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UE 2021 – De la nature humaine. Robert Levesque. Août 2021

L’humanité vit au-dessus de ses « moyens » écologiques. Elle utilise des ressources naturelles à un rythme qui dépasse de loin celui de leur renouvellement. Son système alimentaire n’est pas durable : elle a recours à des ressources minières, notamment de phosphates et de potasse, dont le pic d’extraction sera bientôt atteint. L’érosion de la biodiversité fragilise la production de biomasse, qu’elle soit alimentaire ou non. Le dérèglement climatique conduit chaque année à rendre de plus en plus de territoires invivables avec son lot de migrants climatiques et a pour conséquence une réduction de la production annuelle de biomasse. La planète, notre maison commune, « brûle » au sens figuré comme au sens propre et chaque jour nous continuons à attiser le feu. Les inégalités sociales se creusent et sont de plus en plus insupportables. L’humanité a une capacité de s’anéantir au-delà de l’imaginable par les armes nucléaires, bactériologiques.

Jour après jour, l’humanité détruit l’écosystème qui lui a permis de naître et qui lui offre les conditions écologiques de sa vie.

Dans un tel contexte, dans un premier temps, il apparaît utile et même indispensable de nous rappeler notre origine, notre identité, pour envisager une voie d’avenir enviable.

L’Humanité vient de l’écosphère terrestre, du monde du vivant

Depuis le Big Bang, l’univers ne cesse d’être en expansion. D’une minuscule boule de matière et d’antimatière, des milliards d’étoiles, de galaxies se sont constituées et recomposées. Plus de 9 milliards d’années après le Big Bang, la Terre s’est formée. Elle a 4,5 milliards d’années. Puis l’improbable a continué. La vie est apparue sur Terre. Des êtres vivants naissent, se reproduisent et meurent. Dès son origine, la vie est indissociable de la mort. La reproduction est à la base de la vie et les erreurs de reproduction à la base de l’évolution du vivant. Une erreur de reproduction crée des êtres nouveaux ; le plus souvent ils ne sont pas viables car inadaptés à leur écosystème, à leur « environnement ». Mais, certains se révèlent mieux adaptés à leur milieu de vie que leurs géniteurs et réussissent à se multiplier ; ainsi de nouvelles espèces vivantes ne cessent d’apparaître. D’erreurs en erreurs, toutes plus improbables les unes que les autres, la vie sur Terre s’est complexifiée et le vivant s’est adapté, sur le temps long, aux modifications des écosystèmes. Des êtres vivants, au gré de hasards successifs, ont envahi l’ensemble de la planète, sur mers, dans les profondeurs des océans, et à la surface de la terre.

Les premiers mammifères apparaissent il y a 250 millions d’années ; leur température est constante ; ils donnent naissance à des petits qui doivent être allaités. 180 millions d’années plus tard, au sein de ces mammifères, apparaissent les primates, dotés de mains à 5 doigts ; les mères ne donnent qu’un bébé après 5 à 9 mois de gestation. L’évolution continue. Entre 12 et 7 millions d’années vient un ancêtre commun aux chimpanzés, aux bonobos et aux humains. Plusieurs homonidés vivent ; aujourd’hui seul l’homo sapiens, apparu il y a environ 300 000 ans, vit.

Sur une planète isolée dans l’immense univers, nous, homo sapiens, venons du Big Bang, de la Nature, du monde du vivant, à la suite d’une improbable succession d’erreurs de reproduction du vivant.

Notre vie est intimement liée à l’écosphère terrestre

Nous, humains, êtres vivants, avons besoin pour vivre d’un environnement très spécifique. Nous devons être protégés des rayons solaires par une couche d’ozone stratosphérique ; nous devons vivre avec des températures ni trop chaudes, ni trop froides.  De notre premier à notre dernier souffle, l’oxygène de l’atmosphère nous est indispensable. Nous avons besoin de nous hydrater. Notre alimentation, indispensable à notre vie comme à celle de tous les animaux, provient directement ou indirectement de la photosynthèse du phytoplancton sur mer ou des végétaux sur terre, en combinaison avec des éléments minéraux.

En permanence, notre vie ne tient que par nos liens avec l’écosphère (atmosphère, hydrosphère, biosphère et lithosphère).

Nous sommes partie intégrante de la Nature, du monde du vivant

En permanence, nous sommes en interaction avec notre écosphère, avec notre biosphère. Comme tout être vivant nous prélevons notre nourriture du monde du vivant et la restituons dégradée à l’écosphère. En prélevant notre nourriture, en nous déplaçant, en nous construisant un habitat, nous impactons le monde vivant qui s’adapte à notre présence. De la sorte nous faisons partie de l’écosystème. Depuis une dizaine de millénaires, avec l’agriculture et l’élevage, l’homo sapiens s’est introduit fortement dans le processus de production de la biomasse végétale et animale. En décidant de l’usage des terres, en repoussant la forêt, en modifiant le régime des eaux, en sélectionnant les plantes cultivées et les animaux élevés, l’homo sapiens a modifié les paysages, les écosystèmes. A partir du milieu du XVIIIe siècle, les révolutions industrielles vont aller de pair avec le recours croissant à des ressources non renouvelables notamment le charbon, le pétrole et divers minerais. Les activités humaines vont impacter la couche d’ozone atmosphérique. Elles vont produire et diffuser de nouvelles molécules dans l’écosphère sans que nous ayons pris la précaution d’en connaître les impacts globaux à court, moyen et long terme. Elles vont modifier la composition de l’atmosphère avec les émissions de particules fines et de gaz à effet de serre. Ces activités humaines conduisent avec une rapidité inédite à un dérèglement climatique et à une perte de la biodiversité.

Non seulement, nous participons à la vie de notre écosystème comme les autres êtres vivants, mais de plus, par nos activités propres, nous le transformons durablement, et sommes devenus le premier facteur d’évolution des sols à tel point que Paul Josef Crutzen a qualifié l’ère géologique dans laquelle nous nous trouvons d’Anthropocène.

Oui, nous sommes partie intégrante de notre écosystème jusqu’à en modifier profondément ses caractéristiques.

Nous sommes des êtres sociaux par nature, des êtres d’esprit

Dès leur naissance, les humains bénéficient de bienveillance, du moins d’un minimum de bienveillance, pour être nourri, protégé du froid, du chaud. Pour les différents apprentissages, pour communiquer nos émotions, chacun d’entre nous a bénéficié de l’exemple, de la démonstration, de la pédagogie, d’autres humains attentionnés. Aucun humain ne vit indépendamment d’autres humains. Nous grandissons grâce aux liens qui s’établissent avec nos congénères, au sein de différents groupes. Au sein de ces communautés, des rapports complexes s’établissent entre les personnes, rapports de coopération, d’entraide, d’émulation, de solidarité, de confiance mais aussi rapports de domination, de soumission, de rivalités. Nous sommes des êtres sociaux par nature. Ces relations sociales ne sont pas le propre de l’homo sapiens. Les autres mammifères, mais aussi les abeilles, etc, ont également leurs règles sociales.

Comme bien d’autres animaux, nous sommes dotés de sens, de la vue, du toucher, de l’odorat, de l’ouïe, du goût, sans être dans ces divers registres les plus performants. Notre vue est bien moins aiguisée que celle des rapaces, notre odorat est bien moins performant que celui des chiens, nous sommes incapables de voler, etc. Comme d’autres animaux, nous avons des capacités d’apprécier des situations, de ressentir et d’exprimer des sentiments. Le cerveau, qui régule les systèmes des organes du corps, est le siège des fonctions cognitives, des émotions, des sentiments. C’est le siège de la pensée, des idées. Le corps comprend l’esprit. Du moins sur Terre, dans le cosmos, il n’existe pas d’esprit sans corps. Nous constituons bien une espèce animale sur la base du concept biologique énoncé par Ernst Mayr en 1942, qui exprime qu’une espèce est une population ou un ensemble de populations dont les « individus » peuvent effectivement ou potentiellement se reproduire entre eux et engendrer une descendance viable et féconde dans des conditions naturelles[1].

Comme chaque espèce a ses propres caractéristiques, nous avons les nôtres. Nous nous différencions des autres animaux, notamment par le degré de connaissances que nous avons développé, par le foisonnement des idées, par l’extraordinaire créativité notamment en ce qui concerne l’usage des ressources naturelles, par la création d’outils, de nouvelles molécules, par la richesse des langues, l’écriture, le calcul, les arts, la création de religions, par la complexité des relations sociales entre nous, peut-être par la conscience de notre mort future en tant que personne, par la connaissance, plus ou moins précise, des menaces qui pèsent sur le futur de l’humanité, par la connaissance de certains moyens pour relever les défis qui se présentent. Ceci fait de nous des êtres vivants très particuliers sans rien enlever de notre condition animale.

L’important est le principe de vie qui nous meut, qui nous anime, comme tout animal. Le propre de la vie est l’action pour vivre, pour bien vivre, pour le bonheur[2], pour repousser la mort même si nous la savons inéluctable. Le propre de la vie d’une espèce est d’agir pour la transmettre, sinon l’espèce disparaît. La transmission de la vie est une condition sine qua non de notre existence. Cette énergie de vie est aussi du domaine de la pensée, des idées, de l’esprit.

La spiritualité à laquelle certains se référent ne serait-elle pas une activité cérébrale orientée pour vivre et transmettre la vie, pour développer les valeurs morales nous guidant, pour développer notre relation à nos congénères passés, présents et futurs et aussi à notre écosystème ?

Aujourd’hui, les activités humaines conduisant à une détérioration profonde de l’écosystème au point que ce dernier pourrait nous rendre la vie impossible, nous devrions placer en haut de notre système de valeurs la préservation de la qualité de notre unique écosystème et le partage des ressources qu’il nous procure.

Pour vivre notre humanité ou notre part d’humanité, la vie de l’esprit doit nous donner l’énergie de vivre et celle de refuser, de repousser nos faiblesses, nos pulsions, qui vont à l’encontre de la vie.

L’urgence écologique doit conduire l’Humanité à faire communauté pour préserver et partager les ressources que nous procure notre écosystème, notre Commun. Sans Communauté, le Commun « s’effondre », et sans Commun, l’Humanité s’effondre.

 

[1] Mayr, Ernst, Systematics and the Origin of Species, New York, Columbia University Press, 1942

[2] André Comte-Sponville, Le bonheur, désespérément, février 2002, Librio

A propos Régis Moreira

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