Notre devise est liberté, égalité, fraternité – je prends donc la liberté de dire « non » à une loi supplémentaire concernant la fin de la vie. Quelques amendements de la loi Leonetti pourront suffire.
Bien entendu, je ne parle pas de la mort accidentelle, ni de la mort prématurée due à une maladie incurable. Mais de la mort naturelle.
La peur de la mort n’a jamais été mon souci principal ; je suis consciente qu’elle fait partie de la vie et l’accomplit car, s’il y a vie, il y a mort. La mort n’est pas une force étrangère ou une agression mais une partie de la vie, la dernière. « C’est à vivre » me disait une de mes amies en mourant.
J’essaie de l’apprivoiser en y pensant régulièrement. Comme nous tous, j’ai très peur de la dépendance, de la déchéance. Je crains, comme mon entourage de personnes âgées, de me trouver enrôlée dans un processus, le moment venu, que je ne maîtrise pas où d’autres décideront de mon sort. Horrible pensée. Tout a une fin et j’ai envie de la vivre en pleine conscience.
Il n’y a malheureusement pas d’égalité devant la vieillesse et la mort. Un long cheminement m’était nécessaire, oscillant entre refus, résignation, joie pour l’accepter enfin. J’apprends à regarder tranquillement le monde comme il va – ou ne va pas -, à y être plus attentive, respirer, accompagner. A chercher un certain dépouillement pour une fin de vie ouverte sur notre humanité. J’entends par là : vivre à l’image d’un homme simple dont on ne sait presque rien que le Jésuite Joseph Moingt appelle « l’homme qui venait de Dieu », faisant le bien autour de lui, habité par l’amour de Dieu. Il a vécu, comme nous, une vie ordinaire, semée d’embûches et quand il tombait, un ami venait le relever. Son chemin de croix et sa mort sont notre chemin. L’évocation de son humanité paisible rend libre pour l’action, permet d’accéder à une expérience de vie plus large.
Pouvons-nous ainsi faire la paix avec notre prochain, avec la nature ? Je crois qu’une relation transcendante est possible, à partir de l’unité ternaire, corps, âme et esprit. Cela peut nous aider à vivre, à faire face au lieu de fuir. Nous pouvons poser un regard « spirituel » sur ce monde ; là où il y a des problèmes, l’être spirituel voit fraternité, solution, soin, quitte à passer pour un imbécile heureux. Nous pouvons continuer à nous sentir responsables de la collectivité, conscients de ce qui est en jeu, veiller à favoriser un entourage paisible. Je me réjouis de mes échanges avec mes petits-enfants adultes, de vivre sereinement au milieu d’eux, ils m’apprennent la vie actuelle. J’appelle cela une spiritualité ouverte sur autrui, réaliste, plus utile qu’un long discours.
Je chemine tranquillement vers la mort. Sachant, comme Woody Allen que L’éternité risque d’être longue, surtout vers la fin… et que la séparation d’avec tout ce que j’aime sera difficile. La vie m’a appris à « faire avec », à faire au mieux avec ce qui arrive sachant que l’égalité est un souhait, une possibilité. Nous avons tous accompagné un membre de notre famille et/ou un ami vers leur fin quand c’était le moment et avons pu le constater.
Je veux vivre ma mort, ne l’entravez pas avec trop de lois et de prescriptions. Laissez-nous cette dernière liberté.
Monika Wonneberger-Sander