En-tête

Lettre n°153 - Avril Mai 2017 

 

 Sommaire

L’agenda 

L’éditorial 

• 

L’éditorial : Election présidentielle : DS prend position

 

Nouvelles de l'association. 

• Université d’été de D&S 2017. 

• 

Assemblée générale de D&S

Résonances spirituelles 5

• Prières d’homme. 4

• « Fécondité de la quête spirituelle : elle me met de plain-pied avec tout être humain » Lytta Basset

Trois approches de la violence dans notre société

• Conviviale du 7 mars avec Charles Rojzman sur « Faire face à nos fractures et à la violence »

• Rencontre le 22 février avec Jean-Marie Petitclerc sur « La violence et les jeunes »

• Rencontre le 19 avril avec Axel Kahn sur « Les origines des violences »

Démocratie et spiritualité

• « La religion est un transport collectif, et moi je préfère aller à Dieu tout seul et à pied » Kamel Daoud

Echos d’ailleurs

• La présidentielle, une opportunité pour repenser imaginaires politiques et liens démocratiques

•   

• PS Notre objectif est désormais de sortir une lettre bimestrielle, quitte à en accélérer ou ralentir le rythme en fonction de nos impératifs.

Le SITE, la lettre  

http://www.democratieetspiritualite.org/

Agenda

Les soirées conviviales et réunions au 250 bis Boulevard Saint-Germain (75007) (digicode extérieur : 25B01 ; intérieur dans le hall : 62401 ; salle au premier étage)

- La réunion conviviale du lundi 15 mai est supprimée en raison de l’organisation le mardi 16 mai par le Pacte Civique d’une soirée débat au Forum 104 à 19H30, 104 rue de Vaugirard, 75006 Paris, sur  « confiance et défiance démocratiques »

avec Dominique Schnapper, sociologue, ancien membre du Conseil constitutionnel, Laurent Grandguillaume, député de la Côte d’Or, et Eric Thuillez, membre de l’Observatoire Citoyen de la qualité démocratique

  - Mardi 9 mai à 17H : conseil d’administration de D&S

- Lundi 12 juin à 19H : conviviale sur l’actualité après les élections

Méditations interspirituelles les mercredis 24 mai, 28 juin de 18h15 à 19H15, au Forum 104, 104 rue de Vaugirard (75006)

Groupe "cheminements" : le mardi 16 mai à 15H, salle Gandon au 21 rue des Malmaisons (75013)

Groupe de Grenoble : le mardi 23 mai 2017 à 15h à la Galerie LAVINA, 12 place Notre Dame autour du thème « Comment ma spiritualité (athée, agnostique ou religieuse) a influencé mes votes à l'élection présidentielle ? »

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L'éditorial

 Election présidentielle : DS prend position

La situation tendue de notre pays à l’orée du second tour de l’élection présidentielle ne peut manquer d’interroger les membres et amis de Démocratie et Spiritualité. Le regard particulier que nous essayons de porter  peut-il nous aider à mieux comprendre la situation, et à proposer des voies de solution ?

La démocratie doit-elle être ouverte (aux échanges commerciaux, aux idées, aux mouvements des personnes) ou fermée ? La spiritualité doit-elle être ouverte (aux autres spiritualités, à la libre pensée critique, à la recherche) ou fermée ?  A quelles conditions l’une et l’autre peuvent-elles être ouvertes ? Voilà les questions qui  sont aujourd’hui posées à notre pays et à l’Union européenne.

Il apparait que le processus d’ouverture des sociétés les unes par rapport aux autres a été trop laissé aux forces obscures du commerce, de la technologie et de la finance, la poursuite par chacun de ses intérêts personnels dans le cadre du marché étant censé provoquer mécaniquement un progrès bénéfique à tous. Ce processus n’a pas été suffisamment humanisé. La gestion de la multiplicité culturelle a été négligée et s’est dégradée en relativisation générale des valeurs. Les institutions chargés de définir et de mettre en œuvre l’intérêt général ont été débordées ou n’ont pas su se porter au niveau d’efficacité requis, comme c’est le cas de l’Union européenne. De ce fait, les gains de la mondialisation n’ont pas été équitablement répartis et les écarts se sont accrus entre les bénéficiaires, les profiteurs, et les laissés pour compte, générant de fortes inquiétudes dans une partie croissante de la population, particulièrement chez les catégories populaires et les classes moyennes en risque de déclassement.

On peut comprendre que cette situation insécurisante entraine pour beaucoup des personnes qui souffrent à la fois de la précarité sociale et du flottement des valeurs  une demande de retrait et de fermeture, aussi bien sur le plan politique que sur le plan spirituel, demande parfois violente et agressive.

Donner suite à cette revendication aggraverait le mal au lieu de le réduire.

Il ne s’agit pas de renoncer à la société ouverte, mais de la rendre plus juste et plus solidaire.

Il ne s’agit pas de remettre en cause la liberté, mais de la rendre plus responsable.

Il ne s’agit pas de renoncer à la diversité culturelle, en admettant que ce soit possible, mais d’en mieux cerner la richesse, voire l’unité sous-jacente quand elles se nourrissent les unes des  autres.

Il ne s’agit pas de casser les dynamiques économique, écologique, sociale, culturelles, mais de les rendre plus fraternelles. Sachant que la bienveillance et la coopération sont généralement plus efficaces que la maltraitance et la compétition[1].

Vaste programme, à un moment où des digues sont en train de sauter, entre la droite et l'extrême droite, mais aussi entre l'extrême droite  et une fraction de la gauche radicale. Une coalition de fait se forme dans les esprits contre l’idée même d’ouverture, contre tout ce qui a été fait ou tenté, contre tout ce qui doit être recherché à l’avenir.

Dans un pareil moment, lorsque menace d’être détruit tout ce qui a cherché à se construire,  l'éthique de conviction, qui nous est si chère  (parfois même trop, à nous, individualistes), doit s'effacer devant l'éthique de responsabilité, les idéaux personnels légitimes  devant l'intérêt général.

Dans ces conditions, voter blanc ou nul, ou s'abstenir, c'est donner du poids à la société de fermeture, et ce poids, victoire ou pas du Front national, pèsera lourd ensuite.

Ensuite, il faudra construire, gouverner avec les citoyens, généraliser la pratique de l’éthique de la discussion. Faire tout autrement que ce que l’on a généralement fait. Dans une société fracturée, qui aura grand besoin de pacification et d’apprendre à vivre ses confrontations de manière plus fraternelle.

Le Bureau

[1] Voir la tribune de Jacques Leconte

Pour poursuivre le débat, voir le kit du Pacte civique pour les élections présidentielles

 

Nouvelles de l'association

 

 Université d’été de D&S 2017

L’Université d’été D&S de 2017 aura pour thème « Education, citoyenneté, spiritualité ». Elle se déroulera du vendredi 8 septembre 9H30 au dimanche 10 septembre 13 H au centre Jean Bosco à Lyon. A réserver dès à présent dans vos agendas 

Assemblée générale de D&S

Le rapport moral et le rapport financier ont été approuvés par l'assemblée générale à l’unanimité (19 présents et 19 procurations). La décision est prise de maintenir le niveau actuel des cotisations, en adoptant deux tarifs différents pour la participation à l’UE : l’un inchangé pour les membres cotisants à DS, l’autre incluant un supplément de 30 euros pour les non cotisants à DS.

Patrick Brun présente ensuite le livret qu’il a écrit avec la contribution de membres de l’association et en s’appuyant sur nos archives. Il s’intitule « Démocratie et spiritualité en questions- Pour un vivre ensemble porteur de sens ». Patrick a placé au cœur du livre la vocation de D&S : les transformations personnelles et les transformations collectives. Selon lui, la dimension de think thank de D&S n’a pas été assez développée ces dernières années, sauf lors du travail sur les « nouveaux paysages religieux » qui a duré de 2012 à 2014. Un débat sur le livre s’engage au sein de l’AG, débat qui devra être poursuivi et nous aidera à préparer l’avenir. 

En partant de cet important travail, Jean-Baptiste de Foucauld  propose de lui donner suite en :

- trouvant les mots permettant d’actualiser la charte de D&S

- ciblant mieux notre action pour renforcer l’association

- améliorant l’articulation avec le Pacte Civique

- réalisant un renouvellement générationnel

- organisant avec plus de rigueur l’équipe active à D&S

- développant des partenariats (pistes à creuser avec Sésame, Coexister, Olivier Maurel, Dialogues en humanité).

 L’assemblée générale procède enfin à une révision des statuts : le nombre maximal d’administrateurs est porté de 18 à 25, le conseil est élu pour 2 ans et une personne absente ou non représentée à trois réunions successives est démissionnaire d’office.

L’Assemblée Générale renouvelle ensuite le mandat des membres sortants et salue l’arrivée de trois nouveaux membres : Yannick Moreau, Marcel Lepetit et Valérie Pénicaut. Ceci donne la composition suivante du nouveau conseil d’administration de 23 membres:

Geneviève Ancel, Patrick Brun, Paul-Philippe Cord, Vincent David, Jean-Claude Devèze, Zoubida Djelali, Eliane Faure-Fremann, Jean-Baptiste de Foucauld, Annie Gourdel, Odile Guillaud, Henri-Jack Henrion, Martine Huillard, Jamila Labidi-Barbouch, Marcel Lepetit, Marcel Loarec, Yannick Moreau, Régis Moreira, Valérie Penicaut, Jean de Saint-Guilhem, Jean-Claude Sommaire, Bernard Templier, Slimane Tounsi, Monique Valette.

Cotisation 2017

Nos ressources doivent être augmentées, merci de nous aider : Cotisation minimale 30 euros pour une personne seule, 50 pour un couple. Pour cotiser, aller sur le site www.democratieetspiritualite.org rubrique « Nous rejoindre et adhérer ». 

 

Résonances spirituelles

Texte lu le mercredi 26 avril à la méditation interspirituelle proposée par D&S au Forum 104

 

Prières d’homme

Que chacun aille en paix sur la voie qui est la sienne avec l’exactitude de la fidélité.

Départ et détachement, dépouillement sans fin.

Distance et liberté, seul, face à son destin.

Discrétion et patience de celui qui se tait, mais espère dans la pureté du silence. (…)

Attente de la présence qui fait être dans la totalité du vouloir. (…)

Harmonie et paix étant soi sans être à soi,

dans la rectitude du regard, dans la justesse de la pensée,

dans la simplicité de l’acte, dans l’authenticité de l’être,

disponible et comme immobile devant Dieu,

pour recevoir et pour donner.

Marcel Légaut

 

  Démocratie et spiritualité

« Fécondité de la quête spirituelle : elle me met de plain-pied avec tout être humain »

Lytta Basset

Chronique de Bernard Ginisty du 5 avril 2017

Dans son dernier ouvrage intitulé La Source que je cherche, la théologienne protestante Lytta Basset écrit ceci : « Jadis, le « non-hasard » a voulu que je mène de front une thèse de doctorat en théologie sur le mal subi et un travail psychanalytique décapant sur mon enfance. Plus j’avançais, plus me sautait aux yeux l’incohérence entre mon expérience de vie et l’enseignement traditionnel sur Dieu. J’ai revisité la Bible avec une exigence de cohérence que j’étais désormais incapable de renier » (1).

Cette exigence va la conduire à se découvrir « compagne » de tous les chercheurs de ce qu’elle appelle La Source, c’est-à-dire de ceux qui, comme elle, sont  assoiffés d’autre choses que d’eux-mêmes. « Ne s’étripe-t-on pas, encore et toujours, entre témoins qui, persuadés d’avoir trouvé « Dieu », ne Le cherchent plus ? En revanche, on s’enrichit d’autant plus des expériences spirituelles des autres qu’on demeure profondément des chercheurs » (2).

Pour Lytta Basset, « finie la civilisation de l’affirmation, voici la civilisation de la question », car, pour elle, « Quoi de plus rassembleur que la quête de la Source ? ». Ce sentiment de solidarité avec tous les êtres humains  l’éloigne d’un discours soi-disant « spirituel » qui cultive la défiance à l’égard « du monde ». Entrer dans la fraternité avec des semblables en quête « d’autre choses qu’eux-mêmes » permet l’ouverture la plus grande à la réalité concrète du monde tel qu’il est et non comme nous le rêvons.  Reprenant un propos de Bernard Feillet : « On peut douter de ses certitudes, on ne doute pas de son désir », elle écrit : «  Il me serait impossible de parler du Divin que je cherche sans faire l’expérience concrète de ce qui me met en chemin » (3).

L’introduction de son ouvrage constitue une sorte de discours de la méthode pour chercheurs spirituels. Il s’agit d’ouvrir un espace à partir de « refus » qui ne définissent pas des certitudes mais ouvrent des itinéraires. Refus de l’inauthenticité d’une langue de bois religieuse qui ne s’incarne pas dans la vie concrète; refus de l’incohérence qui oublie le travail d’unification progressive de soi ; refus du dogmatisme qui conduit à « se renier devant une vérité soi-disant « objective » révélée à certains » ; refus de valoriser « Dieu » au détriment de l’humain : « Plus notre juste perception de nous-mêmes nous rend vivants, plus nous nous ouvrons à une autre perception de Dieu, plus vivante elle aussi » (4). 

Nous pourrons ainsi échapper à ce que Lytta Basset appelle, après Maurice Bellet souvent cité dans son ouvrage, « le dieu pervers ». Bien loin de conduire à s’enclore dans une institution, une dogmatique ou une aventure individualiste, le chemin spirituel ouvre à l’universel concret : « Il se trouve que les perceptions de ‘’Plus grand que soi’’ se vivent largement en dehors des Eglises. Mais de quel droit les invaliderait-on ? Jésus lui-même n’avait-il pas lui-même une expérience du « Père » immédiate, sans chercher une légitimation auprès des autorités religieuses ? N’annonçait-il pas le temps où l’on irait à la Source « dans un souffle et dans l’authenticité », sans passer par le Temple ou quelque autre institution religieuse ? Quand il appelait « Père » ce Plus grand que lui dont il ne se désolidarisait jamais, je crois qu'il avait le sentiment intense d’être précédé et désiré, de venir de Quelqu’un » (5).

A l’opposé des dérives sectaires et fondamentalistes, Lytta Basset  nous rappelle : « Nous nous en sortirons tous ensemble…ou pas du tout. La quête de la Source n’est de loin pas à l’usage exclusivement personnel ! » (6).

(1)            Lytta BASSET : La Source que je cherche, éditions Albin Michel 2017, page 14.

(2)            Id. page 7

(3)            Id. page 27

(4)            Id. page 15-16

(5)            Id. page 25

(6)            Id. page17

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 Démocratie et spiritualité, suite.

 

Trois approches de la violence dans notre société

La réunion conviviale du 7 mars avec Charles Rojzman et deux des réunions organisées par la Chapelle Saint Bernard sur « violence et tolérance » le mercredi 22 février avec Jean-Marie Petitclerc et le 19 avril avec Axel Kahn permettent d’approfondir le thème de la violence dans notre société[1].

Conviviale du 7 mars avec Charles Rojzman sur « Faire face à nos fractures et à la violence »

 Né, pendant la guerre, d’une famille juive émigrée de Pologne dont beaucoup de membres ont été victimes de l’holocauste, Charles Rojzman a passé sa vie à essayer de comprendre pourquoi et comment la haine, le racisme, et la peur, peuvent conduire les hommes à commettre les pires atrocités. Après avoir exercé un peu tous les métiers, il a décidé, il y a une vingtaine d’années, d’essayer de soigner le corps social en concevant une méthode originale de « thérapie sociale » permettant d’aider les groupes humains en conflit à retrouver une capacité à vivre ensemble. Aujourd’hui l’Institut qu’il a créé met en œuvre cette méthode dans les banlieues françaises et dans divers lieux de conflits à l’étranger. Dans le contexte des fractures territoriales, ethniques, culturelles, et religieuses, qui se sont développées dans notre pays, nous nous nous sommes réunis à une quarantaine autour de lui, lors de la réunion conviviale du 7 mars dernier, pour essayer de répondre à la question : 

« Comment faire monde commun après les élections de 2017 ? »

FN en particulier. La seconde, qui découle de la première, porte sur la relation à l’islam. Une partie de la population en a peur et demande protection contre ce danger tandis que pour une autre, plus hétéroclite, « l’islam n’est pas le problème ». Au sein de cette seconde catégorie, on retrouve notamment les élites protégées qui voient la diversité comme une richesse et une frange radicalisée de militants d’extrême gauche, hostile au monde de la finance comme à la police, qui refuse toute forme d’autorité. Ces deux groupes-ceux qui sont dans la peur et ceux pour qui l’islam n’est pas le problème -ne se parlent pas. Charles Rojzman parle de « guerre civile dans les têtes ». La troisième fracture est liée à des maladies sociales collectives : la dépression (qui peut se traduire par l’alcoolisme, la toxicomanie, le suicide), la sociopathie (difficulté de travailler avec les autres, d’être solidaire, ce qui conduit à la délinquance, à la criminalité ou à la corruption chez les riches) et la victimisation, la déresponsabilisation

Il constate que :

- la violence  existe partout : dans la famille, au sein des organisations. Et qu’elle revêt différentes formes d’expression : la maltraitance physique mais aussi l’indifférence, le désintérêt pour les autres, la culpabilisation et l’humiliation,

- la violence s’exerce contre les autres mais aussi contre soi-même : toxicomanie, manque de soin et mépris de soi, autoculpabilisation. 

Cette violence du monde occidental est selon lui accentuée par quatre crises du monde contemporain : celle du travail (la peur de la chute sociale crée de la violence), celle du sens (qui conduit à la violence du nihilisme et du fanatisme), celle de l’autorité (qui conduit à la rébellion et/ou à la recherche d’une autorité forte) et celle du lien (on vit dans un monde « de tribus » qui ne se parlent plus).

Or Charles Rojzman, qui a travaillé notamment au Rwanda et dans l’ex-Yougoslavie, s’est interrogé sur ces formes majeures d’inhumanité suvenues dans ces pays et les conditions qui favorisent leur apparition. Il a compris que les génocides se préparent des dizaines d’années à l’avance, que les malaises individuels restés sans réponses peuvent amplifier les violences collectives et se transformer en haine plus globale, en une recherche de coupables.

Dans la seconde partie de son exposé, Charles Rojzman a proposé les pistes suivantes pour répondre à la question « face à nos maladies sociales collectives, que peut-on faire ? » :

- d’abord appréhender ce qu’est la violence et reconnaître qu’elle est partout, dans nos familles comme dans nos histoires collectives (à des degrés divers, nous avons tous des blessures) ;

- ensuite comprendre aussi que nous sommes tous différents et qu’il nous faut transformer cette violence en conflits, ceux-ci inévitables ;

- et donc agir pour « casser » les ghettos, se rencontrer, dialoguer pour ne plus diaboliser les autres. Apprendre le conflit est nécessaire, par exemple entre les adversaires et les partisans de l’accueil des migrants dans les villes et villages, entre jeunes et policiers dans les banlieues. 

Charles Rojzman a ainsi conçu, il y a une vingtaine d’années, une méthode originale de  « thérapie sociale »,  afin d’essayer de soigner le corps social et d’aider les groupes humains en conflit à retrouver une capacité à s’écouter et mieux se comprendre. Il utilise cette méthode à la demande des acteurs locaux concernés, dans les banlieues françaises comme dans divers lieux de conflits à l’étranger, de la Russie à l’Amérique du Sud en passant par le Rwanda jusqu’aux quartiers ségrégés des Etats-Unis et aux villes d’Allemagne de l’Est où monte le populisme.

Le rôle des thérapeutes sociaux est, dans ce cadre, d’être au service de tous, racistes comme antiracistes par exemple, de créer un climat de confiance entre des personnes motivées pour améliorer la vie commune sur un sujet précis : changer le climat du quartier par exemple, rendre les espaces verts utilisables par tous, etc.

 Il s’agit, au sein de ces groupes, d’entendre la souffrance des personnes : chacun parle de lui, de sa responsabilité en tant que policier, jeune de banlieue... Elle lui permet de découvrir sa violence et de voir autrement la réalité qui est complexe, de considérer l’autre comme un être humain qui souffre aussi, le partage de la souffrance étant une première forme de fraternité, une fraternité humaine, réaliste.

Un travail sur nous-même et avec les autres est donc nécessaire. Sortir du prisme des idéologies, des visions du monde issues aussi de notre milieu social pour être en conflit, non plus sur des fantasmes, mais sur des réalités. 

Rencontre le 22 février avec Jean-Marie Petitclerc sur « La violence et les jeunes »

Jean-Marie Petitclerc, prêtre catholique salésienpolytechnicienéducateur spécialisé, expert des questions d'éducation dans les zones sensibles, écrivain, inaugurait le cycle sur la violence initié par Saint Bernard de Montparnasse.

Comprendre n’est pas excuser. Mais, avant d’agir, il faut essayer de comprendre les types de violence auxquels on a à faire. Prenons l’exemple d’un jeune qui a besoin d’exprimer sa violence à l’école, violence qui peut avoir trois types de cause :

-        cela s’est mal passé la veille à la maison ou avec ses copains, d’où le besoin violent d’exprimer un mal être ;

-        cela se passe mal dans son parcours de vie où il se sent en infériorité, manipulé, stigmatisé, d’où affirmation violente pour être reconnu ;

-        ce qui se passe autour de lui entraîne un besoin de manifester un total désaccord, d’où une stratégie violente d’action (chantage, casse[1]…).

La violence d’un jeune peut donc être un mode d’expression et/ou d’affirmation et/ou d’action. L’expression de cette violence mobilise souvent un langage et un vocabulaire adapté à chaque situation, avec un nombre de mots réduits qui sont souvent incapables d’exprimer une émotion. Cela devient dramatique quand la violence s’insère dans un monde virtuel où la souffrance n’a plus sa place.

Pour prévenir la violence des jeunes, diverses pistes :

-        un climat d’écoute à instaurer ;

-        un échange où règne la liberté de s’exprimer (y compris ses émotions) à construire ;

-        un travail sur l’estime de soi à engager (en ne confondant jamais le jugement sur la personne et ses actes)[2] ;

Il faut passer de l’approche délicate du jeune à son accroche en faisant ensemble une activité partagée, puis à son accompagnement, les règles du vivre ensemble se construisant progressivement en se montrant de plus en plus exigeant. D’où trois lignes d’équilibre à trouver au cas par cas :

-        fermeté/compréhension de la personne ;

-        tolérance/jugement d’un comportement (ne pas être tolérant envers ceux qui vous traite de raciste quand ils ont fait une connerie)

-        à l’exemple de Jésus, réagir sur un autre registre (la joue droite qu’on tend après avoir été frappé sur la joue gauche), accepter le tribunal (arrestation de Jésus)…

Rencontre le 19 avril avec Axel Kahn sur « Les origines des violences »

 Pour lutter contre les violences, il faut mieux comprendre leurs origines ontologiques, leurs racines. Nous pouvons mieux comprendre les violences humaines en étudiant d’une part celles qui se rapprochent de celles du monde animal, d’autre part celles qui sont plus spécifiques aux humains.

Les violences animales ont souvent une des causes suivantes :

-        intrusions d’éléments étrangers dans un groupe d’animaux, ce qui se retrouve dans le rejet de l’étranger dans nos sociétés,

-        combats de mâles pour la « possession » des femelles, ce qui peut se transposer en rivalité entre hommes ou femmes pour conquérir et garder une personne de sexe opposé,

-        défense de leurs territoires par de nombreux animaux,

-        lutte pour l’accès à la nourriture,

-        défense de leur progéniture.

Ceci nous aide à percevoir que de nombreux traits humains en matière de violence comme de solidarité sont proches des instincts animaux.

Par ailleurs il faut noter des violences humaines qui ont des caractères propres :

-        seuls des hommes prennent plaisir à torturer (jouissance de la domination) ;

-        seuls des êtres pensants s’affrontent sur des différences d’idées (violence idéologique) ;

-        la susceptibilité humaine est forte (mépris criminogènes).

L’intelligence humaine procède de deux types, l’un poussant à des réactions réflexes, l’autre à une réflexion. Pour lutter contre ces réactions réflexes violentes, il est primordial de réussir l’éducation des enfants en sachant allier réprimandes/punitions avec valorisations/récompenses. Pour promouvoir la réflexion, il s’agit dans la durée

d’aider ceux qui s’éduquent à allier capacité à douter[1] et donc à se remettre en question avec celle de cultiver sa valeur d’être en s’appuyant sur les sources d’humanisation.

En conclusion, Axel Kahn, s’appuyant sur une consultation qu’il a réalisée pour les « armées » en réponse à une consultation sur la dimension éthique de la mise au point d’armes destructrices, rappelle que lutter contre la violence repose sur notre volonté d’humaniser notre monde.

« Y a que quand on casse qu’on s’intéresse à nous ».

[1] Ne pas dire « tu es un délinquant », mais « tu as fait une connerie ». Le difficile est de trouver à chaque fois la sanction adaptée à la personne prenant en compte la transgression.

 Démocratie et spiritualité, suite.

« La religion est un transport collectif, et moi je préfère aller à Dieu tout seul et à pied » Kamel Daoud

Chronique de Bernard Ginisty du 1er mars 2017

Notre monde connaît actuellement une période de crispations nationalistes  et religieuses qui se traduit par l’importance grandissante des partis d’extrême droite et des fondamentalismes religieux dans plusieurs pays. Dans ce contexte, il est urgent d’entendre la parole d’esprits suffisamment libres pour ne pas se laisser aller à dévaler l’une ou l’autre pente des pensées binaires qui structurent l’espace médiatique. L’écrivain algérien Kamel Daoud est de ceux-là (1). Dans un long entretien publié par l’hebdomadaire L’Obs (2),  il témoigne de sa quête spirituelle et de sa lutte contre l’intégrisme et l’instrumentalisation de la religion par les pouvoirs.

A son interlocuteur lui rappelant qu’on le présente parfois comme un pourfendeur de la foi religieuse, Kamel Daoud répond : «  Je défends ma liberté, ma vie, mes convictions. Il est vrai que je ne supporte pas le dogme ou l’expression politique de la religion, mais la quête théologique est permanente chez moi (…) Je voudrais « démonopoliser » Dieu. J’ai le droit de parler du ciel sans passer par la mosquée (…) La figure qui me serait la plus proche, pour être traduisible en Occident, ce serait sans doute celle d’un protestant absolu ». Il désigne « les signes cliniques » de l’intégrisme universel qui mine nationalismes et  religions : « un rapport pathologique à la femme ;  un rapport maladif à l’histoire qu’on n’imagine jamais comme futur, mais comme restauration ; une adoration de l’uniforme et de l’effacement de la différence ; une pathologie de l’altérité, l’autre étant construit comme l’ennemi d’où viennent tous les maux ».

Face à cette situation, on ne s’étonnera pas que la question prioritaire pour Kamel Daoud soit celle de « l’altérité ». « Quand je dis réfléchir sur l’altérité, ne pas traduire : l’Occident doit réfléchir sur l’autre parce que nous sommes ses victimes. Non, l’altérité n’est pas à sens unique, nous y sommes impliqués nous aussi, nous sommes les responsables d’une vision de l’Occident qui a des conséquences. A cet égard, je pense que la mort de l’orientalisme nous a été catastrophique (…) Maintenant que nous n’avons plus de Jacques Berque (3) ou d’Henry Corbin (4) et qu’il  n’existe plus d’instituts de théologie en Allemagne, en France ou ailleurs, le discours sur l’islam est abandonné aux islamistes et à des petits imans de banlieue qu’on propulse porte-parole. On ne parle pas assez en France de cette mort de la théologie comme champ de réflexion (…) Il faut réactiver les études théologiques dans les universités et se réapproprier la réflexion sur le religieux, c’est de l’ordre du vital ».

Evoquant l’élection de Donald Trump - soutenu par plus de 80% des chrétiens évangélistes blancs et la majorité des catholiques (5) - cet intellectuel habitué à entendre les leçons de démocratie de la part de pays occidentaux déclare ceci : « Nous nous sommes fait une construction de l’Occident comme incarnant l’empire, la raison, la culture… Et voilà que l’Occident qui proclame avoir inventé la rationalité cède au petit diable, à la facilité du populisme, à des illusions, à de la magie ! Face aux agissements de Trump, nous avons l’impression de voir Kadhafi réincarné de l’autre côté de l’Atlantique.  Il y a là un retournement de sort incroyable. C’est pour cela que croire que les démocraties chez vous sont stables et définitives, c’est vraiment vous bercer d’illusions ». 

re que les démocraties chez vous sont stables et définitives, c’est vraiment vous bercer d’illusions ».

(1) Kamel DAOUD, né en Algérie en 1970 est un écrivain et journaliste d’expression française. Son roman Meursault, contre-enquête, éditions Actes Sud 2014 a obtenu le prix François Mauriac et le prix Goncourt du premier roman,

(2) Kamel DAOUD : Il faut arracher aux islamistes le monopole de Dieu. Propos recueillis par Marie Lemonnier in l’Obs, n°2728 du 16-22 février 2017, pages 65 à 70.

(3) Jacques BERQUE (1910-1995) est un anthropologue orientaliste. Il a été titulaire de la chaire  d’histoire sociale de l’Islam contemporain au Collège de France de 1956 à 1981. Membre de l’académie de langue arabe du Caire depuis 1989, il a traduit le Coran. Il a décrit l’utopie d’une « Andalousie », celle d’un monde arabe renouvelé retrouvant à la fois ses racines classiques et sa capacité  de tolérance. « J’appelle,  écrit-il, à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'inlassable espérance ».

(4) Henry CORBIN (1903-1978) philosophe, traducteur et orientaliste français. Il est spécialiste de l’islam iranien et de la gnose chiite. En 1954, il est nommé directeur d’études « Islamisme et religions                de l’Arabie » à l’Ecole pratique des hautes études où il succède à Louis Massignon. Il prendra la succession de Jung aux Rencontres d’Ascona, ville suisse du Tessin oùse sont réunis, pendant plusieurs années, les plus grands spécialistes mondiaux de l’expérience religieuse.

(5) « Trump triomphe chez les évangéliques blancs et remporte le vote catholique », site du journal La Croix, 9 novembre 2016 <www.la-croix.com>

Échos d'ailleurs

La présidentielle, une opportunité pour repenser imaginaires politiques et liens démocratiques

Réflexions de Jean-Claude Devèze à partir de deux articles des Etudes

 Dans la revue Etudes d’avril 2017, deux articles nous aident à réfléchir aux enjeux pour notre pays des élections en cours.

Stéphane Rozès, dans l’article intitulé « Le rite de la présidentielle et l’imaginaire français », insiste sur l’importance de ce processus électoral qui relie les français et réactive leur imaginaire. Ceci nous invite à approfondir en quoi consistent nos imaginaires politiques et démocratiques. En politique, nous oscillons entre idéaux de gauche et de droite, entre aspirations conservatrices, libérales et sociales, entre nos projections en lien avec des utopies transformatrices et nos résistances aux changements pour se protéger des risques, entre réforme et révolution…De même, sur le plan démocratique, nos imaginaires, selon nos sensibilités, en appellent à une société plus créative, à une articulation de l’action politique du local au global, à plus de fraternité et de solidarité, à une prise en compte réelle des capacités citoyennes, à l’inscription de notre avenir dans un récit national…Comme le dit Stéphane Rozès, « le pays est obligé de se réapproprier la dimension de l’imaginaire projectif qu’est l’incarnation d’un projet politique », nous invitant à « réparer les imaginaires nationaux avant que les régressions l’emportent et peut-être même les guerres ».

Frédéric Lazorthes, dans l’article intitulé « La présidentielle 2017 ou la fragilité du lien démocratique », s’inquiète du basculement de notre pays dans une démocratie de l’enfermement identitaire[1] qui rend difficile le rassemblement des français derrière un leader politique ; en effet, « les Français éprouvent une incapacité croissante à se sentir liés par une communauté nationale et civique ». La constitution de la cinquième république, telle que voulue par le général de Gaulle, visait à dépasser les « cuisines » des partis comme les ciblages des candidats vers des segments de l’opinion publique : il s’agissait de rassembler autour d’un projet de gouvernement d’un peuple uni par un même destin. Or, cette constitution est remise en cause non seulement par les candidats qui veulent en changer, mais aussi par les partis qui croient qu’il suffit d’une primaire pour faire triompher une conception de la société alors qu’il faut arriver à un « gouvernement commun par-delà la pluralité sociale ». Le risque est de confondre la démocratie d’opinion et ses errements[2] avec la responsabilité politique qui requiert d’abord de s’appuyer sur une communauté civique avec laquelle il est possible de construire un lien de confiance.

Ces deux articles nous aident à prendre conscience que, face à une décomposition identitaire et un délitement démocratique, il faut savoir, en tant que peuple, se retrouver autour d’un candidat qui est porteur d’un dépassement de nos pesanteurs et de nos divisions ; en un mot, nous avons besoin de nous retrouver autour d’un socle commun pour pouvoir nous projeter vers un futur se réalisant grâce à une communion civique rassemblant la communauté nationale.

• Le Pacte civique propose pour les élections un kit électoral  http://www.pacte-civique.org/Presidentiellesreponsescandidats

[1] Le CEVIPOF parle de « La démocratie de l’entre-soi », titre d’un dernier ouvrage collectif de mars 2017.

[2] Par exemple, multiplication des demandes de droits nouveaux comme d’expressions de non consentement à la décision de la majorité.

Informations diverses

• Mardi 16 mai à 19H30, le Pacte civique propose au Forum 104, 104 rue de Vaugirard, 75006 Paris, une soirée débat sur « confiance et défiance démocratiques » avec Dominique Schnapper, sociologue, ancien membre du Conseil constitutionnel, Laurent Grandguillaume, député de la Côte d’Or, et Eric Thuillez, membre de l’Observatoire Citoyen de la qualité démocratique

• Lundi 19 juin 2017 à 19h30, l’association La Traversée propose au Forum 104, 104 rue de Vaugirard, 75006 Paris, une conférence animée par Michel Fromaget, anthropologue, sur le thème « Anthropologie spirituelle, spiritualité et sens de la vie ». Blaise Pascal dans ses Pensées distingue trois « ordres de réalité » en l’homme : le corps, l’âme et l’esprit. La vocation des psychologies, selon leur étymologie, est la connaissance de la psyché et donc de l’âme. Mais qu’en est-il de la troisième dimension de l’humain, l’esprit, et comment la comprendre ? Comment se dit-elle dans l’épreuve et la souffrance ou bien dans l’émerveillement et la joie ? Comment s’articule-t-elle avec les dimensions du corps et de l’âme ? Et comment l’esprit contribue-t-il au sens de la vie ?