L’Inconnu de la Grande Arche, film de Stéphane Demoustier (2025)
Peut-on dire que l’architecture est porteuse d’histoire ? Oui, dans la mesure où elle touche à tous les domaines, c’est un art majeur qui permet de lire l’histoire d’un pays à partir de ses réalisations architecturales, les constructions doivent s’intégrer facilement dans leur environnement, être habitables, esthétiquement agréables, financièrement acceptables. Ces exigences façonnent l’architecte, homme « multiple », habité par une vision mais obligé de tenir compte des contraintes techniques, politiques et financières.
Laurence Cossé publie en 2016 chez Gallimard « La Grande Arche, texte qui tient plus du documentaire que du roman, où elle évoque, avec beaucoup d’élégance, la puissance et la fragilité de Johann Otto von Spreckelsen 1928 – 1987, l’architecte danois qui a conçu l’Arche. Il a peu de réalisations à son actif lorsqu’il gagne en 1983 le concours « Tête de Défense » , il a construit sa propre maison et quatre églises au Danemark où il exprime son goût pour la simplicité, son attention à la qualité des matériaux, son respect des détails. Il nomme son projet pour la Défense « le cube ».
Le cinéaste Stéphane Demoustier s’inspire du livre pour son film « L’inconnu de la Grande Arche » (2025). Le bâtiment a trouvé sa place dans le paysage parisien depuis les années Mitterrand, son nom officiel est maintenant « L’arche de la fraternité ».
Johann Otto von Spreckelsen est un homme discret, idéaliste, plus philosophe que constructeur, on imagine ses difficultés quand il se trouve brusquement sous les projecteurs. Il est soutenu par le Président Mitterrand qui veut imprimer sa marque de bâtisseur à la capitale (Grand Louvre, Opéra Bastille, La Grande Bibliothèque). Face aux exigences politiques, techniques et financières, l’architecte, peu enclin au compromis, essaie de défendre la conception de son projet où tout est de première importance pour lui, de la qualité de la construction (les jointures sont longuement discutées), à la couleur délicate, changeante à la lumière, du marbre de Carrare. Quand Mitterrand perd les élections législatives en 1986, l’architecte, par manque de souplesse, est brusquement exclu de tout, sans la moindre influence sur la suite, écrasé par le poids des institutions. Discrédité, il meurt avant de voir la réalisation de son œuvre, inaugurée en grande pompe lors du bicentenaire de la révolution en 1989.
L’acteur Claes Bang sait faire sentir au spectateur la retenue, la délicatesse de l’architecte, son incompréhension devant les contraintes et les lois en France ; mal entouré, il ne trouve plus sa place, et blesse involontairement même sa femme, jouée par Sidse Babett Knudsen. Il est triste quand il doit abandonner son rêve de marbre de Carrare à cause du prix élevé, les « nuages », très difficiles à fixer, ne correspondent plus à son idée, son œuvre lui semble dénaturée. Il serait heureux de voir à quel point son « cube », d’une beauté surprenante, d’une esthétique presque spirituelle, clôt harmonieusement l’artère qui s’étend des Tuileries en passant par l’Arc de Triomphe jusqu’au cadre contemporain de la Défense.
Le livre et le film le décrivent avec justesse un homme touchant dans son désir de préserver la pureté de sa création.
Monika Wonneberger-Sander, novembre 2025
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