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Les pouvoirs du sacré – Hans Joas

Note de lecture de Yvon Rastetter parue dans la lettre D&S n° 175 – Octobre 2020 à propos du livre d’Hans Joas : Les Pouvoirs du sacré : une alternative au récit du désenchantement Seuil, 2020, 448 p
Cette fiche de lecture ne rend pas compte de la richesse et de la finesse argumentative de l’auteur Hans Joas tout au long de son ouvrage. Son but est d’inviter à lire l’ouvrage « Les Pouvoirs du sacré », qui fera date dans l’histoire contemporaine des idées.

 

Hans Joas développe de nouvelles approches spirituelles, intellectuelles et scientifiques par rapport au célèbre ouvrage de Max Weber qui décrit le phénomène de sécularisation comme inéluctable dans l’Europe du début du XXIème siècle.

Il commence par une analyse de ce qu’il appelle les quatre thèses de David Hume sur la religion : Le monothéisme ne jouit pas du primat historique – les racines psychologiques de la religion – la dynamique de l’histoire des religions – la plus grande tolérance du polythéisme par rapport au monothéisme.

Cette constitution de l’expérience religieuse comme objet de recherche scientifique a été largement développée par Max Weber mais aussi par son ami Ernst Troeltsch, lequel soumet l’histoire des dogmes à une approche sociologique et met en évidence le rôle de ce qu’il appelle « la formation des idéaux ». Ce dernier voit dans l’histoire des religions des avènements créateurs qui ne peuvent être dérivés des luttes des classes et des intérêts économiques. Il en résulte une diversité des idéaux religieux puis non religieux, séculiers. Cette diversité de la formation des idéaux constitue l’important chapitre 4 de l’ouvrage.

L’auteur consacre auparavant un chapitre au rituel et au sacré en s’appuyant principalement sur les travaux de Dürckheim qui désigne le « rituel » comme l’ensemble des pratiques corporelles collectives qui se distinguent de toutes les pratiques quotidiennes. Le « sacré » est décrit comme la qualité de ces expériences excédant le quotidien. C’est l’idée centrale d’une première sociologie de la religion.

Le chapitre 5 est consacré à la coupure dans l’histoire des religions, dénommée « période axiale » qui sépare, pour simplifier, les religions « évoluées » des autres.

Elle se caractérise essentiellement par le passage d’une quête religieuse dans ce monde à celle du salut dans un autre monde, avec la notion de rédemption. Le Protestant Troeltsch englobe dans ces religions de la rédemption les religions de l’Inde, le Judaïsme et l’Islam, en insistant sur l’importance du prophétisme. Il décrit la coupure entre les religions magiques et les religions post-magiques de la rédemption. Une forte polémique s’est développée en effet au début du XXIème siècle concernant l’examen des religions dites supérieures, fruits de la « révélation divine », par les moyens scientifiques acceptables pour les religions dites « inférieures ».

Le chapitre 6 s’appuie sur la « considération intermédiaire » de Max Weber. Son but est, d’après Hans Joas, d’ouvrir à la compréhension de la naissance des éthiques de négation religieuse du monde. La tension aigüe avec le monde profane de la quotidienneté qu’implique le sacré devient permanente pour la communauté religieuse dans le monde de la modernité. Les sphères sociétales dont traite Max Weber, sont l’économie, la politique, l’art, l’érotisme et la science. Il décrit de façon détaillée leur conflit croissant avec les exigences religieuses de fraternité universelle des religions de rédemption.

Ceci se produit dans un contexte de rationalisation, tant de la sphère de la religion que des sphères sociétales. Hans Joas en déduit quatre types de tensions :

– La tension entre le sacré et le profane, l’idéal et la réalité, le transcendant et le mondain

– La tension entre le particularisme moral de la parentèle, de la communauté d’appartenance et   l’universalisme moral concernant tous les êtres humains

– La tension entre l’universalisme moral et une rationalité purement instrumentale, celle de l’agir rationnel en économie et en politique

– La tension entre expérience esthétique et expérience religieuse, extase ressentie dans l’accomplissement d’actes de violence et extase religieuse, ainsi qu’entre les différentes formes de sacralisation.

Hans Joas en induit les traits d’une sociologie de notre temps :

– une sociologie libre de tout « fétichisme » d’une modernité homogène,

– une sociologie libre des prémisses d’une théorie de la sécularisation,

– une sociologie libre d’une image centrée sur l’Occident.

Elle doit s’affranchir de certains emprunts aux sciences de la nature, avec les différentiations qu’elle génère. Pour l’auteur, ces exigences jouent un rôle directeur dans une alternative au récit du désenchantement, attribué principalement à Max Weber, second titre de ce livre consacré aux « Pouvoirs du sacré ».

Le dernier chapitre traite du sacré et du pouvoir.

L’auteur précise que la démarche herméneutique dans son livre exclut la proposition de ses propres définitions, par exemple une définition de la religion ou de la « nature humaine ».

Son argumentation anthropologique est axée sur ce qu’il appelle « le fait de la formation des idéaux » ; « c’est-à-dire le fait que, dans leur vie en commun, les hommes sont guidés de façon essentielle aussi par les représentations qu’ils se font de ce qui, de part en part, est bon ou mauvais. » Le point de départ de l’ouvrage n’est pas le discours religieux, mais « le fait de la sacralisation ou de la formation d’idéaux ». Il affirme l’universalité anthropologique des expériences « d’auto-transcendance » et des attributions de « sacralité » qui en résultent. Parler des « pouvoirs du sacré » apparaît alors comme légitime à l’auteur. Cela est vrai pour les nouveaux processus de sacralisation, comme l’attachement au socialisme et au parti qui remplace celui au christianisme et à l’Église.

Le fil d’Ariane pour une alternative au récit du désenchantement doit être cherché dans les différents processus de sacralisation et de formation du pouvoir. Pour l’auteur, la sacralisation est toujours d’abord aussi une auto-sacralisation de la collectivité.

« L’expérience partagée dans certains lieux et à certains moments, qui met en évidence une partie du monde comme « sacrée », rayonne immédiatement sur ceux qui ont partagé l’expérience. » Elle donnera lieu, au cours de l’histoire et de la formation des États, à la notion de la sacralisation de la Nation et de son peuple, qui n’est nullement obligée de revêtir des formes religieuses. L’interventionnisme hautement séculier des armées révolutionnaires françaises en fournit un exemple pertinent.

La sacralisation de la personne a aussi une importance universelle, par exemple par la déclaration universelle des Droits de l’Homme.

Tous ces processus de sacralisation prennent des formes multiples et diverses dans l’histoire des communautés humaines, avec parfois des formes qui rappellent l’État archaïque ; par exemple en Corée du Nord, un état fondé sur le marxisme-léninisme, a donné lieu à une dynastie de chefs d’État aux prétentions magiques.

Il s’agit pour l’auteur d’échapper à la « tentation hégélienne » d’une interprétation téléologique de l’histoire.

 

 

 

 

 

A propos Régis Moreira

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