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3L191: Le viol comme arme de guerre

Le viol comme arme de guerre

PUBLIÉ LE 10 AVRIL 2022 PAR PHILIPPE BRENOT

Nous avons donc tous été interpellés par la découverte d’exactions envers des civils dans la guerre d’Ukraine, à Boutcha, Irpin et Hostomel, près de Kiev, meurtres, tortures, viols ! A la suite de ces alertes, cela m’a amené à écouter (vidéos) et lire plusieurs témoignages de viols de guerre (nous sommes dans un conflit très particulier, au sein de l’Europe, couvert par un nombre considérable de journalistes d’investigation, permettant le recueil des récit de ces exactions presque en temps réel). Au vu de ces témoignages, le viol semble réalisé en temps de guerre par sidération, menace et surtout contrainte. Ces récits mentionnent notamment une circonstance particulière : la présence de plusieurs acteurs, en moyenne deux ou trois. Une psychologue ukrainienne, Kateryna Haliant, qui reçoit des femmes et des jeunes filles témoignant avoir été violées par des militaires russes, exprime son grand étonnement sur la similitude des vécus : « Comme si les Russes avaient planifié tout cela… le matin ou l’après-midi, les soldats vérifiaient qui vivait dans les maisons. Puis ils revenaient le soir, tuaient les éventuels hommes du foyer, pillaient argent et bijoux, mangeaient, buvaient et violaient les filles et les femmes, même en présence des enfants… »*

Viols en temps de guerre

Depuis l’Antiquité, tous les historiens l’attestent, le viol semble consubstantiel à la guerre. Le viol et l’enlèvement des femmes (on pense immédiatement à l’enlèvement des Sabines, épisode légendaire de la fondation de Rome) apparaissent comme un moyen  de résoudre ou de terminer un conflit par l’humiliation du vaincu. De la Guerre de Cent Ans aux campagnes d’Italie, à la dévastation du Palatinat ou l’occupation de l’Espagne par les armées de Napoléon, La Femme et le soldat entretiennent une relation souvent terrible qu’un historien comme José Cubero a si bien décrite**. Les femmes des vaincus sont considérées comme « butin de guerre » et le viol comme une compensation à « l’effort de guerre ». D’autant, diront les belligérants, que le viol est utile au moral des troupes.

Dans cette perspective, le XXe siècle a donné lieu à de terribles exactions, tout particulièrement deux d’entre elles pour l’impact sur les populations qu’elles ont pu avoir, qu’elles ont toujours.

Le 13 décembre 1937, l’armée japonaise remonte de Shanghai et entre à Nankin. Les japonais violent les femmes avant de les tuer.  100 000 victimes. Le révérend James Mc Callum en témoigne dans son journal intime : « Je ne sais pas quand cela se terminera. Jamais je n’ai entendu ou lu autant de brutalité. Viol ! Viol ! Viol ! Nous estimons au moins 1 000 cas par nuit et beaucoup de jour. En cas de résistance ou tout ce qui ressemble à une réprobation, il y a un coup de baïonnette ou une balle… Les gens sont hystériques… Les femmes sont emportées chaque matin, après-midi et soir. Toute l’armée japonaise semble libre d’aller et venir comme elle veut et de faire ce qui lui plaît. » La mémoire de ce « massacre » est toujours vive en Chine avec un profond ressentiment envers le Japon.

En avril 1945, conformément aux accords de Yalta, les troupes américaines arrêtent leur progression sur le front ouest, pour laisser les Soviétiques pénétrer seuls dans Berlin en « libérateurs ». On estime à 100 000 le nombre de femmes berlinoises systématiquement violées par les soldats russes. Il faudra attendre la chute du mur pour que ce sujet soit librement évoqué. L’Allemagne en garde toujours un profond ressentiment anti russe et soviétique.

Plus près de nous, et encore aujourd’hui les viols se perpétuent en République Démocratique du Congo, en état de guerre permanente depuis de nombreuses années. « Ils m’ont violée au bord de la route. Et ma fille de 12 ans aussi », raconte en phrases courtes Alice, 28 ans, dans une salle d’écoute de l’hôpital de Masisi, dans l’Est de la RDC. »*** La province est en état de siège permanent depuis près d’un an. Les militaires ont pleins pouvoirs : « Un premier homme viole Alice. « Puis le chef de la troupe a enfoncé un couteau dans mon vagin. Il y a eu des coups de feu. Je me suis enfuie en abandonnant mon mari et mes deux filles… » Plus d’un mois après, elle n’a toujours aucune nouvelle de son mari… ni de sa fille… toutes les femmes interviewées ce jour-là ont subi au moins deux viols dans leur vie. Dans l’enfance, au cours de l’adolescence, le mois dernier…»***

En Irak dominé par Daech, des dizaines de milliers de femmes ont été victimes de viols systématiques et pour une part réduites à l’état « d’esclaves sexuelles ». Si la méthode peut sembler similaire, la justification idéologique est quelque peu différente puisque Daesh entendait instaurer un état où les femmes sont subordonnées à l’ordre masculin. Au tribunal d’Alexandria (US), où se déroule actuellement le procès d’El Shafee el-Sheikh, un jihadiste accusé d’avoir fait partie d’un trio spécialisé dans la capture et l’exécution d’otages occidentaux, Lia Mulla, une jeune Yazidie, raconte comment les femmes étaient réunies dans « la maison sale », appelée ainsi « parce que c’est l’endroit où ils amenaient les jeunes femmes pour les violer. » Le viol systématique des Occidentales et des femmes issues de minorités comme les Yazidies fait partie de la stratégie de Daech pour assujettir les populations.

Le viol comme arme de guerre

Le viol comme arme de guerre est devenu intentionnel et souvent systématique au XXe et dans notre début de XXIe siècle. Il est reconnu depuis peu par le droit international (fin des années 1990) pour être poursuivi avec instruction par le Tribunal Pénal International. En effet,  le viol comme arme est documenté de façon quasi systématique dans les récents conflits de la fin du XXe siècle au cours de la guerre de Bosnie, dans le génocide du Rwanda, au Congo RDC… et l’on peut malheureusement décrire trois formes de viol :

  • Le viol des femmes pour humilier le groupe humain dont elles font partie et le détruire. Le viol est une évidente atteinte au corps de la femme mais aussi à sa réputation, à la réputation de sa famille et de la communauté. Les femmes violées sont alors souvent rejetées. Le viol des femmes est enfin destiné à casser la filiation car une part de ces viols sont inséminants et ces enfant du viol au destin tragique seront une plaie pour leur mère et pour la communauté. Ils seront, eux aussi, souvent rejetés. On a pu récemment montrer la volonté « guerrière » d’éliminer génétiquement une population ciblée. Humiliation suprême, la fréquence des viols de femme devant le mari mais aussi les enfants. Volonté explicite de destruction des personnalités au-delà des populations.
  • Le viol des hommes est une nouveauté dans sa systématique. On l’a récemment documenté en Syrie, en Ouganda… toujours pour détruire la communauté, la sodomisation étant, dans les populations musulmanes ou chrétiennes, l’humiliation suprême pour un homme. Le plus récent exemple nous est donné par la Lybie où se perpétuent encore actuellement de très nombreux viol d’hommes dans l’état de guerre permanente qui anime plusieurs factions rivales.
  • Les viols d’enfants ont été malheureusement décrits, toujours dans les mêmes conflits, Syrie, Congo RDC … toujours dans le même but : à travers l’individu, détruire la famille et la communauté.

Tous ces crimes sont symboliquement irréparables car, malheureusement, ils sont terriblement efficaces pour affaiblir, déstabiliser, briser et faire disparaître  les populations agressées. Deux exemples édifiants soulignent le caractère intentionnel et systématique de ces viols qui sont aujourd’hui à part entière des armes de guerre : en Yougoslavie, lors du génocide bosniaque de 1992 à 1995, ont existé des « camps de viol » à Foča et Višegrad, près de la frontière de Serbie, où les soldats serbes pouvaient disposer à volonté des femmes musulmanes captive. En 1994 au Rwanda, il existait des « bataillons de violeurs » choisis car porteurs du VIH et formés au viol systématique avec un double dessein destructif, par le viol et la maladie.

Espoir

Dans cet océan d’atrocités, des voix s’élèvent heureusement pour signaler, dénoncer, se révolter et puis instruire et réparer. C’est tout d’abord celle de Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes », gynécologue au Congo et prix Nobel de la paix, l’homme de bien qui répare les corps comme il répare les âme en suscitant un immense mouvement d’éveil des consciences. Et celle, moins connue, de Céline Bardet, juriste et enquêtrice internationale, qui pourchasse les viols de guerre avec son ONG « We Are Not Weapons of War » (WWoW) (Nous ne sommes pas des armes de guerre)****.

A propos Régis Moreira

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