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12L211: Les passagers de la cathédrale  de Valère Staraselski par Laurence Vernant-Fabert

Les passagers de la cathédrale 

Valère Staraselski – Ed. Le Cherche midi – avril 2025

 

Ceci n’est pas une note de lecture…

 

J’avais autant envie de vous parler du dernier livre de Valère Staraselski que de l’auteur lui-même, communiste et athée.

Un auteur à l’image de la cathédrale de Meaux, pilier de son dernier ouvrage, édifice fort et fragile à la fois car réalisé en pierre de Varreddes, une pierre poreuse qui nécessite une rénovation quasi perpétuelle pour lui maintenir son éclat.

Fort et fragile, Valère l’est tout autant et c’est ce qui lui permet de cheminer de longue date sur le sentier ô combien difficile du communisme, tel un pèlerin qui l’emprunte avec beaucoup d’humilité, de doutes, parfois de colère mais toujours avec la volonté de se mettre au service d’un idéal plus grand que le seul individu pour que l’humanité puisse un jour vivre dignement et en paix.

J’ai connu Valère il y a près de 46 ans à l’Université Paris VIII Vincennes, la “fac ouverte aux travailleurs” comme on la surnommait, un extraordinaire modèle du “vivre ensemble” qui faisait se côtoyer des étudiants “lambdas” et des travailleurs, toutes celles et ceux qui avaient soif de connaissance et de reconnaissance et que ce lieu d’ouverture accueillait dans des conditions leur permettant de concilier études et vie active.

Valère y étudiait en marge de ses différents petits boulots et était secrétaire de l’Union des Etudiants Communistes de Paris VIII. J’y étais moi-même engagée. C’était un leader dont, en son temps, j’aurais dit très superficiellement, qu’il dirigeait l’UEC du fait de son autorité et de son charisme. Une autorité contre laquelle souvent je me rebellais et certainement lui en ai-je fait “baver” ! D’ailleurs, il me l’a écrit dans la dédicace de son premier livre – Dans la folie d’une colère très juste (1)- “pour Laurence qui, elle, m’a fait souffrir ! Pas beaucoup mais quand même !”

Et puis, la lecture de ses livres m’a permis de mieux le connaître et de comprendre ce qui l’animait. L’amour quasi inconditionnel de son prochain, sans sectarisme aucun.Il faut ouvrir nos esprits et combattre le sectarisme par la littérature. Louis Aragon disait que la littérature, avec toutes ses connaissances, était un lieu de résistance” dit-il (Valère est Docteur ès lettres, spécialiste de Louis Aragon (2)).

Dans chacun de ses ouvrages, l’Homme est le personnage central, avec ses forces et ses engagements, avec ses faiblesses et ses lâchetés.

A l’image de Brice – pour lequel j’ai beaucoup de tendresse et de compassion – dans “Un homme inutile” (3) dont je livre ici un extrait “Oui, il la trouvait injuste, Coryse ! Et puis, cela avait pris un tour nouveau depuis que son contrat au musée d’Orsay s’était achevé : une nouvelle fois, il se retrouvait sans emploi. Parce que, tout de suite, il avait envisagé, il l’avait même évoqué devant Coryse, de mourir plutôt que de survivre dans ce contraire de l’existence que représentait si parfaitement le chômage. Le non-emploi. Mon Dieu, se disait-il, ni perte ni privation ne s’apparentaient autant, dans le vécu, à une sorte de suppuration de chaque instant de l’agonie. Seules les maladies incurables, que parfois Brice aurait voulu contracter afin de donner un peu de sens à sa débâcle, lui semblaient pouvoir se comparer à l‘exclusion absolue des moyens de vivre. Oui, il était bien conscient de ce qu’il pensait !”.

A l’image de Joseph dans “Nuit d’hiver”(4), ce gosse maltraité mais « les enfants ne se résignent jamais à la réalité » et Valère ne s’est jamais résigné malgré les épreuves, dès son plus jeune âge

En 2002, il a été invité par Témoignage chrétien à la journée de prière interreligieuse d’Assise et a publié à son retour Voyage à Assise (5). “ Parfois, certaines interminables journées d’hiver expriment parfaitement ce qu’est le découragement … Le découragement. Le découragement qui se décline d’abattement en déception, de désappointement en accablement, d’écoeurement en anéantissement est donné une fois pour toutes aux hommes. C’est pourquoi l’être, qui a un cœur et qui veut vivre, a inventé le courage, donnant à celui-là formes multiples. La religion n’est pas la moindre de ces formes. Perpétuel dépassement du découragement, ne le refusant pas parce que le comprenant, par la reconnaissance de l’autre, la religion m’est toujours apparue comme voulant porter plus loin les limites de l’humanité de l’Homme. Et cela même si dans son histoire, il y eut des Torquemada …” 

A l’image aussi de la cathédrale de Meaux, personnage central du dernier opus de Valère Staraselski (Pour l’écrire,il a suivi des cours à l’Institut catholique de Paris et étudié les trois religions monothéistes et leur rapport à la société ) et qui prend vie pour devenir le sixième personnage de son livre, miroir de la vie de personnages ordinaires. Ordinaires ne signifie pas lisses, dignes de peu d’intérêt. Bien au contraire ! Qu’il s’agisse de François Koseltzov, l’athée endurci, de Louis Massurier, l’ancien “militant emmerdeur”, de Darius Madhavi, musulman chiite, de Thierry Roy dit Chéri-Bibi, fervent catholique ou de la jeune « don du ciel » Katiusca Ferrier, tous ces cabossés de la vie – l’auteur s’est inspiré de personnes de son entourage – sont en quête d’un futur vivable. Pour ce faire, ils vont s’engager dans un dialogue nourri alliant spiritualité et politique, la mort étant omniprésente, celle de Brice que j’évoquais plus haut, celle des “morts de la rue” ou encore celle d’un chien torturé par son maître avant d’être noyé dans le canal de l’Ourcq.

“La vie apprend assez tôt qu’on ne se débarrasse pas de la mort comme on voudrait. Que du reste on ne s’en débarrasse évidemment pas . Jamais. Jamais de la vie, comme on dit. Qu’avec l’âge aidant elle gagne peu à peu une place centrale puisqu’elle finit par s’installer au centre de l’existence. En son cœur. Mais surtout que la conscience de celle-ci peut servir à apprivoiser l’essence de la vie”. 

La cathédrale Saint-Etienne recueille ce dialogue, le sacralise pour sortir de l’abîme ces  personnages et faire de leur foi respective une spiritualité commune.

Si d’aucuns en doutaient, l’athéisme est une forme de spiritualité qui, si elle ne s’appuie pas sur la croyance en un dieu, n’en a pas moins foi en l’humanité. C’est le sens de la quête et de l’action qui guident Valère Staraselski tout au long de son chemin de vie : “on peut désespérer des hommes, on peut se décourager mais renoncer serait ouvrir la voie au pire, c’est-à-dire à la perpétuation du massacre des innocents”.

 

1/ Ed. Messidor. 1990

2/ du même auteur : Aragon, la liaison délibérée (L’Harmattan 1995) – Aragon, l’inclassable (L’Harmattan, 1997) – Aragon, l’invention contre l’utopie (Bérénice, 1997)

3/ Éd.La Passe du vent. 2003 et réédité au Cherche midi. 2011.

4/ Ed. Cherche midi. 1998

5/Ed. Bérénice. 2005 réédité en 2025

A propos Régis Moreira

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