En-tête
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  Lettre de D&S n°179

Février - Mars 2021

 

Sommaire

Éditorial

Assemblée générale du 13 mars : l’intranquille quête de l’esperluette.
Daniel Lenoir, Président de D & S

 

Dossier du mois

Projet de loi du gouvernement visant à renforcer les principes de la République

Introduction : Notes sur la conviviale interne de D&S consacrée à ce sujet– Eliane Fremann

Les principes de la République … contre le séparatisme ? – Daniel Lenoir

La Charte des principes pour l’islam de France, acte fondateur ou coup d’épée dans l’eau ? - Jean-Baptiste de Foucauld

Charte des principes pour l’Islam de France

 

Nouvelles exigences démocratiques

Duralex – Daniel Lenoir

 

Résonances spirituelles face aux défis contemporains

Invitation à un « travail de Carême » - Bernard Ginisty

 

Libres Propos

Une loi défensive qui aura du mal à conforter nos principes républicains - Jean-Claude Devèze

 

 Notes de lecture

Leçons d’une pandémie par deux « Frères d’âme » Edgar Morin, Pierre Rabhi –Bernard Ginisty

François Jullien :Ressources du christianisme – Françoise Levesque

 

 Échos

Glossaire : Définitions proposées pour aborder des thèmes en débat au groupe Laïcité et spiritualité

de D&S

Nouveau groupe thématique : Responsabilité et spiritualité – Bertrand Parcollet

 Groupe thématique interconvictionnel : Face aux défis actuels, quelles ressources humanistes ou spirituelles peuvent aider à devenir acteurs – Michel Ray

 

Culture, Art, Littérature

Révolution spirituelle ! (Prologue) – Abdennour Bidar

 

Que font nos partenaires ?

Le Pacte Civique

Le Pacte civique publie : Le choix des sobriétés - Des idées pour passer à l’action

La Ligue de l’Enseignement

Hermeneo

Groupe Interreligieux pour la Paix (GIP) 78,

 

Agenda

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EDITORIAL


A l’occasion de notre Assemblée générale 2021 le 13 mars : l’intranquille quête de l’esperluette.

 « Le « & » de Démocratie et Spiritualité caractérise l’association et fait son originalité. Approfondir les interactions entre démocratie et spiritualité, c’est ce à quoi doivent tendre ses diverses activités. C’est même sa raison d’être et sa singularité. Convenons que ce n’est pas aisé, quand on ne veut ni se contenter d’une simple juxtaposition, ni confondre les domaines, ni les séparer de manière étanche, mais les fertiliser l’un par l’autre. Il n’y a pas de solutions toutes faites, c’est une recherche permanente, intranquille, suivie de réalisations nécessairement imparfaites. Mais c’est le sens de l’effort proposé aux membres de l’association, dont on peut espérer qu’il participe, même modestement, à l’évolution des mentalités dans la société. ».

Ce paragraphe du texte d’orientation adopté après le 25ème anniversaire de l’association, a motivé la démarche d’enquête engagée depuis sur la question du « & », que nous avons appelée « la quête de l’esperluette ». Notre assemblée générale du 13 mars sera l’occasion de faire un bilan de la façon dont nous avons poursuivi cette quête en 2020, malgré les difficultés d’une année bien particulière.

 « Une recherche intranquille » disions-nous.  Ce numéro de février qui paraît en mars en est une illustration. Nous y abordons la question difficile que le président de la République et son ministre de l’Intérieur ont appelée celle du « séparatisme islamiste », question mal nommée pour beaucoup et qui a conduit à une hystérisation des débats où l’anathème s’est substitué à la discussion et la polémique à la dispute démocratique. Les textes présentés ici ne sont qu’une étape dans nos échanges qui visent moins à définir une position commune qu’à susciter une attitude partagée permettant d’éviter tant le déni que la surenchère, comme l’affirme dans son avis sur la loi renforçant les principes de la République, le Conseil national des villes. Nous prolongerons ce débat lors de notre prochaine conviviale le 16 mars qui sera consacrée au projet de Charte de l’islâm de France.

 C’est aussi un appel à tenir ensemble chacun des quatre engagements de la charte, sur cette question comme sur les autres :

-          S’efforcer de vivre de façon authentique et simple, en cohérence avec les exigences de son chemin intérieur. Cela peut être facilité par l’adoption d’une règle de vie personnelle, comportant à la fois travail sur soi, écoute de l’autre et partage avec les plus faibles.

-          Apprendre à connaître et respecter les autres formes d’expériences et de spiritualité que la sienne et faire de ce dialogue un support de son propre cheminement.

-          Participer, sous une forme ou sous une autre, à l’élaboration d’analyses et de propositions sur les sujets qui interrogent la relation entre démocratie et spiritualité.

-          Soutenir ou promouvoir, dans son activité professionnelle ou civique, des actions concrètes reposant sur une inspiration éthique ou spirituelle.

Rendez-vous donc le 13 mars pour toutes celles et tous ceux d’entre vous qui adhérent à notre démarche.


 

Avertissement : l’assemblée générale aura lieu en visio le samedi 13 mars de 9h30 à 12h30. Peuvent participer à l’AG les membres adhérents qui sont à jour de leur cotisation. Ceux de nos lecteurs qui ne le sont pas peuvent le faire via Helloasso.

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DOSSIER DU MOIS :

Projet de loi du gouvernement visant à renforcer les principes de la République

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Introduction : Notes sur la conviviale interne de D&S consacrée à ce sujet :

Conviviale interne, réservée aux seuls adhérents ainsi qu’aux représentants du Pacte civique et consacrée au projet de loi « renforçant les principes de la République », initialement « de lutte contre les séparatismes », adopté par le gouvernement le jour anniversaire de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Elle a été animée par Daniel Lenoir, président de D&S et s’est tenue en visioconférence, mardi 19 janvier 2021.

Daniel Lenoir a d’abord fait une présentation critique du projet de loi qui avait été envoyé aux participants avec une proposition portée par Jean-Claude Devèze et Jean- Claude Sommaire, membres de D&S, sur l’accompagnement des jeunes dans les QPV-Quartiers Prioritaires de la Ville. En conclusion, il estime qu’il aurait mieux valu d’abord définir une politique générale et légiférer ensuite, sujet par sujet si nécessaire. Le combat pour la justice sociale et l’égalité est absent de ce texte. Avec le contrat d’engagement républicain qu’il comporte, ce décret, qui n’a recueilli d‘adhésion ni sur le fond ni sur la forme, ne laisse plus de place pour des chartes à caractère contractuel (comme la Charte de la laïcité de la branche famille qui était une co-construction) et de plus, il risque d’être ressenti par une partie de la population musulmane comme une stigmatisation.

Différents points de vue, parfois opposés, se sont ensuite exprimés lors du tour de tablevirtuel sur ce projet de loi : ses points positifs, ses manques.

-              Il faudrait préciser les politiques publiques d’ensemble nécessaires pour affronter les problèmes : séparatisme islamiste, fractures sociales, difficultés d’éduquer dans les établissements scolaires, où des élèves rejettent certains principes de la République, dont la laïcité.

-              La charte des principes pour un islam de France représente une avancée indéniable sur l’égalité hommes-femmes, sur le droit à l’apostasie dans la mesure où elle a été signée par des fédérations musulmanes. Cependant 4 associations sur 9 n’ont pas signé la charte ; la définition de l’islam politique est très importante. Quelle position D&S peut-elle prendre ?

-              En France, la seule manière de traiter les difficultés est de faire des lois ! Il n’y a pas dans ce projet de stigmatisation des musulmans car un véritable problème se pose avec certains d’entre eux. Par contre, il y un risque de restriction des libertés, pour l’instruction à domicile par exemple.

-              Quel est le point de vue des musulmans sur ce projet ? Car le séparatisme fonctionne dans les deux sens : les musulmans ne sont pas présents dans les instances du pays. Cependant cette charte pour un islam de France est courageuse dans la mesure où elle affirme la compatibilité entre l’islam et les valeurs de la République, prend position clairement contre l’islam politique et reconnait la liberté de conscience. Même si elle ne s’‘accompagne pas d’une politique publique, l’intention de la loi est bonne pour lutter contre les discriminations, par exemple. La défenseure des droits pourrait être saisie en cas de refus du voile ou de problème d’empêchement de faire le Ramadan (ou inversement de pression ou de contrainte pour l’observer).

-              L’exécutif aurait pu commencer par un nouveau plan de type Borloo plutôt que par un volet sécuritaire. En outre, la rédaction et la signature de la charte se sont faites sous la pression très forte du politique : il s’agissait de dire si on était pour ou contre la République. Les imams n’ont pas été invités à penser et à rédiger la charte.

-              Concernant l’islam politique, la Ligue islamique mondiale a été reçue en grande pompe et la pensée des Frères musulmans est représentée chez les musulmans de France (exemple :  l’UIOF). 40 % des mosquées seulement sont représentés au CFCM (Conseil français du culte musulman). Quel levier actionner pour faire adhérer les imams à cette charte ? Ils y voient une pression, une ingérence du politique dans une affaire religieuse. De plus les jeunes musulmans sont totalement déconnectés du CFCM qui a vocation à organiser le culte, pas les fidèles musulmans. Une approche sécuritaire sans volet social, sans véritable levier pour une action pédagogique est risquée. Les jeunes sont endoctrinés sur les réseaux sociaux par des confréries de youtubers qui n’appartiennent pas au CFCM. Notons que concernant l’égalité hommes-femmes, le CFCM ne compte pas de femmes et pas de jeunes non plus ! Plutôt que de la portée de ce projet de loi, ne faut-il pas parler de récupération ?

-              Cette charte se substitue au concordat que la laïcité nous empêche de signer avec l’islam ; c’est un objet de débat démocratique.

-              On cherche à guérir en passant par une loi défensive alors qu’il faut prévenir. Nous sommes dans une société bloquée ; or on a besoin de paroles et d’actes qui fassent vivre les valeurs de la République ; on a besoin de changer de démocratie, de changer d’école. Il faut se mettre à l’écoute des jeunes qui sont dans une recherche de sens, il faut une école qui transmette la citoyenneté car on ne nait pas citoyen, on le devient ! il faut susciter le débat, co-construire, privilégier l’éthique de la discussion, rester humbles ; on a privilégié la santé et la sécurité au détriment de la liberté.  Plus que jamais, D&S a du sens, il faut revenir à ses textes fondateurs.

-              La priorité, c’est l’écoute, s’écouter et se comprendre mais c’est difficile, il peut y avoir des malentendus culturels sur l’emploi des mots. Le projet de volet éducatif proposé est intéressant, la formation et l’expérience ne sont pas à négliger.

-              Sommes-nous vraiment universalistes ? L’intégration est un travail à deux, de la part du pays d'accueil qui doit s'adapter pour recevoir et de la part des migrants qui doivent eux aussi s'adapter.  A contrario, il y a du séparatisme de part et d'autre : dans un cas, cela s'appelle des discriminations et de l'autre, en effet du séparatisme, le deuxième terme étant en partie un effet du premier. J'ai fait une enquête sur les femmes relais qui sont apparues dans les banlieues françaises à la fin des années 80. Elles menaient des actions en vue de l'intégration de leurs enfants et des enfants de leur communauté : à l'école, à l'hôpital, dans les ensembles sociaux, auprès des juges pour enfants, etc.. Originaires notamment d'Afrique subsaharienne, elles avaient compris que leur famille resterait en France et que, pour leur avenir, il fallait que les enfants s'adaptent aux normes françaises, soient surveillés différemment que dans leur village du Mali. Parallèlement, elles accompagnaient les mamans à l'hôpital, non seulement pour traduire mais aussi pour expliquer au médecin français les habitudes maliennes et faire en sorte qu'ils en tiennent compte dans les prescriptions. Elles faisaient de même à l'école auprès des professeurs, cela de manière bénévole. C'est la raison pour laquelle, je pense, avec ceux qui prônent l'action communautaire, qu'il vaut mieux passer par des personnes relais représentantes de leur communauté : des médiatrices socioculturelles. C'est pour les reconnaître dans leur fonction qu'a été créé le dispositif d'adulte relais qui a été dévoyé, comme souvent :  les associations avaient tellement besoin de secrétaires que les postes ouverts ont été très souvent utilisés pour du secrétariat. En tout cas, il vaut mieux tout sauf du paternalisme !! D'autre part, j'ai pu remarquer qu'à chaque fois qu'on diminuait les subventions de la politique de la ville, d'autres, des islamistes politiques, par exemple, prenaient la place.

-              La question sociale évoquée par Emmanuel Macron dans son discours de Mulhouse, ou des Mureaux en octobre dernier, a disparu du projet. C’est délétère. La question des moyens de contrôle de l’État est importante. On perçoit dans ce texte le souhait que la religion, la spiritualité soient de plus en plus reléguées dans la sphère privée ; c’est un contresens sur la loi de 1905 et le risque est que la spiritualité n’apparaisse plus comme une dimension fondamentale de l’être humain.

-              Ce projet de loi est marqué de l’ADN de Macron qui n’a pas confiance dans les corps intermédiaires, ni dans les remontées du terrain. Il n’y a pas de place pour la co-construction, la construction de la confiance comme qu’on rencontre dans le scoutisme par exemple.

-              Concernant le volet éducatif, que fait-on après avoir fait le constat que les jeunes musulmans ont une religion et une culture communautaires ? 

-              L’Éducation nationale doit aller sur les réseaux sociaux : c’est là que se fait la transmission aujourd’hui.

-              Par rapport à la proposition de volet éducatif, quelle serait la place au sein de l’institution scolaire, la légitimité des animateurs bénévoles de vie personnelle et civique, inspirés de l’expérience québécoise, par rapport aux enseignants ?

-              Un récent documentaire a relaté l’expérience menée au Québec en 2015, dans un établissement scolaire de la banlieue de Montréal, d’un dispositif de « médiateurs du corridor ». A l’écoute des jeunes de 17-18 ans venus d’horizons très divers-certains élèves ayant tenté de rejoindre l’État islamique en Syrie- ces animateurs initient un projet de vivre ensemble, pour rapprocher des syndicalistes étudiants le groupe des jeunes d’origine maghrébine et des « minorités visibles » qui ne se sentent pas acceptés.           

-              Dans le projet proposé par D&S, on est dans la mise en œuvre de la valeur fraternité ; or on ne peut légiférer sur ce sujet, l’imposer, ni l’inciter par des mesures budgétaires. L’État peut promouvoir un cadre mais c’est la société civile qui peut porter des projets ; c’est l’objet du Labo de la fraternité par exemple et D&S a un rôle à jouer sur ce terrain pour impulser des projets avec d’autres, comme reprendre l’idée d’une émission interreligieuse. Les acteurs associatifs de la banlieue parisienne, certaines mairies comme celle de Bobigny, peuvent nous aider. Le rôle des politiques publiques est de favoriser les initiatives. Le Conseil national des villes a reçu favorablement cette proposition d’animateurs de vie citoyenne faite à D&S.

-              Le projet de loi n’apporte pas de réponse à la question du financement du culte musulman :  la population musulmane étant globalement moins riche que le reste de la population française, l’autofinancement des associations cultuelles ne sera pas suffisant.

Eliane Fremann

 

Les principes de la République … contre le séparatisme ?

En tant que membre du Conseil national des villes (CNV), j’ai eu l’occasion de participer à l’examen du projet de loi renforçant les principes de la République sur lequel il a été saisi pour avis. Cet avis, dont je conseille la lecture, s’articule autour de la thématique « Ni déni, ni surenchère »[1]. Pour la réunion interne sur ce projet de loi, au moment où commençait son examen en commission, le mardi 19 janvier, j’ai livré quelques réflexions personnelles sur les principales dispositions d’un projet de loi touffu et complexe. Je les ai un peu actualisées à la lumière de ces échanges et du débat en première lecture à l’Assemblée nationale. On peut penser, comme l’a de façon taquine suggéré l’un des participants lors de la réunion, que c’est le point de vue d’une sorte d’ « inspecteur général des affaires républicaines » : ce n’est pas faux, car il est nourri de ma longue pratique professionnelle de gestionnaire de politiques publiques sur ces sujets, avec le souci, j’espère, de « soutenir ou promouvoir, dans (mon) activité professionnelle ou civique, des actions concrètes reposant sur une inspiration éthique ou spirituelle », comme le dit joliment le quatrième engagement de la charte de D&S. Je le livre comme tel, en ayant bien conscience que d’autres points de vue peuvent s’exprimer sur le sujet.

De quoi le projet de loi est-il le nom ?

Comme l’a laissé entendre le Conseil d’État dans son avis, il n’y a rien de vraiment choquant dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République. La question qu’on peut se poser en revanche, c’est : de quoi ce projet de loi est-il le nom ? Il a d’ailleurs été difficile d’en nommer l’objet. Pas « la laïcité », récusée par le Président de la République dans son discours des Mureaux, et ce même s’il a été adopté par le Conseil des ministres le jour anniversaire et symbolique de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Plus non plus « le séparatisme », ni au pluriel, ni au singulier, puisque cette terminologie a été abandonnée, du moins dans le projet, sinon dans les discours. On s’est donc rabattu sur le renforcement « des principes républicains », puis sur suggestion du Conseil d’État, des « principes de la République ». Pour autant le gouvernement a perdu son pari de substituer ce nom dont on a du mal à se souvenir à celui, encombrant et contesté, par certains de « lutte contre le séparatisme islamiste » par lequel on continue de le désigner couramment. A moins que ce ne soit l’objectif recherché comme pourrait le laisser penser le titre du petit opuscule du ministre de l’intérieur, « Le séparatisme islamiste »[2], paru en février[3].

Un projet difficile à nommer donc et en grande partie illisible, car il touche à plusieurs domaines du droit et constitue une sorte de projet portant diverses mesures d’ordre républicain ; comme il y avait autrefois des projets de loi dits « DMOS » (diverses mesures d’ordre social), projets de lois fourre-tout. Et un projet dont on peut se demander s’il était vraiment nécessaire, sans même s’interroger sur son opportunité.

Il y a bien sûr, même si ce n’est pas la totalité du texte, des dispositions sur la laïcité et surtout sur la séparation des Églises et de l’État, titre exact de la loi de 1905 qui ne parle pas de laïcité, mais avec laquelle on la confond souvent.

Les premières visent à étendre l’obligation de neutralité à l’ensemble des collaborateurs des services publics, et non aux seuls fonctionnaires. Il n’était toutefois pas indispensable de légiférer sur ce point car celle-ci résulte d’une jurisprudence établi en 2013 en validant la décision de la caisse primaire de Bobigny en 2003 d’interdire le port de signes religieux par leurs collaborateurs, et dont je m’honore d’être à l’origine : dans cet arrêt[4] la cour de cassation a confirmé que l’obligation de neutralité s’appliquait aux salariés des caisses de sécurité sociale bien qu’elles soient des organismes de droit privé, parce que chargée d’une mission de service public. En fait la loi vise, non à permettre aux services publics d’appliquer le principe de neutralité à leurs collaborateurs, mais à les obliger à le faire, notamment aux services publics locaux.

Au-delà des principes juridiques et de leur application, il faut voir que le principal effet recherché du texte est d’interdire le port du voile par les collaboratrices des services publics locaux, comme les crèches ou les transports municipaux, ce qui va focaliser à nouveau le débat sur le voile, tant il est plus facile de l’interdire que de prohiber les signes masculins de l’appartenance à l’islam : difficile de mesurer la taille des barbes ou des pantalons. Cette focalisation sur la question du voile, qui tourne à l’obsession depuis 1989, a contribué à déformer et à décrédibiliser la laïcité en en faisant le seul point d’application ; même si je suis pour ma part favorable à cette disposition, à condition qu’on l’applique avec la même rigueur au port de la croix, de la kippa, ou de tout autre signe religieux, masculin ou féminin, par les collaborateurs des services publics. Et en rappelant aussi que cette interdiction ne s’applique pas aux usagers du service public, que le principe de neutralité oblige à accueillir, quel que soit leur tenue, comme de façon général dans l’espace public, comme l’a rappelé le conseil d’État en annulant les arrêtés municipaux contre le port du burkini sur les plages.

A cet égard, en proposant d’«interdire le port de tout signe religieux ostensible par les mineurs dans l’espace public» et d’«interdire le port de tout habit ou vêtement qui signifierait pour les mineurs l’infériorisation de la femme sur l’homme», Aurore Berger cherchait justement à y interdire le port du voile par les petites filles et adolescentes de famille musulmane, comme c’est déjà le cas à l’école. Si l’on peut comprendre le souci de protéger les filles d’une emprise religieuse qui inférioriserait la femme dès l’enfance, on peut aussi s’inquiéter d’une disposition qu’il faudrait, en toute rigueur, appliquer au port de la kippa ou de croix ostensibles par des enfants ou des adolescents dans l’espace public. On voit là les limites de l’approche législative, sur des sujets dont l’enjeu relève davantage du combat idéologique au sein de la société comme au sein de chaque religion, notamment sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes et sur l’éducation des enfants à la liberté, y compris religieuse.

Sur le terrain de la laïcité aussi, ou plus exactement de la séparation des Églises et de l’État, le projet de loi modifie aussi certaines dispositions relatives à la police des cultes. En fait elles ne font, pour la plupart que renforcer les peines encourues pour les manquements aux obligations ou interdictions posées par la loi de 1905. Leur principal intérêt est de rappeler l’existence d’une police des cultes -c’est le titre 5 de la loi de 1905-, trop souvent oubliée par les tenants d’une laïcité dite « ouverte » ou, pire, « positive », et qui résulte du fait que l’espace du culte est un espace public, et donc que les cérémonies religieuses sont des réunions publiques et non des réunions privées. Mais il y avait plus urgence à faire ce rappel qu’à légiférer sur le sujet.

Toujours sur le même terrain de la loi de 1905, le texte modifie, à vrai dire à la marge, les dispositions applicables aux associations cultuelles. La principale, contestée notamment par les protestants, c’est l’obligation de renouvellement de la déclaration tous les cinq ans. J’avoue que j’ai du mal à comprendre cette contestation : après tout, cela permet de vérifier que les associations existent toujours, ce qui serait également nécessaire pour les associations loi de 1901. Mais c’est là évidemment un réflexe de gestionnaire de politique publique.

En revanche le législateur ne sera pas saisi sur ce sujet d’une anomalie, probablement anticonstitutionnelle, l’assimilation -depuis un compromis en 1924 entre le gouvernement français et le Vatican, qui refusait la loi de 1905, et que le Conseil d’État a bien voulu à l’époque considérer comme conforme à celle-ci-, à des associations cultuelles des associations diocésaines dont l’objet ne couvre pas l’exercice des cultes -qui reste réglé par le seul droit canon-, et dont la présidence est de droit confiée à une autorité, l’évêque, et donc, nécessairement à un homme, nommée par un État étranger. Tout autant que les dérives djihadistes de l’islam, les difficultés qu’ont entrainé ce cadre juridique dans les affaires de pédophilie dans l’Église catholique, aurait pu conduire le gouvernement à régler cette situation, comme l’avait demandé à l’époque Témoignage Chrétien.

Le projet de loi intervient aussi sur les associations loi de 1901, qui restent autorisées à pratiquer des activités cultuelles, à condition d’être soumises, pour celles-ci, aux mêmes règles, notamment comptables, et donc aux mêmes contrôles, que les associations cultuelles.

Mais la disposition la plus symbolique concernant les associations est celle qui conditionne l’attribution de subventions publiques à la signature d’un contrat d’engagement républicain de « respecter les principes de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l’ordre public ». Ce dispositif qui s’appliquerait aussi aux fédérations sportives, n’a pour moi rien de choquant pour des organismes qui remplissent, non, certes, des missions de service public, mais des missions d’intérêt général, financées sur fonds publics. C’est d’ailleurs ce que visaient les diverses chartes mises en place par certains organismes publics, dans la foulée de celle que nous avions mise en place pour la branche famille de la Sécurité sociale en 2015. Mais, et c’est bien là le problème, cela va vider ces dispositifs innovants de leur substance, et donc de leur utilité, et substituer à une régulation concertée -et donc permettant un travail d’appropriation pédagogique par les acteurs-, adaptée à chaque domaine et relevant du « droit souple », une régulation légale, étatique, et imposée par décret : là encore on peut s’interroger sur la nécessité de passer par la loi alors que des méthodes plus souples et plus participatives étaient utilisables.

L’autre disposition concernant les associations « loi de 1901 » vise à contrôler les reçus fiscaux émis par les associations, de façon à pouvoir les recouper avec ceux déclarés par les donateurs, et à vérifier la réalité des dons effectués. Dans le même ordre d’idée, le projet introduit des dispositions permettant d’éviter les dérives des fonds de dotation, créés en 2008 pour fournir aux entreprises un outil plus souple que les fondations pour développer leur mécénat, mais avec des risques de dérives importants. Ces dispositions qui visent à mieux contrôler des dons et legs qui font l’objet de déductions fiscales généreuses me paraissent légitimes de la part de l’administration fiscale, mais elles constituent clairement un cavalier législatif, dans la mesure où leur motivation générale est bien plus large que le simple contrôle du financement d’activités mettant potentiellement en cause les principes de la République et aurait dû trouver leur place dans une loi de finances.

Une autre catégorie de mesures concerne les droits des personnes : égalité des enfants héritiers, prohibition de la polygamie, protection contre les mariages forcés et interdiction faite aux professionnels de santé de délivrer des certificats de virginité. Là encore, il eut mieux valu d’introduire cette disposition dans le code de déontologie médicale, plutôt que de mettre en place une prohibition législative, ce qui aurait probablement rendu plus facile la gestion par les médecins de ces demandes. De façon générale ces dispositions ciblent des pratiques totalement répréhensibles, issues d’une lecture contestable de la loi religieuse par les courants fondamentalistes de l’islam, mais au risque, là encore, de donner le sentiment de stigmatiser cette religion.

Dans le même ordre d’idée, le projet limite les possibilités de déroger à l’obligation scolaire et les possibilités de contrôle sur les établissements privés hors contrat. Ce qui a suscité des interrogations sur les limites apportées à la liberté d’enseignement. A contrario, faut-il laisser prospérer des cadres d’enseignements dont le but est essentiellement religieux et qui conduisent de surcroît à remettre en cause les connaissances scientifiques ou historiques, au nom de dogmes religieux supposés ?

Au final, seules trois dispositions, probablement les plus importantes, visent à prévenir des événements dramatiques comme ceux qui ont conduit à la décapitation de Samuel Paty, dont il faut rappeler qu’elle est postérieure à l’annonce du projet de loi, et plus généralement le développement sous couvert d’islamisme radical, du terrorisme djihadiste.

Il s’agit d’abord de protéger les enseignants, les hospitaliers, et tous les agents exerçant une mission de service public contre les formes de pression visant “une application différenciée” des principes du service public en réprimant les menaces et les comportements violents commis à leur encontre et de renforcer le dispositif de signalement à la disposition des agents publics contre ces menaces. Il s’agit ensuite de créer une nouvelle incrimination pénale de mise en danger de la vie d’autrui, par la diffusion d’informations relatives à la vie privée, sur les réseaux sociaux, avec des peines renforcées lorsque sont visés des agents du service public. Enfin le gouvernement modifie le code de procédure pénale pour lutter contre les propos haineux sur les réseaux sociaux, qui relèvent aujourd’hui de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Dans le même ordre idée, le projet de loi assouplit les dispositions issues de la loi du 10 janvier 1936, et permettant la dissolution administrative des associations et groupements de fait troublant gravement l’ordre public ou portant atteinte à des droits et libertés fondamentaux.

L’ensemble de ces dispositions qui pouvaient probablement faire l’objet d’un relatif consensus, à l’exception peut-être de la dernière, dans la mesure où les nécessités de lutter contre le terrorisme et de circonscrire le terreau islamiste sur lequel il prospère sont assez largement partagées, auraient pu se substituer quant à elles aux dispositifs prévus dans la fameuse et mal ficelée proposition de loi de sécurité globale, notamment son désormais célèbre article 24, en lui substituant un nouveau titre visant non seulement la sécurité, certes légitime, des policiers et des gendarmes, mais aussi de l’ensemble des agents publics, qui l’est tout autant.

Au total, fallait-il un projet de loi dédié pour introduire toutes ces modifications : rien n’est moins sûr.

D’abord, de nombreuses dispositions existaient déjà et ce serait déjà bien, comme l’a rappelé Patrick Weil dans Libération, de commencer par les appliquer, ou les faire appliquer, avant de les durcir. Comme l’a indiqué également la Défenseure des droits Claire Hédon, l’action publique se replie “une nouvelle fois dans la facilité apparente de la restriction des libertés” pour “atteindre un objectif d’intérêt général”.

On l’a vu, la plupart des dispositions existaient déjà ou pouvaient attendre d’autres fenêtres législatives que celle que le gouvernement a voulu ouvrir ; et beaucoup de celles qui sont nouvelles, comme le contrat d’engagement républicain, vont vider de leur sens des démarches associant la société civile organisée, ce qui, sur des sujets de cette nature, est contre-productif.

Ensuite, le gouvernement s’est piégé lui-même en voulant modifier, en s’en défendant et même à la marge, le droit de la laïcité pour lutter contre l’islamisme radical et le terrorisme djihadiste : d’une part cela l’oblige à réglementer pour l’islam en général, qui, s’il en est le substrat idéologique, n’est pas plus responsable de ces dérives que les autres religions des leurs, et, ce faisant, en vertu des principes de laïcité et d’égalité, à réglementer de la même façon pour les autres religions aussi. Par cercles concentriques, la cible de la loi s’en trouve considérablement élargie, au risque de toucher des pratiques, certes critiquables pour beaucoup, mais qui n’ont pas nécessairement à être prohibées par la loi, et en tous cas n’ont qu’un rapport lointain avec le terrorisme islamiste, et finalement de ne pas atteindre la cible.

En outre, une loi ne fait pas à elle seule une politique publique : elle interdit, ou au mieux, organise des libertés, c’est tout ; et comme l’avait indiqué il y a quelques temps Tareq Oubrou, « malheureusement, «l’extrémisme» n’est pas un délit. Il ne peut pas être éradiqué par des lois ». La prévention de la radicalisation a d’ailleurs été mise en place par une simple circulaire signée du ministre de l’Intérieur en 2014, en en confiant la responsabilité au secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, à l’époque Pierre Ngahane que nous avons d’ailleurs reçu lors d’une conviviale. Et la lutte contre le poison de la radicalisation islamiste nécessiterait que les principes républicains ne soient pas seulement défendus, mais aussi mis en œuvre, notamment ceux d’égalité et de justice sociale. Telle était l’ambition du plan Borloo, qui visait à « reconquérir les territoires perdus de la République », et dont on connaît le sort qui lui a été réservé.

Ce sont aussi toutes ces raisons qui font que j’ai préféré, comme Jean-Baptiste, et même si elle est débattue entre nous, la démarche engagée avec le CFCM avec la charte de l’islam de France qui renvoie la société civile, en l’espèce les instances religieuses, à ses propres responsabilités. Mais nous aurons l’occasion d’en reparler bientôt.

Au final, les hésitations terminologiques sont révélatrices des effets de l’hystérisation des débats sur les questions de l’islamisme radical et de la laïcité, prises en tenaille entre le déni des risques de la radicalisation, et la condamnation sans nuance des dérives d’une religion qui inspire la spiritualité d’une partie de nos concitoyens, et n’évitent pas les risques de stigmatisation, réels ou ressentis, des musulmans de France. Il y a un principe de la République sur lequel on ne peut facilement légiférer mais qui devrait davantage inspirer les uns et les autres, comme les politiques publiques mises en œuvre : c’est la fraternité.

Daniel Lenoir

 

 

La Charte des principes pour l’islam de France, acte fondateur ou coup d’épée dans l’eau ?

J’ai ressenti la publication de cette charte, signée par les représentants de 5 des 9 fédérations qui composent le Conseil Français du Culte musulman comme une heureuse et improbable surprise, quelque chose d’inespéré, porteur de grands et importants changements, tant dans l’islam de France que dans l’islam en général, ainsi que dans les relations si difficiles et si nécessaires entre Démocratie et Spiritualité, l’objet même de notre association. Un texte somme tout bien plus important et porteur à long terme que la loi sur le séparatisme, devenue projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Sa lecture en est vivement conseillée aux lecteurs de notre lettre (ci-dessous) et nous organiserons le mardi 16 mars notre réunion conviviale mensuelle pour en débattre, car le point de vue que je viens d’exprimer est loin d’être partagé par tous.

Cette charte brève, de 10 articles témoigne, me semble-t-il, d’une acceptation en profondeur et soigneusement motivée des principes de la République et, à travers eux, des principes de base de la démocratie. Il n’est pas si sûr que cela que les représentants des autres confessions auraient été en mesure d’aller aussi loin. Qu’on en juge par les quelques extraits qui suivent :

-              Dans son préambule, elle affirme que « Ni nos convictions religieuses ni toute autre raison ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République. » et « qu’aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens ».

-              Dans l’article 3, consacré à la liberté, notamment celle de croire ou de ne pas croire, les signataires s’engagent à « ne pas criminaliser un renoncement à l’islam ni à le qualifier d’apostasie » et « s’inscrivent ainsi dans la liberté de pensée, de conscience et de religion », et en donnent des justifications théologiques à partir du Coran (« Nulle contrainte dans la religion »).

-              L’article 4, consacré à l’égalité, pose l’égalité homme-femme comme « principe fondamental, également attesté par le texte coranique, les hommes sont issus d’une même essence ou âme originelle ».

-              Le long article 5 est consacré à la fraternité « qui nous engage d’un point de vue religieux », et se concrétise dans le refus des discriminations et de la haine, notamment « les actes antisémites, homophobes et misogynes », dans le refus de « l’idéologie des excommunications », et dans l’acceptation et même la nécessité du libre débat au sein de l’islam.

-              Par l’article 6, les signataires « refusent de s’inscrire dans une quelconque démarche faisant la promotion de ce qui est connu sous l’appellation « islam politique », défini par une note de bas de page (salafisme, Frères musulmans). Les signataires s’engagent « à assurer de plus en plus le financement de nos lieux de culte par des financements nationaux » et « à rejeter clairement toute ingérence de l’étranger dans la gestion de leurs mosquées ».

-              Avec les articles suivants, ils marquent leur « attachement à la raison et au libre arbitre » (article 7 : « toutes les écoles doctrinales de l’islam revêtent la même légitimité et il appartient à chacun parmi les fidèles de se forger sa propre opinion), à la laïcité et appellent à ne pas diffuser de livres, fascicules, sites internet, blogs, vidéos, qui propagent des idées de violence, haine, terrorisme ou de racisme sous quelque forme que ce soit.

-              Enfin, l’article 10 engage les signataires à « appliquer les principes et valeurs (de la charte) dans leurs associations respectives » et prévoit une procédure de constatation des infractions qui « entraîne l’exclusion du contrevenant de toutes les instances représentatives de l‘islam de France ».

Ce texte fixe donc les conditions de l’organisation d’un islam de France conforme à notre tradition démocratique. Pour une bonne part, il ratifie un état de fait d’une majorité de musulmans, ce qui va tout de même mieux en le disant et en l’explicitant. En revanche, par rapport aux tendances djihadistes, il ne manque pas de courage et prend ses risques. Et pourtant, il ne fait pas l’objet d’un accueil enthousiaste, à part un article flamboyant de Kamel Daoud dans le Monde (ici), et il soulève méfiance et critiques de divers bords.

Il y a tout d’abord celles et ceux qui constatent que cette charte n’est pas rédigée de façon spontanée et répond à une demande pressante du président de la République, ce qui pourrait altérer son caractère de liberté et d’authenticité. Peut-être. Mais ce qui est signé est signé, un texte est un texte, et « les signataires sont conscients que cette charte les engage conjointement et solidairement (article 10).

Un effort pour organiser l’islam de France est-il contraire au principe de séparation de l’Église et de l’État de la loi de 1905 ? Il faut ici rappeler que cette loi contient aussi des principes d’organisation qui s’imposent aux Églises et notamment un titre V de 11 articles consacré à la police des cultes. Ce n’est pas la formule préconisée à l’époque par Clémenceau, le divorce pur et simple, qui a été retenue ; et certains chercheurs parlent de « discordat » par symétrie avec le concordat de 1802, pour caractériser la laïcité française, plus complexe que l’idée commune que l’on en a souvent.

Cette charte n’est signée que par une partie du CFCM, tandis que celui-ci est déjà peu représentatif du monde des 2500 mosquées, une faible partie d’entre elles ayant réellement participé aux élections, et la base n’ayant pas été consultée. Cela serait donc un texte purement déclaratif fonctionnant pour les problèmes d’organisation, mais n’engageant pas véritablement les fidèles. Il y a là, à l’évidence, un enjeu important. La Charte des principes, en son préambule, parle de « valeurs à transmettre aux fidèles et à partager avec eux ». Mais ce travail, car c’en est un, de transmission et de partage sera-t-il fait, et comment ? Cette question reste ouverte. Pour l’instant, le CFCM doit consulter ses instances régionales, la Charte pouvant encore être amendée. Mais cela ne suffira sans doute pas à toucher l’ensemble des fidèles. Il y a sûrement, pour le monde musulman, une formule à rechercher et à inventer pour diffuser, interpeller et débattre en son sein.

Il a été également été remarqué que les fédérations signataires sont très liées à des États étrangers, alors que la charte vise à réduire ce type de financements ; il y a donc là une contradiction apparente à résoudre.

Du côté des quelques ami(e)s musulman(e)s que j’ai pu consulter ou qui se sont exprimés publiquement, l’accueil n’est pas enthousiaste non plus. Outre les remarques précédentes, deux critiques se font jour :

-              « Pourquoi nous demander cela, à nous, une nouvelle fois, comme après chaque attentat, pourquoi avoir en permanence besoin de montrer patte blanche, pourquoi être à tout bout de champ contrôlé « au faciès » en quelque sorte, alors que l’on ne demande rien aux autres religions, qui ne sont pas sans problèmes, elles non plus ? A ce sentiment de discrimination, il me semble que l’on peut répondre que les autres religions ont fait un long travail de mise en conformité avec la démocratie, avec beaucoup de difficultés et de conflits, non achevé sans doute, mais tout de même bien avancé. Ce qui n’est pas le cas de l’islam, moins organisé, et surtout dont la présence en nombre est plus récente en métropole. Ce n’est pas discriminant de lui demander une sorte de parcours accéléré, et cela ne devrait pas être ressenti comme tel.

-              Cette charte risque de diviser les musulmans français, de créer en leur sein une fracture qui aggravera les problèmes au lieu de les laisser se résoudre peu à peu dans les faits, de manière empirique, le temps faisant son œuvre dans le cadre républicain. Mais, tant pour la République que pour l’Islam lui-même, un islam français qui débat de son rapport aux valeurs démocratiques, qui mesure ses éventuels désaccords, et qui, éventuellement, se divise, me parait une meilleure solution que celle d’un islam français apparemment uni mais hétérogène et ambigu, et engendrant la suspicion.

De tous ces points, il y a lieu de débattre. La signature de cette charte en est l’occasion ? Ne laissons pas passer la possibilité qui nous est ainsi offerte de clarifier les relations entre islam et démocratie. Cette charte, après tout sera ce que nous saurons collectivement en faire.         

Jean-Baptiste de Foucauld   

 

Charte des principes pour l’Islam de France

Nous, responsables associatifs et de fédérations, gestionnaires de lieux de culte musulmans, nous nous engageons par cette charte à la fois en tant que citoyens français et/ou en tant qu’acteurs associatifs de confession musulmane à respecter toutes les règles édictées dans la présente, dénommée « charte des principes ».

Elle a vocation à encadrer l’éthique et les règles déontologiques qui devront structurer le fonctionnement du Conseil national des imams.

 Préambule

Nous proclamons solennellement notre adhésion à cette charte destinée à préciser les fondements de notre mission en lien avec les valeurs républicaines. Ce faisant, nous réaffirmons d’emblée que ni nos convictions religieuses ni toute autre raison ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République.

 Aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens.[5]

 Cette « charte des principes » vise à tracer les valeurs à transmettre aux fidèles et à partager avec eux, dans le respect des lois de la République et de l’éthique islamique.

 

Article 1

Objectif de la charte

Les valeurs islamiques et les principes de droit applicables dans la République sont parfaitement compatibles et les musulmans de France appartiennent pleinement à la communauté nationale. D’un point de vue constitutionnel, tous les citoyens, quelles que soient leur religion, leurs croyances ou leurs convictions philosophiques, sont égaux.

 D’un point de vue religieux et éthique les musulmans, qu’ils soient nationaux ou résidents étrangers, sont liés à la France par un pacte. Celui-ci les engage à respecter la cohésion nationale, l’ordre public et les lois de la République.

À travers cette charte, les signataires s’inscrivent dans l’écriture d’une page importante de l’histoire de France.

 Elle contribue à instaurer des rapports apaisés et confiants entre la communauté nationale, dans sa diversité et sa pluralité, et tous les musulmans vivant sur le territoire de la République, qu’ils soient nationaux ou résidents étrangers. Tout signataire de cette charte s’engage donc, dans le respect et la dignité, à œuvrer pour la paix civile et à lutter contre toute forme de violence et de haine.

 

Article 2

Missions

Notre mission et notre engagement découlent de notre engagement citoyen et de notre foi.

Nous exerçons notre mission dans le cadre des principes et règles de la République qui fondent l’unité et la cohésion de notre pays.

 Le principe d’égalité devant la loi nous oblige à nous conformer aux règles communes et les faire prévaloir sur toutes les normes et règles y compris celles issues de nos convictions et/ou de nos interprétations religieuses.

 

Article 3

La Liberté

La liberté est garantie par le principe de laïcité qui permet à chaque citoyen de croire ou de ne pas croire, de pratiquer le culte de son choix et de changer de religion.

Ainsi les signataires s’engagent à ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier « d’apostasie » (ridda), encore moins de stigmatiser ou d’appeler, de manière directe ou indirecte, à attenter à l’intégrité physique ou morale de celles ou de ceux qui renoncent à une religion.

Cela traduit un respect de toutes les opinions et de toutes les expressions admises par la loi et surtout un principe républicain essentiel : la liberté de conscience.

Dieu a donné aux Hommes la Liberté de choisir leurs voies et leurs convictions à l’abri de toute contrainte : « Nulle contrainte dans la religion » (Coran, 2 : 256), et en a fait une expression de Sa volonté : « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi donc de contraindre les gens à croire ? » (Coran, 10 : 99).

Le prosélytisme abusif oppressant les consciences est contraire à la liberté de la raison et du cœur qui caractérise la dignité de l’Homme.

Convaincus que le débat est souvent source d’enrichissement et rempart contre le fanatisme, nous acceptons tous les débats et nous nous opposons à toutes les violences.

 Les signataires s’engagent ainsi à s’inscrire dans le respect de l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Cet article consacre la liberté de pensée, de conscience et de religion.

 

Article 4

L’Égalité

L’islam de France s’inscrit pleinement dans le respect de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen[6].

Les signataires s’engagent ainsi à faire respecter ce principe à travers l’ensemble de leurs activités cultuelles.

Cette Égalité est également consacrée par le corpus islamique : « certes, Nous avons rendu dignes tous les enfants d’Adam » (Coran, 17 : 70).

L’égalité Femme-Homme est un principe fondamental également attesté par le texte coranique : les hommes sont issus d’une même essence ou âme originelle (voir Coran, 4 : 1).

 Nous nous attachons donc à faire respecter ce principe d’égalité conformément aux lois de la République en rappelant aux fidèles, dans le cadre de notre rôle pédagogique, que certaines pratiques culturelles prétendument musulmanes ne relèvent pas de l’Islam.

 

Article 5

La Fraternité

La Fraternité nous engage d’un point de vue religieux. Notre éthique nous invite à observer de la bienveillance envers nos concitoyens, sans distinction. Nous rejetons toute discrimination fondée sur la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’appartenance ethnique, l’état de santé ou le handicap et appelons à ce que tout citoyen puisse être respecté pour ce qu’il est et pour ce qu’il croit.

Toutes les formes de racisme, de discrimination et de haine de l’autre, notamment les actes antimusulmans, les actes antisémites, l’homophobie et la misogynie sont des délits pénalement condamnés. Ils sont également l’expression d’une déchéance de l’esprit et du cœur qu’aucune foi sincère ne saurait accepter.

Partant de la défense de toutes les valeurs énoncées par la présente « charte des principes », les signataires s’engagent, conformément aux lois de la République, à rejeter tous les crimes contre l’humanité.

Il y a au sein de l’islam, des courants et des interprétations qui peuvent diverger : ils ne s’hiérarchisent pas.

Les signataires de cette charte s’engagent à accepter de débattre et d’échanger avec leurs coreligionnaires sans les disqualifier par des jugements théologiques ou politiques dictés par des théoriciens, idéologues ou des États étrangers.

Il est question de lutter notamment contre l’idéologie du takfir, (excommunication), qui est souvent le prélude à la légitimation du meurtre. Nous nous attelons ainsi à éviter la fitna (la discorde) et à privilégier l’échange dans un esprit de mutuelle bienveillance.

De même, nous appelons à faire preuve d’ouverture et à évoquer avec respect le choix de nos concitoyens en matière de conviction ou de religion, et ce au sein de nos lieux de culte avec nos fidèles, comme au sein de nos familles : « À chacun de vous, Nous avons tracé un itinéraire et établi une règle de conduite qui lui est propre. Et si Dieu l'avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même communauté, mais Il a voulu vous éprouver pour voir l'usage que chaque communauté ferait de ce qu'Il lui a donné. Rivalisez donc d'efforts dans l'accomplissement de bonnes œuvres, car c'est vers Dieu que vous ferez tous retour, et Il vous éclairera alors sur l'origine de vos divergences. » (Coran 5: 48).

 

Article 6

Rejet de toutes le formes d’ingérence et de l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques

La présente « charte des « principes », a pour objectif, clairement énoncé, de lutter contre toute forme d’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques et/ou idéologique.

Les signataires s’engagent donc à refuser de s’inscrire dans une quelconque démarche faisant la promotion de ce qui est connu sous l’appellation « islam politique ».[7]

Nous luttons avec détermination contre tout mouvement ou idéologie dont le projet détourne notre religion de son véritable objet et tente de créer des rapports de force et des fractures dans notre société.

Ainsi, nous nous engageons à ne pas utiliser ni à laisser utiliser l’islam ou le concept d’oumma (communauté des croyants) dans une optique politique locale ou nationale ou pour les besoins d’un agenda politique dicté par une puissance étrangère qui nie la pluralité consubstantielle à l’islam.

Nous refusons que les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde. Nos mosquées et lieux de culte sont réservés à la prière et à la transmission de valeurs.

Ils ne sont pas érigés pour la diffusion de discours nationalistes défendant des régimes étrangers et soutenant des politiques étrangères hostiles à la France, notre pays, et à nos compatriotes Français.

Le dévoiement de la religion consistant à instrumentaliser l’islam à des fins politiques doit être rejeté avec force et sans réserve.

Nous affirmons que l’ordre politique demeure séparé de l’ordre du religieux. Aucune de nos organisations, aucun de nos préceptes ne peut avoir pour objectifs de faire valoir en France un traitement différencié pour les musulmans.

Nous prenons l’engagement d’assurer de plus en plus le financement de nos lieux de culte par des financements nationaux. Tout financement provenant de l’étranger émanant d’un État étranger, d’une organisation non gouvernementale, d’une personne morale ou physique doit s’inscrire dans le strict respect des lois en vigueur et ne donne le droit à aucun donateur de s’ingérer, de manière directe ou indirecte, dans l’exercice du culte musulman en France.

Les signataires doivent rejeter clairement toute ingérence de l’étranger dans la gestion de leurs mosquées et la mission de leurs imams.

 

Article 7

L’attachement à la raison et au libre-arbitre

Les objectifs d’une religion contribuent aux valeurs universelles qui fondent l’humanité. Les responsables musulmans, amènent les fidèles à la réflexion et les aident à distinguer dans les sources scripturaires, ce qui est applicable dans le contexte de la société française.

Nous affirmons que toutes les écoles doctrinales de l’islam revêtent la même légitimité et qu’il appartient à chacun parmi les fidèles de se forger sa propre opinion.

Par une adaptation harmonieuse de ces sources universalistes aux réalités de notre pays, nous voulons permettre à toute musulmane et à tout musulman de concilier sa pratique religieuse et son engagement citoyen afin de vivre les deux dans la paix et la sérénité.

Nous nous engageons également à lutter par l’enseignement et la pédagogie contre les superstitions et les pratiques archaïques, notamment celles qui prétendent relever de la « médecine » dite « prophétique » et qui mettent en danger la vie de croyants abusés.

 

Article 8

L’attachement à la laïcité et aux services publics

La neutralité religieuse, un des principes de laïcité, imposée aux agents investis d’une mission de service public, vise à garantir un service équitable aux citoyens indépendamment de leurs convictions religieuses et à lutter contre le prosélytisme religieux.

Les usagers quant à eux, ne sont pas soumis à cette neutralité, mais sont tenus, dans leur expression religieuse, de respecter l’ordre public établi par la loi.

En particulier, nous rappelons le rôle essentiel de l’enseignant dans notre société et l’importance de l’école qui doit être préservée des maux qui touchent la société. En cas de conflits ou de désaccords, le dialogue sera d’abord recherché et en dernier recours les tribunaux, sont habilités à arbitrer les différends.

Afin de préserver la paix civile et la concorde, nous appelons au respect envers tous les citoyens et notamment en direction de celles et ceux qui exercent une mission de service public et d’intérêt général.

 

Article 9

Lutte contre la haine antimusulmane, propagande et fausses informations

Les musulmans de France et les symboles de leur foi sont trop souvent la cible d’actes hostiles. Ces actes sont l’œuvre d’une minorité extrémiste qui ne saurait être confondue ni avec l’État ni avec le peuple français.

Dès lors, les dénonciations d’un prétendu racisme d’État, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation. Elles nourrissent et exacerbent à la fois la haine antimusulmane et la haine de la France.

La diffamation et la propagation de fausses informations sont des délits. Leur interdiction est une exigence morale : « Ô vous qui croyez ! Si un pervers vous apporte une nouvelle, vérifiez-en la teneur, de crainte de faire du tort à des innocents, par ignorance, et d’en éprouver ensuite des remords » (Coran,49 : 6).

Dans notre pays, visé trop souvent par des propagandes qui le dénigrent, des millions de croyants se rendent paisiblement à l’office religieux de leur choix et des millions d’autres s’abstiennent de le faire en toute liberté. Cette réalité qui nous semble normale n’est malheureusement pas celle de nombreuses sociétés du monde d’aujourd’hui.

Nous appelons à ne pas diffuser de livres, fascicules, sites internet, blogs, vidéos, qui propagent des idées de violence, de haine, de terrorisme ou de racisme, sous quelque forme que ce soit. Les courants extrémistes s’appuient sur des concepts belliqueux[8], incitant à la violence et à la sécession dans des discours qui nuisent autant à la société française qu’à l’image de l’islam et des musulmans.

Nous faisons œuvre de pédagogie pour éduquer la jeunesse afin de la protéger des imams autoproclamés qui véhiculent une telle vision de l’islam.

Nous privilégions le corpus français et francophone pour permettre une meilleure assimilation des concepts par les musulmans de France et une plus grande transparence du discours et nous refusons tout discours émanant de l’étranger qui vise, en toute méconnaissance des réalités de notre société, à créer la discorde et à nous diviser.

 

Article 10

Respect de la charte

Les signataires sont conscients que cette charte les engage conjointement et solidairement. Ils en appliquent les principes et les valeurs dans leurs associations respectives.

Si au moins deux fédérations estiment qu’une infraction à la présente charte est commise, elles peuvent décider de l’ouverture d’une enquête contradictoire dont elles définissent le contenu. Après cette procédure contradictoire, une infraction est établie si elle est reconnue par au moins deux tiers des fédérations, par une motivation écrite.

Elle entraîne alors l’exclusion du contrevenant de toutes les instances représentatives de l’Islam de France.

Fait à Paris, le 21 janvier 2021

 

[1] https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/CNV%202021%2026.01%20Avis%20sur%20le%20projet%20de%20loi%20confortant%20les%20principes%20de%20la%20.._.pdf

[2] Gérald Darmanin, Le séparatisme islamiste. Manifeste pour la laïcité, Éditions de l’Observatoire. Février 2021.

[3] Et dans lequel je n'ai, personnellement, pas trouvé beaucoup à redire, mais dont Marine Le Pen a affirmé aussi qu'elle aurait pu le signer. On a rarement atteint une telle confusion dans le débat politique !

[4] Arrêt n° 537 du 19 mars 2013 (12-11.690) - Cour de cassation - Chambre sociale « Cpam de Seine Saint Denis »

 

[5] Comme le rappelle l’article 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, personne ne peut justifier d’un droit légitime pour « se livrer à une activité ou accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la Convention ».

[6] « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits ».

 

[7]Par « islam politique », la présente charte désigne les courants politiques et/ou idéologiques appelés communément salafisme (wahhabisme), le Tabligh ainsi que ceux liés à la pensée des Frères musulmans et des courants nationalistes qui s’y rattachent.

 

[8] Des concepts tels que : al-wala wa-l bara (l’alliance et le désaveu), takfir wa-l hijra (anathème et exil), dar al-harb wa dar al-islam (territoire de la guerre et territoire de l’islam), etc.

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Nouvelles exigences démocratiques


Duralex

Ceci n’est pas une publicité. En tous cas pas une publicité pour une marque de verres réputés incassables mais plutôt une référence aux très anciennes pages roses du Petit Larousse. « Dura lex, sed lex » : la loi est dure, mais c’est la loi. Mais de quelle loi s’agit-il ? Quel est le fondement de cette loi qui s’impose à nous, mais que nous choisissons aussi de respecter ?

Ainsi la réponse à la question « La loi islamique (charia) est-elle plus importante que la loi de la République » a fini par être considérée comme le critère de distinction entre les islamistes (ou partisans d’un islam politique, pour reprendre l’expression de la déclaration du CFCM) et les musulmans respectueux des règles de la laïcité. Et les commentateurs d’en déduire au fil des sondages que l’islamisme augmente en France.

Mais, cette question est mal posée et les conclusions qu’on tire de ces sondages biaisés, car il n’est pas forcément contraire à la laïcité ni dangereux pour la République qu’un croyant considère que la loi de Dieu, ou du moins ce qu’il considère comme telle, est supérieure pour lui aux lois de la République, … à condition que ce ne soit que pour lui et que cela ne le conduise pas à vouloir l’imposer aux autres, et accessoirement, à contrevenir à la loi commune. Ainsi, pour prendre un exemple dans un autre champ que celui de l’islam uniquement : il n’est pas contraire aux principes de la République qu’une femme qui considère que recourir à l’IVG est un péché ne le fasse pas. Toute autre est la mise en place de commandos anti-IVG qui empêchent celles qui le souhaitent de le faire, ou même l’interdiction par les parents ou par le géniteur d’y recourir.

Mais ce critère de distinction fondamental et assez simple, entre la loi civile et républicaine qui seule, dans une démocratie, peut s’imposer à tous, et la loi morale ou religieuse qui ne peut relever que de choix personnels même s’ils sont portés par des communautés, se révèle néanmoins insuffisant pour régler tous les conflits potentiels entre les divers ordres législatifs car ils ne relèvent pas tous du for intérieur.

« La loi de la pesanteur est dure, mais c’est la loi » chantait Brassens, nous rappelant que nous sommes d’abord soumis, et ce n’est pas un choix, aux lois de la nature, et aussi que les lois religieuses, mais aussi civiles, ne peuvent non plus aller à leur encontre. Ceci n’est pas une vue de l’esprit quand celles-ci remettent en cause la loi de la gravitation universelle, avec le platisme, la loi de l’évolution, avec le créationnisme, ou encore les lois de la génétique avec le lissenkisme soviétique. Mais ce critère peut lui aussi atteindre ses limites, quand c’est au seul motif du respect d’une nature sacralisée, que l’on refuse les évolutions techniques, comme par exemple la vaccination, ou qu’on assimile à des lois naturelles le résultat de nos comportements collectifs, comme avec cette fameuse « loi du marché », qui serait supposée s’imposer à tous, alors que ce marché est lui-même une institution humaine. Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes renvoyés à une réflexion éthique, qui s’enracine nécessairement dans une forme de spiritualité (que certains appellent valeurs), qui peut ensuite trouver un débouché législatif, comme en matière de bio-éthique.  D’ailleurs c’est à ce titre que des représentants des différentes familles spirituelles participent à ces réflexions éthiques préalables à l’exercice législatif dans ce domaine, et on se prend parfois à espérer qu’une telle réflexion précède aussi les législations économiques et sociales ou environnementales.

Mais là encore, cela ne règle pas tous les conflits potentiels entre la loi religieuse, ou l’éthique personnelle, et la loi civile. Dans une société libérale où « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé «, la loi le plus souvent se contente d’interdire ou d’organiser une liberté (comme le fait la loi de 1905 pour la liberté de culte), de sorte que celle-ci ne vienne pas empiéter sur la liberté des autres. Elle punit aussi ceux qui transgressent la loi. Plus rarement elle prescrit, comme c’est le cas pour l’obligation scolaire, l’obligation vaccinale, ou autrefois pour le service militaire masculin. La question, quand l’obligation se révèle contraire aux convictions personnelles, est alors celle de l’objection de conscience, question éthique difficile quand l’obligation légale vise au bien commun, que ce soit la résistance aux épidémies, la sécurité collective, ou la transmission des savoirs nécessaires à la vie collective et à l’exercice de la citoyenneté. Au-delà de l’objection individuelle, la loi, qu’elle interdise ou qu’elle s’y refuse, qu’elle organise ou qu’elle prescrive, peut aussi se révéler contraire à l’idée que l’on se fait de l’humanité, des droits des humains voire de leurs obligations. C’était le cas des lois nazies vis à vis des juifs ou des handicapés par exemple, et sans passer « le point Godwin », on peut toujours craindre que nos démocraties dérivent dans ce sens. Bien sûr, la possibilité qui s’est généralisée dans les démocraties de contester la loi devant les hautes juridictions, permet d’offrir une possibilité de faire prévaloir des principes de valeur supérieure, comme l’a fait récemment le Conseil constitutionnel en reconnaissant que les principes de fraternité pouvaient s’opposer à l’application littérale d’une loi. Mais, et dans ce cas c’est ce qu’il a légitimé, l’opposition à la loi ne relève plus de la seule objection individuelle, mais de la désobéissance civile, forme d’action qui revient aujourd’hui à l’ordre du jour, que ce soit par exemple sur la question des réfugiés ou la question environnementale. Mais question éthique plus délicate encore, et en même temps essentielle si la loi se révèle illégitime. Mais au nom de quoi apprécie-t-on cette légitimité ? « Le bien seul est une fin » répond Simone Weil. Mais qui définit le bien, et comment ? « La morale se fonde non sur tel ou tel croyance, religion ou système, mais sur cet absolu qu’est la relation de l’homme à l’homme dans le dialogue », répond Marcel Conche, repris par Paul-Henri Tavoillot dans son récent « Guide éthique pour les temps incertains »[1].

Ceci n’est pas une conclusion. Mais plutôt une ouverture à une question qui est au cœur de notre « quête de l’esperluette », et qui en valide la démarche : pas de démocratie vivante sans spiritualité pour l’inspirer, mais pas non plus de spiritualité ouverte sans l’expérience de l’échange avec l’autre.

Daniel Lenoir

[1] Pierre-Henri Tavoillot La morale de cette histoire. Michel Lafon, octobre 2020

 

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Résonances spirituelles face aux défis contemporains

 

Invitation à un « travail de Carême »

Chronique hebdomadaire de Bernard Ginisty du 19 février 2021

 

Toute grande tradition religieuse propose régulièrement des exercices pour que la démarche spirituelle ne reste pas individualiste, intellectuelle ou sentimentale, mais s’incarne dans le corps et dans la vie sociale.  Dans les pays occidentaux, ces exercices spirituels sont peu à peu tombés en désuétude. A cette période de l’année, les chrétiens sont invités à entrer dans un temps de Carême.  Il y a belle lurette que le Carême n’évoque plus qu’un temps vague entre les fêtes de Carnaval et les ruées de Pâques sur les routes. L’occidental a inventé la notion de « croyant non pratiquant » qui lui permet de s’assurer un vague horizon spirituel, cerise sur le gâteau de ses consommations, sans se risquer à la moindre épreuve qui engage l’être humain dans toutes ses dimensions.

 Certes, ce qu’on appelle la « pratique religieuse » a souvent versé dans le formalisme, le juridisme, la soumission aux hiérarchies et la perte de la signification symbolique des rituels.  Mais il n’en reste pas moins vrai que nous sommes malades de ces séparations. Cet évitement de l’incarnation d’une foi dans le corps et la vie sociétale réduit peu à peu le spirituel au marché du New Age.  Il conduit par ailleurs à suspecter de fondamentalisme tout groupe humain qui, à travers des nouveaux rapports aux rythmes du temps et à l’acte de produire et de consommer, tente de vivre une autre cohérence que celle de l’exacerbation marchande du désir. Dans nos sociétés démocratiques, il est sain et normal que les autorités sanctionnent les infractions aux lois de la République.  Mais pas au prix d’une paranoïa qui voit une secte dans toute création collective pour sortir de la religion dominante de l’individu réduit à sa fonction de producteur et de consommateur.

Pour éviter qu’une pratique religieuse ne verse dans le ritualisme, elle doit se traduire dans l’ouverture à autrui. L’idée de partage est indissociable d’une authentique recherche spirituelle. Une des maladies de nos sociétés réside dans la séparation ente ceux qui, au nom de l’engagement politique, ont considéré toute démarche spirituelle comme ce que Marx appelait « le soupir de l’âme accablée » et ceux qui, au nom de leur recherche spirituelle, se sont abrités des remous du monde et de la société. Pour le chrétien, l’épreuve de la relation à l’autre, qui s’appelle « charité », reste le critère fondamental. Dans une de ses phrases fulgurantes dont il a le secret, Pascal écrit : « Tout ce qui ne va pas à la charité est figure » (1). Le vocabulaire courant a édulcoré ce qu’il y a de plus radical dans ce mot de « charité ». Il ne s’agit pas d’un altruisme plus ou moins facultatif, mais de la radicalité ontologique de l’être humain perçu dans une filiation et une fraternité première.  Cette radicalité s’exprime ainsi dans la Ière Épitre de Jean : « Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort dans la vie, puisque nous aimons nos frères. Qui n’aime pas demeure dans la mort » (2).

 Il y a quelques années, dans le désert de Mauritanie, un ami musulman soufi m’a donné ce texte de sa tradition qui exprime ce lien fondamental entre recherche spirituelle et engagement dans la fraternité humaine. Il me parait particulièrement adapté pour un authentique « travail de carême ».

« Cherche-toi, jusqu’à ce que tu te trouves

Puis quitte-toi lorsque tu te seras trouvé

Car si la connaissance ne t’enlève pas à toi-même pour être dans la fraternité,

Alors, il vaut mieux rester ignorant ».

 

(1)       Blaise PASCAL : Pensées in Œuvres complètes, Éditions La Pléiade, Gallimard, 1954, page 1274

(2)       1ère Épitre de Jean, 3, 14

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Libres Propos

La Rédaction de la LETTRE ouvre cette rubrique aux membres de D&S qui veulent contribuer aux débats. Ces libres propos ne représentent pas l’opinion de la rédaction ni de l’association Démocratie & Spiritualité mais de leurs auteurs qui sont seuls responsables de leur texte.

Une loi défensive qui aura du mal à conforter nos principes républicains

Une politique publique vigoureuse et claire est nécessaire pour affronter les problèmes que sont le séparatisme islamiste, les fractures sociales avec des quartiers devenant des ghettos et les difficultés d’éduquer à l’école des jeunes, en particulier des garçons, qui rejettent certains principes de la République, dont la laïcité en particulier. 

Face à ces problèmes, le président et le gouvernement n’arrivent pas à définir une politique d’ensemble cohérente qui permettrait de promouvoir le vivre ensemble de tous les Français en adaptant l’appareil de l’État et sa législation à cette nouvelle donne, mais aussi qui mobiliserait citoyens, collectivités locales, société civile, animateurs sociaux et éducatifs pour coopérer avec lui pour y arriver.

Compte tenu de ce qui précède, la loi pour conforter les principes républicains peut être perçue comme une approche positive à intégrer dans une politique restant à préciser et compléter ou une loi défensive, fourre-tout, manquant de moyens pour l’appliquer, ce qui risque d’avoir plus d’effets négatifs que positifs.

Parmi les arguments justifiant la loi en débat, les principaux me semblent être les suivants :

-          l’opinion attend une loi contre le séparatisme islamiste (voir sondage du 5 février indiquant que 81% des Français sont pour cette loi) ;

-          il était urgent que l’État affronte les problèmes posés par l’islamisme, par le statut des islams en France et par l’adaptation de la loi de 1905 face à la montée en puissance de la seconde religion de France ;

-          cette loi s’inscrit en complément de la très importante charte des principes de l’islam de France approuvée par la majorité des fédérations du Conseil français du culte musulman ;

-          certains des articles de la loi devraient permettre d’amorcer le règlement de problèmes réels : l’islam consulaire, la formation et la nomination des imams, le statut et le contrôle des associations cultuelles musulmanes, la neutralité des services publics, la protection des fonctionnaires menacés par les intégristes et des citoyens attaqués sur les réseaux sociaux s’ils critiquent l’islam, les écoles intégristes hors contrat, etc. ;

-          la loi est une étape pouvant permettre aux musulmans de bonne volonté de construire un islam de France prenant en compte les réalités et la complexité de la société française.

Parmi les arguments critiquant la loi en débat, les principaux me semblent les suivants :

-          il s’agit d’une loi plus défensive et répressive, voir liberticide, que constructive et mobilisatrice des parties prenantes ;

-          son objet a varié, allant de la lutte contre le séparatisme islamiste à la défense des principes républicains en passant par l’actualisation de la loi de 1905 compte tenu du poids de l’islam en France ;

-          elle s’inscrit mal dans l’esprit de la loi de 1905 qui était une loi de liberté, d’où des accusations justifiées d’en faire une loi répressive, augmentant les contrôles sur les associations cultuelles de toutes les religions ;

-          elle ouvre la boîte de Pandore pour les partisans d’une laïcité autoritaire qui n’ont pas compris que la loi de 1905 ne renvoie pas les citoyens qui croient en Dieu à la sphère privée pour exprimer leurs opinions et défendre ce que leur conscience leur dicte ;

-          elle relève d’une approche concordataire pour l’islam, avec les risques de stigmatiser tous les musulmans et donc d’avoir un effet inverse à celui de leur intégration apaisée dans une république neutre à leur égard ;

-          la loi aborde de façon limitée et biaisée les principes républicains que sont la liberté en étant surtout répressive, l’égalité en pouvant apparaître comme stigmatisant les musulmans, la fraternité en ne désignant pas nettement ceux qui sont visés du fait qu’ils ne sont pas fraternels avec tous leurs concitoyens. 

Maintenant que le débat sur la loi est lancé, il faut espérer que les parlementaires arriveront à l’améliorer[1] et seront capables ensuite d’exiger du gouvernement qu’il inscrive cette approche juridique dans une politique d’ensemble cohérente favorisant le vivre ensemble ; ceci nécessitera qu’elle soit complétée par un volet social et un volet éducatif.

Jean-Claude Devèze

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Culture – Art, littérature

Sous le titre « Révolution spirituelle », notre ami Abdennour Bidar vient de publier un long poème, une sorte de chant méditatif appelant à une révolution à la fois spirituelle et politique. Avec son aimable autorisation, nous reprenons ici le prologue de ce texte.

 

[Le Chœur]

 

Oyez, oyez, Résistants !

 

Voici venu le temps

De vous battre

Jusqu’à l’abattre

Contre ce système devenu dément,

Qui s’en prend à tous les vivants,

Qui détruit tout impitoyablement.

 

Mais c’est jour de colère,

Vous ne laisserez pas faire !

 

Et vous vaincrez,

Je vous le promets,

Grâce à votre foi irrésistible

En un autre possible !

 

Révolution !

 

Révolution !

Dans toute la civilisation !

 

Révolution politique !

Révolution métaphysique !

 

Révolution spirituelle

De vos âmes rebelles

Portées par l’énergie

De l’Esprit infini

Qui est en elle !

 

Mais comment réveiller en vous cet Esprit ?

Je m’en vais vous le dire un peu ici …

 

Abdennour Bidar

Révolution spirituelle ! (Prologue)

Editions Almora, Paris, 2021

 

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Notes de lecture

 

François Jullien :Ressources du christianisme (mais sans y entrer par la foi) : Ed. L’Herne ; 2018

François Jullien, philosophe, helléniste et sinologue, commence par justifier l’intérêt qu’il porte ici au christianisme par la question : Qu’a-t-il apporté à la pensée occidentale qui n’existe ni dans la pensée grecque, ni dans la pensée chinoise ? Sans y entrer par la foi parce que la question de savoir si “Dieu” existe ou non lui paraît n’avoir plus d’effet dans la pensée contemporaine.

Il justifie ensuite le terme de ressources qu’il utilise en l’opposant à valeurs : les valeurs s’excluent réciproquement : on doit donc les défendre ; les ressources, elles, sont à explorer : il peut y avoir un usage à en tirer. Elles ne sont pas davantage des racines : racine est identitaire, s’oppose au déplacement, tandis que ressource appelle au partage, au changement. Enfin, d’une ressource, ouverte à tous, qu’on est libre d’exploiter ou non, rien n’oblige à tout prendre.

Ressource, par ex., le fait que le message du Christ soit annoncé dans une langue, le grec, autre que celle que le Christ parlait. Et également, qu’il n’y ait non pas un mais quatre Évangiles, qui ne sont pas des variantes d’un même récit mais quatre démarches parallèles, chacune ayant son propre point de vue. Ces écarts qui fissurent le cadre de pensée qui contraint notre vision du monde, ouvrent à un questionnement et un dépassement permanent.

F. Jullien choisit de suivre ici l’Evangile de Jean :

Dans le premier chapitre, le même verbe s’y rencontre à plusieurs reprises (que les traducteurs s’ingénient à traduire chaque fois différemment, gommant ainsi l’insistance de Jean) ; il s’agit de devenir, au sens d’advenir. Jean soutient qu’un événement peut advenir qui ouvre un avenir non déjà contenu dans le passé. Les Grecs avaient bien pensé le devenir mais comme une dégradation. Jean dit au contraire que l’événement peut tout changer, qu’il peut faire entrer dans une autre vie, qu’on n’imaginait pas, et que, quand il est à ce point décisif, le plus souvent, de l’extérieur, on ne le voit pas. Cet inimaginable, cet “inouï”, qui passe inaperçu, c’est la « vie » (zôé).

Mais de quelle vie s’agit-il ? Qu’est-ce qu’être vivant ? Jean distingue le simple « être-en-vie », psuché, (la vie biologique, le fonctionnement social..., aujourd’hui objets de sciences), de ce qu’il nomme « vie », zôé, distinction malheureusement perdue dans les traductions : « Qui aime sa vie (psuché) la perd ; qui hait sa vie (psuché) en ce monde la garde pour en faire une vie (zôé) qui ne meurt pas. » Avoir en soi « la vie » (zôé), la vie surabondante, est, selon Jean, ce qui définit Dieu et son Fils. L’un et l’autre rendent vivant ; et c’est le but proposé à toute existence humaine. Comment puis-je être pleinement vivant ?

« Une telle promotion de la vie, écrit F. Jullien, n’est pas celle d’une vie intensive, telle celle qu’a célébrée notre modernité. Mais ce que l’on pourrait nommer une vie extensive, en tant qu’elle se donne et qu’elle se partage, ne se garde pas pour soi, mais se dévoue à l’Autre, ce qui devient à partir de là, dans Jean, la figure de Jésus vivant en mourant sur la croix pour la vie des autres. »

Continuant sa réflexion sur « la vie », F. Jullien introduit alors une notion qu’il a développée ailleurs, celle de dé-coïncidence. Dé-coïncider, c’est s’extraire d’un fonctionnement huilé bien adapté pour permettre à des possibles qui n’y avaient pas place d’y advenir et à la vie psuché d’accéder à zôé. C’est, par ex., en se trouvant déplacé d’une relation confortable où on se connaît et se convient bien, pouvoir à nouveau rencontrer l’Autre et rendre vivant son rapport avec lui. F. Jullien montre comment Jésus, dans l’échange avec ses interlocuteurs, utilise la dé-coïncidence pour défaire leurs évidences et les amener à changer de perspective.

« Je suis la voie, la vérité, la vie » dit Jésus : le chemin vers la « vie » est la vérité. Mais de quelle vérité s’agit-il ? Pas de la vérité spéculative, scientifique ou philosophique, qui relève de l’avoir (la connaissance) et doit être démontrée mais d’une vérité qui fait vivre, qui relève de l’être et ne peut qu’être témoignée. Parce qu’il dépasse toute imagination, l’inouï que l’évangile de Jean veut donner à entendre, ne saurait être inventé : on ne peut donc qu’en témoigner. C’est cette vérité témoignée qu’atteste Jean, un témoignage qui engage le sujet.

Du sens juridique que vérité a dans le monde juif comme grec et romain, on passe à un sens existentiel. Cette vérité dont il lui faut témoigner, envers et contre tout, requiert le sujet dans son “ipséité” (ce qui fait qu’il est unique). Ipséité s’oppose à identité. Dans Jean, Jésus est souvent interrogé sur son identité, ce qu’il est du point de vue des autres, et, chaque fois (dé-coïncidence), il répond sur son ipséité, ce qu’il est en lui-même.

« Existence : en se tenant hors du monde, habiter l’Autre. » On a reproché à Jean de calomnier ce monde dans lequel nous vivons, le seul réel, au profit d’un autre monde, illusoire : « Le monde me hait », « ses œuvres sont mauvaises » ...  Mais Jean ne dit pas qu’il en existe un autre. Et ne peut-on entendre dans « ne pas être de ce monde », “dé-coïncider” du monde ? Un sujet, dès lors qu’il dit « je », dévoilant son ipséité, dé-coïncide nécessairement d’avec le monde et, par là-même, « ex-siste » et peut témoigner – à l’encontre des contraintes que peut exercer sur lui le monde, ne serait-ce que de son jugement. C’est ce qui lui confère sa dignité de sujet. Et la confère à l’Autre en même temps. Car il n’est de « Tu » face à soi, que non inféodé à ce monde. Sinon, la rencontre est impossible. « Il faut donc, pour comprendre Jean, articuler la capacité existentielle à se tenir hors du monde et la capacité éthique à se tenir près de l’Autre (en l’Autre dit Jean). » À partir de là, F. Jullien développe une passionnante exégèse, dans Jean et Paul, de agapé (traduit tantôt par amour, tantôt par charité), l’amour expansif, opposé à l’amour possessif, qui se termine ainsi : « L’accomplissement et le plein déploiement de l’amour ne s’achèvent, en effet, qu’après la mort de l’Autre. Ce qui vaut d’abord à l’égard du Christ, sur quoi se fonde le « christianisme » dans son histoire. Sans qu’il y ait à croire à la résurrection, mais par écart d’avec le vital de sa vie, c’est seulement après sa mort que l’Autre – tout Autre – commence d’être pleinement aimé de cet amour expansif. » Affirmation finale qui interroge.

 

Ce résumé simplificateur est loin de rendre compte de la richesse de l’ouvrage de F. Jullien. Physicienne expérimentatrice non formée à la philosophie, j’ai laissé de côté la plupart des citations bibliques, les nombreuses comparaisons argumentées avec la philosophie grecque et la pensée chinoise, avec les épîtres de Paul et d’autres auteurs (j’en ai sans doute gommé ce qui en fait l’intérêt théorique). J’ai retenu ce qui trouvait un écho dans mon expérience et éclairait la façon dont je peux la penser : que l’homme dépasse ce que lui-même peut en connaître, que vivre n’est pas simplement bien fonctionner, que la vie est relation (aux autres, aux choses...), qu’il est nécessaire de sortir de ses conditionnements ou simplement de ses habitudes pour rencontrer l’autre (en particulier d’une autre culture), que l’amour “extensif”, la bienveillance qui se propose a priori dans toute relation et lui donne vie, est ce qui “sauve” nos vies, que la figure du Christ dans les Evangiles, jamais figée, est une source active d’inspiration et d’autant plus qu’elle est librement partagée avec d’autres, etc.

D’autres y trouveront beaucoup d’autres « ressources ».                                  Françoise Levesque

 

 

Leçons d’une pandémie par deux « Frères d’âme ».

Chronique de Bernard Ginisty du 12 février 2021

 Le journaliste Denis Lafay, directeur de la collection Le Monde en soi aux éditions de l’Aube, a eu la très bonne idée de réunir deux penseurs et acteurs particulièrement créatifs. Pendant cinq heures, Edgar Morin, auteur d’une œuvre majeure pour analyser les fractures de la modernité et Pierre Rabhi, agro écologiste, militant pour un sursaut des consciences face aux périls qui menacent la nature et l’humanité vont s’entretenir avec Denis Lafay pour analyser la crise mondiale due au corona virus (1).

 

Ils s’expriment d’abord pour dire comment ils ont vécu l’épreuve du premier confinement. « Pendant cette période, déclare Edgar Morin, j’ai été, peut-être comme jamais, confiné physiquement ; mais, peut-être comme jamais aussi, je ne me suis senti déconfiné psychiquement. Pendant cette période, j’étais constamment ouvert sur le monde, ou plutôt le monde pénétrait en moi. Ce fut l’occasion d’une activité permanente qui a eu pour conclusion la publication del’ouvrage : « Changeons de voie, les leçons du coronavirus », que j’ai rédigé avec mon épouse Sabah Abouessalam » (2). De son côté, Pierre Rabhi décrit ainsi son état d’esprit : « Le monde entier est focalisé sur ce coronavirus meurtrier, mais l’être humain détruit bien plus d’êtres humains ! (…) Chaque jour, il meurt dans le monde vingt-cinq mille personnes (selon les Nations Unies) victimes de la famine, presque l’équivalent du nombre de décès en France dus au corona virus depuis le début de la pandémie. Cessons de distraire les âmes et les consciences d’une réalité qui fait mal et les confronte à leurs agissements » (3).

 

Des « leçons » qu’ils tirent de cet évènement, j’en retiendrai deux. Celle d’Edgar Morin sur l’art de vivre dans l’incertitude : « L’obsession de maîtriser le futur en contrôlant les facteurs d’imprévisibilité est aussi inepte que délétère. Se camoufler, occulter le caractère incertain de l’aventure humaine est une illusion, et la pandémie de Covid 19 sert peut-être à faire prendre conscience que l’incertitude ne résulte pas seulement d’un virus, mais est liée aussi à l’avenir et au destin de l’homme. Tout bien sûr n’est pas qu’incertitude ; (…) C’est pourquoi j’aime à dire que la vie consiste en une navigation dans un océan d’incertitude, au milieu duquel apparaissent des ilots de certitudes où l’on se ravitaille en poursuivant sa route » (4).

 

Pierre Rabhi, constatant les désastres causés par la juxtaposition de savoirs parcellaires, insiste sur la nécessité de retrouver ce que le philosophe Emmanuel Levinas appelle « la sagesse de l’amour ». « Cessons de confondre aptitudes et intelligence, et œuvrons à éveiller l’humanité à prendre conscience qu’elle partage un destin et un sort communs, que chaque mal ou bien se répercute universellement. (…) Nous appartenons à une seule et même espèce, chaque autre est frère et le temps est venu de créer une convivialité planétaire. Prendre conscience qu’il faut additionner « ce » que l’on s’évertue à mettre en rivalité, à marchandiser ou à retrancher. Et cela en faisant sien cet enseignement du Christ, mais qui est universel, œcuménique : « il n’y a que l’amour qui peut changer le cours de l’humanité ». Voilà le retournement auquel, au plus profond de mon cœur et de mon âme j’aspire » (5).

 

Nous sommes invités à résister, écrit Edgar Morin, aux deux barbaries qui menacent l’humanité, « la vieille barbarie venue du fond des âges de la domination, de l’asservissement, de la haine, du mépris qui déferle de plus en plus dans les xénophobies, racismes se généralisant en guerres au Moyen-Orient et en Afrique, et la barbarie froide et glacée du calcul et du profit, qui elle-même prend les commandes dans une grande partie du monde » (6).

 

(1) Edgar MORIN et Pierre RABHI : Frères d’âme, entretien avec Denis LAFAY, éditions de l’aube, 2021, 170 pages, 17,60 euros.

(2) Id. page36. Cf. Edgar MORIN avec la collaboration de Sabah ABOUESSALAM : Changeons de voie. Les leçons du coronavirus, éditions Denoël, 2020, 150 pages, 14,90 euros.

(3) Id.pages 40-41.

(4) Id. page 143.

(5) Id. pages 168-169.

(6) Edgar MORIN :Changeons de voie, op.cit. pages 22-23.

  

Note sur les auteurs

 

Edgar MORIN est né en 1921, sociologue et philosophe, directeur de recherche émérite au CNRS, récompensé par trente-huit doctorats honoris causa est l’auteur d’une soixantaine d’ouvrages. Dans son dernier ouvrage, il se définit ainsi : « Finalement, je suis l’enfant de toutes les crises que mes quatre-vingt-dix-neuf ans ont vécues. Le lecteur peut comprendre maintenant que je trouve normal de m’attendre à l’inattendu, de prévoir que l’imprévisible peut advenir. Il comprendra que je craigne les régressions, que je m’inquiète des déferlements de barbarie et que je détecte la possibilité de cataclysmes historiques. Il comprendra aussi pourquoi je n’ai pas perdu l’espérance. Il comprendra donc que je veuille éveiller, réveiller les consciences en consacrant mes ultimes énergies à ce livre » (Changeons de voie, op.cit. page 23). Sabah ABOUESSALAM est sociologue urbaniste, directrice scientifique de la chaire Unesco Complexité et Territoire

Pierre RABHI, né en 1938, vit dans l’Ardèche. Agriculteur écologiste, essayiste, conférencier, il est l’initiateur du mouvement des Colibris : « Je me sens être un résistant à double titre. D’une part je n’adhère absolument pas à l’ordre qui est établi aujourd’hui dans la société, d’autre part je ne me limite pas à être « seulement » indigné et j’essaye, à mon niveau, de « proposer » et de « faire » » (Frères d’âme, op.cit. page 69).  

 

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ECHOS

Lors du séminaire « sol invictus » de début d’année, nous avons souhaité donner dans cette rubrique des nouvelles des différents groupes de travail de D&S. Ce mois-ci, trois groupes :

-          Le groupe Laïcité & Spiritualité

-          Le groupe « Ressources spirituelles dans l’exercice des responsabilités »

-          Le groupe « inter-convictionnalité »

 

Définitions proposées pour aborder des thèmes en débat au groupe Laïcité & Spiritualité de D&S

• Le groupe Laïcité & Spiritualité se donne pour objectif de rédiger un texte sur la relation croisée entre la laïcité et la spiritualité dans notre histoire française, contemporaine et actuelle.

• Trois sous-groupes ont été constitués et travaillent en ce sens. Le premier présente des définitions pour aborder ces thèmes. Le deuxième se propose d’aborder la question de l’enseignement des fait religieux à l’école (bilan et perspectives). Le troisième travaille spécifiquement sur les relations entre laïcité et islam, sujet aujourd’hui au cœur des préoccupations gouvernementales et citoyennes.

• Pour être féconds et éviter les malentendus, les échanges et débats commencés au sein du groupe Laïcité et Spiritualité s’appuient sur des définitions communes de mots-clefs liés aux cinq problématiques du glossaire ci-dessous.

• Cet essai de définitions pourra être soumis à controverses, vu la complexité de sujets qui nécessitent des regards croisés et des approches interdisciplinaires. En revanche, il pourra être déjà utile à ceux et celles qui cherchent à clarifier leur position et à débattre en approfondissant des désaccords.

• En lisant ce glossaire, les lecteurs de La Lettre peuvent se poser les questions suivantes :

• Est-ce que je m’y reconnais ?

• Des définitions me posent-elles problème ? Dans l’affirmative, quelle définition alternative en donnerai-je ?

• Merci d’avance d’adresser vos retours au secrétariat de D&S : ds.secretariat@gmail.com, qui les transmettra aux rédacteurs.

Marcel Lepetit

 

(1) Caricature, blasphème, libertés de conscience et d’expression

 Blasphème : Parole ou discours qui est considéré comme outrageant par des croyants pour leur divinité ou par extension pour leur courant spirituel ou pour leur religion ou pour ce qui est vénéré ou considéré comme sacré.

Définition simplifiée : Parole ou discours qui sont considérés comme outrageant une « divinité » respectée ou une religion.

Caricature : Représentation souvent grotesque, en dessin, en peinture, etc., obtenue par exagération ou déformation des traits caractéristiques d’une personne, comme son visage ou les proportions du corps, par des bulles d’expression, dans une intention humoristique, satirique ou visant à ridiculiser.

Liberté de conscience : Droit individuel, qui peut aussi avoir des traductions collectives, reconnu comme la possibilité de croire, de changer de croyance ou de ne pas en avoir. Elle résulte de l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, repris dans la déclaration universelle (article 18), et est affirmée par l’article 1er de la loi de 1905.

Liberté d'expression : Droit pour toute personne de pouvoir exprimer ses opinions par tous les moyens qu'elle juge opportuns, dans tous les domaines de la pensée, de la politique, de la philosophie, de la religion, de la morale, etc.

Commentaires :

Le blasphème a été considéré comme un crime en France jusqu’à la Révolution et a définitivement disparu du code pénal avec la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

La liberté de conscience est un droit individuel fragile et résilient, jamais acquis et toujours à défendre. Affirmé par l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (et reprise dans l’article 19 de la déclaration universelle), elle n’est pas, au moins en France, sans limite et s’exerce dans le respect de la loi et de l’ordre public, en s’interdisant notamment l'incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale (infractions punies par la loi). Au niveau international, la période de consensus autour de l’universalité de cette notion est relativement courte (de l’après 2ème guerre mondiale à la fin de années 1960). Depuis les années 1970, elle est souvent considérée comme une « liberté occidentale ».

La façon d’aborder la liberté de conscience et d’expression est liée aux contextes culturels, religieux, politiques qui sont très divers dans le monde (la législation de 84 pays condamne par exemple le blasphème). La liberté d’expression doit s’exercer dans le respect d’autrui comme de la loi ; sa pratique est aussi à examiner par apport à la profession exercée (liberté pédagogique du professeur, liberté médiatique du journaliste, obligation de réserve des fonctionnaires, …), ce qui renvoie à la responsabilité et à la déontologie/éthique de chaque profession.

 

(2) Islam, islamisme, islamisation

Islam : Religion des musulmans, de ceux qui adhèrent au message de Muhammad, avec un « i » minuscule pour la distinguer de l’Islam qui est la civilisation qui caractérise le monde musulman.

Islamisme : Mot utilisé autrefois par certains pour désigner la religion musulmane, donc l’islam, par assimilation au christianisme ou au judaïsme. Le mot désigne aujourd’hui les courants de pensée musulmans, apparus au XXe siècle, qui veulent traduisent le message religieux en message politique (comme le faisait la chrétienté après l’empereur Constantin). L’islamisme regroupe diverses approches complémentaires ou concurrentes, celle faisant de la charia la source unique du droit et du fonctionnement de la société, celle d’instaurer un État musulman, celle d’une religion fondamentaliste, celle de conversion ou d’élimination des « impies ». L’islamisme, dans son sens de théorie politique, génère des islamistes qui peuvent utiliser des moyens d’action divers, du prosélytisme à la violence terroriste, pour convertir à leurs vues ceux qu’ils peuvent influencer en développant des phénomènes communautaires excluants, voire séparatistes.

Islam politique : « Il désigne les courants politiques et/ou idéologiques appelés communément salafisme (wahhabisme), le Tabligh ainsi que ceux liés à la pensée des Frères musulmans et des courants nationalistes qui s’y rattachent » [1].

Islamisation : Processus menés par des islamistes pour islamiser une culture, une population, un régime politique, etc. L’expression est particulièrement utilisée pour les quartiers qui ont été parfois qualifiés de « territoires perdus de la République ».

Djihadisme : Terme issu de djihad, guerre sainte (expression qui peut selon certaines interprétations de l’islam viser une démarche spirituelle : djihad intérieur). Ce mot s’applique aux terroristes qui veulent imposer l’islam par la violence et la guerre, appelés djihadistes.

Islamophobie : terme qui vise une forme de dénigrement, de racisme et de discrimination à l’égard des musulmans ou des personnes issues de pays de culture musulmane (Maghreb notamment en France), mais qui a été instrumentalisé par les islamistes pour viser toute critique de l’islam.

Commentaires : Le rôle et la place de l’islam et des musulmans peut être abordé sous de nombreux angles comme les suivants : sur le plan religieux, l’évolution des islams et les problèmes posés par leurs différences et leurs crises ; sur le plan culturel, l’imposition de comportements et de règles qui seraient dictés par la religion ;  sur le plan politique, les diverses articulations avec les religions,  les manœuvres géopolitiques des États « musulmans », les dérives terroristes et djihadistes, etc. ; sur le plan social, les relations et interactions entre musulmans et non musulmans (voir les problèmes posés par la crainte de l’islam, des migrations, du communautarisme, etc.) ; sur le plan éducatif, les modes d’enseignement de leur religion aux musulmans et la (mé-)connaissance de l’islam par les non musulmans.

L’usage du mot islamisme, qui évolue beaucoup, reste contesté par ceux qui assimilent le mot islamisme à christianisme. Pour certains, l’islamisme désigne seulement ce que le CFCM l’islam politique. Pour promouvoir celui-ci, depuis les années 1920 en Égypte, le mouvement des Frères musulmans a cherché à jouer d’une approche théocratique pour idéologiser l’islam[2] ; il a été rejoint par d’autres mouvements qui ont aussi joué des registres scripturaires, juridiques, historiques, philosophiques, culturels pour chercher à imposer leur approche.

 

(3) Laïcité, neutralité, respect

Laïcité : « La laïcité garantit la liberté de conscience. De celle-ci découle la liberté de manifester ses croyances ou convictions dans les limites du respect de l'ordre public. La laïcité implique la neutralité de l'État et impose l'égalité de tous devant la loi sans distinction de religion ou conviction »[3].

Définition simplifiée :Protection et organisation de la liberté de conscience et de culte dans le cadre de la loi d’un État non confessionnel[4].

Neutralité : Position de quelqu'un, d'un groupe, d’un État qui ne se prononce pour aucun parti pris, cherchant à adopter une position de surplomb, notamment quand il s’agit de gérer les conflits en respectant toutes les parties concernées. Le principe de laïcité entraine la neutralité, - qui en est le corolaire, mais avec laquelle on la confond souvent -, de la République et des institutions qui l’incarnent (État, collectivités territoriales et services publics) sur la question religieuse et, par voie de conséquence l’interdiction pour les agents concernés de manifester leurs convictions par leurs propos et par des signes visibles dans l’exercice de leurs fonctions.

Respect : Attitude de considération, d'égard que l'on peut avoir envers une personne ou un groupe ou quelque chose qui peut être considéré comme sacré. Respecter quelqu'un, c'est faire attention à ce qu'il peut ressentir, avoir de la considération pour lui, accepter ses différences, même si on n'est pas d'accord avec lui ou avec ses idées. Le « respect des croyances » est visé par l’article 1er de la Constitution.

Radicalisation : Fait, pour un individu ou un collectif, d’adopter un comportement extrême, dur, sévère, intransigeant par rapport aux normes auxquelles il considère devoir se soumettre. Il s'agit d'un processus dynamique, progressif ou brutal de glissement qui place l’individu ou le collectif à l’écart par rapport à un ensemble de normes (personnelles et sociales).

Commentaires : La laïcité se manifeste sous diverses formes dans toutes les régions du monde – même si le mot peut être inconnu ou sa traduction poser problème -, la France étant spécifique par sa volonté de séparer l’État et la religion en veillant à la neutralité des services publics. Elle permet de protéger et d’encadrer la liberté de conscience et de culte dans le cadre de la loi d’un État non confessionnel. Cette notion est mal comprise par les États confessionnels, mais aussi par ceux où Dieu est considéré comme une référence transcendante. La mise en œuvre de la laïcité nécessite le respect de chaque personne et de leurs communautés, ce qui est plus exigeant que la simple tolérance. D’un point de vue historique, comme aujourd’hui dans la société française, il a existé/existe différentes représentations de la laïcité portées par les acteurs sociaux. Ces représentations articulent différents éléments comme la liberté de conscience (et ses rapports avec la liberté religieuse), l’égalité des droits (en dehors de conditions religieuses), la séparation des Églises et de l’État, la neutralité.

Le mot radicalisation, utilisé souvent d’abord pour caractériser une dérive individuelle, recouvre aussi une dimension collective en divers domaines (social, politique, économique, religieux, culturel, écologique, économique).

 

(4)  Religion, faits religieux, foi, culte, rite, sacré

Religion : Ensemble de croyances, de symboles, de rites et de dogmes définissant le rapport de l’homme avec un Dieu ou le sacré dans son environnement.

Faits religieux : en France,manière de qualifier les approches scientifiques et pédagogiques des phénomènes religieux, en les considérant comme des faits historiques et comme des faits sociaux.

Foi : Adhésion de l’homme à un idéal qui le dépasse, à une croyance d’ordre religieux, spirituel, altruiste.

Culte : Hommage, honneur rendu, lords de cérémonies ou rencontres, à des êtres divins ou jugés tels ou à certains êtres (anges, saints, prophètes, etc.) qui sont considérés comme proches de Dieu ou de la divinité.

Rite : Action accomplie conformément à des règles et faisant partie d’un cérémonial ou d’une liturgie.

Sacré : Ce qui appartient au domaine séparé, intangible et inviolable du religieux et qui doit inspirer crainte et respect, souvent en rapport avec une religion et/ou l’exercice d’un culte et/ou le sens du sacré (mot utilisé par opposition à profane).

Commentaires : Basée normalement sur la Foi, la pratique religieuse ne prend sens en profondeur que si elle est nourrie par une vie spirituelle ; les deux (pratique religieuse et vie spirituelle) sont souvent soutenues par des rites, des normes, des dogmes, des approches éprouvées et une créativité appropriée. Le danger est que des clercs s’appuient sur des rites et des normes pour embrigader des fidèles ayant besoin de la sécurité d’une communauté pour vivre avec leurs peurs et du sacré pour donner sens à leur existence.

 

(5)   Spiritualité, universel, transcendance

Spiritualité : Vie de l'esprit et/ou de l’âme qui interroge, inspire et oriente l’existence, donnant sens, cohérence et souffle à la vie. Elle s’appuie généralement sur des temps de silence intérieur, des pratiques méditatives, des attitudes corporelles, des textes fondateurs et, aussi pour certains, sur des groupes spirituels ou des communautés religieuses. Pour certains, la spiritualité englobe la religion.

Universel : Ce qui est relatif au tout, à l’ensemble ; ce qui concerne l’univers, le cosmos, le monde ; ce qui concerne la totalité des hommes considérés comme ayant une égale dignité ; ce qui est tourné dans la même direction (avec en arrière-plan, l’idée de s’unir et de favoriser une uni-diversité).

Transcendance : Ce qui dépasse absolument la réalité courante et est d’une autre nature qu’un domaine de référence déterminé et qui dépasse le monde sensible et peut toucher au symbolique.

Commentaires : La spiritualité est une dimension de la condition humaine, celle de la vie de l’âme et de l’esprit qui donnent sens à l’existence en contribuant à instaurer des liens signifiants de chacun avec soi-même (y compris son corps), avec autrui et avec la nature, de l’immanent avec le transcendant, du profane avec le sacré et du proche avec l’universel. Les forces de l’esprit poussent des personnes comme des communautés à incarner des voies imprévues et à aller dans des directions inexplorées.

 

 

Les ressources spirituelles dans l’exercice des responsabilités - Feuille de route pour un nouveau groupe de travail :

Pour nous, démocratie et spiritualité ont partie liée. Une période de doutes et de bouleversements, comme celle de la crise actuelle, est peut-être une opportunité de les mettre en résonance en les invitant à se redéfinir.

Dans cette perspective, D&S met en place un groupe thématique qui s’intéresse à l’interface entre les responsabilités induites par l’exercice d’un pouvoir démocratique et l’expérience d’une spiritualité.

L’expérience du pouvoir peut-elle ou doit-elle faire référence à une expérience spirituelle ? Sur quelles ressources cette référence peut-elle se fonder ; et sur quel entourage peut-elle s’étayer ? Peut-elle être appréhendée comme un facteur ou un garant de démocratie ?

Sans prétendre à une démarche scientifique, nous avons opté pour le principe de soumettre d’abord un questionnaire à des personnes ayant exercé un pouvoir dans des domaines divers. Cette enquête pourrait être prolongée ensuite par une campagne d’entretiens.

Dans un premier temps, un premier groupe de membres de D&S validera le questionnaire et se chargera de le tester auprès de quelques interlocuteurs.

Nous invitons ceux qui voudraient rejoindre cette démarche à se manifester par mail (auprès du secrétariat de D&S). Nous organiserons ensuite dès que possible avec eux une visio-conférence de lancement.                                                                                                                      

Bertrand Parcollet

 

 

Groupe « Interconvictionnel » :

Face aux défis actuels, quelles ressources humanistes ou spirituelles peuvent aider à devenir acteurs ?

DE QUOI S’AGIT-IL ?

Face aux défis majeurs actuels (ex : changement climatique, écologie, inégalités structurellement croissantes, finance dérégulée, etc.), l’idée est de se mettre en chemin, individuellement et en petit groupe, pour s’entraider à appréhender ces phénomènes complexes, et dans une recherche active des ressources humanistes, ou spirituelles, issues des grandes traditions ou des expériences vécues de chacun, pouvant redonner du sens, là où ces défis révèlent de profonds « non-sens de l’humain ».

Un document/module spécial intitulé : « Intuitions », rassemble de façon synthétique les principales intuitions de fond, conduisant à cette démarche. Ce document est disponible sur demande.

Après avoir mieux regardé en face la réalité des grandes résistances aux mutations nécessaires, les libérations collectives indispensables, les renoncements personnels, ainsi que ce que peut signifier aujourd’hui le mot « espérance », il s’agit de chercher à adapter, avec une profondeur adaptée aux enjeux, notre regard, nos comportements, nos modes de vie, nos actions concrètes, et les réseaux avec lesquels nous travaillons.

Les spécificités de la démarche proposée sont :

-              de creuser l’interface entre les défis et l’humanisme/le spirituel, parce que les verrous actuels qui empêchent de dépasser ces défis, sont profonds ;

-              de le faire de la façon la plus interconvictionnelle possible, car athées, agnostiques, et toutes les personnes imprégnées des différentes traditions spirituelles sont concernées, et ont chacune un rôle qui leur est propre dans cette recherche historique et inédite d’un véritable sens de la prochaine étape d’humanisation nécessaire,

-              d’allier une démarche personnelle, un partage en vérité en petit groupe, et une capitalisation de l’expérience de ce qui nous fait « bouger », pour pouvoir la partager avec d’autres personnes potentiellement intéressées.

 

Le groupe, ses productions et les interactions souhaitées :

Huit personnes, de différentes traditions, se réunissent régulièrement (en présentiel avec dîner ensemble avant le Covid, et en visio-conférence après mars 2020). Depuis octobre 2019, des participants ont approfondi certains défis pour lesquels ils sont engagés (défi de l’écologie avec application à la question de la 5G ; comment passer de la manipulabilité à la responsabilité ; l’expérience de l’exclusion à La Traversée, etc.), ou ont écrit un itinéraire de vie mettant en relation leurs engagements personnels et leur itinéraire spirituel. Le groupe a également développé un document commun capitalisant les enseignements génériques de la pandémie (c’est-à-dire pertinents aussi pour les autres grands défis actuels), en regard des messages spirituels susceptibles de nourrir notre cheminement. L’ensemble de ces documents, déjà partagés en groupe, sont ouverts pour un enrichissement interconvictionnel, y compris avec des lecteurs de La Lettre de D&S qui seraient intéressés.

Une capitalisation méthodologique est en cours, sous forme de modules, pour des échanges possibles avec d’autres personnes souhaitant s’informer :

• Introduction

• Intuitions à la base de la méthode proposée

• Pourquoi cette démarche personnelle ?

• Étapes proposées au groupe.

Pour toute question :   michel.ray47@gmail.com

 

[1] Cf. la Charte des principes de l’islam de France, adoptée en janvier 2021 par 5 fédérations musulmanes sur huit du CFCM.

[2] Cf. Makman Abbes sur France culture le 24 01 2021   https://www.franceculture.fr/emissions/questions-dislam/comprendre-le-fonctionnement-de-la-pensee-politique-en-islam

[3] Définition proposée par l’Observatoire de la laïcité

[4] Proposé par Philippe Gaudin, dir. IESR-EPHE

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QUE FONT NOS PARTENAIRES?


Pacte civique

 Le Pacte civique publie : Le choix des sobriétés - Des idées pour passer à l’action – Éditions de l’Atelier, 176 pages –16 €

 À l’invitation du Pacte civique, plus de 25 contributeurs, philosophes, élus, entrepreneurs, citoyens, universitaires, représentants d’association, etc. – ont confronté la notion de « sobriétés » à leurs expériences de vie. Leurs propos, ainsi mis en regard les uns avec les autres, explorent ses multiples dimensions : philosophique, écologique, individuelle, collective, mais aussi politique.

ÉLISABETH JAVELAUD, sociologue, animatrice de l’atelier sobriété du Pacte civique, a dirigé la rédaction de cet ouvrage tout en y contribuant largement, avec l’appui constant de Jean-Marc Parodi.

PABLO SERVIGNE, qui a signé la préface, est ingénieur agronome, chercheur et auteur notamment de Une autre fin du monde est possible, Ed. du Seuil, 2018.

JEAN-BAPTISTE DE FOUCAULD, rédacteur de la conclusion, est co-fondateur du Pacte civique. Il est l’auteur de L’abondance frugale - Ed. Odile Jacob, 2010.

 

Dans un monde de compétition, la sobriété n'est pas compatible avec la justice car elle est synonyme de "perdant". Ce n'est donc que dans un contexte d'entraide que la sobriété rejoint la justice et la fraternité. Pablo Servigne

 Comment passer d’une posture militante à une démarche générale entraînant toute la collectivité vers une sobriété créative, juste et fraternelle, ce qui est l’objet même du Pacte civique, dans la situation actuelle d’individualisme, de relativisme et de dépression idéologique ?  Jean Baptiste de Foucauld

Le Flash Info du Pacte civique est sur notre site à

Flash-Info du Pacte civique : Signons la pétition pour une convention citoyenne sur le renouveau démocratique.

Voir sur le site du Pacte civique : https://pactecivique.fr/

 

La Ligue de l'enseignement

Plusieurs dirigeants de la Ligue de l’enseignement ont déjà participé à des universités d’été de D&S. En vue de consolider notre collaboration, une rencontre en visioconférence a eu lieu lundi 1er février. Elle a été initiée par un administrateur de D&S étant aussi administrateur de la Ligue en Isère, entre D&S (le président, les animateurs du groupe Laïcité) et une délégation de la Ligue de l’enseignement (le vice-président, l’administrateur en charge de laïcité, le chargé de mission laïcité). Elle a permis de constater des convergences d’analyse concernant la laïcité, les défis de notre société, et de faire le point des collaborations possibles entre les deux associations en vue de formaliser un partenariat.
Au-delà des échanges d’information plus soutenus et organisés, il a été décidé que le chargé de mission laïcité de la Ligue participera aux travaux du groupe de travail laïcité de D&S.

De son côté, la lettre d'information de la Ligue de l'enseignement a mentionné notre rencontre.

La Ligue nous a invités à consulter son blog concernant la laïcité, hébergé sur le site de Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/edition/laicite

Régis Moreira

 

 

HERMENEO

Mohamed Khenissi revient sur la Grande visio-rencontre interreligieuse du 30-31 janvier 2021 à Saint-Jacut dont le thème était : LES RELIGIONS (ET LA SPIRITUALITE) MENACENT-ELLES LA REPUBLIQUE ?
Comment ne pas se séparer les uns des autres.

Les 50 nuances du dialogue…

Que ce soit le dialogue interreligieux, interconvictionnel ou interculturel…chacun y prend part, d’une manière ou d’une autre.

Je n’irai pas jusqu’à affirmer qu’il y a 50 nuances de dialogues mais j’en citerai bien quatre, les plus parlantes, me semble-t-il.

Le dialogue de tous les jours ; encore que depuis bientôt un an, notre quotidien est sensiblement chamboulé par la pandémie, et rythmé par les interdits et mesures sanitaires… Mais nous devons nous rappeler de notre capacité à dialoguer avec collègues, voisins sur différentes significations de pratiques, termes ou fêtes…

Nous avons également le dialogue-débat théologique, philosophique ; souvent autour de sujets fatidiques, figures historiques ou bien à l’opposé sous forme de débats âpres (chacun proclamant détenir l’unique vérité, absolue de surcroît).

Le dialogue avec les amis et proches où nous sommes véritablement dans le partage de l’intime de soi, de notre conviction, notre spiritualité, nos cheminements et doutes…Ceci est assez rare car il exige une confiance partagée et un cadre bienveillant. Certains membres de D&S le vivent (ou le vivaient) dans leurs groupes interconvictionnels.

Enfin, le dialogue des œuvres, des projets où nous sommes amenés à construire ensemble, agir ensemble, construire du sens ensemble.

Ce type de dialogue est en quelque sorte un aboutissement des autres dialogues…il est indispensable de nos jours. Notre diversité se fait richesse et synergie pour répondre collectivement aux défis de notre société, notre démocratie et nos spiritualités.

L’abbaye de Saint-Jacut-de-la-Mer offre une rencontre avec la Bretagne, un cadre de bienveillance atypique de nos jours…un cadre de rencontres de personnes de sphères, spiritualités et âges différents…un moment ou le partage est le maître mot

Questionner les textes, argumenter, éléments de compréhension et de réflexion, méditer, participer à différents ateliers, marcher, prier, chanter, danser, débattre, partager, dialoguer…tel est l’ADN du colloque annuel interreligieux et interconvictionnel.

Cette année, la pandémie nous a interdit de nous rencontrer, nous a privés de cette escapade bretonne si ressourçante et motivante….

Virtuellement, nous nous sommes retrouvés avec nos intervenants pour essayer de répondre, réfléchir à la question « Les religions menacent-elles la République ?

La participation de Daniel Lenoir a permis (d’avantage) d’apporter des éléments de contradiction à la 2ème table ronde « A la lumière des sciences sociales » et par ailleurs d’enrichir le débat.

En signe d’espoir, j’ai prié pour retrouver mes camarades et amis de D&S un jour au colloque à Saint Jacut pour découvrir et partager différentes nuances du dialogue.

Mohamed Khenissi

 

Groupe Interreligieux Pour la Paix 78 (GIP78)

Groupe Interreligieux pour la Paix 78 – GIP 78 propose trois visio conférences :

 

GRAND AGE, FIN DE VIE : de la quête de sens à la quête de solidarité

 La première soirée aura lieu le jeudi 11 mars à 20h30.

En interrogeant les difficultés rencontrées récemment dans les EHPADs, Odon VALLET, historien des religions, proposera des réponses que peuvent apporter les religions. https://www.eventbrite.fr/e/142033665517

 

Nous vous informerons en temps voulu sur les deux soirées suivantes :

Jeudi 8 avril à 20h30 : Covid 19 et crise des Ehpad avec Jean-Baptiste de Foucauld

Jeudi 27 mai à 20h30 : Replacer les fragilités au sein de l’espace intergénérationnel avec Henri Foucard

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AGENDA

Réunions statutaires:

Prochains bureaux :

mardi 9 mars à 18 h

mardi 6 avril à 18h

 

Assemblée générale

samedi 13 mars 2021 à 9h30 ; elle renouvellera totalement le Conseil d’administration 

 

Prochaines Conviviales :

• Conviviale ouverte, mardi 16 mars 18h Discussion autour de la Charte des principes pour l’islam de France

• Conviviale ouverte : mardi 13 avril 18h sur la pensée de Berdiaev

 

 Université d'été 2021

L’Université d’été 2021 se tiendra les 10, 11, 12 Septembre 2021 à Lyon, au centre Jean Bosco

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L'Ours

Lettre D&S N° 179 - Février - Mars 2021

ISSN 2557-6364

Directeur de publication : Daniel Lenoir
Rédactrice en chef : Monika Sander
Comité de rédaction : Jean-Baptiste de Foucauld, Sébastien Doutreligne, Eliane Fremann, Daniel Lenoir, Régis Moreira, Bertrand Parcollet.

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Le conseil du webmaster

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