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Conviviale du 17 .09. 2019 autour de Bruno Dufay, auteur de « L’individualiste hyper- connecté Individualisme et technologies conduisent-ils au totalitarisme ?

Conviviale du 17 .09. 2019 autour de Bruno Dufay, auteur de « L’individualiste hyper- connecté Individualisme et technologies conduisent-ils au totalitarisme ? L’Harmattan 2018

Compte-rendu de Sébastien Doutreligne.

Bruno DUFAY est venu nous présenter son dernier ouvrage lors de la conviviale du 17 septembre 2019. Scientifique de formation et spécialisé dans l’intelligence artificielle, il s’est tourné ensuite vers les sciences humaines et s’est intéressé, dans une optique de vulgarisation,au phénomène sociologique qu’est l’individualisme dans la société du XXIème siècle, notre société. Connecté au point d’en oublier tout un pan de sa nature, spirituelle.

Trop souvent confondu avec l’égoïste et à l’opposé des sociétés holistes, l’individualiste veut de nos jours exister par lui-même, découvrant et recherchant son individualité, souhaitant être respecté pour ce qu’il est, autonome et prenant ce qu’il veut des héritages de la famille, de la religion, des valeurs communes. C’est également un individu sensible, ayant peur pour lui- même et craignant la souffrance du monde tout en se mobilisant facilement pour des causes locales et/ou planétaires. Plutôt que de réussir dans la vie, il veut réussir sa vie, et même s’épanouir.

La vitesse de ce phénomène sociologique est fulgurante, remarque Bruno DUFAY qui retrace à grands traits l’histoire de l’individualisme de la Grèce antique jusqu’à nos jours, en passant par Jésus, la Renaissance, les Lumières, la Révolution industrielle. La société de consommation dans laquelle nous vivons, qui pourrait avoir pour slogan « Le choix pour tout et pour tous », impacte toutes les dimensions de la vie. Et les technologies numériques, à l’instar du smartphone, renforcent depuis 5/10 ans cet impact d’une manière assez naturelle, désirée, comme si nous le portions en nous-mêmes. Les changements au sein de la société se traduisent par le fait d’accepter de moins en moins l’autorité, d’expliquer davantage qu’auparavant et de donner du sens. C’est valable autant pour la vie démocratique (élus et ministres moins respectés, mouvement des Gilets jaunes qui, bien qu’utilisant les technologies pour s’organiser, restent sur des revendications personnelles) que pour la vie de couple (activités divergentes, avec un impact sur l’éducation des enfants qualifiés de rois voire même tyrans).

Bruno DUFAY examine ensuite les différents effets retours de l’individualiste hyper- connecté. Tout d’abord des effets neurologiques, avec les questions d’addiction aux smartphones (quelles conséquences à long terme de l’utilisation régulière d’applications excitant les centres de plaisir ?). Ensuite, des effets sur l’intellect, avec notre manière de raisonner et notre rapport au temps qui ont changé du fait du numérique (passage d’une rationalité-texte faisant appel à la réflexion à une rationalité-image faisant appel à la sensibilité et l’émotion immédiates). Enfin, des effets sur la spiritualité : le smartphone accapare notre cerveau et nous empêche de rêver, méditer, contempler, de ne rien faire en somme tandis que le sens de la spiritualité se construit sur un temps long.

Le risque et le danger sont une vie enfermée dans une bulle informationnelle, ou « chambre d’écho » : on discute avec des personnes du même bord sur les réseaux sociaux, il n’y a plus d’ouverture d’esprit ni progrès, ni débats mais des clivages forts. Dès lors, comment avoir ainsi une conscience qui s’élargit, une conscience concernant mon pays, l’humanité, le cosmos ?

Aussi, la spiritualité se trouve en danger, autant que la démocratie. Et l’individualisme pourrait amener au totalitarisme. L’individualiste veut de nos jours qu’on le protège et il est prêt à accepter toutes les lois liberticides. Bruno DUFAY rappelle que Tocqueville le disait déjà… et percevait la religion – la spiritualité dirait-il aujourd’hui sans doute – comme étant le seul rempart au totalitarisme.

Bruno DUFAY, optimiste de nature, développe l’idée que l’individu cherchant en lui-même son identité peut se rapprocher de l’introspection des grands mystiques : chercher Dieu en soi d’abord pour être d’autant mieux dans le monde. La quête de sens, individualiste par essence, peut être un début de recherche spirituelle. Car si cela est partagé, la spiritualité peut devenir un rempart contre le totalitarisme.

Un débat avec les participants à la conviviale a suivi l’exposé. Ont notamment été évoqués les pessimistes et déclinistes, ne voyant pas d’issue à la situation actuelle (Daniel COHEN, Gaspard KOENIG, Yuval Noah HARARI notamment), et la perspective inquiétante d’un monde numérique transhumain perçu comme allant à l’encontre des libertés fondamentales. Le désir d’argent et de pouvoir lié au développement des technologies est par ailleurs rappelé, sans considération pour le spirituel qui, d’une certaine manière, se mérite (patience/ascèse versus facilité/plaisir) ou se rencontre lors de parcours de vie pouvant être marqués par la souffrance et l’exclusion.

Le transfert vers les GAFAM de fonctions régaliennes que les États gèrent (exemple de la monnaie que souhaite créer Facebook) parait aussi être une dérive des plus inquiétantes. Comment le numérique déplace les enjeux démocratiques que les États ont mis du temps à consolider.

Par ailleurs, la dialectique entre personne et communauté semble manquer, de même que n’est pas, pour certains, assez présente l’articulation entre démocratie, spiritualité et numérique.

Certains participants évoquent des solutions positives, permises par le numérique et contraintes par le politique : en termes de service, c’est notamment tout ce qui est co- (covoiturage, coworking, …) ; en termes de protection de nos données, l’Europe est la seule institution à avoir mis en place un système visant à les protéger, et des acteurs du numérique y sont eux-mêmes attentifs (exemple du moteur de recherche Qwant).

Il ne s’agit pas non plus d’oublier que certains citoyens ne sont pas connectés, et il serait sans doute nécessaire de donner un droit au non numérique, un droit à l’oreille et au visage, et ne pas perdre de vue l’importance de renforcer l’intériorité.

Le numérique est un phénomène mondial et horizontalisant, un processus marqué à la fois par l’intelligence et la crétinisation, générant au passage de la pollution. Il peut se révéler être un formidable outil d’informations, de contacts, de rencontres, pouvant servir à développer la spiritualité. Tout réside dans son utilisation raisonnée. Sans discipline et modération, le risque est une vie d’excitation et de gratification permanentes pouvant aller à l’encontre de ce que nous estimons bon pour l’humanité.

 

A propos Régis Moreira

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