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Contrôler, intégrer… mais encore ? L’impasse des politiques migratoires Intervention de Gérard Moreau 15 février 2021

« L’impasse des politiques migratoires » : pourquoi ce sous-titre ?

Non pas l’impasse des chemins ou des rues, mais l’impasse des jeux de cartes :

  • la tentative incertaine qui parie sur le jeu des partenaires…
  • ou des adversaires

Les mouvements migratoires sont un jeu planétaire entre :

  • les initiatives individuelles des migrants
  • les autorités nationales ou internationales, qui cherchent à les réguler, selon des principes antagonistes : accueillir et contrôler

Contrôler et/ou insérer

Mais pas seulement une impasse

  • Les mouvements migratoires qui provoquent la résidence durable des immigrés posent la question, au-delà de leur accueil, de leur insertion sociale
  • C’est-à-dire, au cœur de la société, le lien avec la vie sociale et la population, natifs et autres.
  • Donc, bien au-delà du contrôle de la « frontière »

Les deux questions, migration et vie sociale, sont constamment mélangées

L’exposé

Introduction

  • Contrôler ou insérer
  • Un sujet chargé : qui en parle ?
  • Votre intervenant : d’où parle-t-il ?
  • DPM : la politique et sa fabrique
  • La triple dimension
  • 1er détour : la notion d’immigré
  • 2e détour : les comparaisons internationales
  1. La migration
  • La route des migrants
  • Le contrôle des autorités
  • La grande confusion de l’asile
  • Les dossiers impossibles de l’asile
  1. Une question majeure : l’intégration

– Le contrat d’intégration

  • Détour : définir l’intégration
  • Le lien social

Conclusion

  • Recherche, connaissance, action

 

Un sujet chargé, dont tout le monde parle

L’étranger, quoi que ce mot veuille dire, fait partie de la vie de tout un chacun ; on est toujours l’étranger de quelqu’un par cercles concentriques

  • donc, tout le monde est intéressé ou a peur :
  • le passant
  • l’humanitaire accueillant
  • le guerrier xénophobe
  • le philosophe
  • l’analyste (statisticien compris)
  • l’opérateur public ou privé, politique ou technique, etc.
  • avec des recouvrements entre ces catégories, jamais chimiquement pures.
  • sans oublier le politique élu !

Il faut donc savoir qui parle et agit, et d’où.

Votre intervenant ?

Quel que soit mon parcours personnel, j’apporte aujourd’hui mon expérience de DPM (directeur de la Population et des Migrations) de 1985 à 1997, soit douze ans

  • avec onze ministres et secrétaires d’Etat
  • à travers trois alternances de majorité.

Mais, la DPM, c’est quoi ? Ou, plutôt, c’était quoi ?

  • Supprimée par Nicolas Sarkozy en 2007
  • une réorganisation politique, et pas du tout purement technique

 

D’où je parle ? La DPM

Un directeur d’administration centrale est le délégué du ministre dans son domaine

  • Son représentant face aux autres administrations centrales et aux services déconcentrés, préfets en tête
  • Proche du politique mais aussi proche de la base… ou, plutôt, coincé entre les deux

A la sortie de la Seconde Guerre, le gouvernement incluait un ministère de la population chargé de suivre son évolution, « naturelle » et migratoire.

  • Il disposait pour cela d’une administration…
  • et de… l’INED (Institut national d’études démographiques).

Après plusieurs avatars, la DPM est créée en 1965

  • face aux ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, pour le droit au séjour…
  • face aux autres ministères pour la vie en France :
  • travail,
  • logement,
  • éducation, etc.
  • Autre attribution :
  • l’accession à la nationalité française et sa gestion.

La DPM : P + M

Parler et agir autour des populations immigrées supposait un intense travail interministériel

  • Compliqué, certes
  • mais une très bonne chose pour éviter, ou limiter, les tentations de discriminations

La DPM était au cœur de cette vision et de cette action complexes

  • Sur les deux niveaux : national et international

Le P est aussi important que le M

  • Car la migration est d’abord un phénomène démographique qui se combine avec le mouvement naturel de la population, territoire par territoire.

La politique et sa « fabrique »

Quand on parle de « politique », de quoi parle-t-on ?

  • Parole, texte et action, à tous les niveaux
  • En haut, la parole et les orientations, les grands textes
  • En bas, la cuisine, la vie quotidienne pour résoudre les contradictions et agir en influence plus qu’en réglementant

Ne pas s’étonner des écarts entre parole et action

  • les politiques et le public en jouent dans les médias
  • On peut s’y laisser prendre…

A la DPM, tous les niveaux étaient présents

  • de l’international au dossier individuel
  • du global (la démographie) à la décision de naturalisation
  • à la « fabrique » et au « fourneau »
  • Mais la DPM n’avait pas le droit de communiquer…

Une triple tension entre…

  1. Temps court et temps long du politique
  • L’action politique vise une série d’objectifs
  • Mais la réalisation va du court terme au très long terme, de l’action immédiate jusqu’aux générations suivantes
  • Elle passe, en démocratie, par le temps électoral
  • Ce décalage des temporalités est souvent négligé
  1. Immigration et intégration
  • Mélange constant entre le mouvement transfrontière et l’établissement du lien social, dont dépend l’intégration des immigrés, quel que soit le sens donné à ce mot
  • Confusion des idées et des faits : franchir une frontière, ce n’est pas résider.
  1. Vision collective et vies individuelles
  • Ne jamais oublier qu’il existe, derrière la vision globale des statistiques ou des théories, des personnes qui ont chacune leur vie
  • Des vies que l’action quotidienne doit considérer, avec l’infinie diversité des situations rencontrées et sur lesquelles il faut trancher
  • Problème de l’itération entre la statistique et la réalité de chaque situation individuelle, entre les phénomènes macro et les situations micro

Trois impasses pour les politiques :

  • Mêler les temporalités
  • Confondre intégration et contrôle du séjour
  • Substituer les agrégats statistiques aux vies individuelles

Retour sur « immigré » / « étranger »

Immigré

  • La définition statistique est claire, sa signification moins, son utilisation moins encore

La nationalité

  • Distingue juridiquement l’étranger du national
  • Avec un effet radical à la frontière sur le droit au séjour
  • mais déjà bien des nuances : visas ou non, accords internationaux ou non, court séjour ou long séjour
  • Un effet radical aussi sur les droits politiques
  • L’étranger ne pèse pas sur la politique du pays (sauf vote local pour les électeurs de l’UE)
  • Un effet de seuil pour les droits sociaux, avec des vestiges
  • Mais le principe de base en France est l’égalité de traitement face aux différences et surtout aux discriminations.

Pourquoi compter les « immigrés » ?

La notion juridique d’étranger est peu descriptive

  • D’où le concept « transfrontière » d’immigré

Mais « immigré » rassemble dans une même catégorie les personnes nées à l’étranger et venues s’installer en France, qu’elles acquièrent ou non par la suite la nationalité française

D’où le malaise :

  • Non plus la distinction légale étranger/ français mais une distinction des origines : immigré/« natif », qui renvoie implicitement à une « distance culturelle », voire ethnique
  • Or cette distance varie fortement selon les origines sociogéographiques (les « natifs » étant eux-mêmes hétérogènes)

Question taboue :

  • Immigrés : un agrégat vraiment « intéressant » ?
  • Puissance de la statistique, qui a imposé le concept

 

Autre détour : les comparaisons internationales

J’ai participé à de nombreuses réunions internationales de réflexion ou de négociation

  • y c. présidence de groupes au Conseil de l’Europe ou à l’OCDE
  • et une mission dans 6 pays de l’OCDE pour analyser les politiques d’immigration et d’intégration

Toujours passionnant de voir ce que font les autres pays

  • Avec l’impossibilité de les copier, même si ça donne des idées
  • trop de différences historiques, culturelles, politiques…
  • à commencer par les différences de vocabulaire
  • Donc attention… et circonspection

Exemples :

  • Les Gastarbeiter des Allemands, finalement intégrés…
  • Les revirements des Pays-Bas, modèle d’accueil dont la France s’est en partie inspirée, avant d’en faire un repoussoir

 

 

  1. La migration, un mouvement transfrontière vers une nouvelle résidence

Le mouvement migratoire a toujours existé

  • D’abord un paramètre démographique, d’ampleur variable
  • Un phénomène, pas un problème, même s’il en provoque
  • L’immigration zéro n’existe pas, sauf dans certains discours, qui ne tiennent pas longtemps

Mais les autorités du territoire d’accueil veulent le réguler et le plus souvent, aujourd’hui, le restreindre

Rude affrontement entre les migrants et les autorités

  • Car le migrant joue son existence
  • Triste jeu de gendarmes et voleurs, où presque toutes les armes sont permises, toutes les contradictions autorisées.
  1. a) La route des migrants

Les migrants prennent la route avec des moyens (ça coûte cher)

  • Il faut payer les intermédiaires : transporteurs et passeurs, réguliers ou non

Faut-il s’en étonner ?

Ils choisissent les meilleures voies géographiques et les meilleures voies juridiques

  • Légales, en misant sur les meilleures procédures : recrutement des employeurs, vie familiale, études, asile, mariage, c’est selon.
  • Ou illégales, si les voies légales échouent ou sont impossibles
  • Vie grise de la clandestinité ou de l’irrégularité
  • L’exemple des « immigrés de Calais »
  1. b) Le contrôle des autorités

Soit elles ménagent des voies d’accès

  • Principes humanistes des droits, accords internationaux, métiers en tension, relations d’influence

Soit elles construisent des murs, directs ou indirects

  • Droits restreints, visas, bureaucratie, attitudes négatives

Ne pas s’étonner d’avoir une politique de régulation double

  • même si la communication n’avoue qu’un seul aspect…

Message dissuasif adressé par la politique de freinage :

  • Extériorisation des contrôles (visas, hot spots), accueillir aussi mal que possible (formalités, hébergement précaire…)
  • Résultat : on crée une population irrégulière, une société informelle. On encourage la xénophobie ambiante

Idem en Europe (malgré Schengen) : persistance des réactions nationales, plus ou moins xénophobes

  1. c) La grande confusion de l’asile

Afflux récents de demandes, liées aux conflits de toutes sortes

  • mais aussi à la situation socio-politique de nombreux pays

Le droit d’asile, immémorial, consolidé par la Convention de Genève et ses avenants (textes fondateurs) a ouvert une voie d’entrée

  • 178 000 demandes en France en 2019

Les pays signataires cherchent à la fermer

  • Ils récusent tout « asile européen »

1re zone grise : la demande d’asile non enregistrée

  • Tous les migrants entrant en France ne demandent pas l’asile.

L’accès à l’OFPRA se fait via les préfectures et l’OFII

  • Long et aléatoire, du fait notamment des règles de Dublin
  • Seuls les demandeurs sont comptés (mais pas comme immigrés).

Or bien des migrants ne font pas la demande. Ce flux n’est pas compté : 1re zone grise, pas négligeable

  • Comparer avec le soin mis à compter les étudiants

2e zone grise : l’hébergement et les ressources des demandeurs

  • Une fois la demande déposée, le problème de l’hébergement et des ressources, crucial, entretient une seconde zone grise, régulière mais sans droits, jusqu’à la décision finale. Le plus souvent négative, après plusieurs mois.

3e zone grise : exécution très aléatoire des OQTF

(obligations de quitter le territoire français) une fois la demande définitivement rejetée

  • Confusion générale des commentaires
  • entre migrants demandeurs d’asile et réfugiés statutaires
  • entre réfugié statutaire (assimilé au national) et protection subsidiaire (migrant régulier, bénéficiant d’une protection temporaire)
  1. d) Les quatre dossiers impossibles de l’asile

L’hébergement : où les loger ?

  • Campements, hébergement spécialisé (pour les demandeurs : hébergement d’urgence de droit commun ou hôtels)
  • Gonflement des dispositifs : 107 000 places aujourd’hui
  • Accueillir ou décourager ? 1re impasse.

Les mineurs non accompagnés (MNA)

  • A la charge des départements (ASE). Ping-pong avec l’Etat
  • Problème : comment déterminer la minorité ?

L’Europe et la souveraineté nationale

  • Bien des manières d’appliquer la Convention de Genève
  • L’asile, prérogative souveraine, refus d’un Office européen

L’Europe et le « dublinage » (règlements de Dublin)

  • Une épreuve impossible sans office européen ?
  1. e) Ne pas confondre demandeur et statutaire

Après le dépôt d’une demande à l’OFPRA, la personne n’est ni « immigrée » ni « clandestine »

  • Elle peut bénéficier d’une assistance (hébergement éventuel, allocation, mais pas d’autorisation de travail)

Demande traitée par les « officiers de protection »puis, en appel, par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA)

  • Si refus définitif, OQTF ; si non exécutée : clandestinité.
  • Si suite positive: statut de réfugié ou protection subsidiaire. Alors seulement, on devient un « immigré »

Protection subsidiaire

  • Carte d’un an renouvelable, souvent pour trois ans, avec autorisation de travail (voir CESEDA)

Statut de réfugié (convention de Genève)

  • Carte de dix ans, assimilation au national (sauf droits civiques)
  1. La grande question de « l’intégration »

Insertion, intégration, inclusion, assimilation ?

  • Vaine querelle de mots : je l’ai toujours refusée
  • Le débat rhétorique masque les vraies difficultés

Le « devoir d’intégration »?

  • J’ai toujours résisté à cette assignation, redondante (respecter la loi) ou obscurantiste, car l’intégration concerne toute la société
  • Elle masque les difficultés ou aiguise la xénophobie

Une erreur majeure : lier « l’intégration des immigrés » au contrôle de la frontière

  • Il s’agit en fait de l’existence et du contenu du lien social
  • Le lien social touche tous les domaines de la vie collective et met en lumière les inégalités anormales qui la fragilisent :
  • tendances ségrégatives, réflexes de défense, pour les nantis comme pour les pauvres, immigrés ou non.
  1. Le contrat d’intégration : la bonne idée pervertie

D’inspiration néerlandaise, mis en place à partir de 1997

  • l’intégration demandée aux immigrés
  • avec, à l’accueil, une présentation des institutions du pays, plus des cours de langue

Devenu un contrat obligatoire pour obtenir un titre de séjour

  • Une formalité unilatérale à remplir, un obstacle à franchir…

Et un « devoir d’intégration » à satisfaire, en principe, dans un délai déterminé, fixé à cinq ans !

  • Donc un faux « contrat », ce qu’on appelle un contrat d’adhésion
  • Une nouvelle contrainte avec laquelle biaiser

Ou comment on a dévoyé une bonne idée : offrir une formation civique + un apprentissage linguistique

  1. Un détour par la définition de l’intégration, sa temporalité et l’action politique

La définition oubliée du Haut conseil à l’intégration en 1991

  • Un « processus » conduisant à « susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales, et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété, de cette complexité »

Un phénomène qui s’inscrit dans la durée

  • Dans les vies individuelles et collectives des générations
  • Dans l’histoire des sociétés et des nations, avec avancées et reculs
  • Les cultures ancrées dans un territoire ne disparaissent pratiquement jamais ; elles s’intègrent dans la culture collective

L’action politique vise à accélérer l’intégration…à moins qu’elle ne la retarde

  1. Le lien social dans la diversité économique et culturelle

Où le lien social se construit-il ?

  • Dans l’éducation, le logement, l’emploi, mais aussi la vie personnelle, la famille, un voisinage de culture et de géographie

Un défi majeur : l’égalité des chances à travers la diversité des conditions. Ne pas se fier aux moyennes

  • Variations selon le sexe et l’âge (indicateurs simples), les revenus et la CSP (complexes), les origines culturelles, ethniques

Rôle de l’urbanisme pour assurer le lien social et l’intégration

  • quartiers loin des centres, ZEP (aujourd’hui REP) mal équipés en personnel, en police de proximité, etc.
  • lois sur l’urbanisme, sur l’égalité des chances à l’école

Les pays développés ont tous un équivalent des politiques d’intégration : Turcs en Allemagne, réfugiés en Suède, etc…

 

  1. Recherche, connaissance statistique et action

 

Ou comment s’y repérer (sans les craindre) ?

Quid de la recherche sociologique et pluridisciplinaire sur le lien social, la dispersion des attitudes culturelles ?

Même s’il y a des régressions, les liens « communautaires » se dissolvent forcément au fil des générations

Peu de recherches sur des indicateurs d’« intégration » incluant non seulement les immigrés mais l’ensemble des relégués ou délaissés (voir René Lenoir, Les Exclus, 1974)

De surcroît, il faut distinguer

  • recherches de connaissance
  • études plus opérationnelles, testant des hypothèses d’action.

 

En guise de conclusion…

 

L’avenir ?

 

Cahin-caha

 

A propos Régis Moreira

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