Penser et agir du local au global
Illustrations à partir d’un itinéraire au service du développement rural
Nous avons de plus en plus conscience que la combinaison et l’articulation du pouvoir de penser et d’agir du local au global sont essentiels pour affronter les enjeux planétaires. Je vais essayer d’illustrer l’importance de prendre en compte les différentes échelles de pensée et d’action à partir de mon expérience au service du développement agricole et rural.
Le local, cela a été pour moi surtout les terroirs et les systèmes agraires en Afrique subsaharienne. J’ai d’abord étudié, sous la direction de René Dumont et Marcel Mazoyer, l’association agriculture-élevage et donc les rapports entre agriculteurs mossis et éleveurs peuhls à Ouahigouya au Burkina. Par la suite, j’ai essayé dans divers projets financés par l’Agence Française de développement (AFD) de promouvoir en Afrique avec les villageois et leurs organisations de producteurs des équilibres agrosylvopatoraux durables s’appuyant sur une cogestion des espaces communs et sur des pratiques agroécologiques sur les terres de leurs unités familiales d’exploitation (1). Je retrouve en France ces démarches pour ancrer le développement local dans les terroirs à travers la gestion des communs que sont un petit cours d’eau, une forêt, un parcours, une friche, une zone humide, etc., mais aussi à travers l’amélioration de pratiques qui veillent à promouvoir les synergies eau-sol-plante.
J’ai été confronté à la promotion du développement régional agricole avec l’Association interprofessionnelle lait-viande Basse Normandie ; elle promouvait en particulier la filière lait en cherchant à améliorer sa qualité, en réorganisant son ramassage à l’occasion du passage à la collecte de lait réfrigéré, en favorisant le dialogue entre entreprises privées et coopératives, etc. En parallèle, il était promu les échanges amiables du foncier pour éviter la brutalité des pratiques des remembrements, l’analyse des tensions entre tradition et modernité, la formation des responsables paysans pour qu’ils maîtrisent mieux une mutation agricole rapide responsable de nombreux « dégâts » sociaux, etc.
En Afrique, l’importance du régional en lien avec le national se posa lors de l’accompagnement du développement de nombreuses filières de production comme le coton (2) et le riz. Ce fut l’occasion de travailler sur l’organisation des filières agricoles dont la chaîne de valeurs oublie trop souvent l’importance des producteurs ballotés au milieu de conflits d’intérêt qui les dépasse ; c’est en particulier le cas dès que leurs produits sont exportés sur un marché mondial d’autant moins régulé que l’OMC est de plus en plus impuissant face aux puissances et lobbies dominants.
C’est pourquoi je privilégie maintenant dans ma réflexion sur les enjeux planétaires les possibilités d’améliorer la gouvernance mondiale (3) et le rôle d’organismes comme l’OMC, la FAO, la Banque mondiale et le FMI. Du fait de mes 35 ans à l’AFD, je suis particulièrement attentif à la réinvention de l’aide publique au développement (APD) qui, trop souvent dominée encore par des rapports inégaux, doit sortir de sa gestion technocratique (4) pour déboucher sur des partenariats exigeants et responsables impliquant mieux les acteurs de terrain.
Ce qui précède montre que la mise en œuvre du principe de subsidiarité ne suffit pas à relever les défis du local au global ; selon les problèmes à résoudre, il faut articuler des approches et démarches à différents niveaux en impliquant les acteurs concernés (5) et en améliorant nos coopérations. Face à des dossiers complexes, l’important est de penser et d’agir personnellement et collectivement en s’investissant sur ce qui nous semble prioritaire et constructif ; ceci exige disponibilité, motivation et ouverture pour comprendre les tenants et aboutissants et pour discerner la façon d’agir et de lier le fond et la forme. Ceci nous renvoie aussi à nos capacités à dialoguer et à débattre dans des cadres éthiques et démocratiques permettant à la fois des écoutes attentives, des implications créatives, des discernements approfondis, des décisions efficientes et des critiques constructives.
Travailler à penser et agir du local au global conduit à s’intéresser à ce qui donne sens à notre pouvoir d’agir et donc à chercher à relier interventions du local au global à des visions et à des récits qui s’inscrivent dans une recherche permanente de nous humaniser et de nous civiliser.
TERRA, en lien avec Refaire société, pourrait réfléchir à la façon de progresser en matière de dialogue et débat (6) dans nos collectifs pour co construire des visions de notre devenir commun du local au global.
Jean Claude DEVEZE
1/ Voir en particulier mes livres Le réveil des campagnes africaines et Défis agricoles africains parus chez Karthala.
2/ Je fus témoin de l’hostilité des bureaux de Bruxelles s’occupant du Fonds européen de développement pour le soutien à des filières coton considérées comme trop liées à la France par des fonctionnaires d’origine anglaise.
3/ Voir notre tribune parue sur le site de La Croix le 27 avril sur la démocratie mondiale et la réforme de l’ONU
4/ Le pire exemple que j’ai vécu de près fut la volonté d’imposer un système de vulgarisation universel appelé Training and visit promu par son « gourou », Benor, voulant s’inspirer de la révolution verte en Inde. Il fut combattu par la coopération française rejetant une approche par le haut oublieuse des réalités de terrain. La Banque mondiale y mit fin quand l’ajustement structurel tarit les ressources financières des ministères de l’agriculture. La Banque Mondiale continue ses approches par le haut en privilégiant le levier financier dans son rapport paru le 7 mai « Recette pour un monde viable » qui dénonce un système alimentaire mondial que rend la planète malade.
5/ Parmi les cas exemplaires de gestion coopérative, il est intéressant d’étudier comment sont gérés l’avenir des grands lacs américains ou celui du Rhin associant collectivités, agences, entreprises, Etats.
6/ L’Interréseaux développement rural qui réunit des acteurs du Nord comme du Sud contribue au décloisonnement de la pensée et de l’action en Afrique subsaharienne.