain, nous sommes profondément inégaux face à ses conséquences

 En effet, nous sommes inégaux face à la maladie et à la mort (personnes âgées confinées en EHPAD, personnes atteintes d’obésité, de diabète…), face au confinement (propriétaires de résidences secondaires à la campagne, de maisons, de grands appartements ou habitants de petites surfaces dans nos quartiers populaires), face aux conditions de travail (indemnisés en chômage partiel, cadres en télétravail, « sur le pont »ou « premiers de corvée »).  Nous le savions déjà, ces inégalités face à la vie sont à l’image de nos inégalités sociales : elles sont aujourd‘hui évidentes et pourraient devenir explosives à court et moyen termes avec la montée du chômage et la multiplication des personnes en situation d’exclusion.

 

La pandémie nous fait mieux prendre conscience de la difficulté de nous mobiliser collectivement

 Notre État français jacobin, bureaucratique et technocratique, s’est avéré peu agile pour gérer démocratiquement cette crise inattendue, l’Europe a été à la peine pour organiser une réponse commune et le multilatéralisme est apparu plus que jamais en panne pour organiser une coopération solidaire face à une tragédie mondiale.  Face à de tels défis, l’importance du rôle de l’État-nation sort réaffirmée, mais aussi celle du civisme des citoyens, du dialogue social, de la régulation démocratique, du pragmatisme de terrain.

 

Face à la montée des souffrances et à l’exacerbation des inégalités, la lutte contre la pandémie et ses conséquences est aussi un moment exceptionnel de communion dans une même épreuve (empathie), de partage d’émotions et de souffrance (sympathie).

 Elle nous a confrontés au meilleur en nous (bienveillance, abnégation, courage) comme au plus médiocre (égoïsme, indifférence, rationalité froide) et au plus barbare (mort mal accompagnée, prétention à détenir la vérité, besoin de domination). Il va falloir choisir comment nous allons vivre, vers où nous voulons aller et si nous sommes prêts à édifier un monde plus humain et plus civilisé.

 

2.    Chaque personne et l’humanité face à des défis majeurs 

Si nous avons beaucoup appris pendant cette période inédite, des questionnements essentiels ont aussi surgi sur nos existences : qu’est-ce que vivre à la bonne distance, au bon rythme, à sa juste place, dans une relation authentique ? Quelle est notre vocation sur terre ? Vers où nous diriger personnellement et collectivement ?

 La question de « l’après » nous renvoie à celle de la Terre que nous voulons habiter. Un contraste est apparu entre l’ampleur de la mobilisation actuelle face à l’urgence sanitaire et la timidité des engagements qui ont été pris jusqu’à maintenant face à d’autres défis majeurs tels que les enjeux écologiques et climatiques. Le défi environnemental est plus que jamais à l’ordre du jour, en lien avec le défi démographique. On assiste à un lent déclin de la population dans de nombreux pays occidentaux, qui contraste avec sa croissance dans de nombreux pays du Sud, en particulier en Afrique. Des phénomènes migratoires aux conséquences imprévisibles pourraient s’accélérer à cause des dérèglements climatiques aussi bien que des conséquences alimentaires et économiques des pandémies.

 Dans chaque pays, la cohésion sociale repose sur la prise en compte de la diversité des citoyens, sans oublier les personnes en situation d’exclusion, les anciens qui se sont sentis stigmatisés, les jeunes dont l’avenir est en question. Ce défi social combiné à un défi économique aggravé par la crise, est à relever par l’ensemble du corps social, les collectifs, les responsables politiques. De plus, ceci intervient dans un contexte économique marqué par l’essor envahissant des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) qui interroge notre vision du progrès : il s’agit de le maîtriser pour que les effets positifs l’emportent sur les conséquences négatives.

 Savoir privilégier le bien commun sur les intérêts individuels de court terme est un défi politique majeur. Le cadre démocratique doit sans cesse s’améliorer, ce qui oblige à repenser le rôle des institutions à tous les échelons, du local au mondial.

 Pour affronter ces multiples défis, un enjeu préalable est celui de la culture. L’éducation doit aider les citoyens à devenir des adultes responsables, aptes à comprendre les défis du monde dans lequel ils vivent et à les relever. Chacun doit pouvoir s’exprimer avec sa capacité à discerner les voies à suivre, puis agir.

La prise en compte de toutes ces dimensions – économiques, sociales, écologiques, culturelles et politiques – doit nous conduire à promouvoir un humanisme intégral et une écologie intégrale dans le cadre d’une civilisation plurielle en perpétuel dialogue.

 

3.    Une triple conversion pour édifier le « monde d’après »

Le temps est donc venu de nous transformer, personnellement, collectivement et politiquement, pour partager un monde habitable par tous et désirable par chacun. A cet effet, une triple conversion apparait nécessaire.

 

En premier lieu, des remises en question devraient permettre de résister aux excès et aux dérives de la mondialisation néolibérale, aux démesures de l’ultralibéralisme.

 Sur le plan personnel, ceci doit nous inviter à revoir nos modes de consommation et nos rapports à l’argent. Par exemple, ceux qui ont épargné massivement ou spéculé durant le confinement pourraient contribuer à l’effort collectif pour financer la nouvelle donne. Sur le plan collectif, nous devons construire un nouveau pacte social, écologique et économique, à revaloriser la place de services publics (pour assurer notre santé, notre éducation et notre sécurité), à maîtriser la technique et le progrès pour une terre vivable dans un monde aux ressources finies. La mesure du progrès de nos sociétés ne peut plus se limiter à scruter l’évolution du seul PIB, qui ne révèle en rien les progrès de la qualité de vie des humains et de leur environnement. Profitant de cette accalmie, alors que le PIB a chuté dans de nombreux pays du fait du confinement, il est urgent d’adopter des outils de mesure plus qualitatifs, correspondant mieux au rythme de nos vies, pour être capables de préparer les changements désirés.

 

En second lieu, une mutation civique doit rendre nos démocraties plus délibératives, plus interactives, plus constructives, pour redonner confiance dans le politique, du local au mondial.

 Ceci nous invite sur le plan personnel à approfondir notre éducation, notre culture et notre implication civiques. Sur le plan collectif, face aux excès des réseaux sociaux, il faut promouvoir une éthique du débat favorisant la délibération collective. Nous devons apprendre à prendre acte de nos désaccords légitimes, afin d’en tirer l’énergie nécessaire à la recherche de solutions nouvelles, issues de discernements collectifs. La critique généralisée de nos instances politiques, facile, est une impasse. Chaque citoyen a la responsabilité d’approfondir ses engagements pour la recherche collective du bien commun. Réclamer une démocratie plus directe ne peut avoir de sens que dans la mesure où les citoyens se montrent à la hauteur de cette responsabilité.

 

En troisième lieu, un approfondissement de nos cultures et de nos spiritualités doit nous permettre de promouvoir les valeurs de solidarité et de coopération et un état d’esprit de fraternité.

 Un ressourcement personnel doit nous rendre attentif et disponible pour la relation à l’autre, à la nature et au monde. Sur le plan collectif, il s’agit de cheminer fraternellement au sein de nos communautés et collectivités d’appartenance, en mettant en pratique une intelligence collective privilégiant les intérêts réciproques dans la durée. C’est en développant la qualité de nos relations du quotidien, l’attention et le soin que nous portons aux autres et à la nature que nous tirerons un bénéfice de l’expérience unique que l’humanité traverse depuis l’irruption du covid-19. 

 Des relations apaisées au quotidien nous permettront d’être des citoyens engagés pour le bien commun, faisant vivre une démocratie exigeante dans nos institutions. Celles-ci pourront alors agir sur la sphère économique pour transformer des règles du jeu ultralibérales, qui ne respectent ni les hommes ni la planète.

 

Pour une Humanité fraternelle et une Terre vivante

 Le temps est venu d’approfondir les prises de conscience écologiques, sociales, culturelles, politiques, permettant de mettre en œuvre les transitions nécessaires. Ceci suppose d’une part de dialoguer, pour comprendre nos vérités respectives et discerner les chemins à suivre, d’autre part de promouvoir la fraternité pour œuvrer ensemble au sein de nos communautés et collectivités. Cette épreuve inédite nous invite à cheminer ensemble vers un horizon commun, celui d’une Humanité fraternelle et d’une Terre vivante.

 Ce chemin ne va pas de soi, nos élans fraternels risquant de n’être qu’éphémères. Dans notre culture de l’excès, il ne sera pas simple d’abandonner nos addictions à des consommations superflues pour promouvoir l’économie solidaire du juste échange, tout en œuvrant pour la transition écologique à grande échelle. Il faudra aussi un engagement courageux des citoyens pour affronter les résistances au changement du monde socioéconomique.

 Nous aurons besoin d’une boussole et de repères pour trouver notre voie, mobilisant les sources de sens qui font penser, vivre, agir et développant des interactions responsables et fécondes avec nos institutions nationales et européennes. Nos ressources culturelles, spirituelles et démocratiques doivent nous aider à relever, avec les autres peuples, le défi civilisationnel d’un monde en recherche d’une communauté de destin.

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Nouvelles exigences démocratiques

FRANÇAIS, VOUS AVEZ LA MÉMOIRE COURTE !

(et malheureusement, pour tous les sujets !) 

Coronavirus : que nous enseigne l’Histoire ?

 

Olivier BECHT. Député du Haut-Rhin  


Pour ma génération, cette épidémie mondiale est un événement encore jamais connu, jamais vécu. Pourtant, en discutant avec mes parents, il apparaît que le monde en a déjà connu et pas seulement dans les siècles passés.

Nul besoin de remonter à la peste, au choléra ou encore à la grippe espagnole de 1918.

D’autres épidémies, ressemblant fortement au Coronavirus ont frappé le monde en 1957 et en 1969.
En 1957, le monde connaît une pandémie nommée « grippe asiatique ». Mon père s’en souvient encore car toute sa famille (père, mère, 5 enfants) va alors rester couchée presque sans possibilité de se lever pendant plus de 15 jours. Cette « grippe asiatique » fera 100 000 morts rien qu’en France et plus de 2 millions de morts dans le monde.

En 1969, à nouveau venue d’Asie, la « grippe de Hong Kong » frappe le monde. Elle va faire 31 000 morts en France et 1 million de morts dans le monde. J’ai retrouvé un article du Journal Libération qui comparaît en 2005 le traitement de la canicule de 2003 avec celui de la « grippe de Hongkong ».
Voici ce que l’extrait de cet article disait de la situation en 1969 :

« On n'avait pas le temps de sortir les morts. On les entassait dans une salle au fond du service de réanimation. Et on les évacuait quand on pouvait, dans la journée, le soir. » 

Aujourd'hui chef du service d'infectiologie du centre hospitalo-universitaire de Nice, le professeur Dellamonica a gardé des images fulgurantes de cette grippe dite «de Hongkong » qui a balayé la France au tournant de l'hiver 1969-1970. Âgé alors d'une vingtaine d'années, il travaillait comme externe dans le service de réanimation du professeur Jean Motin, à l'hôpital Édouard-Herriot de Lyon.

« Les gens arrivaient en brancard, dans un état catastrophique. Ils mouraient d'hémorragie pulmonaire, les lèvres cyanosées, tout gris. Il y en avait de tous les âges, 20, 30, 40 ans et plus. Ça a duré dix à quinze jours, et puis ça s'est calmé. Et étrangement, on a oublié. » 
Ce n’était pas au Douzième Siècle, c’était il y a 50 ans ! Étrangement on a oublié.
Encore plus étrange furent les traitements politiques et médiatiques qui en furent faits.
Alors que l’hôpital fait face à une crise sanitaire majeure : afflux brutal de malades, impossibilité de les soigner, mortalité par dizaine de milliers, nul ou presque n’en parle.

La presse parle à l’époque de la mission Apollo sur la Lune, de la guerre du Vietnam, des suites de mai 1968... mais pas ou peu des dizaines de milliers de personnes qui meurent dans des hôpitaux surchargés. Pire, le monde continue de tourner, presque comme si de rien n’était.

Alors que nous enseigne l’Histoire ?
D’abord et c’est une bonne nouvelle, que nos sociétés en ont " connu d’autres" et qu’elles se remettent de ces épidémies. Malgré la mortalité de masse provoquée par elles, nous n’allons pas tous mourir et la vie gardera le dessus.

Ensuite, qu’en 50 ans, les progrès techniques ont profondément modifié notre société. En 1969 encore la mort de millions d’individus semblait une fatalité alors qu’aujourd’hui elle nous paraît juste inacceptable. Nous attendons de la science qu’elle puisse nous protéger de toutes ces maladies, les vaincre voire peut être un jour vaincre la mort elle-même. 
Je parle bien sûr pour nos sociétés occidentales car 100 000 morts nous paraissent un choc majeur et inacceptable en Europe ou en Amérique du Nord alors que personne ou presque ne semble hélas s’offusquer que le Palu 
puisse tuer chaque année un demi-million de personnes en Afrique...

L’Histoire nous enseigne encore que nos exigences vis à vis de l’État ont beaucoup changé. Nous sommes désormais, et c’est le prix de l’État providence, dans une société qui « attend tout de l’État ».

En 1969, personne n’attendait de Pompidou qu’il arrête la « grippe de Hong Kong » ou encore organise le confinement de la population pour sauver des vies. Aujourd’hui le moindre accident est nécessairement de la responsabilité d’une autorité publique et si l’on n’arrive pas à un résultat immédiat et satisfaisant, c’est forcément que les élites ont failli.

Que l’on soit bien clair, je ne cherche à excuser personne et il est vrai que le niveau des impôts n’est pas le même qu’en 1969 donc le niveau d’exigence peut légitimement être plus élevé. Je pose juste des constats.

Enfin, l’Histoire nous enseigne que la sphère médiatique a beaucoup changé et influence terriblement le traitement des événements. En 1969 les médias étaient encore pour beaucoup sous le contrôle de l’État. Comme on ne pouvait pas arrêter la maladie on n’en parlait quasiment pas. Et la vie continuait tant bien que mal. A l’ère des chaînes d’info continue et des médias sociaux on ne parle plus que de la maladie, du traitement sanitaire, politique, économique. Tout devient très vite sujet à polémique et à scandale ...Pire, on al’impression que notre vision du monde se limite désormais à ce qui défile sur nos écrans. Et comme il n’y a plus que la maladie sur nos écrans on oublierait presque que la vie continue avec ce qu’elle a de plus merveilleux (l’amour par exemple, mais aussi la création, l’innovation...) mais aussi de pire (la haine, la violence, la criminalité, la bêtise...). Bref la saturation de l’info autour de la maladie fait qu’on a l’impression que le monde s’arrête et comme la conscience crée en partie la réalité, il semble vraiment s’arrêter...

Alors vous me direz « autres temps, autres traitements de la maladie et des événements ». Oui, vous avez raison et quelque part heureusement.

Ces enseignements de l’Histoire ne nous obligent pas à traiter les choses comme dans le passé. Bien au contraire... Mais ces voix venues du passé nous disent néanmoins :

- que les épidémies ont toujours existé et existeront probablement toujours car elles ne sont pas issues de complots de savants fous 
manipulés par des militaires dans des labos secrets, mais simplement des virus qui font partie de la Nature, au même titre que nous.

- que l’on pourra déployer toute la science et posséder les meilleurs Gouvernements du Monde, il y aura toujours un événement naturel que nul n’avait prévu et que l’on ne pourra pas totalement éviter.
- qu’il faut toujours garder l’esprit positif car l’Humanité s’est toujours relevée de ces épidémies. La France s’en relèvera aussi et cela d’autant plus vite que nous saurons faire preuve de résilience et de fraternité dans l’épreuve.
Essayons donc de ne pas perdre nos nerfs et notre moral rivés sur le  compteur des morts qui monopolise nos écrans, restons unis plutôt qu’à accuser déjà les uns et les autres, concentrons-nous sur les vies que l’on  peut sauver chacun dans son rôle et à sa place, continuons de vivre, d’aimer, d’inventer car ni le monde ni la vie ne se sont arrêtés et profitons peut  être, pour ceux qui en ont, d’utiliser le temps pour imaginer le monde  meilleur dans lequel nous voudrions vivre à la sortie de cette crise. Regarder le passé, c’est parfois prendre le recul nécessaire qui permet de mieux construire l’avenir.

 

Édouard Bard : La pandémie de Covid-19 préfigure en accéléré la propagation du réchauffement climatique

Le monde du 24.04.2020

Édouard Bard est climatologue, professeur au Collège de France, où il occupe la chaire « Évolution du climat et de l’océan », membre de l’Académie des sciences, chercheur au Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (Cerege) d’Aix-en-Provence

 L’auteur craint que la crise actuelle ne soit qu’une « répétition générale » au milieu des désordres environnementaux que nous connaissons. Même si le virus COVID 19 ne semble pas d’origine climatique, la crise donne à réfléchir aux climatologues car le réchauffement climatique s’inscrit dans une durée plus longue que cette pandémie.

 Face à ces dangers, les réactions individuelles et collectives passent de l’incrédulité à la sidération et même à la panique. L’incertitude des scientifiques, très présents sur les réseaux sociaux, face aux solutions envisageables est explicable mais n’apaise pas l’opinion publique à la recherche de boucs émissaires.

 Pour méditer les leçons de l’histoire, l’auteur évoque les épidémies que l’humanité a connues à travers les siècles avec des similitudes bien réelles, dont sans doute un lien avec les changements de climat de l’époque. Les drames humains qu’elles provoquent et qui touchent surtout les plus pauvres, sont identiques.

 Les déplacements humains et la mondialisation des échanges jouent un rôle certain dans la propagation du virus. Ils illustrent la nécessité absolue de coopération internationale dans tous les domaines, médicaux, économiques et environnementaux pour trouver des solutions pérennes.

à Lire l’article sur le site de democratieetspiritualite.org

 

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Résonances spirituelles

https://www.revue-etudes.com/article/voeux-de-vie-qui-ne-soient-pas-pieux-colette-nys-mazure-22594

Vœux de vie qui ne soient pas pieux

Et demain ? Comment en parler alors qu’aujourd’hui nous sommes confinés dans un présent austère ? Nous ne pouvons que balbutier notre espérance sans nous payer de mots, en rêver tout en creusant nos racines, invoquer l’Esprit Saint. La vraie vie est absente, observait le jeune Rimbaud. Il fautchanger la vie. Échapperons-nous à la sidération ?  Agir sans reproduire, mais inventer ?

Nous avions lu la Bible, Boccace, Marguerite de Navarre, Giono, Camus. Nous pensions, grâce à la puissance d’évocation des auteurs, être en empathie avec ces femmes et ces hommes confrontés aux fléaux récurrents, mais, seule, l’expérience permet de comprendre une situation qui met en péril l’univers. Nous en avions négligé les signes précurseurs, serons-nous plus lucides ? Courage !

Dans l’enfance, je jouais à On disait que, la formule magique ouvrant tous les possibles. Adulte, je m’y sens invitée, pour autant que le on disait débouche sur une conversion, un changement de cap concret. Au cœur de la vacance imposée, je suis conviée non pas à combler le vide par le divertissement mais, grâce à cette vie intérieure, à dégager l’essentiel de l’accessoire. Résonne la question Toi que fais-tu de ta vie ? Quels sens – saveur, orientation et signification- lui donnes-tu ? Résister, ralentir, me délester, rencontrer, partager, cinq verbes forts, stimulants qui feront contrepoids au désarroi.

L’espace ouvert par la cessation des activités extérieures permet plongée et remontée pour autant que je résiste aux tentations multiples qui m’assaillent par écrans interposés – télévision, ordinateur perpétuel, vidéos, liens… De même je cherche comment ne pas être ressaisie par la vie courante, celle qui emporte dans la griserie de l’à faire sans ménager de respirations vouées à la prière sous quelque forme que ce soit, au silence pour mieux rencontrer ?

Si j’écris, c’est notamment parce que je crois que le verbe au cœur du mot poésie est prodigieusement actif, pour travailler mes obscurités jusqu’à rejoindre la nappe phréatique commune, percevoir les cris de peine et de joie de mes sœurs et frères humains. Les textes ajustés à cette terre d’ici projetteront peut-être une clarté humble et résolue sur nos chemins.

Le délestage imposé par le confinement restera-t-il de saison ? Je recours à quelques exemples concrets parce que je me méfie de ce qui plane en discours rhétorique. J’ai entrepris d’alléger les bibliothèques qui peuplent la maison – une aventure émouvante, éprouvante, car il faut opérer des choix ; bien des questions restent pendantes. S’il est aisé de mettre dans les caisses à donner un ensemble poétique de Michaux puisqu’il se retrouve dans mon volume de la Pléiade, que faire des collections de revues professionnelles, spirituelles, culturelles… ? Je vais déposer sur le seuil des voisins une série de livres ciblés, susceptibles de les intéresser, j’en place dans les boites à livres comme j’en laissais dans les trains lorsqu’ils roulaient.

Indépendamment de l’espace rendu aux rayons, c’est une relecture de mon existence qu’ont jalonnée ces ouvrages datés, annotés, dédicacés, déformés par coupures de presse et lettres. Je rends grâce pour ces voyages sensibles et intellectuels, ces imaginaires féconds, les amitiés dont ils témoignent. Changer la perte en reconnaissance et laisser place à ce qui viendra : voici peut-être une suggestion. Je salue ces écrivains comme je salue, dans l’écart, les personnes aimées ou inconnues, croisées à distance prudente sur les chemins de campagne. J’en rejoins d’autres dont je connais l’isolement par une lettre, un poème, un appel téléphonique : je tends l’oreille aux voix qui trahissent la détresse, la solitude. Déliée, je me relie.

Oui me délester provoque une attention plus fine au vivant aujourd’hui et demain. Plus légère, je n’ai pas peur de me déposséder, de m’engager dans le partage de ce qui compte vraiment. Il m’est proposé de changer la vie à commencer par ma propre manière de vivre, mais aussi de participer à une réflexion plus vaste avec les moyens qui sont les miens.  La maison confortable ouvre ses fenêtres pour remercier les aventuriers de ce temps, ceux qu’on exploitait, qu’on laissait sans scrupule à des tâches écrasantes ou invisibles. Des écailles me sont tombées des yeux et j’espère ne plus me laisser aveugler.

Opérer cette conversion (cette résurrection ?) non pas momentanément mais durablement. Lorsqu’au terme d’une nuit interminable d’hôpital, j’entendais les pas dans la rue, je me jurais de ne jamais oublier que marcher en respirant l’air neuf, c’est déjà un cadeau sans prix. Et puis l’usage et l’usure étouffent l’élan, le souvenir se dissipe. Quelle vie intérieure vais-je nourrir pour ne plus glisser dans la vie absente ? Laisser mûrir l’avenir. Inoculer l’espérance, je voudrais, je tente.    

Colette Nys-Mazure

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Libre Propos

« Le confinement physique devrait favoriser le déconfinement des esprits » (Edgar Morin).

Chronique de Bernard Ginisty du 24 avril 2020

La perspective du « déconfinement » prochain ouverte par le président de la République a conduit de nombreux observateurs à s’interroger sur « l’après » pandémie du coronavirus. Parmi ceux-ci, Edgar Morin nous livre, dans une double page du quotidien Le Monde, des réflexions particulièrement toniques (1). « A mon avis, écrit-il, les carences dans le monde de pensée, jointes à la domination incontestable d’une soif effrénée de profit, sont responsables d’innombrables désastres humains dont ceux survenus depuis février 2020 ». Pour lui, il est « tragique » que la pensée disjonctive et discursive règne en maîtresse dans notre civilisation et tienne les commandes en politique et en économie.

 Le premier résultat de cette épidémie « imprévue » est de nous apporter, écrit-il, « un festival d’incertitudes ». Des « évidences » d’experts s’avèrent catastrophiques : la stratégie des « flux tendus » à la place du stockage et le dogme libéral confiant aux marchés financiers mondiaux le soin de réguler la fourniture des médicaments les plus essentiels, a laissé le dispositif sanitaire français tragiquement dépourvu. La « science » (dans sa conférence de presse du 20 avril, le premier ministre invoquait « les sociétés savantes ») est apparue « ravagée par l’hyperspécialisation » et tentée par le dogmatisme. Cette crise, nous dit Edgar Morin, « est l’occasion de comprendre que la science n’est pas un répertoire de vérités absolues (à la différence de la religion), mais que ses théories sont biodégradables sous l’effet de découvertes nouvelles ». Cette crise planétaire met en relief la communauté de destin de tous les humains en lien inséparable avec le destin bioécologique de la planète Terre : « elle met simultanément en intensité la crise de l’humanité qui n’arrive pas à se constituer en humanité ».

 Ce qui est en question n’est pas d’abord des ajustements techniques et administratifs, mais notre façon de penser et d’évaluer le monde, c’est-à-dire la question du « sens » Depuis une dizaine d’années, elle réapparaît de façon obsédante dans tous les débats. La vogue de la question du sens me paraît traduire le symptôme d’une fracture tant dans la façon de vivre des sociétés que les psychismes individuels.

 Cette fracture est celle que nous vivons entre les trois acceptions du mot « sens » : il désigne tout d’abord la signification globale de l’existence, ce que traduit le mot grec Mythos, il indique aussi la direction à prendre, la logique de l’action et des institutions, le Logos, il traduit enfin l’appréhension sensuelle du monde, l’Éros.

 Les sociétés, comme les individus, trouvent un certain équilibre dans la mesure où ces trois instances communiquent, même de façon conflictuelle. La crise que nous vivons vient de l’exacerbation des trois niveaux dans une logique de séparation et de consommation. Le Mythos se vit à travers le marché du sens, le New Age, le zapping indéfini entre croyances, philosophies et sagesses. Cela donne lieu à des militances“ spirituelles” qui se détournent des miasmes de la politique. Le Logos se décline en une addition de savoirs, de techniques, de démarches rationnelles, scientifiques et institutionnelles. Internet nous submerge d’informations. Quant à L’Éros il s’épuise dans des quantités de jouissances surdéterminées par le marché et la publicité.

L’après-épidémie, nous dit Edgar Morin, sera une aventure incertaine où se développeront les forces du pire et celles du meilleur, ces dernières étant encore faibles et dispersées. « Sachons que le pire n’est pas sûr, que l’improbable peut advenir, et que, dans le titanesque et inextinguible combat entre les ennemis inséparables que sont Éros et Thanatos (dieu de la mort dans la mythologie grecque), il est sain et tonique de prendre le parti d’Éros ».

(1) Edgar MORIN : Cette crise devrait ouvrir nos esprits depuis longtemps confinés sur l’immédiat, in journal Le Monde, 19-20 avril 2020, pages 28 et 29

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ECHOS

 Après le grand confinement, quelle boussole démocratique et spirituelle en Terre inconnue ?

 

Toi, COVID-19, petit virus nanoscopique (60 nm) tu as appuyé sur l’interrupteur des folles activités humaines des ¾ de l’Humanité. Sans crier gare, d’une chauvesouris en passant par le pangolin, tu te serais réfugié dans le système respiratoire d’un chinois à Wuhan et tu t’es multiplié sans compter au gré des rencontres qu’offre la mondialisation effrénée, où la vie est devenue marchandise.

Afin de prévenir ta prolifération mortelle, nous sommes confinés dans notre maison quand nous en avons une. Après un temps de sidération, où tout s’arrête, les rues désertes, le silence des villes, la nature reprend ses droits, la pollution diminue, la mort rôde, renvoyant chacun son intimité. Tu nous rappelles les grandes pandémies, qui ont déjà eu lieu et que nous avons oubliées au profit du PIB.

Tu nous inspires de vivre autrement rapidement en nous posant les questions essentielles : Pourquoi je vis ? Suis-je utile ? Qui j’aime ? A quoi ça sert de vivre comme je vis ? Qu’est ce qui compte vraiment pour moi ? Je prends conscience de l’extrême fragilité de la vie, de la nature vivante, de nos sociétés, de notre très grande interdépendance. Tu te promènes sans te préoccuper de la couleur de peau, de religion, d’identités nationales, de frontières, de richesses, de notoriété. Avec de si grandes disparités, formons-nous vraiment une seule Humanité ?

Tu as provoqué une crise sanitaire majeure à échelle de la planète, et après le confinement ce sont des crises sociales, économiques, politiques très importantes que nous aurons à surmonter dans nos pays alors que nous avions déjà à affronter les défis du réchauffement climatique, de la désorganisation des sociétés causée par la mondialisation financière, des migrations liées au climat, des guerres, des régimes politiques autoritaires et de la pauvreté. C’est un défi culturel d’abandonner la religion du PIB.

Tu nous invites à vivre avec la nature sur la Terre, et non en l’exploitant à outrance. Tu nous invites aussi à vivre à l’arrêt. Alors que nous dit notre boussole ? Redonne-t-elle la place qui convient aux choses essentielles de la vie en société ? Où allons-nous ? N’est-il pas le moment de changer de direction, de civilisation. Sommes-nous à un carrefour où se présentent mille directions ?

Comment gouverner 7.7 milliards d’habitants ? Quel pouvoir de citoyen du monde j’ai réellement ? Alors que partout dans le monde les citoyens expriment leur désir de cogérer les affaires publiques, sans beaucoup faire confiance aux représentants élus, ni aux technostructures. Comment ressourcer la démocratie participative, plus directe, plus délibérative en s’appuyant sur les nouveaux moyens de communications, sans oublier ceux qui ne sont pas connectés ? Quelles modalités démocratiques à mettre en œuvre pour que chaque citoyen soit pris en compte afin de décider collectivement, par la coopération, de construire un nouveau monde à partir des souffrances des plus pauvres ?

Pendant ce confinement, tu nous invites à expérimenter la vie monacale, à renoncer aux libertés, aux rencontres qui étaient le sel de notre vie. Tu nous suggères de développer une vie intérieure faite de silences, de méditations, de prières pour certains. Tu nous relies à l’essentiel. Nous éprouvons la solitude, le vide de nos vies. Tu nous rappelles la place majeure d’être aimé et d’aimer. Aimer la vie, respirer un air nouveau, dépourvu de pollutions de toutes sortes. Tu nous entraines à apprivoiser la mort. Nous sommes vie et mort à la fois, dans la fragilité de la vie, où l’esprit de Dieu nous traverse par son interrogation. L’inconnu, l’incertitude, l’infini, l’imprévu, l’inouï et la finitude de la vie nous interrogent car ce qui nous arrive est vraiment extraordinaire.

Après ce confinement, notre vie spirituelle inspirera-t-elle davantage notre vie démocratique ? Cette alliance nourrira-t-elle nos parcours de vie dans nos engagements de territoire ou d’activité jusqu’à l’échelle planétaire ? Saurons-nous enrichir nos dialogues en Humanité, ici et maintenant, afin d’offrir le meilleur de nous-même, par notre implication pour la métamorphose du monde, plus fraternel ?

Régis Moreira, membre de Démocratie & Spiritualité

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Que font nos partenaires ?

Convivialisme

Fort de ses 276 signataires d’experts français et internationaux, le Second Manifeste Convivialiste est un court texte – à peine 100 pages – proposant une philosophie politique pour notre temps. Initié au début des années 2010 par le sociologue Alain Caillé, le convivialisme articule cinq principes et un impératif : commune naturalité, commune humanité, commune socialité, légitime individuation, opposition créatrice et maîtrise de l’hubris.
Le Manifeste décline ces principes dans de nombreux champs de la vie en société, avec l’ambition de constituer un fond doctrinal commun pour ceux qui souhaitent mettre des mots sur leurs aspirations au progrès. Pour une présentation précise :

http ://convivialisme.org/extraits/chapitre2/

Marc de Basquiat

 

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AGENDA

 

Prochains bureaux : mardi 26 mai et mardi 23 juin à 18h.

 

Prochaines Conviviales :

• Mardi 19 mai à 17h: "Les ressources spirituelles dans l'exercice de nos diverses responsabilités, dans la période actuelle " animée par Bertrand et Jean-Baptiste.

Un questionnaire est proposé pour alimenter la réflexion et le débat.

Pour participer, s’inscrire ici : http://www.democratieetspiritualite.org/contactez-nous/

• Mardi 16 juin : la question du chômage et de l’emploi à la suite de la crise du Covid-19, en préparation

 

Le prochain CA du mardi 9 Juin 2020 se tiendra par téléphone.

 

L’Assemblée générale du 28 avril 2020 de 18 h à 20h30 sera reportée au mois de juin ou de septembre, en fonction de la situation sanitaire et des règles du déconfinement.

 

L’Université d’été 2020 prévue à Lyon, au centre Jean Bosco, du 27 au 29 août au matin, sera reportée à l’été 2021.

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L'Ours

Lettre D&S N° 171 Mai 2020

ISSN 2557-6364

Directeur de publication : Jean-Baptiste de Foucauld
Rédacteur en chef : Monika Sander
Comité de rédaction : Jean-Baptiste de Foucauld, Sébastien Doutreligne, Eliane Fremann, Daniel Lenoir, Régis Moreira, Bertrand Parcollet
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