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1L200 Après l’affaire de l’abaya. Pour une relance de notre appel à la création d’une Autorité indépendante sur la laïcité.

Il y a deux ans et demi nous avons lancé un « Appel à la création d’une autorité indépendante sur la laïcité sur la plateforme partenaire We Sign It », intitulé « Pour une laïcité de paix ».

Cette proposition faisait suite aux débats que nous avions eu, notamment avec Jean-Louis Bianco, sur l’évolution de l’Observatoire de la laïcité, après la volonté manifestée par le gouvernement de l’époque de ne pas renouveler cette instance rattachée au Premier ministre et de lui substituer un comité interministériel chargé de la laïcité, rattaché, lui, au ministre de l’Intérieur. Notre proposition qui a recueilli un peu plus de 1600 signatures n’est pas passée totalement passée, mais, dans le contexte de l’hystérisation des débats qui ont suivi avec le projet de loi dit « séparatisme », elle n’a pas vraiment été étudiée.

Comme j’ai été amené à l’écrire sur mon blogue (J’ai fait un rêve, celui d’une laïcité apaisée (après l’affaire de l’abaya). – daniel-lenoir.fr), la façon dont le débat sur l’abaya a été conduit montre à quel point cette proposition était pertinente, comme, d’ailleurs, nous l’avions anticipé à l’époque : « Pour apaiser les débats sans instrumentalisation politique ou idéologique et régler les dilemmes du quotidien dans le respect des droits humains et des libertés publiques l’association Démocratie & Spiritualité appelle à créer, pour remplacer l’Observatoire de la laïcité, une autorité administrative indépendante, à l’image du Défenseur des droits ou de la Cnil, plutôt qu’une « administration » comme l’a annoncé la ministre déléguée chargée de la citoyenneté. »

L’affaire de l’abaya a montré à quel point un dilemme – « faut-il ou non, en application de la loi de 2004 (qui reprenait la proposition de la commission Stasi qui avait d’ailleurs auditionné D&S) interdire le port de l’abaya (et de la qamis pour les garçons) à l’école ? » – pouvait à la fois être instrumentalisé à des fins politiques (diviser la gauche, par exemple) et idéologiques (flatter le sentiment antimusulman de nombre de nos concitoyens), conduire à une hystérisation du débat qu’on avait rarement connu, tout en ramenant les questions de la rentrée scolaire à ce seul sujet.

Faisons un peu de politique fiction. Si notre proposition avait été retenue :

  • Au lieu d’annoncer à grand renfort de communication médiatique la sortie d’une circulaire interdisant l’abaya, le ministre de l’Éducation nationale aurait saisi la Haute autorité chargée de la laïcité pour rendre un avis (ou une recommandation) opposable (c’est-à-dire ayant la même autorité que sa circulaire).
  • Il est probable que celle-ci aurait conclu à l’interdiction (puisque le Conseil d’Etat l’a validée), mais après avoir procédé à des auditions permettant aux différents points de vue de s’exprimer.
  • De toute façon sa décision aurait pu de la même façon que la circulaire du ministre être contestée devant le Conseil d’Etat qui aurait, quel qu’elle soit, rendu la même décision.
  • L’ordre juridique serait globalement le même mais nous nous serions évité un mauvais débat « politique », particulièrement nauséabond, qui a renforcé un clivage inutile au sein de la société française, et pu consacrer notre énergie et nos disputes démocratiques à d’autres sujets plus essentiels tant sur l’éducation que sur la situation dans les banlieues, ou sur l’immigration, par exemple (pour ne parler que des sujets connexes à cette affaire).

Le CA de Démocratie & Spiritualité a donc souhaité faire de cette mauvaise affaire qui, quelles que soient leurs positions sur le fond, a laissé un mauvais souvenir à beaucoup, pour relancer la proposition de création d’une Autorité indépendante. Cela serait aussi un moyen de revenir sur certaines dérives de la loi dite « séparatisme » (1), comme, par exemple l’instrumentalisation du contrat d’engagement républicain à des fins qui n’étaient pas les siennes, comme la remise en cause par l’exécutif ou par les préfets de la promotion de la désobéissance civile comme forme d’action non-violente. Nous avons donc décidé de relancer cet appel qui vise à mieux gérer la laïcité, ce « bien démocratique »(2) constitué au cours de notre histoire et qui est à ce titre visé dans l’article 1er de la Constitution (3).

Daniel Lenoir

Président de Démocratie & Spiritualité.

 

Annexe : Texte de l’appel

Alors que l’Observatoire de la laïcité vit ses dernières heures et que le gouvernement envisage la création d’une nouvelle administration, nous l’appelons à la mise en place d’une autorité indépendante dont la charge sera d’arbitrer les dilemmes du quotidien dans l’application des principes de la laïcité. 

 

Des débats malodorants sur un projet de loi fourretout supposé lutter contre le « séparatisme islamiste » à la dissolution annoncée de l’Observatoire de la laïcité, du lancement d’une enquête sur l’islamo-gauchisme à l’Université aux polémiques sur le financement public d’une mosquée en régime concordataire, d’une charte contestée de l’islam de France aux États généraux peut-être avortés de la laïcité, les français sont en train de perdre leur latin républicain. Le comble pour une laïcité « à la française » qui devait servir de ciment au vivre ensemble et éviter que le combat légitime contre le terrorisme djihadiste ne dégénère en guerre de religion contre l’islam et qui est en train de devenir le paravent d’un racisme insidieux qui s’est focalisé sur la question du voile. Une laïcité qui finit par être rejetée comme liberticide et islamophobe par les plus jeunes. Quel gâchis !

 

Si, comme tout principe juridique, la laïcité est simple dans son énoncéson application peut paraître contradictoire dès lors qu’il s’agit de trancher les dilemmes du quotidien. Ce n’est pas nouveau, mais cela participe aujourd’hui d’une hystérisation malsaine des débats.

 

Oui la laïcité c’est d’abord la liberté de conscience et de culte. Mais non cela ne confère pas aux religions une liberté sans limite. Oui la laïcité a conduit à la séparation des Églises et de l’État ce qui entraine la neutralité de la République sur les questions religieuses. Non cela ne lui interdit pas d’intervenir pour que l’organisation des religions respecte les principes républicains. Non l’islam n’est pas plus incompatible avec les valeurs républicaines que les autres religions et les musulmans ne sauraient être tenus responsables des attentats qui sont commis en son nom. Mais non, on ne peut considérer que ces actes sanguinaires n’ont aucun rapport avec un islam d’autant plus intouchable qu’il serait la religion des opprimés. Oui le port du voile, comme celui de tout autre signe religieux, est autorisé dans l’espace public. Mais oui aussi, on le droit de le critiquer sans être pour autant qualifié d’islamophobe. Oui, la liberté d’expression n’autorise ni le racisme ni l’injure. Mais non, le respect dû aux croyants de toute obédience n’interdit ni la critique ni la caricature de leur croyance et n’autorise à rétablir le crime de blasphème.

 

On peut énumérer à l’infini la liste des sujets sur lesquels les principes de la laïcité devraient permettre d’arbitrer pacifiquement et avec le discernement nécessaire les nombreux conflits qui naissent de la coexistence de convictions religieuses ou spirituelles différentes au sein d’une société comme la nôtre.

 

Pour apaiser les débats sans instrumentalisation politique ou idéologique et régler les dilemmes du quotidien dans le respect des droits humains et des libertés publiques l’association Démocratie & Spiritualité appelle à créer, pour remplacer l’Observatoire de la laïcité, une autorité administrative indépendante, à l’image du Défenseur des droits ou de la Cnil, plutôt qu’une « administration » comme l’a annoncé la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

 

Daniel Lenoir 

Président de Démocratie & Spiritualité

 

Appel pour la création d’une autorité indépendante chargée d’arbitrer les dilemmes du quotidien dans l’application des principes de la laïcité.

 

Répondant à une question du Journal du dimanche du 18 avril sur l’avenir de l’Observatoire de la laïcité, la ministre déléguée chargée de la citoyenneté a indiqué que le gouvernement avait besoin d' »une administration solide sur la laïcité ». Il peut bien sûr y avoir différents points de vue sur l’action qu’a conduite l’Observatoire de la laïcité pendant huit ans, même si certaines des critiques qui lui sont adressées relèvent davantage du procès en sorcellerie que de l’évaluation contradictoire de son bilan. On peut surtout être surpris que l’on envisage de remplacer cette structure placée auprès du Premier ministre par une administration, fut-elle « solide ».

 

La Constitution dans son article premier définit la France comme « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Il n’y a pas pour autant d’administration chargée de l’indivisibilité, ni de la démocratie ; quant au social il s’incarne dans un ensemble d’institutions qui font bien plus que l’administrer.

 

Pour ce qui concerne la laïcité, il y a déjà au ministère de l’Intérieur – et c’est nécessaire pour appliquer la police des cultes prévue par la loi de 1905-, un bureau des cultes, qui, s’agissant de l’exercice d’une liberté fondamentale, pourrait aussi être rattaché au ministère de la justice. Mais à part ce sujet, la laïcité a moins à être administrée, qu’à inspirer, non seulement l’ensemble des politiques publiques (et de ce point de vue le rattachement de l’Observatoire au Premier ministre était pertinent), mais aussi l’ensemble du « vivre ensemble » républicain, ce qui ne relève pas uniquement de l’exécutif.

 

La laïcité, l’un des principes fondamentaux de la République comme le rappelle la Constitution, vise à combiner, et parfois à concilier, sur le terrain des convictions religieuses et spirituelles, les trois exigences portées par notre devise nationale, la liberté, l’égalité et la fraternité. Cela peut conduire à des dilemmes difficiles à trancher, ce que l’exécutif est souvent mal placé pour faire, ce pour quoi le recours aux juridictions peut s’avérer trop lourd et trop long pour assurer une régulation dynamique, et sur lesquels la modification régulière et opportuniste de la loi s’avère inopérante, comme viennent de l’illustrer les surenchères dont a été l’objet le projet de loi renforçant les principes de la République.

 

Pour régler ce type de dilemmes, par exemple sur les terrains de « l’informatique et des libertés », ou de « la défense des droits des personnes », nous avons su mettre en place des Autorités administratives indépendantes (en l’espèce la Cnil et le Défenseur des droits) qui jouent un rôle de régulation dynamique, adaptée à l’évolution rapide du contexte, et reposant en grande partie sur la médiation et la recommandation. Sur le même modèle, et pour que la laïcité redevienne l’un des « piliers du consensus républicain », l’association Démocratie & Spiritualité, qui regroupe des personnes de toutes convictions et sensibilités et est attachée à la laïcité comme condition du dialogue interconvictionnel au sein de la société civile, appelle à la mise en place d’une autorité indépendante chargée de la laïcité, qui vienne compléter l’ensemble des dispositifs existants.

 

Démocratie & Spiritualité

Paris, le 28 avril 2021

1/ Pacte civique « Laïcité, Islam, islamisme, séparatismes », Jacques André éditeur, 2023

2/Cf. Thierry Beaudet « Repoussons les frontières de la démocratie. Irriguer la société, entendre les citouens, intégrer les individus » Editions de l’Aube, Fondation Jean Jaurès, 2023

3/ « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »

A propos Régis Moreira

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