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UE 2021 – Les greniers d’abondance. Arthur Grimonpont. Août 2021

Je m’appelle Arthur, et j’ai une histoire étrange à vous conter.

Une obscure organisation – appelons-la Z – s’est liguée contre moi à ma naissance. Je ne puis affirmer avec certitude quel dessein poursuivait Z, mais tout, dans cette basse cabale, semblait vouloir me séparer de la nature.

La principale stratégie de Z reposait sur une méthode simple mais éprouvée : empêcher tout contact entre ma personne et des formes de vie non-humaines. Z escomptait sans doute qu’en éloignant ainsi la moindre fourmi et le moindre pissenlit de mes sens, il y avait peu de chance que mon cerveau forme une idée claire de ce qu’était la nature et, a fortiori, développe une quelconque intérêt pour elle.

C’est donc tout naturellement que je suis né dans le centre de Paris, plus grande ville française et capitale européenne présentant le plus faible taux d’espaces verts. Jusque-là, rien que de très classique. Mais Z avait d’autres tours dans son sac. Comme Paris comptait quelques arbres d’alignement le long de ses boulevards, ainsi que de nombreux pigeons, Z a enjoint mes parents à emménager à la Défense, plus grand quartier d’affaires d’Europe. La stratégie de Z était décidément audacieuse, car bien peu de parents auraient accepté de se prêter à l’expérience. Moins peuplée que Paris, la Défense présentait l’attrait indéniable d’être entièrement bâtie sur une immense dalle de béton. Séparée du sol naturel par trois niveaux de tunnels et de galeries souterraines, le risque que je tombe par hasard sur une motte de terre ferme s’en trouvait sérieusement amoindri. Sur ces hectares minéraux, les quatre saisons se résumaient aux Quatre Temps – premier centre commercial de France. J’ai donc appris à marcher sur du ciment plutôt que sur du gazon. Z s’en frottait les mains.

À mes six ans, par inadvertance de Z, mes parents ont délaissé la Défense pour une banlieue francilienne plus aérée. Je les ai tout de suite tannés pour vivre dans une maison avec jardin comme la plupart de mes camarades d’école, mais Z les a rappelés à l’ordre : nous sommes restés en appartement. Les instructions de Z étaient d’autant plus avisées que même sur un balcon, l’idée farfelue de planter des radis en bac m’avait toqué.

À l’heure de choisir mes études, le chemin était goudronné : les classes préparatoires scientifiques sont la voie idéale pour qui souhaite passer deux ans dans la pénombre étouffante d’une salle sans air, sans pluie et sans soleil. Comme les autres étudiants, j’ai fini rabougri et blafard sur le banc des concours. Z a habilement forcé le destin pour que l’une des seules écoles d’ingénieur que je décroche soit située à Paris. Et pas n’importe quelle école : l’ESTP, l’école spéciale des travaux publics. Les cours y étaient aussi variés que les techniques de construction modernes : béton armé, enrobé bitumineux, structure métallique. À la sortie s’offrait à moi une véritable carrière de pierre, plus hors-sol qu’un polder, plus minérale que les tours de Babel de la Défense. Z pensait être parvenu à ses fins. Mon sort était scellé dans le ciment. Comment pourrais-je m’intéresser à la nature en n’ayant rien vu, lu ni entendu d’autre que la ville ?

C’était sans compter l’intervention d’une grande puissance extérieure qui a su me défaire du joug de Z. Un instinct ? Un élan vital ? L’Esprit-Saint ? Qu’importe, appelons-le X.

  • À ma naissance, X a confié un chien à mes parents. Les chiens n’ont plus jamais quitté notre famille depuis.
  • À mes quatre ans, X m’a soufflé l’idée de semer un pépin de melon dans le pot d’un ficus. J’ai toujours adoré jardiner depuis.
  • À mes dix ans, X m’a fait parvenir un livre sur les plantes carnivores. J’ai transformé ma chambre en serre tropicale.
  • À ma sortie d’école d’ingénieur, X m’a fait découvrir le wwoofing. J’ai vécu l’année la plus heureuse de ma vie, entre petites fermes laitières, exploitations fruitières et pêcheries de bord de mer.
  • De retour de cette expérience, X m’a confié un travail d’ingénieur copieusement ennuyeux, si bien que j’ai pu passer le plus clair de mon temps à lire sur la nature et m’investir pour la protéger ;
  • X m’a alors fait déménager dans une ville dix fois plus petite, et bientôt peut être dans une autre dix fois plus petite encore ;
  • X a convaincu mes parents de rénover un moulin où ils coulent désormais leurs étés, et où j’entretiens un potager et un verger ;
  • Pris dans son élan, X m’a convaincu de quitter mes fonctions d’ingénieur civil, pour fonder une association sur l’agriculture et l’alimentation durable. Cette association occupe aujourd’hui le plus clair de mon temps de cerveau éveillé.

Les Greniers d’Abondance – c’est son nom – vise à étudier et expliquer les conséquences des menaces globales d’ordre écologique, climatique et énergétique qui pèsent sur notre alimentation, et à outiller les citoyens, les collectivités et les pouvoirs publics pour relocaliser notre système alimentaire et le rendre moins vulnérable et plus soutenable.

A propos Régis Moreira

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