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UE 2.3 L213 : Cultures en travail et ambitions démocratiques par Jean Claude Devèze

JC Devèze, exposé du 5 septembre 2025 (revu après UE)

Cultures en travail et ambitions démocratiques

Introduction

L’humanisme étant au départ un mouvement d’abord culturel et une démocratie de qualité requérant de solides cultures politiques, j’avais proposé dans notre groupe de préparation de cette UE que soit prise en compte la dimension culturelle. Bien entendu, cette dimension culturelle est en interaction avec les dimensions anthropologiques et spirituelles abordées ce matin par Patrick Boulte et Jean-Baptiste de Foucauld.

Je vous propose d’abord de mieux appréhender comment cette dimension culturelle est omniprésente à travers des cultures collectives et personnelles diverses alors que l’insécurité culturelle monte et les transformations culturelles se multiplient et s’accélèrent, ensuite de mettre en évidence que nos cultures sont au travail à travers nos transformations personnelles et collectives, enfin de faire le lien avec la réalisation de nos ambitions démocratiques. C’est pourquoi j’ai choisi d’intituler mon exposé, qui est aussi un témoignage, Cultures en travail et ambitions démocratiques.

Au préalable, je vous propose ma définition de la culture (issue de mon essai « Vers une civilisation-monde alliant  culture, spiritualité et politique » publié par Chronique sociale en 2020) pour un pays comme la France. Elle recouvre trois volets : une culture se réfère d’abord à ce qui est issu d’un passé commun, à savoir une langue, une histoire, des œuvres artistiques et littéraires, souvent aussi une religion ; ensuite, elle s’exprime à travers des us, coutumes et comportements communs comme un code de savoir-vivre, des habitudes alimentaires, des fêtes ; enfin, elle se structure en s’appuyant sur des principes, vertus, valeurs communes porteurs de sens et d’unité.

 

Première partie : Des cultures collectives et personnelles diverses

Je vais essayer d’illustrer l’importance d’appréhender  la richesse et la diversité des cultures collectives en prenant quatre exemples :

  • Pour illustrer le rôle les valeurs communes porteuses de sens dans l’entreprise et les codes de savoir-vivre en son sein, je me réfère à un essai intitulé La logique de l’honneur ; Philippe d’Iribarne y étudie la différence de culture dans trois filiales d’une multinationale de chaudronnerie ; la française privilégie le respect de la logique de l’honneur du chaudronnier qui ne veut pas que la hiérarchie remette en cause son honneur de travailleur professionnel ; aux USA, il est important d’être loyal (fair) vis-à-vis de l’entreprise et donc de respecter les horaires ; aux Pays Bas, c’est la recherche du consensus entre ouvriers de trois traditions culturelles différentes : catholique, protestante, sans religion.
  • Pour compléter cet exemple, je vous propose de présenter sommairement  les spécificités de deux civilisations occidentales, la française et l’américaine. La différence entre l’approche française et anglosaxonne US se traduisent dans des modes de fonctionnement et projets de société spécifiques ; en France, on privilégie non seulement la logique de l’honneur qui se traduit par un désir de reconnaissance et de dignité comme nous l’avons vu, mais aussi  par le respect de sa liberté de « noble citoyen » qui s’exprime par un esprit critique très développé et la recherche de plus d’égalité à travers la politique sociale de l’Etat providence ; aux USA, on privilégie non seulement la logique du contrat (fair), mais aussi la liberté d’entreprendre, les gagnants (winners) étant logiquement récompensés s’ils sont performants dans des compétitions en concluant de bons deals (Trump le fait en abusant de sa position dominante actuelle : que le plus fort l’emporte et l’Amérique et moi d’abord).
  • En ce qui concerne la façon dont ce qui est issu du passé et de la tradition est confronté à la modernité, au « progrès », je vous propose les résultats d’une étude du début des années 70 sur les différences entre paysans traditionnels et agriculteurs novateurs en Basse Normandie : parmi ses résultats, il était différencié l’attitude des traditionnels privilégiant le travail bien fait qui vous faisait respecter (taille des haies, tas de fumier au carré) et des novateurs privilégiant le travail qui rapporte, rentable et donc cherchant à moderniser leur exploitation en empruntant pour investir et en s’organisant pour toujours être capable de vendre ses productions à un prix suffisant pour vivre et rembourser ses emprunts.
  • Pour aborder les cultures des ethnies africaines et malgaches, j’avais pour habitude de demander quels étaient les mots clefs du vivre ensemble de mes interlocuteurs. Je l’ai fait de façon approfondie deux fois : à l’occasion de travail collectif en pays bariba au Nord Bénin avec un ami missionnaire : la notion clef d’alafia recouvrait la façon d’être en paix et de s’entendre avec ses voisins pour ne pas être empoisonné ;  à Madagascar, j’ai étudié la culture malgache avec un ami jésuite : la notion clef était le fihavanana qui recouvre la recherche de consensus dans une communauté. La notion clef la plus connue  est  l’ubuntu, un concept de l’Afrique du Sud qui signifie « humanité » ou « bonté » en référence à la solidarité et à la fraternité qui se cherche à travers la rencontre et le dialogue.

De même qu’il existe beaucoup de cultures collectives, chacun de nous a sa culture personnelle en lien avec ses milieux d’appartenance et ses cheminements. Compte tenu de notre ambition de contribuer à régénérer notre démocratie, je vais prendre l’exemple de la genèse de de ma culture politique :

  • durant la guerre d’Algérie, j’ai mené une enquête personnelle à Alger fin 1961, juste avant les accords d’Evian, auprès de français, les uns pour l’indépendance, les autres pour l’OAS ; celle-ci m’a non seulement éveillé ma conscience politique, mais fait comprendre l’importance de l’éducation politique qui a été bâclée par des responsables des partis incapables de présenter aux Français les enjeux de la décolonisation ;
  • ma candidature à une élection municipale au sein d’un Groupe d’action municipale à Caen m’a montré l’importance d’un travail d’équipe pour élaborer notre programme ;
  • mon engagement au syndicat CFDT m’a appris la façon de débattre en conseil syndical pour discerner, mais aussi la façon de négocier avec la Direction de l’Agence française de développement, comme par exemple pour initier un projet d’entreprise ;
  • comme adhérent du Parti socialiste, j’ai pu participer à divers débats au sein des deux secrétariats nationaux, Tiers monde et Formation, et j’ai travaillé sur l’identité du PS qui était alors Internationalisme, lutte des classes, autogestion. J’ai vécu l’expérience douloureuse après 1981 de l’oubli des militants qui avaient aidés le PS à accéder au pouvoir ; j’ai alors quitté le PS en écrivant à Mitterrand et au Parti qu’il n’avait pas rendu le pouvoir aux citoyens comme ils l’avaient promis ;
  • A Démocratie & Spiritualité, ma culture politique s’est enrichie sur la forme par la pratique de l’éthique du débat, sur le fond par l’approfondissement du rapport dialectique entre démocratie et spiritualité ;
  • Au Pacte civique, dont je suis un des cofondateurs, j’ai surtout travaillé sur la crise de notre démocratie avec l’Observatoire citoyen de la qualité démocratique (OCQD) ;
  • Chez les convivialiste, nous travaillons à une vision pour dépasser les barbaries et brutalismes actuels grâce à une alliance humaniste des forces de vie et promouvons des principes pour régénérer l’Humanité ;
  • A l’Archipel des confluences, je participe à un groupe Géoterra essayant d’explorer le géopolitique en lien avec le géo terrestre et le géoéconomique et nous cherchons à promouvoir la « Place de l’humanité » ;
  • Je représente avec Patrick Viveret les Convivialistes au Pacte du pouvoir de vivre ; nous essayons de promouvoir la place et le rôle de la société civile pour affronter les enjeux actuels sociaux, écologiques et démocratiques.

Deuxième partie : cultures en travail porteuses de nos transformations personnelles et collectives

Du fait des interactions entre nos cultures personnelles et de nos cultures collectives, nos cultures sont en travail, par exemple quand des personnes ou des citoyens sont en recherche de sens et de vérité et que des peuples ou communautés sont en recherche d’un devenir commun.

A la suite d’Edouard Glissant, je crois que l’évolution de nos cultures personnelles et collectives se joue d’abord dans nos capacités d’approfondir nos identités racines et de cultiver nos identités relations. Pour les cultures personnelles, j’ajouterais nos capacités à choisir nos identités vocations ; j’ai pu m’épanouir à travers une première vocation centrée sur le développement rural du local au mondial, puis une seconde consacrée à la promotion de la qualité démocratique. Nos identités se forgent au fur et à mesure que nous assumons notre passé, que nous nous ouvrons à ce qui nous entoure tout en étant en veille sur ce qui vient. Ceci nous permet de dépasser nos pesanteurs individuelles et de s’impliquer dans des transformations collectives constructives influant sur nos transformations personnelles.

En ces temps d’insécurité culturelle, l’avenir de nos cultures collectives ou communautaires  se joue dans leur capacité à s’appuyer sur le meilleur des personnalités de leurs membres pour trouver leur voie, pour dégager des intérêts réciproques dans la durée, pour trouver des compromis porteurs d’équilibres durables. Pour pouvoir affronter les problèmes et créer son devenir, chaque communauté doit s’appuyer sur un socle partagé avec une vision, des valeurs, des racines, des projets, des modes de fonctionnement, etc. Je regrette que nos organisations ne travaillent pas assez à la clarification et à l’actualisation de leur socle commun.

Une communauté, si son socle et les personnalités de ses membres sont assez solides, peut se confronter au monde en ayant des échanges constructifs pour non seulement s’adapter aux changements, mais aussi pour trouver une voie originale permettant de progresser ensemble et s’épanouir collectivement. Nos cultures en travail peuvent multiplier alors les interactions constructives entre nos transformations personnelles et les transformations collectives et les rendre cohérentes, en particulier pour promouvoir nos ambitions démocratiques.

 

Troisième partie : promotion de nos ambitions démocratiques

Dans le cadre du Pacte civique, nous avons beaucoup réfléchi à la façon de « Relever le défi démocratique face à un monde en mutation », titre d’un ouvrage publié par Chronique sociale en janvier 2017 et corédigé avec JB de Foucauld et Pierre Guilhaume. En 2016, nous avions alors privilégié la réussite d’une mutation démocratique reposant sur le changement de notre modèle démocratique et de notre art de gouverner, en particulier grâce à la délibération et à l’éthique du débat (voir mon essai « Pratiquer l’éthique du débat » publié par Chronique sociale en 2018).

Parmi les pistes pour promouvoir nos ambitions démocratiques, je privilégie aussi dans mon prochain essai la promotion de la rencontre, du dialogue, du débat, de la délibération… La culture de la rencontre et le dialogue, chère aux papes François et Léon, génèrent du commun porteur d’un humanisme fraternel ; des débats et délibérations de qualité aident à décider en discernant et trouvant des compromis, puis à agir en s’impliquant en conséquence. Plus largement, ceci contribue à ce que les personnes comme les citoyens et leurs organisations et communautés avancent courageusement pour donner sens et cohérence à nos vies, à nos cultures, à nos sociétés.

Une des priorités est de former des citoyens responsables en rendant nos sociétés plus éducatives ; pour répondre à l’ambition démocratique, il faut en particulier améliorer l’éducation morale et civique à l’école, promouvoir l’éducation populaire, former à l’éthique du débat, développer le service civique, etc.

En conclusion, le renouveau humaniste, convivial et civique auquel nous travaillons repose sur une vision du monde à approfondir et à partager et, concrètement, sur des personnes et collectifs interagissant pour penser et agir de façon constructive dans le cadre de processus éthiques permettant l’épanouissement de nos ambitions démocratiques. A cet effet, je propose trois pistes de travail :

    • Vu l’importance de la dimension culturelle par rapport à nos cheminements spirituels et à nos ambitions démocratiques pour co construire un devenir commun, je propose que Démocratie & Spiritualité s’investisse sur les interactions Culture-Démocratie-Spiritualité dans le cadre d’un nouveau groupe de travail à créer.
  • Vu l’urgence de la promotion de l’éthique de la rencontre, du dialogue, du débat, de la délibération, je propose d’une part d’animer des débats permettant la construction d’accords, désaccords, compromis, mais aussi de reprendre des formations sur ce thème de nos membres avec Régis Moreira.
  • Vu l’importance d’un renouveau humaniste, convivial et civique que nous devons promouvoir dans nos mouvements à la suite de notre UE, je propose que nous renforcions nos coopérations avec des mouvements proches, en particulier avec le Pacte civique. A cet effet, il est important de confronter les socles de nos organisations et de définir des intérêts réciproques dans la durée.

A propos Régis Moreira

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