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2L191: Esprit Civique – L’éthique comme gouvernail

Esprit Civique,

la révolution, c’est le partage

L’éthique comme gouvernail

Notre contribution au débat public en cette période électorale en 12 points, en 12 balises, comme des repères en mer pour l’engagement politique.

Douze balises pour un nouveau personnalisme à l’ère de l’Anthropocène

L’engagement politique exige des balises éthiques : quels liens unissent le bien commun et la dignité de chaque personne ? La responsabilité pour autrui et la justice ?

Le cercle Esprit Civique trouve son ancrage dans les valeurs républicaines et s’inscrit dans l’espace politique de la gauche et du centre. Plus profondément encore, il s’enracine dans la pensée personnaliste (Emmanuel Mounier, Paul Ricoeur, Jacques Ellul entre autres), et dans l’expérience du christianisme social, dont témoignent de façon renouvelée les encycliques du pape François Laudato Si, sur la sauvegarde de la maison commune et Fratelli Tutti sur la fraternité et l’amitié sociale. Dans un monde où tout  est lié, nous défendons une civilisation fondée sur la fraternité : nous nous érigeons contre une culture du déchet qui nie la valeur de la vie humaine, du vivant et des biens communs.

Nous situant dans une perspective critique de l’extrême libéralisme et de résistance aux totalitarismes, qui tous deux  nient la démocratie, nous faisons le choix de la primauté de la personne humaine. Cette conviction fonde une pensée politique qui dépasse tout agencement construit à partir de l’individu, simple exemplaire dans une série. C’est pourquoi notre conception d’une société juste dépasse son aspect uniquement distributif, mais promeut les capacités humaines d’action, d’épanouissement, et de relations. Cela implique une conversion politique permise par une conversion personnelle et intérieure.

Nous voulons contribuer au débat public afin de mettre en lumière les conditions matérielles, sociales et anthropologiques de la dignité de la personne humaine et la valeur intrinsèque des êtres vivants. Sans prétendre être exhaustives, les balises qui suivent nous servent de repères éthiques et de voies de transformation des structures en termes d’économie, de géopolitique, d’écologie, d’éducation, de santé, et de prise en compte de la dimension spirituelle de notre humanité.

Agir pour un renouveau civique, penser un nouvel âge de la mondialisation, doit donner un nouveau crédit à la parole publique. L’éthique n’est pas un fanion en haut du mât, elle est le gouvernail de l’engagement politique.

1. Nul n’est trop pauvre pour participer à la dynamique démocratique

Abstention et vote sanction signent un désaveu populaire de notre démocratie. Les succès populistes questionnent notre pratique de la vie politique, et notre capacité à intégrer chacun dans la cité. Or, l’égalité dans l’exercice citoyen est un principe éthique, et nul ne doit en être exclu au nom de la raison technique et économique. C’est pourquoi l’engagement politique gagnerait à être conçu avec et non pour les exclus. Cette participation des plus pauvres à la dynamique démocratique, des moins visibles au débat politique, est non seulement une question de dignité mais une chance pour l’ensemble de la société. L’Etat de droit est plus fort lorsqu’il suscite et bénéficie en retour de la vitalité citoyenne.

2. La vie d’un travailleur vaut plus que tout l’or du monde

Les personnes éloignées de l’emploi ne sont pas seulement privées d’une ressource matérielle, mais aussi de la possibilité de contribuer à une œuvre commune, de prendre soin de leur famille, et de la fierté du travail bien fait. Récit d’un jour, récit d’une vie, le travail est constitutif de notre dignité intime et sociale. C’est pour cette raison profonde qu’une allocation, même universelle, ne saurait totalement compenser le gâchis humain que représente le chômage et la précarité dans l’emploi à temps partiel, à durée limitée, en tant que « désoeuvrement » pour des millions de personnes.

Le travail doit donc être promu et proposé comme source de dignité, et orienté vers le soin de la maison commune. Cela nous invite à réfléchir à son organisation  en termes de mission de l’entreprise,  en termes d’écarts de rémunération et à écouter ceux qui en sont privés.

3. L’entreprise, acteur politique du XXIème siècle

L’entreprise, lieu de l’investissement productif, communauté de travail et créatrice de richesses à destination de la société est une entité de nature politique. La loi sur le devoir de vigilance et la loi PACTE rappellent sa responsabilité sociale et environnementale : leur efficacité doit être évaluée, elles doivent être étendues au niveau de toute l’Union Européenne.

La valeur de l’entreprise réside dans ses actifs et ses constituants humains : travailleurs, actionnaires, dirigeants, consommateurs et donneurs d’ordre, tous sujets éthiques, capables d’un discernement en vue de l’intérêt général. Nous croyons dans le dialogue social : la représentation effective des salariés dans les instances de gouvernance doit aller jusqu’à la codétermination et participe de cette conversion.

4. Une limite décente aux écarts de richesse et de revenus

Les inégalités de revenus sont devenues telles qu’elles meurtrissent le sentiment d’appartenance à la communauté – l’entreprise ou la Nation. Le mérite et la responsabilité peuvent être reconnus de façon juste sans céder à l’appât du gain. La démesure des richesses génère par ailleurs des modes de vie destructeurs des équilibres écologiques. Un écart maximum de 1 à 12 est respectueux du travail des uns et des autres. Alors qu’une certaine indécence nourrit en retour l’indolence civique, nous sommes a contrario convaincus qu’une société plus équitable est une société plus créative.

Dans le même esprit, une nouvelle politique d’aménagement du territoire doit viser la réduction des fractures territoriales qui aggravent les déséquilibres sociaux : accès aux services publics, couverture numérique, mobilité, culture…

5. Des indicateurs clairs pour des décisions justes et écologiques

Une boussole commune doit nous permettre d’évaluer l’impact de nos décisions publiques pour aujourd’hui et demain, pour notre pays et au-delà de nos frontières. Les indicateurs standards ne prennent pas en compte son coût réel pour l’homme et la planète, ces « externalités » de la croissance actuelle (pollution, perte de biodiversité, souffrance au travail). Or la prise en compte de ces externalités est capitale pour la survie même de notre écosystème planétaire. Les indicateurs de développement humain ne sont pas un « supplément d’âme » facultatif, ils prennent la pleine mesure d’un nouveau monde économique, ils encouragent les comportements responsables et valorisent le juste aménagement des territoires.

6 : Des investissements au long cours : investir les biens communs

Les dérives du libéralisme ont dissocié rémunération à court terme du capital et vision à moyen et long terme. L’Etat et l’Europe pourraient apporter leur garantie, sans incidence sur la dette publique, à des investissements de long terme au service des biens communs les plus essentiels : l’eau, l’air, l’énergie, les forêts, la nourriture, l’éducation, la mobilité, etc. Les investissements et les formes de la production illustrent le lien entre le soin de la planète et la réduction des inégalités sociales. La régulation juridique et financière peut ici faire primer le bien commun de long terme sur les logiques de marché.

L’exemple de la santé est le plus significatif. A l’heure de la pandémie et de burn-out généralisés, investir dans la prévention (moins de 5% des dépenses actuelles) et dans les services publics est décisif pour équilibrer notre système social et faire vivre durablement notre société.

 

7.  La personne au coeur de la révolution scientifique et technologique

La révolution numérique constitue une donnée centrale de notre temps sans laquelle la compréhension de notre monde est impossible. Porteuse de bienfaits, elle a également fait émerger de nouveaux acteurs économiques mondiaux dont la puissance et la concentration, conjointes à leur maîtrise sur nos données personnelles, constituent une menace pour notre liberté individuelle et notre liberté comme communauté nationale. Nous affirmons qu’il convient que la République évalue en permanence sa capacité à protéger nos libertés et porte un regard éthique sur notre rapport à la technique et au numérique, donc au vivant. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : nous affirmons que les faits scientifiques et technologiques ne sont pas neutres. Ils impliquent donc un rôle du politique pour apprendre à chacun comment utiliser ces techniques, plutôt que d’être soi-même utilisé comme un produit. Dans ce sens, il nous semble plus que jamais nécessaire de poser des limites éthiques aux évolutions techniques et scientifiques, qu’elles touchent à nos identités comme à nos corps.

8. L’Europe, une puissance au service de  la paix et la solidarité 

La tragédie ukrainienne a révélé la capacité de l’UE à faire front commun. Née d’un désir de paix, elle doit être un acteur de paix dans le monde, notamment à ses frontières qu’elles soient terrestres ou maritimes. La tragédie des personnes migrantes des pays du Sud révèle quant à elle une Europe limitée et incapable, à ce jour, de penser et d’agir en commun. Or le respect de la dignité des personnes doit toujours demeurer sa norme.

Face au changement de dimension de cet enjeu, il manque aujourd’hui la vision à long terme d’un Schuman pour écrire le récit de la Méditerranée comme celui d’une mare nostrum pour la paix. Face aux naufrages humains, la réponse européenne ne peut pas être exclusivement militaire et humanitaire : un espace de coopération est à réinventer pour réduire la misère, penser et agir dans un esprit de co-développement avec l’Afrique.Chacun des États membres doit faire de ses engagements en matière de transformation écologique un impératif pour une terre vivable pour tous et partout.

L’Europe doit être porteuse d’une vision alternative à une mondialisation vécue comme un déracinement, et ce faisant, avoir un rôle dans la refondation de la puissance publique au XXIème siècle.

9. Un « nouvel âge » de la mondialisation 

En 2050, l’Union Européenne constituera 5% de la population mondiale. Dans ce contexte, la mondialisation peut être une chance pour l’Europe si elle conduit à penser une souveraineté solidaire, dans laquelle les frontières permettent d’être soi pour mieux s’ouvrir au monde.

La liberté des échanges ne doit pas être une entrave aux droits de l’Homme et à la survie de la maison commune : l’évasion fiscale, l’esclavage moderne, l’accaparement des terres et les écocides sont inacceptables. Face à cela, la France et l’Europe doivent tracer le chemin : justice sociale et fiscale, nouvelle génération de traités internationaux incluant l’urgence écologique, droits des migrants, etc. Face aux mythologies consuméristes et financières d’un libéralisme autoritaire, il convient de créer un nouveau récit commun désirable : la parole publique doit affirmer qu’au bout du monde, comme au bout de la rue nous participons tous de la même Humanité.

10. L’éducation populaire : un tiers lieu pour grandir

Une éducation populaire est une réponse forte au sentiment d’ « invisibilité » vécu par ceux qui se vivent en périphérie de la modernité. Nous devons redécouvrir des tiers-lieux à côté des familles et de l’école de la République. Lieu d’apprentissage de la responsabilité pour autrui et du déchiffrement du monde, il est la condition du renouvellement de l’engagement politique. Le vécu partagé dans l’éducation populaire constitue un lien qui nous libère du risque de devoir tout perdre à chaque génération. Expression de la gratitude à l’égard de nos multiples héritages, il nous inscrit dans une filiation sans nous y enfermer : devenir Français, c’est être initié au caractère universel de nos valeurs et à l’esprit critique. Un temps donné pendant sa jeunesse au service des autres dans la gratuité et la mixité est une formidable occasion de former une génération civique.

11.  Des espaces et des temps de gratuité 

Il y a les choses qui ont un prix et celles qui n’en ont pas. Il est urgent de poser des limites pour permettre une vie intime et publique affranchie de l’idéologie consumériste. Le travail le dimanche constitue par exemple la destruction d’un temps de respiration commun, d’un recul de ce qui fut une conquête profondément humaniste. Plutôt qu’un appauvrissement collectif qui brise du lien sans créer de biens, le vrai progrès serait d’investir ces temps libres et un espace public non assujetti à une logique marchande. Le lien à la nature, à la culture, aux autres, à une vie spirituelle, n’est pas un privilège mais le sel de la vie ! C’est la même logique de démarchandisation qui exige un modèle pluraliste de financement des médias garant d’une visée éthique de l’information. Une des conditions de confiance nécessaire au débat public dans une démocratie vivante.

12.  Le spirituel comme source de fécondité démocratique

Ces balises éthiques rappellent en définitive que chaque personne doit être appréhendée non en termes d’utilité, mais dans toutes ses dimensions, et selon toutes ses capacités : la santé de son corps, la possibilité de vivre avec d’autres, de se réjouir, la participation aux choix civiques et politiques, mais aussi la faculté de penser et de chercher le sens.

La politique est source d’espérance lorsqu’elle fait de cette quête commune de la vérité l’inspiration de ses choix. Nous croyons à une laïcité vécue comme une reconnaissance des religions et des convictions.. Le dialogue interreligieux et le pluralisme sont féconds pour la République, en ce qu’ils protègent des libertés individuelles du totalitarisme et sont sources de vitalité pour l’espace public. Les transformations éthiques et écologiques nécessaires à notre société se feront grâce à l’apport de tous : le spirituel est le creuset le plus profond d’une conversion de chacun dans l’optique d’une révolution fraternelle.

A propos Régis Moreira

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