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7L193: Le témoignage et l’hommage  d’un ancien écolier de Jouy-sur-Morin

Aurélien Parent (1922-2011) 

Le témoignage et l’hommage  d’un ancien écolier de Jouy-sur-Morin 

Par Serge Cordellier 

Je vous présente le témoignage d’un ancien écolier de la communale de garçons de Jouy-sur-Morin (77320) sur son maître d’école. Ce témoignage est aussi un hommage. J’ai gardé un fort souvenir de Monsieur Parent qui était aussi le directeur de cette école.  Pourtant, à en croire mes cahiers de l’époque, je n’ai été que pendant deux années scolaires  sous sa responsabilité d’éducateur : 1960 – 1961 en CM2 et 1961 – 1962 en Cours de fin  d’études avant d’aller en 6e au lycée Jules-Ferry de Coulommiers. Mais je fais peut-être  erreur, car je me souviens avoir passé trois fois le « bac blanc » de fin d’études » et d’avoir  attendu de partir en sixième une année supplémentaire pour raisons familiales. Ce lycée  Jules Ferry allait alors de la 6e à la Terminale (antérieurement de la 10e à la Terminale avec  le « petit lycée »). Cet épisode de mon éducation, même court, m’a profondément marqué et  m’a très durablement servi jusqu’à aujourd’hui où une partie de mon activité est consacrée à  de la formation pour adultes (dont des formations de formateurs) et à la mise en œuvre de  démarches de réflexion et d’action collectives.

L’École de la République 

Mon témoignage porte pour l’essentiel sur les méthodes pédagogiques appliquées par cet  instituteur peu commun.

S’il fallait caractériser en une formule notre maître d’école, je dirais d’abord qu’il appartenait  à la dernière génération héritière des « hussards noirs » de la République, dans la meilleure  tradition de l’école publique, laïque et républicaine. On a appelé « hussards noirs » les  premiers instituteurs et formateurs de l’École fondée par Jules Ferry à partir de la décennie  1880.

Hussards noirs parce qu’ils portèrent, dans une première période, une sorte d’uniforme noir civil et civique, avec quelques parements violets. Pour le grand écrivain Charles Péguy, mort  au combat en 1914 après avoir rejoint le 276e régiment d’infanterie de Coulommiers le 4 août, les hussards noirs n’étaient « point pour nous des instituteurs, ou à peine. C’étaient  des maîtres d’école. […] C’était le civisme même, le dévouement sans mesure à l’intérêt  commun ; notre jeune École normale [où étaient formés les instituteurs] était le foyer de la  vie laïque».

Mais qu’on ne s’y méprenne pas : notre instituteur, pas plus d’ailleurs que Péguy, n’était  anticlérical. Il reste dans mon souvenir comme un grand humaniste s’intéressant à tout et  souhaitant nous intéresser à tout, y compris aux cathédrales et à leurs vitraux, avec des  supports pédagogiques transparents et en couleur d’une qualité et d’une finesse  exceptionnelles pour l’époque. Il nous faisait aussi reproduire les armoiries des provinces de  l’Ancien Régime. On pourrait citer d’autres exemples.

C’est grâce à Monsieur Parent et à cette tradition de l’École publique que je me considère comme un « enfant de la République » et que je continue à l’occasion à me revendiquer  comme tel. À cette époque, l’École favorisait l’ascenseur social, la méritocratie (la  progression sociale des enfants au mérite des études). J’en ai personnellement pleinement  profité. Et j’en suis très reconnaissant d’abord à mon maître d’école. Je n’ai que de bons  souvenirs de cette période, des souvenirs de conquête de liberté et d’autonomie par  l’acquisition de connaissances et de savoirs, par le développement de l’esprit d’initiative et

d’organisation des gosses que nous étions.

La communale de Jouy représentait une certaine hétérogénéité sociale mais, pour ma classe  d’âge, il n’y avait pratiquement pas de fils de notables (ce qui n’aurait pas été un problème).  En revanche, elle comportait beaucoup de rejetons de familles (très) nombreuses dont les  parents vivaient en partie grâce aux allocations familiales ou aides sociales. Les classes  comptaient surtout beaucoup de fils d’ouvriers et d’employés d’usine, de paysans ou  d’artisans, ainsi que quelques enfants de familles qu’il serait aujourd’hui convenu d’appeler  « Roms », en voie de sédentarisation…

L’éducation artistique et l’éducation sportive 

La grande révolution pédagogique introduite par le maître d’école avait consisté à instituer  une sorte de tiers temps. Cela permettait notamment une éducation artistique et une  éducation sportive exigeantes.

Initiation artistique 

Cette initiation prenait de multiples formes : musique (l’instituteur était un véritable homme orchestre), chant choral, théâtre, poésie, peinture, dessin, décoration. Évoquons deux  exemples parmi beaucoup d’autres.

Peinture : l’exemple de la « patatogravure » 

Cela consistait à dégager à l’une des extrémités d’une pomme de terre un embout carré de  quelques millimètres de côté puis à utiliser cet outil rudimentaire pour, après l’avoir  tamponné avec une couleur de la boîte à peinture, appliquer de petits à-plats carrés de  couleur sur une feuille de dessin. En répétant cette opération avec d’autres couleurs, on

aboutissait à une composition pouvant ressembler à certaines céramiques et même  comporter des motifs imaginatifs.

 

Cette technique était sans doute utilisée dans d’autres écoles. Son intérêt était double. D’une  part, elle permettait à des élèves qui maîtrisaient mal le dessin ou la peinture de s’exprimer  d’une autre manière, avec un morceau de patate. D’autre part, elle ne nécessitait aucune  technologie ni aucun outil particulier.

Poésie et poètes 

Les récitations de poésie et leur mémorisation faisaient partie de l’enseignement dispensé  dans les écoles primaires. Donc, ce n’était pas en soi original. Ce qui l’était plus peut-être,  c’était le répertoire et les auteurs. J’ai consulté mes cahiers de l’époque. On y retrouve,  parmi d’autres, Verlaine, Apollinaire, Paul Fort et ses ballades, mais aussi Jacques Prévert

(Chanson des escargots qui vont à l’enterrement), Louis Aragon (Je vous salue, ma France)  ou encore Charles Péguy (Adieu à la Meuse).

Les deux derniers titres relevaient plutôt de la fibre patriotique. J’ignore si cet échantillon  d’auteurs relevait des prescriptions du programme, mais il est certain que ces textes étaient  pour certains grandement éveilleurs.

Éducation sportive 

Les activités sportives occupaient une part de temps significative chaque semaine. Pour les  compétitions, le maître d’école nous avait équipés de maillots sportifs mauves et avait fait  créer un écusson « Jouy-sur-Morin ». Je l’ai conservé. Les activités sportives étaient de  différentes natures mais deux ont laissé de forts souvenirs aux anciens élèves.

La course à pied et le cross 

Chaque semaine avait lieu une course de 800 m chronométrée dans la côte de Voigny à  partir de la cour de l’école. Il s’agissait de deux allers et retours jusqu’à l’embranchement de  la rue de la Cave. Monsieur Parent avait auparavant arpenté le parcours avec un vélo  mesureur (la roue avait une circonférence étalonnée). L’hiver, avec d’autres camarades, je  participais le jeudi à des compétitions de cross dans le département.

Le tennis de table 

L’école disposait de tables de « ping-pong » permettant de jouer entre nous et de nous  entraîner. Certains jeudis avaient lieu des tournois entre écoles. Nous nous y rendions dans  la Peugeot 403 noire de Monsieur Parent. Les principales écoles partenaires étaient La  Ferté-Gaucher, Quincy-Voisins, Dammarie-les-Lys, Vaux-le-Pénil… J’en oublie sans doute  certaines. Ces tournois se déroulaient dans le cadre de l’UFOLEP (Union française des  œuvres laïques d’éducation physique) agissant au sein de la Ligue de l’enseignement. J’ai  conservé ma carte…

Une coopérative scolaire d’écoliers très active 

Cette coopérative scolaire, autogérée par les écoliers, avait des activités très variées.

Récupération de vieux papiers et cartons 

Ceux qui déjeunaient à l’école collectaient des vieux papiers et cartons lors de la pause du  midi. On arpentait le bourg et les hameaux avec une carriole empruntée à Mme Suzanne  Testard (droguiste et épouse de l’artisan-peintre en bâtiment Gabriel Testard), dont je salue  les mémoires. Le préau servait d’entrepôt. Cette récupération « écologique », qui  correspondait à de gros volumes, rapportait par revente des recettes qui permettaient  d’investir dans des activités ou du matériel (artistique) ou encore des équipements (sportifs),  etc.

Vente d’objets artistiques  

Ces ventes au bourg et dans les hameaux concernaient des créations artistiques des  écoliers (moulages en plâtre, dessins, peintures et reproduction de vitraux sur différents  supports, décorations d’assiettes et d’objets, etc.).

Ces ventes dans la commune, de même que la collecte de vieux papiers étaient des  tournées joyeuses, autogérées par nous, dans un esprit d’initiative collective dont nous  étions pleinement acteurs. Quelques camarades consultés en gardent, cinquante ans plus  tard, un souvenir ému et enthousiaste.

Une « république des enfants »  

La coopérative scolaire menait beaucoup d’autres activités, parmi lesquelles la gestion et le  prêt aux écoliers de magazines comme Record. Globalement, elle favorisait l’esprit  d’initiative et de responsabilité des participants, et contribuait à la conquête de leur  autonomie. C’était aussi un apprentissage à la coopération entre les élèves en ce sens qu’il  s’agissait d’une petite république des enfants. Cette coopérative construisait aussi, au  travers des écoliers, des liens originaux entre l’école et les citoyens de la commune au-delà  des relations existant entre instituteurs et parents d’élèves.

Une pédagogie pour une école moderne 

Monsieur Parent était un instituteur très moderne par ses pratiques ; il ne suivait pas le  chemin traditionnel quant aux méthodes d’enseignement. Ont déjà été évoqués le quasi-tiers  temps, l’initiation artistique, l’éducation physique et la coopérative scolaire.

Des méthodes nouvelles 

Quelques autres exemples illustrent ses choix. D’une part, les tests (« interros écrites »)  n’étaient pas annoncés pour éviter le bachotage. Ces tests avaient bien lieu, mais  intervenaient par surprise. D’autre part, le travail à la maison était à discrétion mais  aucunement imposé, ce qui limitait les conséquences des inégalités culturelles et sociales  entre familles. Ma sœur (scolarisée à l’école de filles du Centre) m’a rappelé qu’elle était très  étonnée d’avoir à faire des devoirs à la maison, au contraire de moi. Tout cela  s’accompagnait d’une grande disponibilité de l’instituteur vis-à-vis des élèves. Il exerçait

envers nous une autorité naturelle qui le faisait respecter. À cela, il faut ajouter une utilisation  très précoce de la radio scolaire et des « exercices » visant à développer la confiance en soi  des élèves. Ainsi nous avait-il expliqué l’opération permettant d’extraire la racine carrée d’un  nombre. Il s’agit d’un calcul très mécanique et très simple qui était aisément accessible en  CM2. Un jeu en quelque sorte, qui conférait un sentiment de fierté aux élèves. La modernité  de l’enseignement tenait aussi au choix de certaines références. Cela a déjà été évoqué à  propos de certaines récitations de poésies, mais valait parfois aussi pour les dictées. Ainsi,  sous le titre « Trucage », la dictée du 11 mars 1961 décrivait la manière dont une  catastrophe ferroviaire au Far West avait été tournée (pour un film) avec un modèle réduit de  train et de viaduc et des trucages divers. Tout y était, y compris la durée de la séquence  (une demi-minute à l’écran) qui serait montée et son coût (quatorze millions de francs). Cela  développait l’imaginaire.

On pourrait encore rappeler certaines prestations gymniques (pyramides humaines…) ou  des mises en scène, à l’occasion des fêtes de fin d’année scolaire, pour des saynètes comme le conte musical Pierre et le Loup de l’immense compositeur russe Serge Prokofiev.

Des emprunts à certains courants pédagogiques 

Grâce aux études que j’ai eu la chance de pouvoir poursuivre longuement et dans des voies  variées, et grâce à certaines expériences professionnelles que j’ai vécues (formations  d’adultes dans le domaine de l’éducation populaire notamment), j’ai pu resituer ultérieurement la manière de faire de mon maître d’école dans l’histoire de l’éducation et  dans les différents courants pédagogiques qui ont marqué celle-ci. Pour autant, je ne suis  pas sûr qu’il se revendiquait personnellement de ces courants. Mais à mes yeux, certaines  parentés sont patentes.

‒ Approche globale, coopération, expérience personnelle  

En France, les différents courants de pédagogies actives sont le plus souvent regroupés  sous le vocable « Éducation nouvelle ». Au-delà de leur diversité, ces pédagogies ont en  commun de favoriser une approche globale, l’esprit de coopération, de faire confiance à  l’acquisition de l’expérience personnelle.

Les pédagogies actives, dans leur ensemble, se préoccupent en général non seulement de  l’acquisition de savoirs « académiques », mais aussi artistiques, de la découverte du milieu  et du monde, du développement physique et sportif, des apprentissages manuels, de  l’acquisition de la capacité de jugement et d’esprit critique, etc. L’observation et l’expérience  personnelles font partie des apprentissages.

Les courants les plus connus remontent au début du XXe siècle, mais leur influence, quoique minoritaire, perdure jusqu’à nos jours. On peut évoquer les écoles Freinet, Montessori,  Decroly, etc.

 

Pour conclure, un souvenir 

Le 3 juillet 1962, dans les jours mêmes où j’allais quitter l’école primaire pour entrer en 6e au  lycée Jules Ferry à la rentrée suivante, Monsieur Parent nous dit : « Rouvrez vos cahiers de  dates historiques [qui mentionnaient les dates de l’histoire de la France1] et inscrivez :  − « 3 juillet 1962 : reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie par la France ».  Ce n’était pas si commun.

À mon maître d’école, je transmets avec émotion mon salut respectueux et fraternel. _____________________

Remerciements à Michel Doublet, Michel Zanchi, Luc Neyrinck, Francis Rynck, Roger  Doublet, Elisabeth Parent, Pascal Parent… qui m’ont conforté dans mes perceptions et en ont précisé certaines.

sergecordellier@gmail.com

 

 

  1. Parmi lesquelles Vercingétorix et Alésia ; Clovis, le vase de Soissons et les Mérovingiens ; Pépin le Bref,  Charlemagne empereur et les Carolingiens ; Hugues Capet, Philippe Auguste, François Ier; mais aussi Bouvines,  Crécy, Azincourt, Gutenberg, Marignan ; les États-Généraux et les Cahiers de doléances, le Serment du Jeu de  Paume, la Constituante, la prise de la Bastille et la Grande Révolution de 1789, Valmy, Bonaparte, puis  Napoléon Ier empereur, Austerlitz, Waterloo, la Restauration, les Trois Glorieuses de 1830, la Révolution de  1848 qui débouche sur la IIe République, le coup d’État de Louis-Napoléon (« Badinguet » pour Victor Hugo) ;  Solferino et la création de la Croix-Rouge par Henri Dunant ; la dernière charge des cuirassés français de  Reichshoffen (Alsace), certes héroïque mais sans espoir (que le maître d’école aimait à rappeler) ; Sedan et la  défaite de 1870 face à la Prusse. La fondation de la IIIe République, la Commune de Paris ; la Grande Guerre,  dont les batailles de la Marne et celle de Verdun ; la guerre de 1939-1945, dont l’exode que l’instit’ avait vécu  sur un vélo tiré par une ficelle reliée à une automobile, l’Appel du 18 juin de De Gaulle ; la « cinquième  colonne », le régime de Vichy et l’Occupation, la Résistance ; la Libération de Paris ; le Gouvernement  provisoire du général de Gaulle et la fondation la IVe République ; le retour du Général en 1958 et l’instauration  de la Ve République et, donc, la fin de la guerre d’Algérie [mais on n’enseignait pas alors, selon les programmes,  les guerres et répressions coloniales Madagascar, Indochine, Algérie…].

A propos Régis Moreira

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