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UE 2021 – La relation entre l’homme et la nature, l’histoire d’une domination. Eliane Fremann. Août 2021

Valérie Chansigaud est historienne des sciences et de l’environnement, autrice de L’Homme et la Nature : une histoire mouvementée (Delachaux et Niestlé, 2013), la première synthèse de l’impact de l’homme sur la biodiversité au cours des âges. Ce panorama historique mondial souligne les étapes déterminantes de l’histoire d’une domination.

Dès les temps préhistoriques, l’expansion de l’homme s’accompagne d’une profonde transformation des paysages et d’une érosion de la biodiversité, y compris chez les peuples aborigènes. Ce que nous nommons aujourd’hui « crise écologique » remonte aussi loin que la révolution néolithique.

Dans l’Antiquité, la première croissance démographique de l’humanité et l’apparition des grandes civilisations se caractérisent par une dégradation accrue de leur environnement et une utilisation, souvent sans frein, des ressources naturelles. L’homme des cités naissantes programmait rationnellement sa conquête de la nature, planifiant les systèmes d’irrigation dans les villes où les scribes enregistraient les cadastres, mesuraient les récoltes.

Lors de la grande peste du XIVe au XVIe siècle, point culminant des crises de la rareté -une Europe ayant atteint les limites du territoire défrichable, affaiblie par la surpopulation et par les guerres de ses suzerains se trouve démunie face à l’épidémie.

Avec l’expansion coloniale de l’Europe à la Renaissance, l’humanité voit s’éloigner la peur de la faim, de la foudre, des inondations. Mais le modèle social et économique qui s’impose conduit à une gestion brutale des hommes et de la nature.

Au XIXe siècle, la révolution industrielle transforme les moyens de production et recherche l’accumulation rapide des richesses sans se soucier des conséquences environnementales. Avec l’achèvement de la conquête du monde et son partage entre les grandes puissances, la peur d’une nature insuffisante ou hostile semble effacée par les questions sociale et coloniale.

L’intensification des conflits armés au XXème siècle détruit à la fois les hommes et l’environnement à une vitesse alors inégalée tandis que la mondialisation et la dérégulation de l’économie conduisent à l’émergence de problèmes véritablement globaux.  L’être humain a fait de la Terre une planète uniquement destinée à son usage, où seules survivent les espèces capables de s’adapter à ses conditions.  En 2010, le premier bilan est sans appel : malgré la multiplication des mesures de protection, partout la diversité biologique s’appauvrit.

Aux origines de la protection de la nature

L’expansion du modèle européen s’accompagne de l’émergence de mouvements en faveur de la protection de la nature qui ont toujours cherché à préserver les intérêts, voire la survie des humains. Ils apparaissent et se propagent simultanément à la vogue des jardins zoologiques et botaniques, où la nature est toujours dominée, contrôlée, modifiée. Et c’est parce qu’elle est transformée par la culture qu’elle est finalement idéalisée et aimée. L’idée que la nature puisse être sacrée ou qu’elle puisse posséder une valeur intrinsèque n’émerge que durant les années 1960 dans le sillage de la contestation de l’héritage intellectuel et culturel occidental.

Parmi les premiers défenseurs de la nature au XIXème siècle, on peut citer deux noms :

George Perkins Marsh (18011882), diplomate et philologue, considéré comme le premier écologiste d’Amérique. Dans Man and Nature, un des premiers ouvrages à documenter les effets de l’action humaine sur l’ environnement, il remet en question le mythe du caractère inépuisable de la terre et la croyance que l’impact humain est négligeable ; il établit des similitudes avec  les anciennes civilisations méditerranéennes qui se sont effondrées à cause de la dégradation de l’environnement, de la déforestation qui conduit à l’érosion des sols et donc à une diminution de leur productivité.  Man and Nature fut l’un des livres les plus influents de son temps, à côté de Sur l’origine des espèces de Charles Darwin.

Elisée Reclus (1830-1905) est l’un des pères de la géographie humaine et un des précurseurs de l’écologie, dont les travaux longtemps ignorés suscitent aujourd’hui un regain d’intérêt. Communard et anarchiste, c’est à la fois un savant, un écrivain et un poète, en marge de l’institutionnalisation universitaire de sa discipline et soucieux de s’adresser à un public profane, de rendre visible à l’imagination la surface du globe et d’en suggérer la beauté par celle du style. Pour lui, le progrès s’accompagne de « régrès », de conséquences environnementales : Le fait général est que toute modification, si importante qu’elle soit, s’accomplit par adjonction au progrès de régrès correspondants (L’homme et la Terre[1], tome 6). L’action de l’homme sur la nature doit répondre à des critères sociaux, moraux et esthétiques.

 

L’homme, conscience de la terre

« De nos jours, le bison, le lion, le rhinocéros, l’éléphant, reculent incessamment devant l’homme, et tôt ou tard ils disparaîtront à leur tour, ceux du moins qui ne deviendront pas des animaux domestiques. Dans les pays fortement peuplés, toutes les bêtes sauvages sont détruites successivement pour être remplacées par les animaux qui nous servent d’esclaves ou de compagnons, […] ou qui sont tout simplement, comme le porc, des masses ambulantes de viande de boucherie. […]

La question de savoir ce qui, dans l’œuvre de l’homme, sert à embellir ou bien contribue à dégrader la nature extérieure peut sembler futile à des esprits soi-disant positifs : elle n’en a pas moins une importance de premier ordre. Les développements de l’humanité se lient de la manière la plus intime avec la nature environnante. Une harmonie secrète s’établit entre la Terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir. Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort. Parmi les causes qui, dans l’histoire de l’humanité, ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des peuples traitaient la terre nourricière. Ils abattaient les forêts, faisaient tarir les sources et déborder les fleuves, gâtaient les climats, entouraient les cités de zones marécageuses et pestilentielles ; puis, quand la nature, profanée par eux, leur était devenue hostile, ils la prenaient en haine, et, ne pouvant se retremper comme le sauvage dans la vie des forêts, ils se laissaient de plus en plus abrutir par le despotisme des prêtres et des rois. […] Cette corruption du goût, qui porte à gâter les plus beaux paysages, et dont l’origine se trouve dans l’ignorance et la vanité, est désormais condamnée […] Devenu “la conscience de la Terre”, l’homme assume par cela même une responsabilité dans l’harmonie et la beauté de la nature environnante. ».            Extraits tirés du second volume de La Terre (1869)

 

[1]Œuvre en 6 volumes, édition originale publiée en 1905. La découverte poche, 1998 (420 pages) et en libre accès numérique chez ENS Editions.

A propos Régis Moreira

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