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L’exigence éthique suppose de nouvelles régulations (Interview de JB de Foucauld par La vie)

Jean-Baptiste de Foucauld a été haut fonctionnaire, membre du cabinet du ministre de l’Économie et des Finances Jacques Delors sous le gouvernement Mauroy, Commissaire général au plan de 1992 à 1995. Spécialiste notamment des questions d’emploi, de lutte contre le chômage et pour la solidarité, il participe à la fondation en 1985 de l’association Solidarités Nouvelles face au chômage, dont il est le président jusqu’en 2009. Il est également fondateur en 1993 et président de l’association Démocratie et Spiritualité et coordonnateur du Pacte Civique.


Interview parue dans La Vie du 25 septembre 2008

La Vie. La crise financière actuelle n’est-elle pas aussi une crise éthique ?
Jean-Baptiste de Foucauld. C’est d’abord une crise née de l’inadaptation et de l’insuffisance des régulations. L’actuel capitalisme financier mondialisé a débordé les contrepoids mis en place dans les années 1950. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, l’instauration d’un système international, la montée en puissance de la sécurité sociale et le mouvement syndical ont constitué trois puissants amortisseurs. Aujourd’hui, le système économique issu de Bretton Woods est affaibli et dépassé, et les deux autres ont du mal à s’adapter à la tertiarisation de l’économie, qui génère une tension brutale entre emploi et coût du travail. Ajoutez-y le renversement du rapport de force au sein des entreprises : pendant les Trente Glorieuses, managers et salariés dominaient actionnaires et clients. Aujourd’hui, c’est l’inverse : quand les actionnaires imposent des retours sur investissement de 15 %, ils savent que ce n’est pas jouable à long terme, sauf à transformer les salaires en variable d’ajustement et les profits en rente. Enfin, les bulles spéculatives sont un facteur de déséquilibre supplémentaire. Et les outils de politique monétaire, trop globaux, n’arrivent plus à assurer le bon dosage entre relance et contrôle des différents types de prix. Bref, l’ensemble des outils de régulation ont perdu de leur pouvoir.

Plus profondément, à quoi attribuez-vous les déséquilibres actuels ?
J.-B. de F. Je crois qu’on demande trop à certains acteurs, et pas assez à d’autres. On demande trop à la croissance, qui ne peut guère progresser de plus de 2 % par an alors que les désirs grossissent à vue d’œil. Trop à la finance, qui ne peut pas faire du « social », contrairement à ce qu’ont cru les Américains en accordant des facilités de crédit aux ménages modestes. Et trop aux Etats-Unis, qui continuent de s’endetter pour soutenir la croissance mondiale. En revanche, on ne demande pas assez au sentiment de justice, et notamment à l’impôt, seul à même d’assurer une redistribution et un partage corrects. Pas assez à l’Europe, qui devrait avoir une parole forte et autonome sur l’économie mondiale, pour demander aux Américains de régler la question de leur déficit et reconnaître le droit à la souveraineté alimentaire des pays émergents. Pas assez, enfin, à nos classes dirigeantes, qui ont globalement perdu le sens du service. Ils ne savent apparemment pas prendre le temps de se poser, de réfléchir au sens de ce qu’ils font afin d’avoir le courage de dire non si certains compromis paraissent inacceptables.

L’éthique est donc une exigence à la fois personnelle et collective ?
J.-B. de F. Certainement. La vérité oblige à dire que les dirigeants d’aujourd’hui ont moins la fibre sociale que ceux d’hier. Dans les entreprises financières, alors que, de 1978 à 1980, j’étais chef du bureau du marché financier à la Direction du Trésor, j’ai vu s’amorcer la montée en puissance d’une innovation financière peu soucieuse de régulation et d’ethique ! Dans les années 80, ces produits sont devenus de plus en plus sophistiqués, et se sont développés à un rythme de plus en plus rapide…

Et personne n’a tiré la sonnette d’alarme ?
J.-B. de F. Il y a eu un excès de confiance général dans les capacités d’autorégulation de la finance. A un moment, tout s’est emballé. En 1986, alors qu’on m’avait confié une mission sur les Sicav, j’ai réalisé la complexité de ces nouveaux produits, comme les options négociables, et constaté le temps de formation qu’il fallait leur consacrer. Et je voyais que certains de mes interlocuteurs ne comprenaient pas mes questions ! Tout cela pose problème à notre démocratie…

Le christianisme social n’a-t-il pas été le premier à dénoncer ces dérives ?
J.-B. de F. La doctrine sociale de l’Eglise a toujours condamné la prééminence d’une logique purement financière. Dès les années 80, il y a eu, de la part de certains mouvements d’Eglise, une mise en garde permanente. Mais nous n’avons pas su transformer ces exhortations éthiques en exigences de régulation et en propositions précises. Il aurait fallu que ceux qui sont en charge de la morale, voire de la spiritualité, interpellent davantage les régulateurs, gouverneurs de banques centrales et autres autorités boursières. Les chrétiens sociaux réaffirmaient bien certains principes, mais sans analyser les mutations profondes du capitalisme. Notons toutefois que, dans le « Compendium » de 2004, on peut lire : « Plus le système économique et financier mondial atteint des niveaux élevés de complexité fonctionnelle et d’organisation, plus le devoir de réguler ces processus apparaît prioritaire, pour les finaliser à la poursuite du bien commun de la famille humaine ». Le mouvement altermondialiste a, le premier, tiré la sonnette d’alarme. Il a raison sur les valeurs, mais ne travaille pas assez sur les pistes de régulation. Et l’utopie dont il est porteur est trop discrète sur ses conditions de réalisation spirituelles, essentielles à mes yeux.

En quoi réside cet enjeu spirituel ?
J.-B. de F. Nous sommes arrivés au bout d’une logique de croissance quantitative axée sur le pouvoir d’achat. Le fordisme consistait à augmenter les salaires pour générer plus de consommation et trouver des débouchés à la production. Comme la productivité a baissé, le recours au crédit a tenté de prendre le relais. La crise actuelle montre que c’est une impasse. Lutter à la fois contre la course au superflu des plus favorisés et contre l’austérité imposée aux plus pauvres passe par une acceptation de la sobriété. Une sobriété équitable et créatrice, qui suppose de travailler aussi sur le désir humain, non pour le réduire ou le réprimer, mais pour en élargir la portée et l’objet. N’est-ce pas une question spirituelle par excellence ?

Propos recueillis par Philippe Merlant

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