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4L206: Pour en finir avec la démocratie participative de Manon Loisel et Nicolas Rio, Note de lecture de Benoît Rupied

Manon Loisel et Nicolas Rio, Pour en finir avec la démocratie participative, Textuel, 2024

Note de lecture de Benoît Rupied

 

La démocratie participative vise à combler les failles de la démocratie représentative, mais ce faisant, elle l’amoindrit ; au contraire, la démocratie participative devrait être intégrée à la démocratie représentative afin de la renforcer.

Chap 1 – La gueule de bois du renouveau démocratique

Ce livre trouve son origine dans le Grand Débat national (12/2018 – 04/2019) et la Convention citoyenne pour le climat (CCC / 04/2019 – 06/2020) et dans le malaise qu’en ont ressenti les auteurs, consultants auprès de collectivités territoriales ; jamais la démocratie participative n’avait été déployée avec une telle ampleur mais les résultats en sont décevants, qu’elle soit pratiquée au niveau national ou au niveau local : la frustration à l’arrivée est à la hauteur de l’espoir suscité par la promesse de départ. La démocratie participative est impuissante à transformer le système politique en place, elle ne fait que renforcer la centralisation du pouvoir et la défiance des citoyens à l’égard de leurs institutions.

Le problème est structurel : ce qui devait être un moyen afin que chaque voix compte devient une fin en soi prouvant qu’on a donné la parole aux citoyens ; l’essentiel des efforts et de l’attention se focalise sur le format quantitatif des dispositifs de participation (nombre de réunions, de participants et de contributions reçues) et non sur leurs effets qualitatifs intéressant les politiques publiques concernées.

La démocratie participative s’est professionnalisée par le recours aux consultants privés et elle s’est développée en prenant la forme d’obligations législatives ; mais de ce fait, elle s’est éloignée de la décision publique et de sa mise en œuvre ; elle devient une politique publique comme une autre, « accentuant la crise démocratique qu’elle prétend résoudre » : d’une part elle donne des arguments en faveur de l’abstention aux élections, d’autre part elle contourne les assemblées parlementaires et les corps intermédiaires en étant mise en place par le pouvoir exécutif et en ne rendant compte qu’à lui.

Chap 2 – La participation contre l’égalité démocratique

La participation n’est démocratique qui si elle permet à tous les sans-voix de s’exprimer alors qu’ils sont exclus de la démocratie représentative. Or on constate une similarité sociale entre les citoyens qui votent, ceux qui participent (« toujours les mêmes » – TLM) et ceux qui sont au pouvoir. Le tirage au sort devrait permettre de faire participer des personnes qui ne seraient pas venues d’elles-mêmes, à condition qu’elles donnent leur accord ; le GIS Démocratie et Participation a démontré que sur les 96 500 personnes contactées par téléphone pour participer à la CCC, seules 4% y ont exprimé leur intérêt.

Concevoir le dispositif de participation afin d’ « écouter en priorité » celles et ceux qui s’expriment le moins n’est pas sans risque pour un maire : c’est risquer de se mettre à dos les TLM, habitués de la participation et des élections municipales ; le participatif et le représentatif se conditionnent l’un l’autre, donc il faudrait les combiner, mais les élus parlementaires n’y ont pas été pas favorables jusqu’à présent : « il avait été question que la CCC soit composée à parité de citoyens tirés au sort et de parlementaires » mais ceux-ci ont refusé. De ce fait, les partisans de la démocratie participative cherchent à ce que les citoyens tirés au sort soient représentatifs comme si l’objectif était de se substituer à la démocratie représentative.

Au lieu d’opposer l’une à l’autre, les auteurs proposent de « penser la participation citoyenne comme un correctif aux limites de l’élection (et vice-versa) », car il n’y a qu’une seule démocratie et la participation citoyenne n’est démocratique que si elle permet à ceux qui sont inaudibles d’accéder au débat public permis par les institutions existantes. Les élus comme l’administration ont des biais de représentation de la population : ils sélectionnent certains profils et en excluent d’autres. Le tirage au sort des citoyens aboutit au même résultat : certains profils ne sont pas représentés, et de plus, les citoyens qui ont accepté de participer ne représentent qu’eux-mêmes.

Dans une convention citoyenne, les citoyens ne sont pas appelés à faire part de leur expérience vécue mais à adopter le langage des institutions qui leur demandent de faire des propositions : ils répondent à ce qu’elles attendent et « passent à côté de leur potentiel subversif » qui leur permettrait d’interpeller le pouvoir institutionnel ; cela ne les impacte pas directement car ils auront les moyens nécessaires pour supporter les mesures qui seront prises.

Ce ne sera pas le cas pour les plus démunis. Pour faire de la place aux invisibles en démocratie, il ne suffit pas de diversifier le profil des participants, il faut diversifier les points de vue exprimés ; cela suppose de « redistribuer le pouvoir … en se mettant à la place des personnes qui en sont exclues ». C’est ce que sait faire ATD Quart Monde avec le « croisement des savoirs et des pratiques » déployé comme outil de co formation réciproque entre une institution et des personnes en situation de pauvreté.

Diversifier les points de vue est nécessaire pour « faire entrer l’écologie en démocratie » : provoqué par les plus riches dont l’empreinte carbone est plus élevée, le dérèglement climatique touche prioritairement les plus démunis ; écouter le témoignage des inaudibles est nécessaire si l’on veut éviter leur mouvement de rejet des mesures de transition issues de stratégies désincarnées : il s’agit de politiser la planification écologique en l’abordant à la hauteur des habitants, en tenant compte de leur vécu.

Chap 3 – De l’expression des citoyens à la capacité d’écoute des institutions

La démocratie participative se focalise sur l’expression des citoyens alors que la source de la crise démocratique se situe du côté de la surdité des institutions.

Les citoyens de la démocratie participative s’expriment et dialoguent entre eux, les élus (locaux) et l’administration étant le plus souvent absents ; le travail des élus et des agents publics n’apparaît pas. Les élus pilotent à distance, « ils se retrouvent à administrer la démocratie alors qu’ils sont censés faire l’inverse : démocratiser l’administration ».

Les élus, locaux et nationaux, se savent fragilisés par la hausse de l’abstention aux élections ; la participation apparaît comme leur « bouée de sauvetage » ; présentée comme une solution à la crise démocratique, elle en est plutôt le symptôme.

D’un côté, les citoyens ne se sentent pas écoutés ; de l’autre, l’action publique tend à éviter le conflit, à escamoter l’expression des divergences ; la protestation démocratique est considérée comme un trouble à l’ordre public. La surdité est facilitée lorsque les guichets administratifs sont remplacés par les interfaces numériques, « sans contact ». L’incapacité à écouter débouche sur l’incapacité à agir, la prudence des institutions finit par se retourner contre elles.

L’expérience du Défenseur des droits montre comment renverser cette situation ; la pratique de l’écoute individuelle lui permet de faire passer les personnes du ressenti subjectif à ce qui constitue un fait objectif, appelant une action collective ; ce processus de prise en compte du vécu et de sa transformation en une analyse objectivée manque à la participation citoyenne si l’on veut que les inaudibles puissent se faire entendre.

Ainsi les institutions seraient plus à l’écoute si elles prenaient le temps de recueillir le témoignage individuel de citoyens : ces auditions devraient avoir autant de place que les auditions d’experts, cf Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles (2014). Comme dans un procès, le témoignage des citoyens s’exprimant à la première personne permettrait de comprendre leur expérience vécue, les sentiments d’injustice ressentis et ce qu’ils attendent ; on pourra ensuite confronter les différents témoignages, en examiner les contradictions et éclairer les angles morts. Ces auditions publiques permettraient aux élus et aux agents publics de se mettre à la place de la personne qui parle. Elles viendraient en contrepoint des rapports d’experts dont l’analyse est souvent désincarnée et globalisante. Il reviendra aux élus de procéder aux arbitrages finaux.

L’administration fait souvent partie des invisibles : remises en cause par les propositions de la CCC, les directions ministérielles ont largement contribué à leur détricotage ; il faudrait « faire entrer l’administration en démocratie ». La parole technique se prononce sur la faisabilité, elle a besoin de se différencier de la parole politique qui porte sur l’acceptabilité ; clarifier les rôles de chacun les amènerait à assumer leur part de responsabilité. L’administration dispose généralement du monopole de l’expertise légitime mais il en résulte souvent une vision unique qui aurait besoin d’être confrontée à une contre-expertise.

La confrontation des témoignages et les contre-expertises, deux pistes pour renforcer la capacité d’écoute des institutions à condition qu’elles puissent s’appuyer sur des contre-pouvoirs tels que la presse et les associations ; Pierre Rosanvallon parle de « contre-démocratie ». Ces trois pistes ont un point commun : la nécessité de leur pluralité étant donné l’éclatement des réseaux d’information dans la société actuelle.

Chap 4 – Démocratiser l’action publique face à l’urgence écologique

La démocratie est trop souvent réduite à la quête d’un consensus impossible, elle apporte au contraire un cadre pour mettre nos divergences en débat », aboutir à « un compromis qui soit équitable et consenti » et se doter d’« une capacité d’action ». Pour les auteurs, cela nécessite de « faire rentrer la négociation en démocratie ».

Le temps du débat doit être dissocié de celui de la décision : alors que le vote final ferme le débat, la controverse qui précède doit ouvrir des espaces de choix ; la technique du débat mouvant a le mérite de clarifier ce qui fait débat : les participants sont invités à se déplacer selon leur option et s’ils se répartissent en différents endroits, c’est qu’un débat doit avoir lieu.

Le politique a délaissé la place du débat au profit du pilotage technique et de la présentation des options possibles pour ne conserver que le rôle de décideur ; or le rôle des élus est d’abord de repérer les points de divergence et faire naître la discussion sur les sujets les plus clivants ; pour les sujets complexes dans lesquels de multiples intérêts sont en jeu (comme la gestion de la ressource en eau), ce n’est pas tant d’un comité de pilotage dont on a besoin que d’un « comité de politisation », à même de définir l’intérêt général : le rôle des élus n’est pas de trouver la solution la plus performante en se calant sur les experts ou en se défaussant sur la participation des citoyens mais de « se mettre à la place des différents acteurs » pour proposer un compromis acceptable.

Le débat ne devient démocratique que si les élus parviennent à restituer les différents points de vue, en vertu du mandat qu’ils ont reçu. Les citoyens ont vocation à se mobiliser pour demander qu’un débat ait lieu sur le sujet qui leur semble prioritaire ; le débat doit se faire en présence de l’administration afin qu’elle recueille les conditions d’acceptabilité des mesures à mettre en place.

Il est vrai qu’au niveau local, la fonction de chef de l’exécutif et celle de président de l’assemblée sont exercées par la même personne, ce qui ne facilite pas l’articulation entre débat et décision ; en principe, il n’en n’est pas de même au niveau national, il reste à en tirer parti au lieu de tout attendre de la volonté de l’État.

L’accent mis sur la participation citoyenne a aussi pour effet de la « substituer » aux corps intermédiaires : leur capacité de négociation et donc leur légitimité s’en trouvent réduites, et les lobbies accroissent leur influence auprès des élus par leur poids économique.

Les auteurs préconisent de restructurer les capacités de négociation plutôt que de chercher le consensus ou bien un récit désirable : il faut réarticuler des intérêts divergents sous peine de basculer dans une « action publique autoritaire », autojustifiée par l’urgence qu’on a laissée s’installer, alors que l’urgence écologique n’a rien d’imprévisible.

Conclusion

Continuer à développer la démocratie participative conduirait à évincer la démocratie représentative pour s’en remettre aux experts ; mais les conventions citoyennes ont démontré la capacité de « simples citoyens » à délibérer sur des sujets complexes. Les auteurs proposent d’en tirer les conséquences : faisons rentrer les tirés au sort dans les assemblées représentatives » en leur donnant un véritable mandat, celui de se faire le relais de leurs concitoyens.

Le tirage au sort devient alors une réponse à la hausse de l’abstention et à la baisse de la représentativité des élus ; une part significative des assemblées, nationale et locales, serait composée de citoyens tirés au sort ; cette part serait équivalente au poids de l’abstention (58% pour les municipales de 2020, 54% pour les législatives de 2022. Un tel changement relève d’une utopie mais il a le mérite de faire réfléchir :

  • Chaque électeur pourrait choisir entre soit désigner son représentant parmi les candidats en lice, soit, s’il s’abstient, s’en remettre au hasard ; l’abstention cesserait d’être la mise en retrait d’une partie de la société pour devenir un critère d’évaluation de la représentativité des élus. La démocratie ne repose plus alors sur des élus mais sur des « représentants », qu’ils soient élus ou tirés au sort ;
  • Le tirage au sort tend vers une meilleure représentativité sociologique ; il interviendrait après l’élection en comblant les sièges non pourvus, définis par le niveau d’abstention et il permettrait de rééquilibrer la composition de l’assemblée en majorant les profils sous-représentés ;
  • Le rôle des représentants sera plus clairement disjoint de l’expertise technique ; celle-ci sera contradictoire et non pas issue de la seule administration.

Ainsi composée, l’assemblée gagnera en représentativité, à condition qu’on donne les moyens aux tirés au sort d’être aussi à l’aise que les élus, par une formation appropriée à la représentation et des exercices en situation.

Chacun d’eux sera évalué au regard de leur capacité d’écoute des personnes qu’il représente. Ainsi se renouvellera la démocratie.

 

A propos Régis Moreira

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