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Croire, savoir et pouvoir : sortir du triangle tragique.

« C’est ainsi, dans et par les contradictions qui assaillent sans relâche son esprit, que Pascal a reconnu l’inséparabilité de la misère et de la grandeur de la misère humaine »

(Edgar Morin, Mes philosophes)

Croire, savoir et pouvoir : sortir du triangle tragique.

Difficile de dégager des « idées forces », ces idées ayant « la capacité (…) d’exercer une action transformatrice du réel »[1], de la succession de ces multiples événements qui nous touchent : un clou chasse l’autre, les infox succèdent à des infos qui tournent en boucle puis disparaissent après quelques jours, un confinement succède à un déconfinement partiel et est renouvelé avant d’être terminé, une décapitation aux procès des attentats de 2015, les projets de loi, y compris constitutionnels, aux propositions de loi, mal ficelés à force de vouloir répondre sans délai à des émotions collectives qui elles-mêmes se succèdent sans qu’on prenne jamais le temps de les partager en profondeur pour saisir ce qu’elles révèlent de notre compréhension du monde et de nos aspirations. La noosphère est fortement agitée par les temps qui courent.

D&S n’est pas forcément à l’abri de cette hystérisation des débats ; notre vocation n’est pas d’y participer, mais, sans pour autant nous réfugier à l’écart du monde ou dans un silence coupable, de prendre la distance nécessaire pour aider à dépasser ces conflits et surtout éviter qu’ils ne se tranchent par la violence, physique, bien sûr, mais aussi verbale ou psychologique.

Du débat organisé avec le Pacte civique sur le pacte scolaire comme élément du pacte républicain, est ressortie une de ces idées force qui peut nous y aider : celle de la distinction entre croire et savoir ; une notion ancienne certes, mais c’est dans les périodes troubles qu’il faut revenir aux fondamentaux.  A ces deux ordres, celui de la science, de la connaissance rationnelle, et celui de la foi, de la quête spirituelle (et ce quel que soit le nom que l’on donne à l’objet de cette quête), il faudrait, à la façon de Pascal, en ajouter un troisième, celui du pouvoir, des obligations que nous nous imposons et des droits que nous reconnaissons du fait de la vie en société ; pour nous celui de la démocratie.

Il faut, comme l’auteur des Pensées, rappeler la distance fondamentale entre ces trois ordres de co(n)naissance. Confondre celui de la foi et celui de la science conduit à une pensée magique qui nie la loi de la gravitation, la théorie de l’évolution, ou encore les ressorts de l’immunisation, quand ce n’est pas la réalité historique d’événements tragiques comme la Shoah. Confondre celui de la foi (y compris la foi scientiste dans une science qui serait la fin ultime de nos connaissances) et celui de la politique conduit au totalitarisme religieux, qui soumet la loi commune à une interprétation littérale de textes supposés sacrés et qui passe à côté de l’essentiel de leur signification.

En même temps, si l’on ose dire (tant cette expression a été dévalorisée par l’abus qui en a été fait pour voiler les contradictions qui agitent nos sociétés), la séparation entre ces ordres n’est pas absolue : quoiqu’en dise Pascal, la distance entre eux n’est pas infinie. Il nous faut, à la façon d’Edgar Morin, grand pascalien agnostique, organiser la « dialogique » entre eux. Pas de science sans conscience, pas de démocratie sans espérance, mais aussi pas de foi sans interpellation. Une « dialogique » qu’il nous appartient d’appliquer à nos échanges et à nos réactions sur les événements tragiques -certains parmi nous diraient diaboliques (en rappelant que le diable est, étymologiquement, ce qui divise) – et que nous avons pris l’habitude de rattacher à ces multiples crises qui déchirent nos sociétés : la crise djihadiste, bien sûr, mais aussi celle du Covid, ou encore cette longue crise économique et sociale qui a commencé il y a près de cinquante ans, peu de temps après que certains en annonçant « les limites de la croissance », aient prédit la crise environnementale qui est peut-être la plus existentielle de toutes pour l’humanité.

C’est pour moi -je le dis à la première personne du singulier, dans la mesure où nos travaux se poursuivent sur le sujet-, le sens profond de ce principe juridique constitutionnel de laïcité que de mettre une distance suffisante entre ces trois instances, la foi, la science, et la communauté (que nous appelons du beau nom de République), pour qu’aucune ne soit soumise aux autres, mais qu’elles puissent dialoguer, dans la société comme en chacun.e d’entre nous.

En ces nuits les plus longues de l’année (du moins dans l’hémisphère nord), ce moment du solstice d’hiver où l’humanité a vu depuis longtemps un signe d’espoir et de capacité à sortir de ses angoisses, puissions-nous faire porter nos partages, à distance le plus souvent, et nos méditations sur ces dialogues qui sont sources de démocratie comme de spiritualité et qui nous permettrons de nourrir de nouvelles raisons d’espérer.

Daniel Lenoir

[1] Alain Supiot, La force d’une idée, suivi de L’idée de justice sociale d’Alfred Fouillée », Les liens qui libèrent, 2019.

A propos Régis Moreira

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