Sobriété et démocratie : soyons créatifs !
C’est un appel à la créativité que lance le Pacte civique après la publication de son étude sur Sobriété et Pauvreté[1] et le succès du colloque tenu au Sénat le 13 octobre dernier sur le thème plus large Sobriété et justice (s) : quelle démocratie ?.
Premières exposées aux conséquences du dérèglement climatique, les personnes en situation de précarité, dont la parole est souvent peu entendue, ignorée ou parfois même altérée, sont pourtant porteuses de savoirs, d’expériences concrètes, d’analyses critiques et de propositions fortes. C’est ce qu’a mis en lumière l’étude Sobriété et Pauvreté, réalisée en 2 étapes : un sondage[2], effectué en mai-juin 2023 et une enquête qualitative, réalisée de 2023 à 2025 et qui s’appuie directement sur la parole des personnes les plus précaires[3].
L’objectif était de mieux comprendre la manière dont les personnes en situation de pauvreté perçoivent et vivent les enjeux de sobriété et de transition écologique. Les résultats bousculent les idées reçues. Contrairement à une image souvent véhiculée, la sensibilité des personnes en précarité aux questions écologiques est bien réelle. 75% des personnes interrogées dans le cadre du sondage se déclarent préoccupées par le sujet, un niveau légèrement supérieur à celui relatif aux inégalités sociales (73%) même si le pouvoir d’achat reste la préoccupation majoritaire (85%). 85% d’entre ces personnes – le même pourcentage- font attention à leur consommation pour des raisons autres que financières. 86 % sont prêtes à aller au-delà, mais pas n’importe comment.
L’enquête qualitative met en lumière cette conscience claire des enjeux climatiques, la demande des personnes en situation de précarité à être reconnues comme des acteurs effectifs de cette transition, déjà engagées, non seulement par obligation mais aussi par choix citoyen. Elles sont prêtes à faire plus, mais pas sur tout, pas seules et à condition d’avoir les moyens de vivre dignement, en lien avec autrui et avec la société dans son ensemble, d’être respectées en tant que citoyen à part entière et d’être rassurés sur l’exemplarité des élites.
Elles demandent à être partie prenante à la construction des décisions à prendre et aux modalités de mise en œuvre. Elles mettent en évidence les bénéfices croisés de la transition, en matière de santé et de travail notamment. Elles attendent également des pouvoirs publics que les équipements et cadres collectifs tiennent compte des exigences écologiques et leur permettent d’exercer effectivement leur volonté d’agir pour plus de sobriété, en matière de logement et de transport notamment.
L’appel du Pacte civique est aussi fondé sur la conviction qu’une majorité de citoyens peuvent partager le besoin de renouveler l’approche démocratique, à rebours des querelles idéologiques actuelles. Le Pacte civique, avec ses valeurs fondatrices de sobriété, de fraternité, de justice et de créativité, avec le souci d’associer ses partenaires, fait sien cet appel à l’innovation démocratique, en la déployant sur trois registres :
- Le renforcement de la démocratie délibérative par la création, au niveau national, d’assemblées de codécisions, travaillant sur les conditions d’une transition juste et associant toutes les parties prenantes. Il serait bon que tout cela se fasse, sous la responsabilité du CESE, la 3ème assemblée constitutionnelle qui favorisera l’articulation nécessaire entre la démocratie représentative et la démocratie participative, en liaison avec l’Assemblée nationale et le Sénat.
- L’intensification de la démocratie locale, dans un nouvel acte de décentralisation donnant un rôle plus important à l’échelon local, pour réaliser les diagnostics, et promouvoir les solutions à mettre en œuvre. Le Pacte civique estime que la démocratie locale gagnerait aussi en efficacité, si elle était également confortée par le recours à des assemblées locales de codécisions, organisées, par exemple, avec le concours de la Commission nationale du débat public (CNDP)
- La recherche systématique d’une démocratie plus inclusive, menée avec les associations les plus concernées afin que la parole et l’expérience des personnes les plus précaires soient entendues lors de l’élaboration des décisions et de leurs modalités de mise en œuvre, en matière de lutte contre le réchauffement climatique. L’existence d’un deuxième collège au Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (CNPLE) – qui mérite d’être mieux connu et utilisé – est à cet égard un important progrès.
Ces outils démocratiques renouvelés auraient à travailler, aux plans national et local, sur quelques sujets majeurs de régulation de nos sociétés en particulier sur des questions identifiés et analysées dans le récent ouvrage du Pacte civique Les Chemins de la décarbonation : sobriété, science, démocratie, justice sociale.[4]
- Quel type de fiscalité adopter pour favoriser l’objectif d’une transition écologique juste, sans remettre en cause l’attractivité du pays ?
- Quels critères de répartition des ressources publiques, dans une optique de sobriété, en fonction de leur impact sur le budget carbone de la France.
- Quelles sont les actions déterminantes pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions carbone ?
- Quelles sont les mesures concrètes visant à la fois à la réduction de l’empreinte carbone de la France, et un impact sur la justice sociale, en réduisant les inégalités qui concernent les personnes précaires, notamment en matière de logement et de transports.
Le colloque du 13 octobre dernier au Sénat a également fait ressortir que le fonctionnement plus sobre de chaque citoyen, de notre société, de nos entreprises, de nos administrations, et de toutes les institutions publiques, comme l’adaptation des infrastructures et des cadres collectifs était indispensable pour viser à la fois à l’efficacité et à la justice des politiques de transition. Mais la mobilisation de nos concitoyens n’est pas chose aisée dans un contexte caractérisé par le déni climatique, les tentatives de remise en cause de la science et un brouhaha politico-médiatique consternant. Cet environnement délétère donne chaque jour des prétextes de ne pas agir.
On le voit, la sobriété est une notion difficile, mais…riche, si l’on peut dire, et dont on n’a jamais fini d’explorer les contours.
Dans l’immédiat, et sans préjudice des nécessaires consultations et arbitrages éventuels à venir, le Pacte civique fait la proposition d’avancer dans deux directions :
- D’une part, il invitera les partenaires associatifs engagés notamment dans la lutte contre la pauvreté et la précarité, à débattre du rapport d’enquête et de réfléchir ensemble à des propositions à faire aux élus, au plan national, mais aussi au plan local dans la perspective des prochaines élections municipales.
- D’autre part, si l’on considère que la question de la sobriété est à la fois nécessaire et difficile, sa solution passe obligatoirement par un rehaussement des engagements individuels et collectifs.
Comment l’organiser, avec quelles forces ? L’idéal serait que se forme une sorte de coalition pour une sobriété juste et partagée, qui s’appuierait sur toutes les réflexions déjà menées et qui viserait à valoriser et développer toutes les actions, personnelles et collectives, qui font progresser la sobriété dans nos territoires.
Cela suppose qu’un ensemble d’organisations se mettent en mouvement et disposent des moyens humains et financiers nécessaires, cela à un moment où, de son côté le Pacte civique, comme beaucoup, est en recherche de financements externes, de mécénat de compétence et de contributions.
Quoi qu’il en soit, le Pacte civique souhaite travailler avec d’autres entités à la construction d’un projet mobilisateur visant à donner envie à des concitoyens de s’engager et à ceux qui sont motivés, d’agir, à titre personnel, de travailleur ou de citoyen.
Merci aux personnes et organisations qui sont intéressées à l’élaboration de ces projets de se manifester auprès du Pacte civique sur contact@pacte-civique.fr
[1] Voir l’étude sur www. pactecivique.fr
[2] Sondage Viavoice auprès de 478 personnes (issues d’un échantillon national de 2086 individus représentatifs) au seuil de pauvreté (60% du salaire médian).
[3] L’enquête qualitative a recueilli et analysé 44 entretiens qualitatifs de personnes en situation de pauvreté et ayant donné lieu à 1400 pages de retranscription.
Auteurs de l’étude : Thomas Mattei, éducateur spécialisé, doctorant en sociologie (EHESS) et Marie-Laurence Pitois-Pujade, administratrice générale de l’Etat (honoraire) ; Comité de pilotage : Jean-Baptiste de Foucauld, Jacky Richard, Éric Thuillez et équipe projet.
[4] Ouvrage collectif, n° 11 de la collection Pacte civique, chez Jacques André éditeur, publié en février 2025.
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