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3L193: Compromis, Disputatio, Compromission ? par Monika Wonneberger-Sander

Compromis, Disputatio, Compromission ?

Après les dernières élections, la France découvre que le Président et le parlement ne sont plus au diapason. Et les journaux de se gausser de l’incapacité de la France de gérer les compromis, facilement confondu avec compromission.

Paul Ricoeur a bien montré comment le compromis était d’abord un acte de courage. Il passe par la reconnaissance de l’autre dans sa différence : cela concerne la culture, la mémoire (l’histoire), la religion. Il ne sera jamais parfait ni complet mais permet d’avancer au lieu d’enfermer. Prendre ses responsabilités au lieu de se reposer sur quelqu’un d’autre, accepter l’altérité au lieu d’exclure sous prétexte de « principes non négociables », se donner une chance de vivre autrement.

Paul Ricoeur, encore lui, parle de la nécessité de lieux de « traduction » que sont les corps intermédiaires, associations, syndicats ou églises pour faciliter le débat, bien sûr mais on peut aussi tirer profit du passé :

Un événement intéressant a eu lieu à la Sorbonne en avril 2022. Les Jésuites y relançaient l’art de la discussion, la disputatio (1). « Ce n’est pas un concours d’éloquence. C’est une technique de débat qui incite à penser par soi-même sans pour autant s’enfermer dans un camp retranché ou dans un système de pensée clos ; elle oblige à se mettre à la place de celui qui ne pense pas comme nous en s’exerçant à défendre des positions que l’on n’a pas choisies. »

Au lieu de se perdre dans des polémiques stériles, cette méthode, dont les racines remontent au Moyen-Âge, peut nous inciter à retrouver le goût de la controverse même si la suite des évènements ne répond pas aux attentes. “La controverse de Valladolid”, roman de Jean-Claude Carrière, en est une intéressante illustration.

En 1550, après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, Charles Quint convoque une assemblée pour débattre de la question : les Indiens sont-ils des hommes, libres et égaux ? Ont-ils une âme ? Ou sont-ils des êtres inférieurs qu’il faut soumettre et convertir ?

Pour aider le pape Jules III à prendre une décision, deux religieux espagnols débattent :

Ginès de Sepulveda défend la guerre au nom de Dieu, et Bartolomé de Las Casas, prêtre ayant vécu dans le Nouveau Monde, lutte contre l’esclavage des Indiens. Les lois, destinées à protéger les indiens, promulguées par la suite, n’ont aucun effet, les massacres continuent.

Serions-nous donc des esclaves par nature, comme le dit Aristote, qui ne peuvent être soumis que par la force ?

Il y a aussi le Traité de paix de Saint Germain-en-Laye du 8 août 1570 qui mettait fin à la troisième guerre de religion, traité signé entre le roi Charles IX et l’amiral Gaspard de Coligny.

Il est le résultat de longues discussions entre catholiques et protestants après la défaite de Jarnac, l’assassinat du prince de Condé en 1569 et la nomination d’Henri de Navarre (futur Henri IV) comme chef des protestants.

Le  traité appelle à la tolérance, aucune différence ne peut être faite pour cause de religion. Il servira de modèle par la suite jusqu’à l’édit de Nantes car les négociations entre huguenots et catholiques sont tout à fait captivantes, exemplaires. Henri de Malassise le catholique et Monsieur d’Ublé le protestant apprennent à lâcher leurs certitudes et leurs convictions pour mieux entrer dans la logique de l’adversaire. Cette paix ne durera pas, il nous reste l’art de la négociation.

Beaucoup de propositions existent aujourd’hui :

Le Pacte civique (2) propose de « penser, vivre, agir autrement » autour de 5 thèmes non exhaustives : Fraternité, démocratie, sobriété, emploi, Europe.

Dans un communiqué de presse, « Un gouvernement pour agir », le Pacte du Pouvoir de vivre(3)  suggère « d’agir avec méthode dans le respect de la place des acteurs sociaux ». En précisant que toute ambition de transformation est vouée à l’échec sans dialogue étroit avec les acteurs sociaux.

Jean-Claude Devèze (Démocratie & Spiritualité),  propose de pratiquer l’éthique du débat de manière très concrète : Au cœur de la méthode de la construction des désaccords féconds se situe le débat mouvant (4) qui permet de clarifier rapidement un sujet qui fâche ou de sensibiliser une organisation à une méthode de traitement de désaccords.

Cette dynamique de groupe peut inciter à chercher une position consensuelle, une clarification des désaccords, et fait émerger une intelligence collective.

Ces exercices de construction des (dés)accords favorisent non seulement la pratique de l’éthique du débat, mais aussi l’amélioration du dialogue qui est conduit avec les autres comme avec soi : il s’agit de mieux comprendre certes les positions des autres, mais aussi les raisons de ses propres prises de position. 

Paul Ricoeur, Patrick Viveret se sont penchés sur ces questions pour trouver une alternative à la violence née de l’incompréhension.

Notre époque passionnante bien que périlleuse nous incite à mener une réflexion profondément éthique, avoir les yeux rivés sur le but à atteindre pour trouver des solutions conformes au bien-être du plus grand nombre ; apprendre l’art du compromis (sans compromissions) pour parvenir à des solutions novatrices et bénéfiques, prendre des initiatives sans que personne ne se sente frustré sont des défis à relever.

Monika Wonneberger-Sander

 

1- P. François Euvé sj, Rédacteur en chef de la revue Études,
communauté jésuite Saint-Ignace à Paris

2-https://pactecivique.fr/

3-https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/actualites

4- Extrait livre JC DEVÈZE Pratiquer l’éthique du débat (Chronique sociale, 2018) Le débat mouvant porte ce nom, car le groupe joue à un jeu des quatre coins : les participants sont invités, selon les ressentis éprouvés à l’énoncé d’une phrase, à se mouvoir vers un des quatre coins de la salle étiqueté « d’accord », « pas d’accord », « ne sait pas », « à reformuler ». 

A propos Régis Moreira

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