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5L214: « L’homme doit demeurer gardien de ce qui ne se calcule pas » Chronique de Bernard Ginisty

« L’homme doit demeurer gardien de ce qui ne se calcule pas »

Chronique de Bernard Ginisty du 10 novembre 2025

L’intelligence artificielle (IA) est en train de bousculer nos modes de penser, d’agir, de gouverner, avec une rapidité croissante. S’il est un lieu où cette révolution se vit avec « incandescence », c’est celui des armées. On ne s’étonnera pas que le diocèse aux armées françaises se soit emparé de cette question. Sa « Lettre aux amis » de la Toussaint 2025 me paraît avoir su, en quatre pages, nous introduire à une réflexion de fond sur cette question. Elle s’intitule « L ‘intelligence artificielle ne connaît ni la vie, ni la mort, ni l’amour, pas plus que le vrai, le bien, le beau » (1).

L’armée est un lieu qui vit des questions cruciales de notre société : « Les équipements militaires ont subi de profondes mutations, Robots, drones, torpilles et autres armes transformables en systèmes autonomes, régis par les algorithmes d’IA inaugurent une troisième révolution majeure comparable à celle de la poudre à canon et de la bombe atomique (…) Elle bouleverse déjà le champ de bataille. Ainsi du front de l’Est où l’usage combiné des drones et de l’IA transforme radicalement le traitement de l’information. La capacité de calcul y dépasse largement le cadre technique pour devenir un critère capital de puissance. L’IA en reconfigurant les hiérarchies entre États, entreprises et blocs géopolitiques redéfinit la souveraineté d’acteurs hybrides où intérêts publics et privés se confondent ».

Le document de l’aumônerie aux armées s’attache à analyser cinq « articulations » remise en cause par l’IA : celle de la vie et de la mort, celle de la confiance et de l’humilité, celle du choix et de la décision, celle de l’individu et de la personne, celle enfin « la plus fondamentale » de l’amour et du don. Sa conclusion, est que l’IA est «une puissance sans âme » :

« Elle voit tout ce qui peut être compté, mais elle ne perçoit rien de ce qui doit être compris. Elle collecte, trie et anticipe avec une rapidité qui dépasse toute vigilance humaine. Mais elle ne connaît ni la justice, ni l’amitié, ni l’honneur : elle ignore ces mots, parce qu’aucun algorithme ne peut en saisir le poids. On la dit artificielle, parce qu’elle manipule que des données. Pourtant la puissance qu’elle met entre nos mains, elle, n’a rien d’artificiel. Elle est bien réelle – et c’est justement pourquoi l’homme doit demeurer le gardien de ce qui ne se calcule pas (…) Voici la question centrale : alors que la personne humaine est faite pour aimer et être aimée, l’IA y est diamétralement, étrangère. L’amour est déconcertant, or l’IA ne peut être déconcertée. L’amour est un don de pure gratuité, hors de tout calcul ».

Une fois encore, l’homme est en face du risque de se suicider par les outils qu’il a su inventer. Il a de plus en plus entre les mains des potentiels qui touchent à la vie et à la mort des sociétés. Il est urgent de changer notre regard sur le monde comme nous y invite ce grand poète que fut Christian Bobin. Dans une époque inondée d’informations et de calculs, il voit dans la poésie une voie du salut : « Les chiffres grignotent les poutres du monde. Ils avancent, ils avancent. Un jour, il ne restera plus que la poésie pour nous sauver. Je ne parle pas ici d’un genre littéraire, ni d’un bricolage sentimental. Je parle de la déflagration d’une parole incarnée. Seuls rendent habitable le monde les bégaiements d’une parole qui ne doit rien à la perfection d’un savoir-faire. Un jour, nous lèverons la tête vers le ciel et nous ne verrons plus qu’un panneau d’affichage avec les prix d’entrée pour le paradis. (…) Le monde moderne n’est qu’une tentative de moucher la chandelle de l’âme afin que brille dans le noir la seule brillance hypnotisante des chiffres» (2). Bien loin de fuir la quotidienneté du monde pour des envolées lyriques, il convoque le « génie » poétique qu’il définit ainsi : « Le génie c’est de rejoindre le proche comme s’il était au bout du monde. Le génie, c’est de saluer ces compagnons franciscains que peuvent être un verre d’eau, une bête des champs à demi sauvage, famélique … La grâce de l’écriture, le génie de l’écriture – qui ne dépend pas hélas de l’écrivain, qui vient ou qui ne vient pas, et qui va s’enfuir plus souvent qu’elle ne viendra – c’est toujours la même chose : rendre le présent comme il est, c’est-à-dire absolu, pénétré d’absolu. Faire du simple la seule image non hypnotisante de Dieu » (3).

  1. www.dioceseauxarmées.fr
  2. Christian BOBIN (1951-2022) : Zhu Xiao-Mei in Cahiers de l’Herne : Christian Bobin, n°126, éditions de l’Herne 2019, page 184
  3. Christian BOBIN : Ce n’est pas la gamine qui va gagner. Christian Bobin et la libraire , in Cahiers de l’Herne, op.cit. page 71

 

A propos Régis Moreira

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