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UE 2021 – Contribution sur les apports de la spiritualité, face aux défis qui concernent l’environnement. Michel Ray, août 2021

Propositions en préparation de l’identification de « quel sursaut spirituel ? »

(Michel Ray- 26-8-21 ; extraits actualisés de la contribution N°3 du 31/8/20, en reprenant la structure du document commun du groupe Environnement ; ce travail sur les articulations N°1 et 2 pourrait être poursuivi pour les articulations suivantes)

 

  1. Repenser l’articulation entre l’humanité et la nature, en vivant le chemin de l’émerveillement

Tout ce qui se rapproche de « l’émerveillement » me semble fondateur dans l’attitude de l’homme et de l’humanité vis-à-vis de la nature : cultiver les différentes circonstances qui favorisent un juste émerveillement, augmenter en nous et chez nos enfants sa profondeur rationnelle et émotive, sa largeur à la totalité du réel, creuser ses ancrages dans les temps longs, y compris celui des milliards d’années de l’évolution de l’univers et de la vie, se révèlent comme constituant un terreau qui rendra naturel le nouveau « grand récit » et le « contrat » entre l’homme et la nature. Ce travail de cheminement, d’accouchement, individuel et collectif, a des conséquences fortes sur la mutation « de la volonté d’exploiter, du sentiment de toute-puissance, vers l’humilité, le sentiment de devoir gérer la nature en bon père de famille, et la capacité de gratitude ».

Il semble pouvoir s’en suivre un « appel », à la mutation de la qualité des « relations » que nous entretenons avec les personnes qui nous entourent, les animaux, la nature, l’ensemble du réel, qualité de relation qui se révèle être une des pistes génériques de progrès qui redonne du sens, face à l’évolution d’un monde qui s’oriente vers la défiance et l’accaparement : signes de graves non-qualités de la relation de l’homme avec son environnement.

Les apports des différentes traditions spirituelles et humanistes, dans le sens de ce cheminement, pourraient être citées : sur le sujet de l’émerveillement, de l’humilité, de la gratitude et de la qualité de la relation, ainsi qu’à ce qui les lie ; on touche à une « veine commune » intense de toutes les traditions spirituelles.

Ces points d’entrée universels, y compris par l’expérience de l’émerveillement chez l’enfant humain, sont susceptibles de rassembler largement, à fortiori après une période inédite de confinement de l’humanité, et ses conséquences sur une expérience directe, ou au contraire une grande soif/frustration, du contact simple, corporel, de chacun avec la nature.

On touche ici à un des paradoxes lumineux, par exemple de la tradition chrétienne, que Jésus le Nazaréen exprime sous la forme d’un « impossible » (comme les appelle Dominique Collin dans son livre « le christianisme n’existe pas encore ») : « Je te remercie, Père d’avoir caché cela aux savants et aux puissants, et de l’avoir révélé aux pauvres et aux tout-petits » … De nombreuses formes de « toute-puissance » sont des obstacles à la vie humaine, simple, vraie, en abondance. Notre monde moderne insiste beaucoup sur « faire fructifier la nature », sous-entendu à notre profit, nous sommes-nous aussi posé la question à nous-même, du fait que nous sommes nous-même un fruit de 4 milliards d’année d’évolution de la vie : « et si c’était notre lenteur à véritablement fructifier vers une profonde humanisation qui était en cause, certes « cachée », mais aujourd’hui vitale et urgente ? ». Le cheminement qui part de l’émerveillement, passe par l’humilité, la capacité de gratitude, et aboutit à une vraie qualité de relation, ne serait-il pas une des clefs de cette maturation anthropologique que les défis rendent justement aujourd’hui nécessaires, voire vitales ?

 

  1. Repenser l’articulation entre l’individu et le collectif : quelle « nourriture » pour passer à l’action ?

 

Le défi humaniste et spirituel actuel de l’articulation entre l’individu et le collectif semble très schématiquement pouvoir se résumer de la façon suivante :

 

Les fondements biologiques, environnementaux,  sociaux, intellectuels,… des solidarités nécessaires pour que les collectifs (aux différentes échelles : des communautés de la base, jusqu’à l’humanité) survivent et vivent, s’observent abondamment dans la réalité même, à l’occasion des pandémies, des grandes crises économiques, des grands incendies/inondations, etc. La difficulté majeure maintenant est de passer des constats liés aux destins aujourd’hui communs, à l’action solidaire pour développer de véritables « communs », et les faire vivre/s’adapter dans le temps long.

 

La recherche d’un cheminement spirituel… à la hauteur de ces enjeux :

 

  1. La situation de départ se caractérise aujourd’hui par une tendance à un individualisme sans limite, nourri par la cupidité consumériste, fondée sur un égo flatté comme roi, maintenant à une dimension planétaire. Cette situation a des conséquences croissantes sur le court-termisme, la dégradation des communs existants comme les ressources environnementales, et les manipulabilités qui en découlent. Tout cela contribue au fait « d’aller ensemble dans le mur ».

 

  1. Le premier pas nécessaire touche à la prise de recul, à une qualité d’ouverture pour regarder la réalité en face, et à un choix de cheminement humaniste individuel et collectif, il peut faire émerger, dans une démarche rationnelle utilisant les savoirs actuels, une prise de conscience des solidarités nécessaires pour développer les communs vitaux ; la libération des peurs que cela nécessite, constitue une étape importante.

 

La pandémie vécue peut être une occasion de réveil. La prise de conscience initiale de Moïse, par rapport à la situation d’esclavage de son peuple en Egypte, l’émotion personnelle qui fait monter en soi l’envie d’agir pour le collectif, le courage qui devient plus fort que ses peurs pour aller voir Pharaon, sont des images (communes à plusieurs traditions spirituelles) de cette phase du cheminement spirituel.

 

  1. La possibilité de notre passage (souligné par Pablo Servigne) « de notre fonctionnement qui profite des bénéfices individuels actuels, à une motivation pour contribuer aux bénéfices collectifs en acceptant de supporter les coûts individuels futurs nécessaires », au moins au niveau économique immédiat, nécessite une « source de nourriture, de joie plus profonde », pour tenir dans le temps, et que les grandes traditions spirituelles ont formulée de façon constante, approfondie, bien que sous des formes très diverses. La méditation bouddhiste de pleine conscience, l’importance de la Oumma / communauté musulmane, la référence à un Dieu-père chrétien qui aide à rentrer dans la solidarité de « frères » pour changer notre regard sur l’autre lorsqu’il faut relever les défis communs, contribuent à donner des forces quotidiennes pour apporter sa part au développement des « communs » de toutes natures.

Derrière ces différentes formes, c’est la démarche humaine et spirituelle commune du « don » qui se manifeste, en cohérence profonde avec le développement de l’entraide, véritable articulation concrète de l’individu et du collectif, dans le processus de la vie, sur 4,5 milliards d’années, parce que c’est une stratégie que l’évolution a expérimentée comme efficace, surtout lorsque la vie doit faire face à un environnement hostile, ce qui semble être le cas aujourd’hui pour l’humanité.

 

  1. Les trois étapes précédentes sont nécessaires ; elles sont aussi « audibles » aujourd’hui, même si c’est difficilement ; il est un appel spirituel plutôt perçu comme un « impossible », mais qui peut être entrevu comme également nécessaire pour relever nos défis à la hauteur des véritables enjeux, tellement la profondeur des ancrages de résistances, est forte : il s’agit de ce que l’on pourrait appeler « la gratuité du don ». Chacun de nous a reçu la vie gratuitement ; la vocation de la maternité, de la paternité n’est-elle pas de vivre un don gratuit ? L’énergie que nous y mettons, et la joie profonde qui peut en résulter ne sont-elles pas une invitation, discrète mais vitale, qui nous est faite d’agir de même pour Gaïa (cet environnement terrestre qui nous permet d’y vivre)?

 

La véritable transmission d’une maturité d’humanisation, à l’échelle individuelle ou collective, n’est profonde que si elle est gratuite, que si celui qui la donne est libre et appelle à la vie un être libre. N’oublions pas que les forces de résistance peuvent vite faire basculer le collectif dans une grande violence qui peut se propager : la posture personnelle de non-violence est essentielle pour relever nos défis.

 

René Girard, anthropologue, souligne le rôle de la passion du Christ dans le processus de délégitimation de la violence sur les boucs émissaires ; la liberté du choix en conscience d’assumer les conséquences humaines des messages spirituels que Jésus le Nazaréen a prononcés, n’aurait-il pas aussi un sens pour aujourd’hui où une nouvelle étape d’humanisation semble nécessaire, pour vivre ? D’autres traditions spirituelles et humanistes ont certainement beaucoup à apporter sur cette question ; en tout cas dans ces périodes chaotiques dans le monde entier, les cas de dévouements « gratuits », libres, et non-violents, sont nombreux. Ne sont-ils pas, à bien y regarder, « ce qui fait vivre l’humanité », en tant que « qualité d’humanité », et in fine, en tant que peuple de Sapiens ?

 

A propos Régis Moreira

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