L’impératif de la sobriété numérique
Note de lecture du livre de Fabrice Flipo (Ed. Matériologiques)
Dans l’introduction, l’auteur constate que le secteur du numérique ne se soucie pas réellement de la transition écologique, alors que son impact est croissant. Une idée répandue est que le numérique non seulement va réduire rapidement sa propre empreinte, mais va contribuer à réduire celle des autres secteurs. Le fait qu’il se soit imposé dans la vie, pensons au smartphone, contribue aussi à ne pas s’interroger sur son impact. Aucune étude ne fournit un panorama global. Le numérique semble échapper aux limites, à la finitude que la prise de conscience de l’impératif écologique met laborieusement en évidence. Il n’en est rien.
De plus, les gains permis par le numérique amènent à une plus grande utilisation dans d’autres secteurs ; c’est l’effet rebond.
L’ouvrage traite de la sobriété indispensable dans le domaine du numérique, laquelle va affecter les modes de vie et la culture. Il introduit l’importance de la notion de système, compris comme transmission héréditaire de procédés et d’inventions qui permet au groupe de forger quelque chose de méthodique qui assure son existence.
Le premier chapitre, le plus volumineux, décrit la numérisation des modes de vie.
Il commence par l’impact sur la population du smartphone, parmi la profusion des écrans et des terminaux chez les particuliers et dans les entreprises. Le marketing joue une rôle de promotion considérable, en se focalisant tout d’abord sur les CSP+ puis en jouant sur l’effet de réseau avec le rôle des influenceurs et la mise en récit ( storytelling).
L’obsolescence programmée joue une rôle décisif pour le renouvellement.
Rien n’indique que le mode de vie soit amélioré par ce nouveau réseau qui peut servir à résoudre des problèmes posés par d’autres réseaux (absence de service public, obligation de remplir sa déclaration d’impôts en ligne…).
Le deuxième chapitre a l’ambition de montrer que la trajectoire du numérique est incompatible avec les équilibres vitaux de la biosphère ; rien moins que cela !
Deux enjeux dominent en termes d’écologie le secteur : la matière et l’énergie.
Des gains très importants en efficacité énergétique ont permis de limiter la croissance énergétique du numérique, mais on arrive à une limite. Au rythme actuel de déploiement, il pourrait absorber la totalité de l’énergie consommée dans le monde avant 2060 !
En termes de consommation de matière, le numérique se caractérise par une très grande complexité, comportant notamment des métaux rares et des terres rares.
La priorité en termes de recyclage se fait au détriment de la hiérarchie consacrée dans les textes législatifs qui mettent en priorité la réparation et le réemploi.
Le fossé entre les modes de vie numérisés et ceux qui ne le sont pas s’accroît : au Sud les mines et les déchets, au Nord le matériel qui paraît si performant et si « propre ».
Les filières de recyclage sont décrites en détail pour étayer la thèse d’insoutenabilité.
L’agenda public, en 2020, ne prenait pas en compte l’insoutenable croissance entropique de l’information. L’argumentaire revient sur les limites physiques qui seront atteintes au plus tard en 2060. Dénumériser permettrait de ralentir les implications écologiques. Numériser autrement implique de sortir de la civilisation de la croissance, sinon la numérisation ne donnera que de l’« effet rebond » absorbant les gains d’efficacité.
Le chapitre trois décrit en détail cette « union sacrée » autour de l’efficacité qui est censée permettre d’éluder le changement du mode de vie vers plus de sobriété.
Le progrès par la technique est à comprendre non en termes d’utilité par le consommateur mais de protection des marchés. Il s’agit toujours d’ouvrir de nouveaux espaces de « temps de cerveau disponible ». Les autorités publiques ont un discours et des pratiques sur la « croissance verte » qui ne sont guère ambitieux. Les espoirs mis dans la propension du numérique à générer de la réduction de GES l’emportent sur toute considération étayée sur le rôle réel du secteur. Tous les acteurs parlent de préservation de la Nature, mais sans cohérence et donc sans texte commun.
Le consommateur est finalement conscient des enjeux mais semble agir de manière contradictoire avec le citoyen que l’on questionne. Les analyses n’envisagent pas réellement la consommation comme un mode de vie, comme un réseau avec ses effets de réseau.
Les injonctions pour « sauver la planète » portent entièrement la responsabilité de la « faute » sur le consommateur. Le rôle des biais cognitifs qui expliqueraient pourquoi nos comportements ne sont pas à la hauteur des enjeux comportementaux est évoqué. Le marketing tend à établir la persuasion en jouant sur ces biais.
La conclusion est un clin d’œil au célèbre « Que faire ? ».
La maîtrise du mode de vie implique des braconniers qui nous enserrent dans leurs filets. Ils captent l’attention disponible et ne cherchent pas à faire prendre des décisions informées, mais à tromper les utilisateurs. Apple en est l’exemple paradigmatique, en liant tous les produits ensemble pour enfermer davantage l’utilisateur dans son écosystème.
L’ouvrage se termine par une mesure phare sur l’organisation des grandes tendances et réseaux aujourd’hui invisibles, en regard des enjeux écologiques.
Il préconise ensuite des mesures secondaires :
– organiser des assises écologique,
– distinguer clairement l’efficacité de la sobriété,
– favoriser les émission télé-réalité autour de la sobriété,
– mettre en place un indicateur d’empreinte écologique sur tous les objets numériques,
– tarifer la données consommées en fonction de la quantité, avec un minimum à bas coût pour les petits salaires,
– favoriser la réparabilité, la simplicité, comme décrit dans la feuille de route sur la sobriété numérique du Conseil national du numérique.