En-tête
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  Lettre de D&S n°176

Novembre 2020

 

Sommaire

Éditorial

Un temps pour se taire, un temps pour parler. Daniel Lenoir, Président de D & S

 

Dossier du mois

Le travail social au risque de la spiritualité

Compte-rendu de la conviviale par Eliane Fremann

Le Comité de rédaction a demandé à des acteurs sociaux de parler de leur engagement :

Patrick Boulte, Vincent Godebout, Jean-Claude Sommaire

 

Nouvelles exigences démocratiques

Qu'est devenu le "fair play" aux Etats-Unis ? - Jean-Claude Devèze

Retour à la décence – Arthur Colin, vice-président de Sauvons l'Europe, rédacteur en chef du site

« La crise est devenue aujourd’hui une situation « normale » et quasi permanente, marquée par l’indécidable » Myriam Revault d’Allonnes – Bernard Ginisty


Résonances spirituelles face aux défis contemporains

Quelques chemins pour inventer le futur : Bernard Ginisty 

 

Libres Propos

Souffrances du monde, interdépendance et chemins d’éveil : Marie-José Jauze – Monika Sander

 

Proposition de lecture

Lettre de Rosa Luxembourg à Sonia Liebknecht, décembre 1917

 

Échos

Suite des échanges sur les événements de Conflans Sainte Honorine et de Nice – Daniel Lenoir

 

Que font nos partenaires ?

Colloque conjoint Pacte civique -Démocratie & Spiritualité au Forum 104

Présentation de l’association Enquête – Eliane Fremann

Une Information de l’École du sens Estelle Auguin

 

Agenda

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EDITORIAL

 

Un temps pour se taire, un temps pour parler

 

Il vient un temps où l'esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit. Alors l'instinct conservatif domine, la croissance spirituelle s'arrête.

Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique.

 

Nous avons choisi de consacrer le dossier de ce numéro au travail social, au travail social et à la question spirituelle, à la question spirituelle posée à partir du travail social. Pourtant, du retour des attentats aux présidentielles américaines, du retour du confinement à l’hystérisation des débats sur les réseaux sociaux, ce ne sont pas les sujets d’une actualité débordante et angoissante qui manquent et sur lesquels porter notre double regard, celui tout à la fois de l’aspiration démocratique et de la quête spirituelle, et ce numéro s’en fait aussi l’écho.

Mais en interrogeant cette pratique du travail social, une pratique discrète et silencieuse, une pratique qui s’ancre dans des réalités humaines concrètes, une pratique qui nécessite un engagement complet des personnes, nous avons voulu aussi prendre de la distance par rapport aux événements, pour essayer de revenir à l’essentiel de ce qui fonde notre démarche.

Quelle expression étonnante que celle de travail social. Faire du social son travail ne relève peut-être pas de l’oxymore, mais d’une alliance de mots inattendue qui pose une double question de sens :

-          Le social d’abord, avec sa forte charge symbolique, qui ne s’adresse pas qu’aux pauvres et aux exclus mais, vise, au-delà de l’accompagnement des personnes, à ce que nous fassions davantage société ;

-          Le travail, ensuite qui renvoie bien sûr à un métier, à une activité professionnelle -comme le rappelle la définition juridique ci-dessous- qui peut être exercée aussi par des bénévoles, mais fait évidemment penser à la maïeutique socratique, ce travail d’accouchement qui doit permettre à chacun de « découvrir et (de) formuler les vérités qu’il a en lui ».

Et au-delà du sens des mots, de quelle recherche de sens témoigne ce travail social ? C’est à cela que nous consacrons le dossier de ce numéro. A partir de son expérience et de sa réflexion personnelle, Jean-Marie Gourvil nous invite à être sur nos deux pieds, et à ne pas oublier de faire vivre nos enracinements spirituels, en même temps que nos débats démocratiques.  Enracinement mais aussi croissance spirituelle, car dans l’ordre de la spiritualité, comme dans celui de la connaissance scientifique (et comme d’ailleurs aussi dans l’ordre de la vie en société que cherchent à régler les débats démocratiques), les acquis sur lesquels nous nous appuyons, ce que nous traduisons en général comme des valeurs, peuvent devenir si nous ne sommes pas capables de les réinterroger, autant d’obstacles qui nous empêchent de progresser, d’aller plus loin, d’aller plus haut. Comme il nous faut dépasser les obstacles épistémologiques, il nous faut dépasser ces obstacles spirituels, ces principes qui deviennent sclérosants quand ils ne sont plus inspirés. « Un temps pour se taire, un temps pour parler » dit Qohélet. La méditation sur le travail social, auquel nous invite ce numéro, nous permettra aussi de méditer avant que de débattre à nouveau sur les événements d’actualité qui nous ont fortement touchés et mobilisés ces dernières semaines.

Daniel Lenoir, président de D&S

 

 

Article D 142-1-1 du code de l’action sociale et des familles donnant une définition du travail social proposée le 21 mars 2017 par le Haut Conseil en Travail Social reprise par décret le 6 mai :

 "Le travail social vise à permettre l'accès des personnes à l'ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. Dans un but d'émancipation, d'accès à l'autonomie, de protection et de participation des personnes, le travail social contribue à promouvoir, par des approches individuelles et collectives, le changement social, le développement social et la cohésion de la société. Il participe au développement des capacités des personnes à agir pour elles-mêmes et dans leur environnement.

A cette fin, le travail social regroupe un ensemble de pratiques professionnelles qui s'inscrit dans un champ pluridisciplinaire et interdisciplinaire. Il s'appuie sur des principes éthiques et déontologiques, sur des savoirs universitaires en sciences sociales et humaines, sur les savoirs pratiques et théoriques des professionnels du travail social et les savoirs issus de l'expérience des personnes bénéficiant d'un accompagnement social, celles-ci étant associées à la construction des réponses à leurs besoins. Il se fonde sur la relation entre le professionnel du travail social et la personne accompagnée, dans le respect de la dignité de cette dernière.
Le travail social s'exerce dans le cadre des principes de solidarité, de justice sociale et prend en considération la diversité des personnes bénéficiant d'un accompagnement social."

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DOSSIER DU MOIS :

Le travail social au risque de la spiritualité

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Le travail social au risque de la spiritualité

Compte-rendu de la conviviale du 20 octobre 2020

Cette conviviale, organisée à la fois en présentiel et en visioconférence et animée par Jean-Baptiste de Foucauld, a porté sur le travail social au risque de la spiritualité,avec la participation de Jean-Marie Gourvil, dont le parcours de vie est marqué par un fort engagement dans le travail social et par la connaissance approfondie des Pères de l'Eglise et des mystiques occidentaux.

Après un mot d’accueil de Daniel LENOIR, président de D&S, Jean-Baptiste de Foucauld présente brièvement Jean-Marie Gourvil, compagnon de D&S depuis une dizaine d’années, mais qui a pris un peu de distance avec l’association, interrogeant le rapport de D&S à la spiritualité, qu’il va développer ici.  

Jean-Marie Gourvil précise tout d’abord son itinéraire personnel et professionnel. Originaire de Caen où il vit toujours, dans un milieu chrétien de gauche proche de la SFIO, il a eu, selon l’expression de la journaliste québécoise Denise Bombardier, « une enfance à l’eau bénite ». Après avoir choisi le statut d’objecteur de conscience, il a consacré son activité professionnelle au travail social. Diplômé en sciences politiques (Universités de Montréal et de Québec), il a été directeur des études à l’IRTS de Normandie/Caen et consultant en développement social local. Très jeune, il a lu Nicolas Berdiaev et Dostoïevski.  Orthodoxe, il a travaillé à la découverte des Pères de l'Eglise et des mystiques occidentaux et revisité l’histoire sociale et spirituelle occidentale. Dans la ligne de Nicolas Berdiaev, de Michel Foucault ou d’Ivan Illich et d'Alain Touraine, il a publié plusieurs textes sur la critique de la modernité.

Jean-Marie Gourvil aborde dans un 1er temps les liens qui doivent s'établir entre le travail social militant et la spiritualité, remettant ainsi en cause la coupure instaurée en France entre ces deux domaines.

Face à la souffrance qui est toujours sociale et personnelle, nous sommes nombreux à avoir trouvé une voie profonde à travers la spiritualité. Par ailleurs, de nombreuses personnes ayant fait une démarche thérapeutique dépassent leurs seules souffrances personnelles en s’engageant dans des actions de coopération avec leurs pairs. Or en France, on a du mal à associer travail social et démarche de sens, le premier restant trop technique, trop moral, et isolant l’individu de ses pairs au lieu de l’ouvrir sur une fraternité réciproque entre personnes qui partagent la même souffrance. Jean-Marie Gourvil a rencontré de nombreux militants, responsables de projets, habités par quelque chose qui dépassait leurs fonctions, un souffle qui les poussait à aller toujours plus loin.

Enfin lors de ses études de sociologie à Vincennes, il a rencontré des personnalités comme Philippe Meyer, Daniel Defert, le compagnon de Michel Foucault, qui l’ont aidé à comprendre les drames de la modernité qui commencent aux XVIe et XVIIe siècles, et le rapport profond entre action sociale et spiritualité. Dans l’histoire de la Folie à l’âge classique, Michel Foucault, (Gallimard, 1972), l’auteur montre bien, page 72, comment l’enfermement des pauvres, leur mise à l’écart dans des Hôpitaux Généraux correspond à un basculement : l’autre n’est plus mon frère, mon semblable souffrant lui aussi, il devient un individu isolé, objet de l’Etat, éduqué par des professionnels.  Jean-Marie a acquis la conviction de l’effacement de la spiritualité quand commence le temps de Surveiller et punir, titre du second grand ouvrage de Michel Foucault (Gallimard, 1975).

Jean-Marie a écrit plusieurs textes sur le XVIIe siècle, tournant majeur, s’intéressant notamment à la figure de Jean de Bernières, dévot mystique, homme de charité qui prend en charge personnellement les pauvres : pour lui mystique et soin du pauvre vont de pair. Deux de ses disciples sont canonisés mais lui est condamné en 1689, et toujours dans les oubliettes de l ’Inquisition. Jean-Marie et quelques amis ont reconstitué son univers, publié ses écrits[i]. Totalement oublié en France, Bernières est considéré au Québec, où se sont installés ses disciples à sa mort, comme l’un des pères de la Nouvelle France.

L’histoire sociale est inséparable de l’histoire spirituelle En 2011 Jean-Marie et quelques autres avaient organisé avec La Vie Nouvelle, la Cimade, la revue Le Sociographe[ii] un colloque intitulé L’engagement social au risque de la spiritualité[iii] à l’IRTS de de Basse-Normandie en 2011, auquel ont participé notamment Jean-Claude Sommaire, ancien secrétaire général du Haut Conseil de l’Intégration et membre de D&S, Michel Fromaget, anthropologue, maître de conférences. Formé au travail social communautaire au Québec, Jean-Marie s’est mobilisé dans son travail de formateur et de consultant sur la participation des habitants, la coopération, la solidarité qui sont pour lui les fondamentaux du travail social. [iv] Le développement social local en France ne sera possible selon lui que si une mutation spirituelle a lieu, que la philosophie de Nicolas Berdiaev nous aide à comprendre. Si le divin existe, il n’est jamais incarné dans l’Etat. Il peut l’être par ses acteurs en tant que personnes et non en tant qu’agents de la haute administration publique masquant leurs engagements sous des procédures.

Dans la 2ème partie de la soirée, Jean-Marie Gourvil s’adresse plus spécifiquement à D&S.

On utilise souvent le mot valeurs pour désigner la spiritualité. Or elle n'est pas réductible à des valeurs, elle est d'abord une expérience profonde, subjective, une clarté, une transcendance qui rejoint l’autre, les autres, le monde, le cosmos. C’est un long chemin sur soi-même, qui peut se faire à côté du chemin thérapeutique, dans une tradition spirituelle. Adhérer à des valeurs ne veut pas dire être dans une démarche spirituelle mais adhérer aux normes culturelles du groupe auquel on appartient.

 

Ne pas chercher trop vite à D&S des convergences entre les spiritualités, ne pas gommer les particularités, richesses différentes : elles ont chacune une profondeur qu'il faut prendre au sérieux. Le bouddhisme et le zen peuvent présenter des convergences avec les courants mystiques rhéno-flamands du Moyen-Age mais ils en diffèrent et ce qui compte, ce sont les parcours intérieurs de chaque tradition.

 

L’histoire spirituelle occidentale est méconnue et il est nécessaire de se la réapproprier. Elle est complexe, marquée par de nombreuses conflits et crises. La connaissance immédiate que nos contemporains ont de la spiritualité chrétienne est très faible, même parmi les « pratiquants ». Beaucoup vont chercher ailleurs vers l’Extrême-Orient ce qu’ils ne trouvent pas en Occident.

Il est important par ailleurs de ne pas laisser l’histoire de la spiritualité chrétienne seulement aux mains de l’institution religieuse qui gommera les conflits et les oppositions pour ne présenter qu’une figure lisse et constante de la spiritualité chrétienne en Occident, en réduisant les ruptures à de simples désaccords ou incompréhensions, ou pire encore, à ne pas accepter que la spiritualité comme la théologie sont en développement et que tout se résout dans la progression, dans l’avancée de nouvelles façons de comprendre les choses. Trois exemples parmi d’autres :

Le procès de pélagianisme fait à Cassien au Vème siècle, en Provence, par les Augustiniens continue de poser problème. Si les Bénédictins et les Chartreux ont conservé l’héritage de Cassien et des Pères du désert, les croyants sont toujours loin des préoccupations d’actualité de ce courant fondateur de la mystique chrétienne qui a beaucoup travaillé sur la liberté. Cf les livres de Jean-Guilhem Xerri[v], qui font référence à cet héritage spirituel.

La condamnation, parfois sur le bûcher, des Béguines et de la mystique rhéno-flamande a marqué plusieurs siècles de l’histoire occidentale. Si de nombreux intellectuels ont remis à l’honneur Maitre Eckhart, ce courant ne figure pas dans l’histoire des mentalités et la conscience religieuse occidentale. On va chercher dans le zen le détachement porté par la spiritualité populaire durant ces siècles.

La condamnation des quiétistes aux XVIIe et XVIII èmes siècles -tel Jean de Bernières - reste toujours de mise. Le quiétisme pourtant constitue une attitude profonde de tout mysticisme arrivée à sa maturité.

L’Eglise catholique a du mal à revenir pastoralement sur ces composantes spirituelles, culturelles qui ont été évacuées. On préfère aujourd’hui proclamer que l’Evangile est premier et qu’il faut revenir à l’inouï de l’Evangile : cf le dominicain Dominique Collin. Comme dans les familles traversées par des blessures, on préfère souvent éviter de parler de ce qui fait mal et permettrait de guérir.

Nous avons besoin de travaux universitaires sur la spiritualité chrétienne et les autres spiritualités, et d’une mise en commun de tout le travail déjà fait. D&S pourrait participer à la promotion d’instituts des sciences religieuses ou des spiritualités comme il y en a dans de nombreux pays.

Il convient que chacun fasse un travail individuellement et en groupe pour se réapproprier l’héritage spirituel occidental, de façon critique, en se dégageant des lectures institutionnelles, en s’enracinant dans une histoire profonde et multiséculaire. Chacun peut trouver ses portes d’entrées, mais que d’émerveillement à se laisser saisir par les textes des Béguines, ces femmes folles charitables, des rhéno-flamands et de tant d’autres ! Il y a un Orient qui sommeille dans les profondeurs de l’Occident.

Le politique doit se saisir de la spiritualité, dire comment il est arrivé là. Je pense à l’économiste et prêtre jésuite Gaël Giraud, par exemple : faire connaitre son itinéraire autant que ses propositions politiques. Se centrer d’abord sur ce qui anime en profondeur les promoteurs spirituels du nouveau politique et ne pas dissoudre leur quête dans des programmes impersonnels à la rhétorique universaliste. La figure prophétique d’Edgar Morin est tout aussi intéressante que ses idées.

Enfin je termine dans la continuité de D&S avec l’évocation de l’université d’été de Villarceaux en 2015 où l’un des orateurs-il s’agit d’Éric Vinson- avait proposé la typologie roi/prêtre/prophète. Elle m’a habité longtemps, je la trouve féconde et vous la redonne telle que je la vois aujourd’hui.

Toute société intègre une dynamique systémique et conflictuelle entre trois postures :

Le roi. Il s’agit en fait de toute la classe politique qui décide de l’orientation du royaume, du pays, fut-il une démocratie. En démocratie, le peuple désigne de temps en temps son roi, mais il en reste le sujet.

Le prêtre. Il s’agit ici de toute la classe sociale qui porte le sens de la société en lui donnant une perspective sacrée, historique, en l’intégrant dans une vision de l’histoire. Les prêtres sont tous ceux qui diffusent du sens : les professeurs, les artistes, les médias…

Le prophète. Il s’agit de tous ceux qui refusent la société telle qu’elle est, qui dénoncent et annoncent, qui proposent une autre vision de l’histoire. Le prophète est habité par une mission personnelle, un destin, mais sa vocation est sociale, sociétale.

Éric Vinson avait bien décrit les liens entre ces trois postures qui existent bien dans notre monde : que serait le roi sans prêtres et le prêtre sans roi ? Les tensions sont continuelles, mais ils ont besoin l’un de l’autre et il faut trouver un équilibre. D&S participe du pôle prophétique, elle est liée au prêtre et au roi de façon systémique, mais toujours dans la tension.

Les participants à la conviviale se sont ensuite exprimés, Jean-Marie Gourvil réagissant à leurs propos.

Jean-Baptiste de Foucauld se dit très frappé par la problématique évoquée par Jean-Marie Gourvil concernant D&S et le Pacte civique. Le & de D&S appelle un cheminement spirituel mais la création d’une règle de vie commune a été refusée par les adhérents. Comment passe -t-on d’une nécessité collective à un chemin individuel ? Au Pacte civique, quatre valeurs ont été définies pour faire face ensemble aux grands défis actuels : créativité, sobriété, justice et fraternité, mais l’accès de chacun à ces valeurs n’est pas traité.

Réponse de Jean-Marie : des valeurs doivent être affichées, c’est évident, mais cela ne suffit pas. Les quatre valeurs du Pacte civique n’ont de sens que si elles ont été découvertes et vécues, sinon les normes s’apparentent à une sorte de jansénisme, d’austérité, et empêchent même le chemin spirituel qui consiste dans la canalisation du désir humain et passe par des crises. L’éducation populaire est à réinventer, des lieux où l’on puisse parler de soi.

Georges Dhers témoigne de son expérience dans des petits groupes de parole où l’on partage des intériorités et où la traversée de sa souffrance la transforme en une sorte de transcendance personnelle qui permet ensuite de s’engager dans la société, ce que confirme Régis Moreira qui évoque les groupes de partage spirituel laïc sur Grenoble, où l’on peut aborder l’expérience spirituelle de chacun, tout comme dans les groupes Cheminement parisiens.  Pour continuer à travailler, Jean-Marie suggère la lecture à plusieurs, d’auteurs comme Maitre Eckhart, ou Sri Aurobindo, philosophe et maitre spirituel indien, proposé par Georges Dhers.

A la question de Daniel Lenoir sur le peu de goût de la République pour ces partages intimes, Jean-Marie répond qu’il peut y avoir une dimension individualiste, égocentrique dans un parcours spirituel mais qu’il est généralement tourné vers l’autre et le collectif. Les ermites, eux, sont cosmiques. La République permet le dialogue spirituel dans certains lieux comme les prisons, les écoles (quand il y a une aumônerie) mais dans les autres administrations, en effet la République ne s’en soucie pas.

Patrick Boulte s’interroge : comment échanger sur un chemin qui peut être très particulier, voire incommunicable ? D’autant plus qu’en chemin, rien n’est jamais atteint, c’est une dynamique.

En réponse à une question de Régis Moreira, Jean-Marie évoque l’existence au Québec de liens communautaires nombreux ; dans le travail social, on considère la personne dans son ancrage familial, culturel, etc.. D’autre part, la spiritualité pourrait prendre le même chemin que le travail sur soi qui n’est plus refoulé aujourd’hui : on peut dire qu’on fait une psychothérapie, une psychanalyse. Mais dans certains milieux, de gauche notamment, on ne peut parler de spiritualité. Parfois on fait le détour en évoquant la lecture d’un auteur. A la question de Marc de Basquiat sur les raisons de lire Berdaiev, il conseille un 1er titre pour nous introduire à son œuvre : Nicolas Berdiaef, de Pierre Aubert, un pasteur suisse (Cerf, 2011), puis Nicolas Berdiaev : L'homme du huitième jour de Marie-Madeleine Davy (Ed du Félin, 1991), et De la destination de l’homme : essai d’éthique paradoxale, de Berdaiev (Je Sers, 1943)[1].

Sur la fraternité, Jean-Marie questionne :  Est-ce la Sécurité sociale, un budget partagé ? ou bien le tu, toi, nous, le lien interpersonnel ? Un lien de réciprocité de personne à personne, de groupe à groupe.

Sébastien Doutreligne, enseignant à l’IRTS de Caen, encourage au dialogue dans ses formations, soulignant la nécessité de parler davantage de qui on est dans le travail social, d’accepter de se confronter au fait religieux quand c’est nécessaire, dans le respect de la laïcité et du droit. Cela suppose de bien connaitre sa position personnelle sur la laïcité, la spiritualité.

Alice Casagrande évoque l’essai du philosophe allemand Théodor Adorno : Eduquer après Auschwitz, (1966) et la question de l’autonomie morale et politique qu’il oppose à l’hétéronomie. Question sur l’épreuve que nous traversons avec l’assassinat de Samuel Paty : il faut éviter un engagement qui ne serait que posture, sans lien avec l’intériorité.  Selon Jean-Marie, dans cette épreuve, le spirituel va être vigilant pour ne pas se piéger dans ses propres démons. Il faut rechercher dans l’islam les éléments les plus profonds, qui ressortent du prêtre (trilogie ci-dessus), les intégrer dans le travail social.

Michel Ray questionne les liens entre la spiritualité et les défis actuels : quelles sont les conditions d’un dialogue objectivement difficile ? Confiance et continuité, qui sont fondamentales, sont impossibles à distance. Il nous manque les mots souvent pour parler de spiritualité, répond Jean-Marie. Il faut se confronter aux auteurs, à certains d’entre eux.

Jean-Marie Bouclet confirme la nécessité de décloisonner le religieux, de travailler en groupe.

Jean-Marie Gourvil conclut sur l’énorme travail qui reste à faire pour prendre en compte la spiritualité dans les lieux du travail social comme l’hôpital, où l’intégration de la dimension culturelle est indispensable.  En 2019, des travailleurs sociaux victimes de burn-out ont créé à Vincennes « le 7e lieu », pour accompagner le travail social et l'innovation, développer l’entraide et parler de leur spiritualité et de leurs souffrances.                 

Eliane Fremann                                                                                                                

 

Le Comité de rédaction a demandé à des acteurs sociaux de parler de leur engagement : Travail social et spiritualité

 

L’exclusion, qui est, d’abord une exclusion des sources ordinaires de l’identité, met à nu les personnes, c’est-à-dire qu’elle fragilise les étais qui leur permettent, en temps ordinaire, d’être et de vivre. Au travail social, revient la tâche de venir en aide à ces personnes et de les raccrocher au train de la vie. Il s’agit pour lui de connaître les dispositifs réglementaires prévus pour pallier des situations de manque et d’en faciliter l’accès aux personnes concernées. Voilà pour la théorie.

 

Dans la pratique, il s’agit de faire intervenir un tiers dans la vie d’une personne en manque partiel ou total d’autonomie, en manque de maîtrise partielle ou totale sur sa propre existence. Si le manque est partiel, il peut y être suppléé par une action ponctuelle maîtrisable par un professionnel outillé pour cela. Mais le manque a pu atteindre les couches profondes de la personne au point qu’elle ne trouve plus en elle-même les ressources suffisantes pour exercer le métier de vivre ; ces ressources, que la situation de manque a rendu indispensables, sont de nature spirituelle. Le travail social y peut-il quelque chose ? A-t-il un rôle à jouer pour aider les personnes à les reconstituer et le peut-il ?

 

Il y a quelques années, pour un travail réalisé dans le cadre de Démocratie&spiritualité, nous avions interrogé des travailleurs sociaux sur leur critère d’efficacité dans leur métier et nous avions obtenu de l’un d’entre eux, en l’occurrence l’une d’entre elles, travaillant avec des familles de migrants, qu’elle nous dise, au cours d’un entretien, que son critère était la confiance établie avec les personnes avec lesquelles elle était en contact. Alors que nous l’avions invitée à le redire à l’ensemble du groupe de travail, elle s’était abstenue de le faire, sans doute parce que la confiance n’entrait pas dans les catégories admises par la déontologie de sa profession. Était-ce l’indice des limitations mentales que notre culture impose aux praticiens du travail social ?

 

Une autre fois, alors que je participais à une rencontre organisée dans le massif du Mont Blanc par l’association « En passant par la montagne », sur le thème « la montagne, outil de travail social ? », peut-être, parce que nous étions à mille mètres d’altitude où l’on peut s’autoriser à penser haut et probablement, surtout, parce qu’il s’agissait d’une rencontre à laquelle participaient de nombreux Italiens, donc d’une culture différente de la nôtre, la dimension spirituelle se jouant dans les cordées organisées pour de jeunes asociaux, était ouvertement évoquée. Il ne s’agissait d’ailleurs pas, pour les encadrants, d’induire quoi que ce soit, mais de laisser faire les conditions de silence, de face-à-face avec eux-mêmes, nécessaires pour que soit donnée à ces jeunes l’occasion d’être en contact profond avec eux-mêmes.

 

Plus récemment, au cours d’un séminaire organisé par la DREES et l’ONPES sur le thème : « Trajectoires et parcours des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale », ont été évoquées les limites des informations statistiques, lorsqu’elles ne prenaient en compte aucune des dimensions personnelles de l’histoire des individus. J’ai interprété cela comme un début de reconnaissance du fait que certaines réalités sociales ne peuvent être appréhendées si s’exerce une censure sur toute une part de ce que les personnes mettent en œuvre pour y faire face. Peut-être est-ce le signe que la réalité spirituelle commence à s’imposer comme devant entrer dans le champ des connaissances nécessaires à l’exercice du travail social ?

Patrick Boulte

 

 

Le travail bénévole confronté au travail social – Solidarités nouvelles face au chômage (SNC)[2]

 

Aujourd’hui encore les bénévoles restent encore parfois en quête d’une reconnaissance permettant de confirmer les complémentarités, les synergies et les dynamiques de coconstructions où chacun trouve sa place, dans le cadre de contraintes propres.

 

Car finalement, depuis plusieurs dizaines d’années, la démonstration est faite qu’existent plus de points communs que de points de tension entre ces deux formes de travail ! Même s’il peut y avoir encore ici ou là quelques petites tensions ou résistances, celles-ci souvent sont productives.

 

J’ai pu appréhender cette complexité relationnelle d’abord sur les terrains d’urgences dans le cadre d’actions financées par des bailleurs internationaux et mises en œuvre par des ONG. Mais dans ce contexte pouvons-nous parler de travail social ?  En effet il fallait simultanément penser réponse immédiate, de moyen et de long terme pour éviter les zones grises entre urgence, réhabilitation et développement. Finalement ce lien, ce liant, était assuré par la mise en place d’activités socio-économiques, socio-éducatives, socio-culturelles. Ces activités étaient souvent portées par des professionnels représentants d’institutions rémunérés et des acteurs issus de la société civile de type ONG, internationales ou locales, laïques ou confessionnelles, parfois communautaires, agissant dans le cadre de missions rémunérées ou bénévoles, (dans certains pays la notion de bénévolat n’existe pas) mais aux valeurs humanistes et solidaires très proches. La cohabitation de ces différents types d’actions et la complémentarité de statuts de leurs acteurs me paraissaient alors plutôt fécondes.

 

En Europe et pour ce qui nous concerne plus directement en France, j’ai pu contribuer, il y a une vingtaine d’années, à la création d’une épicerie sociale dans une ville du nord de l’Yonne. Le projet partait d’un constat simple : les acteurs sont nombreux sur un même territoire à vouloir lutter contre la pauvreté, autour de l’aide alimentaire. Cet écosystème local devenait illisible, que ce soit pour les personnes en difficulté ou pour les acteurs des territoires ou encore les habitants et contribuait à une image, mais surtout à des actions à l’impact incertain. Chacun ayant « mis de côté son drapeau » décida, une fois posé ce diagnostic, de réfléchir à la meilleure manière de rendre le système plus efficient, plus lisible, dans le respect des identités et valeurs de chacun. C’est ainsi que la mairie via son CCAS décida de mettre à disposition un lieu. Une association portant une épicerie sociale fédérant les différents acteurs fut créée. Elle permettait aux bénévoles de toutes les associations d’y accompagner « leurs bénéficiaires » pour faire leurs achats. Ce lieu partagé offrait aussi la possibilité aux travailleurs sociaux de la CAF, à ceux de la ville et d’autres organismes d’y tenir des permanences, des ateliers de cuisine ou de gestion budgétaire et de venir y réaliser des rendez-vous...L’objectif porté par l’association était partagé et les valeurs communes avaient été écrites sous la forme d’une charte partagée, pour le plus grand bien de tous et en particulier de chaque personne dans le besoin car souvent aussi des rencontres inter acteurs étaient organisées permettant la coordination des efforts sur telle ou telle famille.

Il faut cependant se souvenir qu’à chaque instant, dans ce projet comme dans d’autres, le poids administratif des normes aurait pu couper les énergies, les volontés... Mais l’animateur bénévole du groupe à l’origine du projet rappelait que le meilleur est toujours possible et que les possibles sont innombrables car l’Homme est unique. Alors nous n’avons dans ces projets communs d’autres choix que d’aboutir, ensemble !

 

C’est ce qu’aujourd’hui je constate aussi, partout en France où les 2500 bénévoles de Solidarités Nouvelles face au Chômage, quotidiennement, avec les chercheurs d’emploi et les conseillers de Pôle emploi, les consultants Apec, des salariés et bénévoles de missions locales, des travailleurs sociaux de tel ou tel autre organisme, tous ajoutent et conjuguent sans compter leur énergie, ni leur temps, partout, les moyens des uns et des autres pour le meilleur et surtout « pour et avec » les chercheurs d’emploi. La possibilité de ce « pour et avec » est essentielle dans la période que nous traversons, car nous le constatons, le secours d’urgence est nécessaire pour certains, de plus en plus nombreux, quand pour d’autres il faut continuer de parler d’accompagnement de plus long terme. Les deux, assistance immédiate et accompagnement s’additionnent même de plus en plus fréquemment. Cette situation d’aller-retour d’une dynamique à une autre risque malheureusement de durer, d’où l’intérêt de cette combinaison altruiste portée par des acteurs sociaux bénévoles ou salariés.

 

Aujourd’hui aussi, c’est avec le soutien de Pôle emploi que nous avons pu mettre en place une plateforme digitale : Expressions. Celle-ci vise à recueillir, pour l’organiser, puis la porter devant les décideurs, la parole des chercheurs d’emploi sur des sujets de leur quotidien.  Après avoir testé cet outil, nous le mettons aujourd’hui au service de tous. Nous avons ainsi pu mener des travaux collectifs inter-associatifs, ou entre associations et organisations syndicales. Demain cela se fera en partenariat avec des acteurs publics… les Expressions y sont très denses, très riches. Elles mériteraient de faire l’objet de recherches menées par des scientifiques.

Encore une fois, la conjugaison de moyens, d’expertises et de statuts permet d’arriver à ce résultat, car tous sont portés et engagés ensemble par le seul intérêt de l’autre vivant une situation de fragilité particulière.

C’est autour de ce type de projets partagés que nous apprenons aussi, chaque jour, à conjuguer nos talents, nos outils pour permettre à ceux qui n’ont pas encore la parole de la faire valoir.

Mais il faudrait que nous prenions aussi le temps de partager davantage ensemble ces expressions, pour co-apprendre d’elles, pour réinterroger les pratiques des uns et des autres et pas seulement que nous soyons invités par le partenaire à fournir, tel un simple opérateur, notre analyse, dans un dossier à la destination incertaine.

 

Dans cette période de grandes incertitudes et inquiétudes n’ayons pas peur de nos différences, tentons de conjuguer nos talents, nos expertises et ensemble, pas à pas, co-construisons le meilleur quel que soit notre statut, gratuitement, sans temps ni énergies comptabilisées. De là jaillissent souvent de belles choses.

 

Vincent Godebout

 

 

Conviviale sur le travail social au risque de la spiritualité : une suite à donner ?

Le 20 octobre dernier, Jean-Marie Gourvil a animé une conviviale sur le thème « Le travail social au risque de la spiritualité » en nous indiquant avoir eu du mal à se résoudre à un travail social républicain qui ne laissait aucune porte ouverte à la démarche du sens. Ne serait-il donc pas intéressant, dans le contexte que nous connaissons actuellement, que le « laboratoire d’idées » de D & S engage une réflexion sur cette problématique ?

En effet, plusieurs enquêtes récentes montrent qu’un nombre significatif de nos jeunes concitoyens de confession musulmane se réfèrent prioritairement à la charia plutôt qu’aux lois de la République. Ne conviendrait-il donc pas que le travail social, sans déroger à nos principes de laïcité, puisse contribuer à l’éducation à la spiritualité de la fraction la plus fragile de ces jeunes musulmans en quête de sens ? Ils sont nombreux, aujourd’hui, dans les établissements et services de la Protection de l’Enfance (mineurs en danger) et de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (mineurs délinquants).

Il y a une dizaine d’années, en tant que président du Conseil Technique de la Prévention Spécialisée (des éducateurs de rue allant au-devant des jeunes marginalisés ou en voie de marginalisation), j’avais constaté que beaucoup de ces jeunes exprimaient une forte référence identitaire à l’« Islam » (1). Cette dimension était très présente, au quotidien, dans les échanges que ces adolescents, le plus souvent issus de familles maghrébines ou africaines sub-sahariennes, entretenaient avec les éducateurs. En outre, les professionnels de même origine, considérés par eux comme devant être nécessairement musulmans, étaient plus spécifiquement questionnés sur « leur » religion et la pratique qu’ils en avaient.

En Prévention Spécialisée, un secteur très modeste et très original au sein de la Protection de l’Enfance, les éducateurs, qui ne disposent d’aucun mandat nominatif, doivent aller au-devant des jeunes en rupture, souvent décrocheurs scolaires de longue date, dans les quartiers où ils vivent. C’est en établissant prioritairement une relation de confiance avec eux qu’ils pourront ensuite espérer pouvoir les accompagner dans un parcours de réinsertion sociale.

Dans ces territoires, largement islamisés aujourd’hui, ils interviennent, sous le regard des caïds des cités, en concurrence directe avec les prédicateurs salafistes. Confrontés aux questionnements identitaires de ces jeunes, la plupart du temps très ignorants de leur propre religion, ils ne peuvent évidemment pas se réfugier dans une position de stricte « neutralité religieuse ». Ils doivent bricoler à leur intention une certaine forme d’éducation religieuse en leur expliquant, notamment, que la laïcité républicaine n’est pas hostile à l’islam.

Toutefois dans les établissements et services, plus classiques, d’hébergement et d’action éducative en milieu ouvert qui accueillent, chaque année, des dizaines de milliers de jeunes, la situation des éducateurs vis-à-vis du « religieux » est beaucoup plus compliquée. Ils doivent jongler, en permanence, entre les injonctions d’en haut (laïcité, valeurs républicaines, etc.) et la pression d’en bas (demande de halal dans tous les domaines).

Ne pourrait-on pas saisir l’opportunité de la future loi visant à renforcer la laïcité (ex projet de loi contre le séparatisme islamiste) pour essayer de voir suivant quelles modalités le Travail Social pourrait contribuer à une éducation citoyenne de ces jeunes, particulièrement sensibles aux discours extrémistes en raison de leur vulnérabilité sociale et identitaire, sans faire l’impasse sur leur recherche de sens ? Une éducation à la spiritualité sous ses diverses formes, y compris religieuses, pourrait-elle être envisagée dans ce cadre ?

A cet effet l’expérience acquise par le Québec, avec ses « animateurs de vie spirituelle et d’engagement communautaire pour approfondir sa vie intérieure et changer le Monde », présents depuis une vingtaine d’années dans le système éducatif « », mériterait d’être examinée attentivement (2).

 

(1)Voir mon rapport « la prévention spécialisée à l’heure de la diversité culturelle : état des lieux, questionnements, initiatives, projets innovants en matière de développement social communautaire » publié difficilement, en raison de la doctrine du « Pas de vagues », en octobre 2009, par le Ministère des affaires sociales  https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/2__2009___prevention_specialisee.pdf

 

(2) Toutes informations à ce sujet disponibles sur le site du Ministère de l’éducation du Québec http://www.education.gouv.qc.ca/references/tx-solrtyperecherchepublicationtx-solrpublicationnouveaute/resultats-de-la-recherche/detail/article/service-danimation-spirituelle-et-dengagement-communautaire-documents-de-presentation/

Jean-Claude Sommaire,  Co-organisateur de l’Université d’été de 2016, à Lyon, dont le thème était « Intégration et diversité : un défi culturel, social, et civique »

 

 

[1] Lien avec les livres de Berdiaev : http://classiques.uqac.ca/classiques/Berdiaeff_Nicolas/Berdiaeff_Nicolas.html

[2] www.snc.asso.fr

 

[i]Jean de Bernières et l’ermitage de Caen, intériorité et action dans la Cité, Actes du colloque « Du monde au désert, l'aspiration à la solitude au XVIIème siècle » Institut catholique de Paris, 21-22 mars 2019, Beauchesnes, à paraître novembre 2020

[ii] La revue Le Sociographe : 2007, N° 22 « Les obstinés du social, pratiques d'hier et de demain ; 2020, N° 69, « Souffrance sociale et solidarités. »

[iii] Actes du colloque L’Action sociale au risque de la spiritualité, novembre 2011

[iv] Direction de l'ouvrage collectif Se former au développement social local, Dunod, 2008, 315 p.

[v]Prenez soin de votre âme, Petit traité d'écologie intérieure, Jean-Guilhem Xerri, Cerf 2018.

 

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Nouvelles exigences démocratiques

Impossible de dire, dans l’état actuel, si les recours posés par Trump pour contester les élections sont ou non fondés. La situation révèle en tout cas un Trump mauvais joueur, au risque de nuire à la démocratie et d’alimenter les clivages des États Unis. Ceci dit, la situation n’est pas inédite, Abraham Lincoln a aussi essuyé quelques revers dans ce domaine et il faut espérer, comme le dit François Sureau, « que la plus grande qualité de la démocratie consiste à civiliser les divisions ».

Sur ce thème, du « fair play » et de la « decency », nous publions deux textes que nous espérons éclairants :

 

Qu'est devenu le "fair play" aux Etats-Unis ?

 

Donald Trump n'est pas « fair play » face à sa défaite inéluctable aux élections présidentielles américaines. Pourtant, dans la culture anglo-saxonne, le mot « fair » est central pour exprimer ce qui est loyal, équitable, juste, honnête, correct, décent. Ainsi, le « fair play » est essentiel dans une logique du contrat qui repose, dans le cas d'élections, sur un échange honnête entre citoyens égaux se protégeant de tout empiétement abusif. Le problème aux Etats-Unis est que la mise en œuvre du « fair » donne un rôle majeur à des « lawyers », des juristes qui, en complicité avec des politiciens malhonnêtes, sont prêts à utiliser toutes les ficelles juridiques pour l'emporter et pour gagner de l'argent. Ce qui est inquiétant, c'est que la malhonnêteté d'un Donald Trump influence de nombreux citoyens, remettant en cause le contrat démocratique.   

Jean-Claude Devèze

 PS : Ce texte doit beaucoup aux travaux de Philippe d'Iribarne (voir « La logique de l'honneur » paru au Seuil en 1989). 

 

Le retour de la décence

https://www.sauvonsleurope.eu/le-retour-de-la-decence/

Article paru dans : Sauvons l’Europe ; par Arthur Colin, vice-président de Sauvons l'Europe, rédacteur en chef du site.

Le nouveau Président des États-Unis s’appelle Joe Biden, et c’est bien. Donald Trump a durant quatre années rompu les alliances des États-Unis et s’est rapproché de tout ce qui peut ressembler à un dictateur.

Nombreux sont ceux qui espèrent un retour au business as usual, à une situation ante bellum qui aurait vu couler le miel entre les deux rives de l’Atlantique. C’est un mirage. Certes, Biden va retourner dans l’accord de Paris, certes de nombreux points communs vont réémerger, mais l’intérêt américain ne va pas s’évanouir. C’est sous Obama – et Biden – que les USA ont opéré leur « pivot stratégique » vers l’Orient, que le droit extraterritorial s’est déployé, que l’accord commercial transatlantique a échoué, notamment sur la question des GAFA.

En Allemagne, AKK qui a fait un temps figure de successeur pour Merkel, éreinte fortement tout projet de défense européenne en demandant le retour à l’OTAN et à la pax americana. Elle enterre ainsi des prises de position fortes de son mentor, à bien courte vue. Ce bouclier qui s’est affaibli si vite, nous avons fait l’expérience qu’il n’était pas assuré. Nous ne savons pas de quoi sera fait demain, et dépendre exclusivement d’une assistance américaine en fonction des foucades du moment de la Maison blanche n’est pas un projet de sécurité collective. La France le sait, qui l’a vécu il y’a un siècle.

Mais ne boudons pas notre plaisir. A l’image du sourire inoxydable de Joe Biden, cette élection marque d’abord le retour de la décence. C’est bien ainsi que l’ont voulu les citoyens américains : bon nombre d’entre eux ont dissocié leur vote politique, pour les Démocrates ou les Républicains, de leur vote présidentiel au détriment de Trump. Ce ne sont pas les idées des Démocrates qui ont gagné dans les urnes, mais un candidat « normal ».

Et la décence porte un nom bien connu dans les relations internationales : c’est l’État de droit. Quand Trump a systématiquement piétiné toutes les règles qui pouvaient contraindre son action et sauté les garde-fous destinés à prévenir la corruption, Biden est une promesse de retour à des pratiques saines. Ceci n’est pas anodin. De nombreux gouvernements étrangers se sont autorisés de l’exemple américain pour écraser les résistances démocraties et légales interne à leur joug. Il n’est que de voir aujourd’hui qui, en Europe, a offert ses félicitations officielles à Joe Biden dès la fin de semaine, et qui sur notre frange Est a décidé d’attendre un mois la fin du processus électoral dans une mauvaise humeur évidente. Le premier ministre Slovène a même … félicité Trump pour sa victoire et se répand désormais en affirmations complotistes. Ceci ne garantit pas bien entendu un renversement, certains des petits liderissimo étant déjà en place avant Trump, mais l’ambiance générale va être moins tendre.

Un signal du même acabit est adressé au Gouvernement britannique. La volonté souveraine de quitter l’Union européenne ne vaut pas passe-droit pour faire n’importe quoi avec le processus de paix irlandais. Croisé ces derniers jours par la BBC, Joe Biden a envoyé un message simple et souriant : « The BBC ? I’m irish ! »

 

Le site de « Sauvons l’Europe » : https://www.sauvonsleurope.eu/

 

« La crise est devenue aujourd’hui une situation « normale » et quasi permanente, marquée par l’indécidable » Myriam Revault d’Allonnes.

Chronique de Bernard Ginisty du 16 octobre 2020

Les 8 et 9 octobre derniers s’est tenu à Nantes, en collaboration avec le journal Le Monde, un forum intitulé « Créer des villes européennes résilientes avec les citoyens ». Plusieurs tables rondes ont eu pour thème : « les crises, moteur de la citoyenneté ? » (1) et ont apporté des éclairages particulièrement opportuns dans le grand marasme provoqué par la crise sanitaire mondiale.

Il est apparu essentiel de changer le logiciel avec lequel nous lisons les évènements. La philosophe Myriam Revault d’Allonnes écrit « La modernité triomphante était investie par une croyance au progrès qui donnait sens à l’action et orientait les choix : les crises s’inscrivaient comme des étapes obligées dans la marche de l’humanité vers le mieux. Le schéma qui prévaut aujourd’hui est celui d’un futur infigurable ou voué au désastre. Les interventions humaines ont induit l’idée d’une humanité infiniment fragile et périssable. A l’espérance, s’est substituée l’anticipation de la menace, comme si elle était désormais notre seule boussole pour envisager l’avenir ». Nicolas Hazard, chef d’entreprise, fondateur et président de INCO (2) confirme cette analyse à partir de son expérience entrepreneuriale dans une vingtaine de pays : « La mondialisation et le néolibéralisme ne sont plus capables d’endiguer les inégalités sociales grandissantes et le réchauffement de notre planète. Les solutions d’hier sont les problèmes d’aujourd’hui et peut-être les tragédies de demain. Rien de plus faux que cette croyance en un espace-temps infini où nous pourrions extrapoler indéfiniment les principes qui nous ont réussi au XXe siècle (…). Le salut nous viendra d’un passage à l’action, d’une myriade d’initiatives venues de la société qui, en se multipliant, feront à terme basculer le système, tout en donnant immédiatement du sens à nos vies ! » .``

Le rôle de l’État n’est plus d’imposer un grand programme national mais de promouvoir et réguler les initiatives locales. Dans ce contexte, les déclarations d’Olivia Grégoire, secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, témoignent d’une salutaire prise de conscience : « Il s’agit d’abandonner l’attitude qui a longtemps prévalu, consistant pour l’État, face à une initiative qui marche, soit de ne rien faire, en prenant le risque que celle-ci périclite faute de moyens ; soit de se l’approprier, en prenant le risque de retirer au projet toute sa souplesse. Ces deux attitudes opposées sont en fait le simple rappel que les initiatives citoyennes ne sont pas du ressort de l’État ». Pour cela, la ministre propose comme outil ce qu’elle appelle « le contrat à impact » : « Par le contrat à impact, l’État doit donner aux associations et aux citoyens les moyens de faire grandir leurs solutions au service de l’intérêt général. C’est à la source même de notre triptyque républicain : la liberté d’agir pour les acteurs de terrain ; l’égalité entre les territoires qui doivent tous pouvoir bénéficier de ce qui marche ailleurs ; la fraternité renforcée, enfin, par un État capable de gérer aussi bien l’infiniment grand que l’infiniment petit ».

Si le destin de nos sociétés est de vivre en état de crise permanente, elles doivent abandonner l’espoir de se reposer un jour sur une « réforme » qui dispenserait les citoyens de toute remise en question. Il s’agit de mettre en place, comme le propose Johanna Rolland, maire de Nantes, « une pratique de gouvernance ouverte, en dialogue permanent avec les citoyens, les associations et les experts. (…). Lorsque les citoyennes et les citoyens sont convaincus que les choses qu’ils pensent irréalisables peuvent être mises en œuvre, ça change tout pour eux et pour les autres, ça change tout pour la gestion de la crise et pour l’invention de l’avenir ».

(1) Nantes Innovation Forum. Les crises, moteur de la citoyenneté ? Supplément de 4 pages dans le journal Le Monde du 8 octobre 2020.

(2) INCO appuie les entreprises sociales, de la création au changement d'échelle, à travers du financement et des offres d'accompagnement. INCO est constitué d'une société d'investissement, d'un réseau mondial d'incubateurs implantés dans 19 pays et de plusieurs centres de formation. <www. inco.co.com.

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Résonances spirituelles face aux défis contemporains

 

Quelques chemins pour inventer le futur

Chronique de Bernard Ginisty du 6 novembre 2020

 

Le rebond de la crise sanitaire dans le monde et l’aveu par les responsables politiques de leurs difficultés croissantes à la gérer rendent dérisoires les grandes proclamations binaires dont la récente campagne pour l’élection présidentielle aux États-Unis d’Amérique nous a montré jusqu’où elles pouvaient s’égarer dans l’outrance. Nous devons retrouver aujourd’hui la modestie des chemins vers des formes de médiation sociale qui seront toujours provisoires. La citoyenneté aujourd’hui se définit par la capacité de chacun à réinventer des espaces d'identité, de solidarité, de gestion du temps, de communication. Pour cela, les propositions de trois chercheurs de sens contemporains me paraissent essentielles.

Dans cette situation de suspicion généralisée contre tous les systèmes qui ont prétendu définir la totalité de l’humain, le philosophe Paul Ricœur en appelle à « une attitude personne ». Il la caractérise par trois moments distinctifs : la crise, la perception de l’intolérable et l’engagement. La crise est « le repère essentiel », c’est le moment où « l’ordre établi bascule » et où « je ne sais plus quelle hiérarchie stable des valeurs peut guider mes préférences ». Mais, dans ce moment du crépuscule des certitudes et des systèmes, on découvre qu’il y a de « l’intolérable » : la torture, le racisme, la faim, l’exclusion, le chômage, la croissance des inégalités, les désastres écologiques… Face à cet intolérable, l’engagement devient un chemin majeur vers la conscientisation éthique et politique. Ricœur conclut ainsi son analyse : « La conviction est la réplique à la crise : ma place m’est assignée, la hiérarchisation des préférences m’oblige, l’intolérable me transforme de fuyard ou de spectateur désintéressé, en homme de conviction qui découvre en créant et crée en découvrant » (1).

Ce propos rejoint celui d’Edgar Morin qui propose de remplacer l’idée binaire de « révolution » par celle de « métamorphose » comme fil conducteur des évolutions personnelles et sociétales : « La notion de métamorphose est plus riche que celle de révolution. Elle en garde la radicalité novatrice, mais la lie à la conservation de la vie, des cultures, du legs de pensées et de sagesses de l’humanité ». Edgar Morin caractérise ainsi ce bouillonnement créatif préliminaire à toute « métamorphose : « Tout est à repenser. Tout est à commencer. Tout, en fait, a déjà commencé, mais sans qu’on le sache. Il existe déjà, sur tous les continents, en toutes les nations, des bouillonnements créatifs, une multitude d’initiatives locales dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou existentielle. Ces initiatives ne se connaissent pas les unes les autres, mais elles sont le vivier du futur. (…) Le salut a commencé par la base » (2).

Dans son ouvrage intitulé Les Tisserands, le philosophe Abdennour Bidar développe une réflexion et des propositions concrètes pour « réparer ensemble le tissu déchiré du monde ». Ce livre part d’un constat : « La volonté de tous les politiques et de tous les intellectuels de continuer à « fabriquer du sens », et à « fabriquer de la civilisation » à la mode du XXe siècle, c’est-à-dire de manière totalement plate, sans horizon de sagesse, mais uniquement à coup de considérations géopolitiques, économiques et sociologiques est un anachronisme flagrant ». Pour lui, le renouveau du civisme doit prendre en compte les trois grandes déchirures que vit l’homme de la modernité : avec son moi le plus profond, avec autrui, et avec la nature. Le chemin est à chercher, dans l’attention portée à tous ceux qui tissent à nouveau le lien social : « Nos grands médias sous-estiment le phénomène. Nos politiques n’en ont cure. Notre système économique injuste, fondé sur le profit, n’en a pas encore compris la menace pour lui. Mais déjà, un peu partout dans le monde commencent à se produire un million de révolutions tranquilles. J’appelle Tisserands les acteurs de ces révolutions » (3).

Je voudrais laisser le dernier mot à Pierre Rabhi. Dans un ouvrage où il fait le bilan de sa réflexion et de ses initiatives, il commence par ces mots : « Ensemble, il nous faut de toute urgence prendre « conscience de notre inconscience »de notre démesure écologique et sociétale et réagir. Mais il faut être clair : il ne s’agit pas de se goberger d’alternatives et de croire naïvement que ce réveil résoudra tout pour l’avenir (…) Il s’agit bien de coopérer et d’imaginer ensemble, en conscience et dans le respect, le monde dans lequel nous voulons évoluer et nous accomplir » (4).

(1) Paul RICOEUR (1913-2005) : Préface à l’ouvrage d’Emmanuel MOUNIER : Écrits sur le personnalisme, éditions du Seuil, Collection Points Essais, 2000, pages 7-14.

(2) Edgar MORIN : La Voie. Pour l’avenir de l’humanité. Éditions Fayard, 2011, pages 32-33

(3) Abdennour BIDAR : Les Tisserands. Réparer ensemble le tissu déchiré du monde, éditions Les Liens qui Libèrent, 2016 pages 7 et 119.

(4) Pierre RAHBI : La convergence des consciences, éditions Le Passeur, 2016, pages 7 et 11.

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Libres Propos

Marie-José Jauze : Souffrances du monde, interdépendance et chemins d’éveil, Ed Robert Jauze 2019

 Encore une rencontre exceptionnelle au sein de Démocratie & Spiritualité, Marie-José Jauze m’a confié son livre qui débute par une citation d’Ibn Arabi tirée de La sagesse des prophètes (trad. Albin Michel 2013) : « J’étais un trésor caché, j’ai désiré être connu : J’ai créé le monde ! » pour nous dire son envie de partager et échanger autour de nos mondes communs.

 Le monde pleure en elle, souffre en elle et pourtant elle n’ignore pas que joie et compassion nous constituent. La liberté lui importe, liberté de penser tout d’abord mais en étant attentif à ce qui nous entoure, à l’univers qui nous oriente. Et bien sûr, liberté de s’exprimer, avoir un travail, un toit mais pas de faire n’importe quoi ni de caricaturer le sacré quand on dispose d’une audience mondiale. Nous devons prendre soin de chacun d’entre nous, proposer un idéal généreux et universel à tous.

 Ne croyez pas que notre amie soit idéaliste ou même désincarnée, elle a connu la souffrance suprême, la perte d’un enfant.  Sans sombrer dans le gouffre, elle se sent portée par d’autres forces qui lui permettent de transcender sa souffrance. Ces forces spirituelles d’amour, de compassion et de beauté qui la constituent sont toujours à l’œuvre et la gardent vivante. La mort comme enseignement pour faire triompher la vie, l’accepter telle qu’elle est, sortir par le haut, par la spiritualité.

 Christianisme, soufisme et bouddhisme l’accompagnent sur son chemin vers le divin, elle goûte l’intelligence lumineuse de l’univers où nous sommes tous interdépendants mais fragiles, ensemble nous devons lutter pour faire advenir un monde plus humain, en éveil, relié. Est-ce utopique devant les hurlements et les soubresauts de l’actualité ? Oui, certainement, mais si nous n’y croyons pas qui le fera ? A nous de ré-enchanter le monde, partager la joie et la sagesse que nous sentons en nous, écouter l’appel à l’infiniment grand, à l’absolu.

 Que nous le voulions ou non, nous sommes collectivement responsables de la bonne marche du monde, méditer, prier, rayonner et espérer ramener le feu divin sur la terre. « Faites de Dieu une réalité, il fera de vous la vérité », disait le maitre soufi Pir Vilayat Khan.

 J’ai lu ces pages lentement pour en goûter toute la saveur, la souffrance et la joie qu’elles distillent. En faisant silence et en les méditant, je retrouve la joie d’être qui me fait tourner vers l’amour rayonnant de Dieu au milieu du monde en décomposition qui nous entoure. Je peux prier, pas pour demander, mais sachant que la prière me transformera et me fera grandir, capable de m’engager.

 Ce livre se veut un viatique pour nous, chercheurs de vérité, dit Marie-José. A nous de l’écouter.

 Monika Sander

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Proposition de lecture

 

ROSA LUXEMBOURG (1871-1919)

Rosa Luxembourg demeure une figure majeure et lumineuse de l’histoire du socialisme. Initialement militante du SPD (Parti social-démocrate Allemand), elle s’en détache pour rejoindre l’Internationale Ouvrière. Puis avec quelques-uns, dont Karl Liebknecht, elle fonde la Ligue Spartakiste. A l’instar de J. Jaurès, elle dénonce le nationalisme, s’oppose à la guerre de 14-18 et pour ces raisons, sera emprisonnée durant ces années. Elle meurt à Berlin, assassinée le 15 janvier 1919, son corps est jeté dans un canal.

 

Extrait de : Rosa, la vie, lettres de Rosa Luxembourg, textes choisis par Anouk Grinberg et Philippe Rivière, Editons de l’Atelier, 2009.

 

Lettre de Rosa Luxembourg écrite en décembre 1917 dans sa prison à Berlin. A Sonia LIEBKNECHT 

 

Hier soir, je suis restée longtemps éveillée sur mon lit [...] je songe à bien des choses dans 1'obscurité. […]  je me disais : comme c'est étrange, je vis perpétuellement dans une ivresse joyeuse sans aucune raison. Par exemple, je suis allongée ici dans ma cellule sombre, sur un matelas dur comme une pierre, autour de moi dans le bâtiment règne l'habituel silence des cimetières, on a l'impression d'être dans un tombeau; au plafond se projette par la fenêtre la lumière du réverbère qui brûle toute la nuit devant la prison.[...] je suis là, seule, immobile, silencieuse, enveloppée dans les draps noirs des ténèbres, de l'ennui, de la détention, de l'hiver- et pourtant, mon coeur bat d'une joie intérieure inconnue, incompréhensible, comme si je marchais sur une prairie en fleurs, sous la lumière éclatante du soleil. Et dans le noir, je souris à la vie, comme si je connaissais un secret magique, capable de confondre tout le mal et la tristesse pour les changer en clarté et bonheur. Je cherche une raison à cette joie, et je ne trouve rien, alors je ne peux m'empêcher de sourire à nouveau sourire de moi. Je crois que le secret de cette joie n'est autre que la vie lui-même ; si on sait bien la regarder, l'obscurité profonde de la nuit est belle et douce comme du velours ; et dans le crissement du sable humide, sous les pas lents et lourds de la sentinelle, chante aussi une petite chanson, la chanson de la vie- si et seulement si on sait l'entendre. [...] Ne croyez pas que je cherche à vous abreuver d'ascétisme ou de joie inventée. Je vous accorde tous les plaisirs des sens, toutes les joies réelles que vous désirez. Je voudrais seulement vous offrir, en plus, mon inépuisable sérénité intérieure [...]

 

...Ah Sonitchka, j'ai éprouvé ici une douleur affreuse. Souvent, dans la cour où je fais la promenade, arrivent des véhicules de l'armée, chargés de sacs, ou de vieilles vestes d'uniforme et de chemises de soldats, souvent tachées de sang [...]

 

II y a quelques jours donc, un véhicule chargé de sacs est entré dans la cour. Le chargement était si lourd, et montait si haut que les buffles n'arrivaient pas à passer le seuil de la porte cochère. Le soldat qui le conduisait, un type brutal, se mit à les frapper si violemment avec le manche de son fouet que la surveillante, indignée, lui demanda s'il n'avait pas pitié pour les bêtes. « Et nous les hommes, personne n'a pitié de nous », répondit-il, avec un sourire mauvais, et il se mit a frapper encore plus fort... A la fin, les bêtes donnèrent un coup de collier et réussirent à franchir l'obstacle, mais l'une d'elles saignait ... Sonitchka, la peau du buffle est si épaisse, si résistante […] et là, elle avait éclaté.    Pendant qu'on déchargeait le véhicule, les buffles restaient totalement immobiles, épuisés, et celui qui saignait regardait droit devant lui, avec un air d'enfant en pleurs dans un visage noir, et ses yeux noirs si doux. C'était exactement l'expression d'un enfant qu'on a puni durement, et qui ne sait pas pourquoi, ni comment échapper à la torture et la violence brutale... J'étais devant lui, l'animal me regardait, et des larmes coulaient de mes yeux- c'étaient ses larmes ; il n'est pas possible, même pour un frère chéri, d'être secoué par une douleur plus grande que celle que j'ai éprouvée là dans mon impuissance devant cette souffrance muette ...[...]

 

Oh mon pauvre buffle, mon pauvre frère bien-aimé, nous sommes là tous les deux, aussi impuissants et muets l'un que 1'autre, et notre douleur, et notre impuissance, notre nostalgie font de nous un seul être. [...]

 

Écrivez vite. Je vous serre dans mes bras Sonitchka.

 

Votre R.

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Échos

Suite des échanges sur les événements de Conflans Sainte Honorine et de Nice

 « Un moment pour tout, un temps pour tout désir sous les ciels. (…) Un temps pour jeter des pierres, un temps pour ramasser des pierres. » Qohélèt (L’Ecclésiaste), 3 (trad. Chouraqui)

 

La synthèse ci-dessous a été rédigée après le remue-méninges organisé le 22 octobre après l’assassinat de Samuel Paty, mais avant les événements de Nice, et en intégrant, en partie les échanges sur « le fil » des mails qu’il a suscités. Elle a alimenté les travaux du CA du 27 octobre et les décisions du bureau exceptionnel du 5 novembre qui a suivi, et qu’on rappelle ci-dessous.

En préalable le bureau a pris acte de l’impossibilité pour D&S de prendre des positions publiques pour l’instant, en raison de désaccords qu’il nous faut expliciter, notamment sur la liberté d’expression et sa pédagogie, et donc d’approfondir un certain nombre des questions évoquées.

• Association au Pacte civique pour l’organisation du débat du 17 novembre dans le cadre du Forum 104 : « Pacte civique, pacte républicain, pacte scolaire : comment notre démocratie peut-elle encore répondre aux enjeux républicains ? »

• Création d’un « google groupe », se substituant au « fil » des mails et destiné à réguler les échanges, ce qui nécessitera aussi un minimum d’autodiscipline et notamment le respect des règles de l’éthique du débat. Ce groupe ne sera accessible qu’aux adhérents de D&S à jour de leur cotisation, qui pourront aussi se désinscrire.

• Lancement d’un travail sur la fraternité, en essayant de préciser comment, au point de rencontre de la démocratie et de la spiritualité, elle peut nous aider à dépasser les débats au sein de la société française (et internationale) et même entre nous. Ce nouveau chantier, qui pourra être conduit avec nos partenaires du Pacte civique (qui a déjà travaillé sur ce sujet) et du Laboratoire de la fraternité, devra être organisé et sera mis à l’ordre du jour du prochain bureau, le 24 novembre.

• Organisation d’une séquence de travail d’une journée respectant « l’éthique du débat » et la méthode de « construction des accords et des désaccords » sur les questions relatives à la liberté d’expression et à sa pédagogie vs le respect de l’autre et de ses convictions, qui font l’objet des divergences les plus importantes entre nous.

• Les travaux engagés parle groupe « laïcité » se poursuivent autour des trois thèmes suivants : 

• Clarification des concepts

• Enseignement du fait religieux

• Laïcité et islam identitaire

Les responsables de ce groupe, Sébastien Doutreligne et Marcel Lepetit, verront avec Jean- Claude Devèze comment la démarche qu’il a proposée d’un débat mouvant sur l’islamisme peut être rattachée à ce troisième sous-thème. Sinon, ce chantier sera traité de façon spécifique. La question de l’ouverture éventuelle du groupe au Pacte civique fera l’objet d’échanges bilatéraux.

• Sur les questions posées à la spiritualité (et sur la dimension religieuse) qui n’ont pu être abordées lors de la conviviale avec Jean-Marie Gourvil, proposition, pour ceux qui le souhaitent, d’une lecture collective du livre d’Adrien Candiard, dominicain et islamologue, habitant au Caire : Du fanatisme. Quand la religion est malade (Le Cerf, 2020). Une réunion zoom sera proposée ensuite pour échanger sur cette lecture.

•  Deux thèmes importants lors du « remue-méninges » n’ont pas été retenus à ce stade et feront l’objet d’échanges complémentaires avec le Pacte civique, pour voir si l’on peut les prendre en charge et dans quelles conditions :

• Les questions liées à l’exclusion et à la « ghettoïsation » de certains quartiers

• Les questions sécuritaires et de conciliation avec les libertés publiques

 

Synthèse des échanges sur l’événement « décapitation de Samuel Paty ».

« L’événement sera notre maître intérieur »  (Emmanuel Mounier)

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La réaction à l’événement :

Beaucoup ont parlé de sidération, d’horreur, de consternation face à un acte barbare, un assassinat politique prémédité, à l’extension du domaine du terrorisme. Touchés, attristés et meurtris, le silence apparaît à beaucoup comme un temps nécessaire, ce qui a conduit certain.e.s à ne pas participer au remue-méninges et aux échanges.

Ces émotions fortes résultent notamment :

-          De la cible de l’attentat, un professeur, bien qu’il y ait eu auparavant des militaires, principalement d’origine maghrébine, des juifs, enfants, enseignants et pratiquants, des journalistes et dessinateurs, des policiers, des « fêtards » au Bataclan, dans les bars ou pour la fête nationale, un prêtre dans son église, notamment

-          Du mode d’attentat et de la symbolique qui y est attachée : décapitation, à l’arme blanche, contre armes à feu auparavant

-          De l’âge des complices et même de l’auteur

-          Du sentiment qu’un point de rupture a été atteint par rapport à la liberté d’expression et au pacte scolaire.

-          Du sentiment de vivre un remake de 2015 avec la sidération, les mobilisations, les recueillements, d’une histoire qui dure depuis le début à Creil en 1989.

-          De l’inquiétude et même de la peur, des juifs par exemple, face à la terreur.

-          De l’Inquiétude sur la capacité de la société à tenir avec la montée du nombre des attentats

-          De la sensation d’impuissance qui s’est installée

-          Du pessimisme : nous dispersons nos forces de manière absurde.

Plusieurs n’ont pas été surpris, mais pour des raisons différentes :

-          Effet direct de la republication des « caricatures »

-          Maintien d’une présence djihadiste dans le pays (54éme attentat, mais une centaine déjouée) ; « c’est un assassinat politique »

-          Suite des déclarations du Président sur le séparatisme après trois ans de silence ou même de relâchement de la vigilance

Difficile de porter une réflexion bien construite sur l’événement :

-          Le temps pris pour trouver la nuance est difficile à trouver.

-          Si on cherche des responsables, elle incombe à tout le monde – tout le monde en a une part avec des responsabilités différentes

-          Il renvoie et nécessite de nombreuses connaissances, de croisements, c’est un sujet complexe

-          Tout cela rend les échanges très difficiles et les discours difficilement intelligibles.

Commentaire :

Le partage de ces émotions et sentiments était l’un des objectifs. Il est sûrement important, comme nous l’avons fait pendant le confinement, de trouver des moments pour accueillir l’événement et partager. Comment l’organiser à l’échelle de l’association ?

 

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Sur les réactions du monde politique

La réaction immédiate d’Emmanuel Macron et l‘hommage national ont été en général appréciés. Également appréciée l’unité actuelle des enseignants.

En revanche beaucoup regrettent le durcissement du débat au sein du « microcosme » avec des divisions extrêmement rudes entre différentes tendances de la laïcité.

Plusieurs témoignent de la difficulté de dialoguer, notamment avec une partie de la gauche. Il y a deux gauches qui se déchirent : celle qui lutte contre l’islamisme en brandissant l’étendard des caricatures et celle qui assimile tout musulman à une victime, discriminée, racisée. Nécessité aussi de retour sur le passé : OPA de SOS Racisme en 1983, affaire de Creil en 1989 …

La droite s’est droitisée encore davantage dans un discours sécuritaire et le centre a disparu.

Commentaire :

Comment dépasser une analyse politique qui pourrait d’ailleurs être approfondie, pour analyser la façon dont la démocratie se saisit de ce type d’événement et proposer des modes d’exercice de la démocratie adaptés ? A voir avec l’Observatoire de la qualité démocratique du Pacte civique ?

 

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Sur la réaction des autorités religieuses, notamment musulmanes

Nombreux sont ceux qui ont été agréablement surpris et soulignent la réaction de nombre de responsables musulmans, soit au niveau national, soit au niveau local (Lyon, ou ailleurs) avec des reprises positives dans les médias. Cela alimente le sentiment que la communauté musulmane a conscience de la gravité de la situation. Cela n’est peut-être pas pour rien dans la relance de la radicalisation, face à un « islam des Lumières » qui commence à se développer. Cette visibilité plus grande de responsables développant une approche laïque de l’islam fait aussi d’eux une cible potentielle des attentats.

Plusieurs font état aussi de manifestations locales interreligieuses (esplanade des religions à Marne la Vallée), souvent à l’initiative des responsables musulmans eux-mêmes.

Cela met en évidence l’importance du dialogue interreligieux qui semble mieux fonctionner sur le terrain qu’entre théologiens.

Commentaire :

C’est une dimension importante de l’événement qui n’a peut-être pas été assez mise en évidence et sur laquelle D&S pourrait avoir une action plus forte dans ses deux dimensions :

-          Le développement d’une conception laïque de l’islam

-          Le développement du dialogue interreligieux.

 

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Sur la question islamiste et de la radicalisation

Est pointée la mauvaise gestion de la question de l’islam en France, comme un élément exogène à la société française. Hormis quelques enseignants et acteurs de terrain, dans certaines villes ou quartiers : on pense l’islam et les musulmans comme ne faisant pas pleinement partie de la société. D’où l’importance prise par les Frères musulmans puis le salafisme, qui ont façonné la culture ambiante, notamment chez les jeunes.

Certains pointent la difficulté à dire quoi que ce soit sans se faire taxer d’islamophobie.

Commentaire :

La question de l’islamisme a finalement été assez peu abordée, mais davantage dans les échanges qui ont suivi la séance, alors que c’était l’axe principal du débat mouvant proposé par Jean-Claude. Il est sûrement important de mieux comprendre les sources de ce phénomène et de clarifier nos positions sur ce sujet.

 

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Sur le séparatisme

Quid du séparatisme qui a fait l’objet d’un discours du Président de la République quelques jours avant ? Comment le relier aux évènements ?

Certains reprennent le terme à leur compte. D’autres contestent sa pertinence et regrettent que les annonces du président fassent suite à un relâchement de la vigilance depuis trois ans : « On a baissé la garde depuis 3 ans ». Assez surpris aussi qu’il parle de guerre à propos du virus et pas à propos du djihadisme et de Daech. D’autres évoquent le risque de remise en cause de la loi de 1905 à l’occasion de la loi en préparation.

Commentaire :

Là aussi, le sujet a été assez peu abordé en tant que tel. Devons-nous réfléchir, le cas échéant avec le Pacte civique, sur ce concept de séparatisme dans la perspective du projet de loi, ou attendre que le concept s’éteigne, comme un feu de paille ? A voir aussi la question de l’expression publique sur la loi.

 

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Sur la radicalisation et la question sécuritaire.

Le sujet n’a fait l’objet que de quelques évocations :

-          Appel à une stratégie non violente en termes éducatifs et plus violente en termes policiers.

-          Difficulté à cerner le phénomène de la radicalisation (cf. conviviale avec Pierre Ngahane).

-          Limites de la laïcité comme réponse au phénomène (« La laïcité n’est pas la réponse »).

Commentaire :

Malgré une conviviale avec un Préfet sur le sujet, on sent notre difficulté (inconsciente) à aborder de front la question sécuritaire. Pourtant le débat public va se concentrer sur ce sujet et sur les limites qui pourraient être apportées aux libertés publiques au nom de la défense de la démocratie. Se pose également la question du recours à la violence par l’Etat (qui a le monopole de la violence légitime) au regard de nos principes d’action « non-violente ».

 

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Sur la laïcité

Rappel des trois chantiers engagés par le groupe « laïcité de D&S :

-          La clarification des concepts

-          L’enseignement du fait religieux

-          L’islam et la laïcité

Il ne faut pas tout attendre de la laïcité (cf. ci-dessus) : c’est un élément de prévention, un garde-fou, important certes, mais partiel.

Comment réagissons-nous à l’espèce de césure à l’intérieur même de la réflexion laïque entre une conception « libérale » et une évolution récente vers une « laïcité de combat ». Certains sont « atterrés » et attristés par les réactions, notamment sur les réseaux sociaux, et par l’hystérisation du débat entre ces « deux laïcités ». Cette opposition est d’ailleurs récusée par certains participants, qui souhaiteraient de D&S une parole publique pour appeler au calme. Ces déchirements sont catastrophiques pour la gestion de la situation.

Le débat s’est focalisé, pendant la séance comme après dans les échanges, sur les débats et polémiques sur l’Observatoire de la laïcité, avec cette opposition entre la « une laïcité de combat » et « une laïcité d’accommodement ».

C’est un des points, avec le suivant, qui a été le plus abordé sur « le fil » après la séance. Faut-il prendre parti entre deux conceptions qui se vivent comme « irréconciliables » de la laïcité ? Est-ce vraiment notre vocation ?

Commentaire :

Comment porter une parole de conciliation sur cette question de la laïcité ? Comment concilier le temps de la réflexion engagée dans le groupe thématique, et la réaction aux événements ? Peut-on faire des propositions pour une meilleure prise en compte de la laïcité dans la régulation de la société ?

 

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Sur les « caricatures », la liberté d’expression et le « droit au blasphème »

Certains contestent la liberté d’« insulter » les gens à travers des caricatures de ce en quoi ils croient. D’autres mettent également en évidence l’inadaptation de la caricature à l’« âge de la pensée complexe ». La caricature a pour but de déstabiliser l’autre, ce peut être de manière tendre, et il y a aussi la caricature méchante, qui abêtit l’autre : « je préfèrerais des caricatures respectant l’art 1 de la DDHC, qui est que les êtres humains doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Comment faire pour que « la liberté d’expression soit fraternelle » ?

Beaucoup considèrent que le « droit au blasphème » est une expression malheureuse. La liberté d’expression implique que quelqu’un puisse blasphémer. Mais est-ce certain pour autant ? Le blasphème est une conséquence du droit, et pas un droit qui pourrait devenir un devoir. Avec le risque que le « droit de caricaturer ou de blasphémer ne deviennent une sorte de devoir, et ne participe du développement du relativisme ».

Pour ceux-ci, « si on continue, on va vers d’autres tensions et drames ». Mais si on va dans un sens plus restrictif, « ça va être considéré comme un recul ».  Et il est difficile de filtrer le type de caricature en fonction des intentions. C’est un problème délicat entre deux stratégies.

C’est un des points qui a fait le plus l’objet d’échanges « sur le fil ». Pour des raisons de temps, ne sont repris ici, pour l’essentiel, et trop rapidement, que les positions qui contestent le droit au blasphème et à la caricature, et pointent les excès potentiels de la liberté d’expression, et non celles qui défendent le progrès que constitue la suppression du blasphème dans la législation (qui n’institue pas pour autant « un droit au blasphème » puisque celui-ci n’a plus d’existence juridique), le caractère hygiénique de l’humour et de la caricature, le rejet des interprétations obscurantistes de la charia,  et les limites d’ores et déjà mises à la liberté d’expression, sans parler des enjeux internationaux avec le débat sur une « déclaration des droits de l’homme en islam » portée par l’Organisation de la coopération islamique (57 Etats), et qui interdit le blasphème, comme d’ailleurs l’apostasie.

Commentaire :

A l’évidence, c’est le point de dissensus le plus profond entre nous. Est-ce vraiment la priorité de trancher ce débat ? Comment dépasser les conflits, voire l’hystérisation du débat, y compris entre nous, sur ces sujets qui mériteraient de plus longs développements, notamment pour clarifier des notions juridiques ?

 

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Sur la question pédagogique

Deux questions ont été abordées :

-          La pédagogie de la liberté d’expression (et aussi de la laïcité)

-          L’enseignement du fait religieux.

Sur le premier point, et dans le sens du point précédent, certains contestent l’utilisation des « caricatures » à l’appui d’un cours sur la liberté d’expression : « Dans un cours sur la pornographie, va-t-on montrer un film porno pour prendre de la distance par rapport à cela ? ».

Là aussi, le débat s’est prolongé « sur le fil », avec la référence à la lettre aux instituteurs de Jules Ferry. Peut-on développer l’esprit critique en heurtant les élèves de front ? D’autres rappellent que la contestation ne vise pas que les « caricatures », mais aussi les cours de SVT, la théorie de l’évolution, la cosmologie, les poèmes de Baudelaire, l’enseignement de la Shoah, ….

Sur la deuxième question, « Où en est le fait religieux à l’école ? », le constat est inquiétant et on ne sait quoi faire et les moyens sont insuffisants.

Il a été fait état d’une expérience menée avec l’enseignement privé à Marne la Vallée, avec une démarche auprès de l’inspecteur d’académie pour pouvoir présenter les religions dans l’Education Nationale. « Les rencontres témoignent que c’est extraordinaire. Tous les fantasmes sur l’islam tombent, avec le respect de la laïcité ».

Commentaire :

Sans revenir sur les éléments de dissensus présentés dans le point précédent, il y a une réflexion à engager sur ces sujets, peut-être dans le groupe « Pédagogie et spiritualité », qui va démarrer.

 

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Sur le lien social

Plusieurs manifestent leur inquiétude sur la perte de lien social et la difficulté en France de développer des approches communautaires (pas communautaristes), mieux prises en compte au Québec.

Plusieurs insistent aussi sur la situation de précarité qui s’est développée dans certains quartiers et sur le potentiel de radicalité violente que recèle l’exclusion ou le chômage, ainsi que la désertion des services publics : « On a 6 millions de chômeurs et on s’en fout ».  « On chasse les gens des quartiers et ils ne restent que des gens « à problème ».« Les gens ne sortent pas de leurs quartiers. »« On a voulu mettre les noirs et les musulmans ensemble ». On va tendre vers une gestion sécuritaire sans aucune réflexion sur le social.

Chez beaucoup de jeunes, le paradigme de juxtaposition de communautés est dominant. Un constat de terrain : dans la plupart des quartiers où on parle de communautarisme, d’entre soi, les jeunes ne participent pas à la vie politique. Ils n’y croient pas. Il faut imaginer des formes d’actions sur le terrain en s’appuyant sur les acteurs de terrain.  « On n’a pas de projet de société qui pourrait faire rêver les jeunes ».

Plusieurs insistent sur l’importance de renforcer les services publics, notamment dans le cadre de la politique de la ville.

Commentaire :

Il s’agit d’une dimension importante du sujet. Voir comment on peut progresser sur ces questions un peu délaissées par D&S, peut-être avec le Pacte civique.

 

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Sur l’impact des réseaux sociaux

D’aucuns parlent de « réseaux asociaux » qui jouent un rôle amplificateur considérable et de diffusion des infox. Il faut aussi ajouter le poids des chaines d’information en continu.

Commentaire :

Une fois de plus, le sujet n’est abordé qu’incidemment et faiblement, malgré, là aussi, une conviviale il y a un an. On peut peut-être voire là la difficulté que nous avons à appréhender les conséquences de la révolution numérique. D’où l’urgence, déjà signalée, de mettre en place un groupe thématique sur le sujet.

 

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Sur la dimension internationale

Inquiétude sur la position internationale de la France, et le risque d’affaiblissement et d’isolement, sur les engagements extérieurs de la France, notamment au Sahel et contre Erdogan, du projet séparatiste de certains islamistes. Certains regrettent que « La France soit devenue le grand Satan » et ait remplacé les Etats-Unis dans ce rôle.

A signaler également l’offensive internationale de l’Organisation de la coopération islamique (OCI regroupant 57 Etats) pour intégrer les éléments d’une certaine interprétation de la charia dans le droit international avec la déclaration des droits de l’homme en Islam. Ainsi que le poids du Maroc, de l’Algérie et de la Turquie sur l’islam en France.

 Commentaire :

C’est une dimension déterminante du débat (le djihadisme est une guerre mondiale, l’islamisme est une offensive religieuse mais aussi diplomatique mondiale), sur laquelle nous nous sentons mal armés, en termes d’outils d’analyse comme de capacité d’action.

 

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Sur la question migratoire :

La question du rapport avec la question migratoire a été très peu abordée, avec toutefois cette expression forte : la question de « la régulation de la haine ».

 Commentaire :

C’est un terrain qu’à l’évidence, nous avons un peu délaissé. Peut-on relancer nos travaux ?

 

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Sur la fraternité

Plusieurs ont avancé aussi que la fraternité est un peu la petite oubliée des trois valeurs de la République, alors que c’est peut-être la piste pour dépasser les antagonismes sur les terrains de la liberté et même de l’égalité.  Elle est également invoquée à l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

C’est peut-être aussi un moyen de lire autrement le principe de laïcité qui n’est pas une valeur mais un principe juridique qui vise à concilier, sur la question religieuse, les trois valeurs de notre devise républicaine.

 Commentaire :

C’est probablement un des terrains sur lesquels nous pouvons apporter une contribution positive, peut-être en partenariat, notamment avec le Laboratoire de la fraternité.

 

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La dimension spirituelle

La dimension spirituelle du sujet a finalement été assez peu abordée pendant la séance, sauf sous forme de question et dans la référence aux travaux d’Adrien Candiard (dominicain et islamologue vivant au Caire, cf. lettre n°175).

 Commentaire :

Comment développer une approche spirituelle sur ces questions ? C’est probablement sur ce terrain-là que nous pourrions avoir un apport spécifique. 

 

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Quelques pistes sur les suites pour D&S

Bien sûr le travail engagé dans le groupe « laïcité », mais aussi « inter-spiritualité » et d’autres à créer ou en cours de création. Comme pour le Covid, il faut intégrer « l’événement » dans nos travaux.

Plusieurs insistent sur la nécessité de développer l’éthique du débat et la construction des désaccords entre nous : « il faut que nous travaillions ensemble, et soyons capables de débattre alors que nous ne sommes pas d’accord ».

Possibilité de s’associer à l’initiative prise par le Pacte civique le 17 novembre, au forum 104.

D&S jouit d’un grand nombre d’écrits qui pourraient être vulgarisés.

Aller à la rencontre des jeunes, montrant qu’il peut y avoir des harmonies entre D et S ; et leur dire qu’ils ont la possibilité de participer et d’être présents.

Daniel Lenoir

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Que font nos partenaires?

LE PACTE CIVIQUE

Le Pacte Civique et Démocratie & Spiritualité ont organisé le 17 novembre avec le Forum 104 un débat sur le « fil zoom » sur le thème :

 Pacte civique, pacte républicain, pacte scolaire : comment notre démocratie peut-elle encore répondre aux enjeux fondateurs ?

 Intervenants :  

Catherine BIAGGI, inspectrice générale de l’Education nationale, membre du Conseil des sages de la laïcité

Marine QUENIN, déléguée Générale de l’association ENQUÊTE : éduquer les enfants à la laïcité par les faits religieux

Hafid SEKHRI, membre du Conseil des Mosquées du Rhône (CMR) et de divers groupes d’échange interreligieux.

 Le débat était animé par Jacky Richard, coordinateur du Pacte civique et conclu par Daniel Lenoir, président de Démocratie & Spiritualité.

 Nous y reviendrons dans la Lettre de décembre.

 

Lien pour le dernier Bulletin du Pacte Civique n°17 - novembre 2020

 

Le Pacte civique et AG2R LA MONDIALE vous invitent à un colloque en visioconférence :

Le grand âge : débats de société et enjeux politiques

 Deux sessions :

Le 4 décembre 18 – 20 h : « Les Ehpads entre désir de vie et gestes barrières »

 Le 14 Janvier 2021 18 – 20 h : « Comment développer l’habitat inclusif ? »

 Intervenants : Dominique Libault et Denis Piveteau. Brigitte Bourguigon, ministre déléguée chargée de l’autonomie clôturera le colloque.

 

Pour vous inscrire : https://www.helloasso.com/associations/pacte-civique/evenements/colloque-grand-age-premiere-session

 

Si vous avez une question : colloquegrandage@gmail.com

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L’association ENQUETE a été fondée à l’automne 2010 par Marine Quenin, diplômée de Sciences Po Paris et titulaire d’un Master en Relations Internationales de Sussex University (Royaume-Uni), suite à des difficultés de sa fille aînée, alors scolarisée dans le primaire, à interpréter les manifestations du religieux dans sa vie quotidienne

ENQUETE conçoit et diffuse des pédagogies et outils ludiques d’éducation à la laïcité et aux faits religieux (jeux, courts dessins animés) pour développer chez les enfants de 8-11 ans un rapport apaisé et réfléchi à ces sujets. En lien avec la recherche en sciences sociales (sur les champs de la laïcité, des religions ou encore de la pédagogie), l’association s’attache à continuellement améliorer ses propositions pédagogiques. Selon un processus itératif, les expérimentations pédagogiques de l’association constituent un objet d’étude possible pour les chercheurs s’intéressant à l’enseignement des faits religieux – dont les réflexions viennent en retour alimenter les pratiques et la pédagogie d’ENQUÊTE.

Elle propose des formations adaptées aux besoins des différents types d’acteurs éducatifs :  enseignants, animateurs municipaux, en centre social, responsables du périscolaire, éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, responsables éducatifs de la Fédération française de football etc…, pour leur permettre d’aborder la laïcité et les faits religieux avec leur public. Ces formations sont articulées à la présentation d’ateliers pouvant être animés avec les enfants et les jeunes et précisent les objectifs, le positionnement pédagogique, tout en transmettant des connaissances utiles et en facilitant la prise en main d’un outil.

Depuis 2020, grâce à une collaboration avec la plateforme ÊtrePROF, et en lien avec des enseignants avec qui elle travaille depuis plusieurs années, ENQUETE propose des contenus en ligne sur l’enseignement des faits religieux dans une perspective d’éducation à la laïcité. Dans le contexte actuel, ÊtrePROF a organisé une journée de préparation à la rentrée du 2 novembre 2020, lors de laquelle des livres, des ateliers et des groupes de parole ont été proposés pour aider les enseignants à ouvrir le dialogue avec leurs élèves après la mort de Samuel Paty, le professeur d’histoire assassiné par décapitation à Conflans Ste Honorine le 16 octobre dernier.

 www.enquete.asso.fr                                                                                                     

 Eliane Fremann

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Une Information de l’École du sens

 

Une expérience inédite en France est menée avec des enfants depuis deux ans en Bretagne : vivre la démocratie et le sens du vivre-ensemble lors de séjours de vacances. En effet, l'association Ekölo, membre de l'École du Sens -écosystème de recherches et d'expérimentations pédagogiques- accueille des enfants de 6 à 14 ans lors de "colos" en pleine forêt durant l'été. Ce sont les enfants qui choisissent leurs activités quotidiennes en "agora" en échangeant entre eux et débattant avec les éducateurs. Comment faire émerger le sens de l'écoute et de la confrontation des points de vue, inhérent à la démocratie ? Comment délibérer ensemble des activités de la vie quotidienne en gérant ses émotions ?  Comment co-construire démocratiquement le cadre de régulation de la vie commune pour qu'il soit légitime aux yeux des enfants ? Quelles conditions réunir pour que ces mêmes enfants débattent et délibèrent de ce qu'ils désirent vivre, manger, faire ou ne pas faire, jouer ou flâner ?  Comment accompagner des citoyens en herbe afin qu'ils éprouvent un chemin d'amitié au sens d'Aristote, "bienveillance mutuelle fondée sur l'utile, l'agréable et la vertu ?" Comment semer les graines de leur créativité, autonomie, coopération et écoresponsabilité ? Quelques pistes de réflexion sont proposées ici...  

www.lecole-du-sens.fr

Estelle Auguin.

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AGENDA

Réunions statutaires:

Prochains bureaux :

Mardi 24 novembre à 18 h

jeudi 17 décembre à 18h

Prochains CA :

mardi 5 janvier 2021 à 18h

 

Prochaine Conviviale

 -      Mardi 8 décembre : Education et spiritualité avec Jean Lecanu, conseiller principal d’éducation, auteur notamment avec Philippe Filliot, de Education et Spiritualité, Chronique sociale (2020) et Gérard Lurol, auteur d’une thèse sur Emmanuel Mounier. Florent Pasquier, enseignant chercheur en Sciences de l’éducation, sera discutant.
La conviviale sur Education et Spiritualité prévue le17 novembre est reportée au 8 décembre, si les intervenants sont disponibles
Si vous souhaitez participer à la visioconférence inscrivez vous

Cette conviviale lancera un groupe de travail sur ce thème, à l’initiative de Marie-Charlotte Bourgeois, secrétaire administrative à D&S et étudiante en Master 1 Cadres de l’éducation, à l’Institut catholique de Paris.

 

 Journée Sol Invictus

Organisation d’une journée Sol Invictus, réunissant les membres du CA et les organisateurs des groupes de travail samedi 16 janvier 2021.

 

 Assemblée générale

• L’Assemblée générale de 2021 qui renouvellera totalement le conseil d’administration se tiendra le samedi 13 mars à 9h30.

 

 Université d'été 2021

L’Université d’été 2021 se tiendra les 10, 11, 12 Septembre 2021 à Lyon, au centre Jean Bosco

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L'Ours

Lettre D&S N° 176  Novembre 2020

ISSN 2557-6364

Directeur de publication : Daniel Lenoir
Rédacteur en chef : Monika Sander
Comité de rédaction : Jean-Baptiste de Foucauld, Sébastien Doutreligne, Eliane Fremann, Daniel Lenoir, Régis Moreira, Bertrand Parcollet.

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