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« Libres d’être bêtes et méchants » ou « La liberté d’être méchant » (Caricatures du Prophète)

Aux protestations, parfois violentes, contre la publication de caricatures du Prophète dans certains journaux de nos pays européens a répondu la réaffirmation forte de la liberté d’expression. Certains, patrons de presse ou autres leaders d’opinion, se considérant comme les porteurs des lumières et des droits de l’homme contre les forces obscurantistes, l’ont fait avec véhémence, justifiant ce qui avait été fait et n’hésitant pas à persévérer qu’elles qu’en puissent être les conséquences. Sûrs d’être les véritables héritiers des conquérants des libertés et les meilleurs juges en matière de démocratie, ils se sont posé en arbitre des cultures, sans éprouver le besoin, avant de les juger, d’améliorer leur connaissance de celles qu’ils rejettent.

D’une certaine façon, une telle réaction ne participe-t-elle pas à une certaine dérive de nos pratiques collectives ? Retranchés dans notre individualisme forcené et notre bon droit, nous ne saurions plus nous manifester collectivement que par la dérision et la critique des institutions. Nous qui jugeons le monde selon qu’il respecte ou non les droits de l’homme et selon qu’il pratique ou non la démocratie, n’avons-nous pas oublié une partie essentielle de la déclaration universelle des droits de l’homme qui fait figurer, dans son article premier, donc avant tout autre considération, y compris sur la liberté d’expression, que les êtres humains sont doués de raison et de conscience et qu’ils doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ? En oubliant que la fraternité est une dimension essentielle de la démocratie, ceux qui s’en veulent les porte-drapeau ne se rendent pas compte qu’ils la dévalorisent aux yeux de ceux-là même qu’ils veulent convaincre de la supériorité de son modèle. D’une certaine manière, ils prennent le même chemin de violence que celui qui sert de forme d’expression privilégiée à ceux dont ils caricaturent les références. En persévérant dans leur agression, sûrs de leur bon droit, ils oublient aussi, au passage, l’un des préambules de ladite déclaration qui dit « qu’il est essentiel d’encourager le développement de relations amicales entre nations » ? Nous en sommes loin.

Mais, l’affaire des caricatures est le signe d’une autre dérive, celle, contemporaine, de l’acharnement dans la destruction symbolique. A le faire, nous oublions, cette fois, que le symbole a une fonction de cohésion sociale. Même s’il peut être aussi l’objet d’utilisations perverses, comme on l’a vu dans le passé et comme on le voit encore tous les jours, le symbole fait d’abord sens commun pour des personnes. Il leur permet de se reconnaître, de se sentir proches, solidaires. Il leur donne de sentir qu’ils ont quelque chose en commun. Or, par les temps qui courent, les appareils symboliques, les institutions qui font sens, ne cessent d’être soumis à notre intelligence critique, davantage d’ailleurs à notre critique qu’à notre intelligence, à tel point que notre patrimoine symbolique s’érode progressivement jusqu’à disparaître. Se pose-t-on la question de ce qu’il reste après ? Nous allons nous retrouver nus et seuls, sans plus rien avoir à partager, sans plus rien en quoi croire. Notre lucidité froide aura eu raison de tout. Nous aurons proposé notre démocratie au reste du monde, mais en l’ayant au préalable privé de son essentielle dimension de fraternité et de tout horizon commun.

Derrière les violences générées par notre oubli du préambule de la déclaration universelle des droits de l’homme, même si elles ont été, ici ou là, l’objet d’encouragements pervers par stratégie politique et volonté de nuire, ne faut-il pas discerner le signe que les hommes attachent une grande importance à leur patrimoine symbolique, parce qu’ils y trouvent ce qui rend la vie possible ?

A propos Patrick Boulte

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