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8L201: Autour de l’appel pour la création d’une autorité indépendante sur la laïcité par Daniel Lenoir

Pour la création d’une autorité indépendante chargée d’arbitrer les dilemmes du quotidien dans l’application des principes de la laïcité 

En avril 2021, Démocratie & Spiritualité a lancé sur la plateforme Wesignit un « Appel à la création d’une autorité indépendante sur la laïcité » chargée « d’arbitrer les dilemmes du quotidien dans l’application des principes de la laïcité » et intitulé    « Pour une laïcité de paix ».

Cette proposition faisait suite aux débats que nous avions eus, notamment avec Jean-Louis Bianco, sur l’évolution de l’Observatoire de la laïcité, après la volonté manifestée par le gouvernement de l’époque de ne pas renouveler cette instance rattachée au Premier ministre et de lui substituer un comité interministériel chargé de la laïcité, rattaché, lui, au ministre de l’Intérieur. La proposition a recueilli un peu plus de 1600 signatures, mais, dans le contexte de l’hystérisation des débats qui ont suivi avec le projet de loi dit « séparatisme », elle n’a pas vraiment été étudiée.

Avec le recul, la façon dont le débat sur l’abaya a été conduit au cours de l’été 2023 montre à quel point cette proposition était pertinente, comme, d’ailleurs, nous l’avions anticipé à l’époque : « Pour apaiser les débats sans instrumentalisation politique ou idéologique et régler les dilemmes du quotidien dans le respect des droits humains et des libertés publiques l’association Démocratie & Spiritualité appelle à créer, pour remplacer l’Observatoire de la laïcité, une autorité administrative indépendante, à l’image du Défenseur des droits ou de la CNIL, plutôt qu’une « administration » comme l’a annoncé la ministre déléguée chargée de la citoyenneté. »

L’affaire de l’abaya a montré à quel point un dilemme – « faut-il ou non, en application de la loi de 2004[1], interdire le port de l’abaya (et de la qamis pour les garçons) à l’école ? » – pouvait à la fois être instrumentalisé à des fins politiques et idéologiques (flatter le sentiment antimusulman de nombre de nos concitoyens), conduire à une hystérisation du débat qu’on avait rarement connu, tout en ramenant les questions de la rentrée scolaire à ce seul sujet.

Faisons un peu de politique fiction. Si la proposition de  D&S avait été retenue :

  • Au lieu d’annoncer à grand renfort de communication médiatique la sortie d’une circulaire interdisant l’abaya, le ministre de l’Éducation nationale aurait saisi la Haute autorité chargée de la laïcité pour rendre un avis (ou une recommandation) opposable (c’est-à-dire ayant la même autorité que sa circulaire).
  • Il est assez probable que celle-ci aurait conclu à l’interdiction (puisque le Conseil d’État l’a validée), mais après avoir procédé à des auditions permettant aux différents points de vue de s’exprimer.
  • Sa décision aurait pu de la même façon que la circulaire du ministre être contestée devant le Conseil d’État qui aurait, quel qu’elle soit, rendu la même décision.
  • L’ordre juridique serait globalement le même mais nous nous serions évité un mauvais débat « politique », particulièrement nauséabond, qui a renforcé un clivage inutile au sein de la société française, et pu consacrer notre énergie et nos disputes démocratiques à d’autres sujets plus essentiels tant sur l’éducation que sur la situation dans les banlieues, ou sur l’immigration, par exemple (pour ne parler que des sujets connexes à cette affaire).

Le recours à cette instance pourrait aussi être un moyen de revenir sur certaines dérives de la loi dite « séparatisme »[2], comme, par exemple l’instrumentalisation du contrat d’engagement républicain à des fins qui n’étaient pas les siennes, comme la remise en cause par l’exécutif ou par les préfets de la promotion de la désobéissance civile comme forme d’action non-violente.

Pourquoi recourir à une Autorité indépendante ? « organismes administratifs qui agissent au nom de l’État et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du gouvernement »[3], la réponse est dans la définition qu’en a donné le Conseil d’État.

Si le régime de la laïcité est clair dans son énoncé, et globalement partagé par une grande majorité d’acteurs, il est néanmoins complexe car il articule plusieurs principes (respect de la liberté religieuse, restrictions au rôle que les religions jouent dans les règles de la vie collective et donc neutralité de la République) qu’il faut combiner entre eux avec toujours le risque d’en privilégier l’un sur l’autre.

Cela emporte deux conséquences :

  1. L’application de ces principes à des situations concrètes n’est pas toujours évidente, mais ne peut relever du « sens commun » de la laïcité qui obéit souvent à des mouvements d’opinions qui n’ont pas grand-chose à voir avec elle.
  2. Les risques d’instrumentalisation pour flatter ce sens commun en sont d’autant plus importants et viennent brouiller le message laïque de la République.

Il s’agit donc, avec cette Autorité indépendante, de mieux gérer collectivement ce « bien démocratique »[4] constitué au cours de notre histoire et qui est à ce titre visée dans l’article 1er de la Constitution[5], qui nous permet d’apaiser cette matière explosive que peuvent constituer les religions et de la protéger des flux et reflux de l’opinion et d’éviter son appropriation abusive par tel ou tel courant idéologique.

Daniel Lenoir (Président de Démocratie & Spiritualité)

Paris Croulebarbe, le 21 octobre 2023

A propos Régis Moreira

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