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7L202: DÉFENDRE LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE ET INTERDIRE LES ARMES NUCLÉAIRES par Guy Aurenche

ARMES NUCLÉAIRES ET QUÊTE DE SENS :

(Dijon 15/11/2023)

 DÉFENDRE LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE ET INTERDIRE LES ARMES NUCLÉAIRES

par Guy Aurenche

 

La dignité humaine en question

La dissuasion nucléaire implique par elle-même la préméditation d’un crime contre l’humanité. En effet la logique de la dissuasion exige d’admettre l’hypothèse, même exceptionnelle et non désirée, de l’usage effectif de cette arme. Sinon il n’y a plus de dissuasion. Or, dans le cadre du Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires, l’usage d’une telle arme est assimilé par beaucoup à un crime contre l’humanité. Aucune menace, ni aucun intérêt national ne peut justifier une telle atteinte aux principes fondamentaux.

La référence au crime contre l’humanité fut utilisée tout spécialement après le drame de la Seconde Guerre mondiale : 60 millions de morts, la Shoah, les camps de la mort, le premier usage de la bombe atomique… ! Face à ce constat terrifiant, la commu-nauté internationale adopta la Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 10 décembre 1948).

La dynamique des droits humains découle d’un double constat : d’une part la « méconnaissance des droits de l’homme a conduit à des actes de barbarie ». D’autre part « l’avènement d’un monde libéré de la terreur et de la misère » a été proclamé comme l’idéal commun de l’humanité. Cette démarche, aujourd’hui complétée par des dizaines de textes, repose sur « l’acte de foi, des peuples du monde entier en la dignité et la valeur de la personne humaine. » Cette proclamation interdit l’usage, y compris dans les situations les plus graves, de certains « moyens de défense » comme la torture. L’usage de l’arme nucléaire par la destruction massive qu’elle occasionne doit faire partie de ces moyens interdits dans tous les cas parce qu’ils atteignent en profondeur la dignité des victimes, mais aussi de leurs auteurs et de l’humanité toute entière.

 

Le débat confisqué 

C’est bien de l’absence d’un vrai débat national dont il est question. Rien n’est pire que le régime du secret ou de l’infantilisation d’une population lorsque sa survie est en jeu. Rien n’est plus contraire à la dignité de cette communauté.

La question de la dissuasion nucléaire serait trop sérieuse pour la porter à la connaissance des citoyens ! Le débat serait inutile, affirment par ailleurs les autorités, puisque depuis 60 ans la population française « accepte » ce choix. Constatons qu’elle est plutôt muette. Cependant, 67% des Français souhaitent que leur pays signe le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) proposé par les Nations Unies en 2017, voté par 122 pays, sans les États nucléaires. Ce texte est entré en vigueur le 22 janvier 2021 après sa ratification par 50 États.

Reconnaissons que si le choix de la dissuasion a été fait il y a plus de 60 ans, il pourrait être au moins réexaminé. Le contexte mondial, européen et français n’a-t-il pas changé ? La tragédie sanitaire que la planète vient d’éprouver est révélatrice de ces « métamorphoses » difficiles à déceler quand tout va bien. Il ne s’agit pas de juger nos « prédécesseurs » mais de tenir compte, avec réalisme des nombreuses modifications des équilibres mondiaux. Dans quelle classe, quelle enceinte citoyenne, à l’occasion de quelle échéance électorale, propose-t-on de parler avec sérieux du choix français pour la dissuasion nucléaire ? Comment inviter au renouveau de la vie démocratique en entretenant un silence déresponsabilisant ? Certes le citoyen n’a pas forcément un avis sur tous les aspects de la gestion des équilibres nationaux ou mondiaux, mais tout de même : il en va de la santé morale et démocratique en France. De la dignité de chaque citoyen et citoyenne. Du peuple tout entier également

 

Le mirage de la toute puissance

Tout au long de ces mois d’épidémie mondiale nous sollicitions légitimement la science, exigeant d’elle des découvertes immédiates et efficaces qui nous rendraient à nouveau résistants et forts. Il fallait sauver des vies et notre soif d’inventions efficaces était pleinement louable. Mais attention au mirage de notre toute puissance ou plutôt à la paresse morale et spirituelle que celle-ci peut créer. Les dernières décennies ont nourri en nous la certitude de l’infinitude de l’efficacité de nos capacités techniciennes, au point de ne plus interroger la finalité de cette puissance.

Bien avant la fin du XXème siècle le penseur protestant Jacques Ellul avait tiré la sonnette d’alarme. Sans méconnaitre du tout la fécondité utile de nos capacités au service de la vie bonne, Jacques Ellul invitait à questionner l’idolâtrie de la technique pour elle-même en demandant de la lucidité à travers trois démarches relatives à la puissance. Il y a le constat de notre impuissance ou incapacité de faire. Il faut poursuivre les recherches en mettant celles-ci au service de la vie de tous. Puis l’acceptation de notre puissance ou capacité de faire en interrogeant celle-ci sur sa finalité pour le bien commun. Et l’auteur insistait sur le « choix de la non puissance » lorsque nous constatons que nous pouvons utiliser une technique nouvelle mais que nous ne le ferons pas en raison des effets négatifs qu’elle pourrait entrainer. La puissance nucléaire relève du rêve immémorial de la toute-puissance. Nous aurions enfin trouvé l’énergie totale ! Devant un tel risque « totalitaire » puisqu’il s’agit de menacer de tuer massivement, le « juste débat » s’impose.

 

La logique de la terreur ?

Par ailleurs le principe même de la dissuasion peut-il permettre de construire, à long terme un « vivre ensemble » mondial paisible ? « La paix et la stabilité internationales sont incompatibles avec toute démarche fondée sur la peur de la destruction réciproque ou sur une menace d’anéantissement total… Elles ne sont possibles qu’à partir d’une éthique globale de solidarité et de coopération. » (1)

Depuis des décennies l’interdépendance mondialisée s’est manifestée dans tous les domaines : environnement, économie, technologie, prévention des épidémies, etc…Quelle dynamique choisir pour construire cette mondialisation ? La peur ou la coopération, aussi difficile soit-elle ?

 

Nous assistons à une grave crise du multilatéralisme. Certes les instances internationales ou continentales ne produisent pas souvent des accords féconds pour tous. Mais au moins permettent ou invitent-elles à tenter de régler les inévitables problèmes sur une base minimale du respect mutuel et non de la violence. Quelle sera la fécondité d’une négociation menée le revolver posé sur la tempe des interlocuteurs ? Le repli sur soi, la mobilisation systématique contre l’autre ne conduisent qu’à la violence. Dans un tel processus, la dissuasion nucléaire permet de « faire monter les enchères » de la violence, et ouvre la porte à des actes inconsidérés aux conséquences irrémédiables. Est-ce bien réaliste ? D’autant que cette option ne protège en rien des nouvelles grandes menaces que sont le terrorisme, le fanatisme religieux, le grand banditisme, la destruction de l’environnement, la pandémie mondiale.

 

La défense civile non violente : un horizon de dignité

Le choix de la menace atomique, qui s’appuie sur la force et la capacité destructrice, masque l’existence d’une autre force bien présente en chaque personne et dans les communautés humaines : la défense civile non-violente. Et ce, au nom de la dignité inhérente à la personne humaine.

Cinquante années de présence aux cotés de résistants dans le  monde entier, contre la torture, le mal développement, l’injustice, l’humiliation et la déshumanisation m’ont permis de vaincre le scepticisme qui m’habitait au sujet de la référence à la non-violence. Tout d’abord il s’agit souvent de la seule arme réaliste dont disposent les plus faibles pour conduire leur combat. A la suite des prophètes connus comme Gandhi, Martin Luther King … et sans oublier tous ceux et celles dont nous ignorons le nom et qui se manifestent dans nombre de revendications actuelles à travers le monde, nous mesurons la capacité de mobilisation que permet le recours à une action non-violente. Et j’ose même parler de son efficacité ! Non que le résultat souhaité soit toujours atteint mais l’action civile non-violente permet de crier ensemble contre le caractère inacceptable d’une situation. Dans cette capacité protestataire se manifeste la dignité des personnes. Parfois des changements institutionnels s’ensuivent. En tous cas les manifestants n’ont pas joué avec la mort. Ils ont agi sur la base de l’espérance d’une justice toujours possible.

Il s’agit donc bien de choisir, d’abord, la dignité de la personne !

 

  1. Pape François, discours à Nagasaki le 24.11.2019

A propos Régis Moreira

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