Engagement
Comment faire d’une décision, d’un engagement souvent pris au cours de la jeunesse – lors un moment idéal, suite à une rencontre, une lecture ou une impulsion religieuse – un pilier, un chemin de liberté ? C’est une question de loyauté envers les personnes qui nous entourent, de responsabilité. Il peut structurer notre vie et devenir la colonne vertébrale qui nous permet de tenir en cas de coup de vent – la vie écrit droit avec des lignes courbes. Pouvoir tenir ses promesses donne confiance, fait garder les deux pieds dans la réalité, il y a moins de risques de se perdre dans des rêves.
Les hasards de la vie m’ont fait bifurquer vers un engagement dans la grande précarité via le bénévolat. Le monde du bénévolat n’est pas sans écueil, si l’on peut y déployer son humanité, on y trouve aussi les luttes pour le pouvoir, et le monde du travail vous regarde avec dédain. Pour prendre de la hauteur, regarder le but : le désir d’être utile autrement, de rendre l’autre heureux, d’être passeur.
Un long séjour à l’hôpital est l’occasion – non rêvée – de vérifier cette théorie. Dans ce monde, totalement inconnu de moi, je découvre un lieu d’apprentissage ; humilité, patience, ouverture sont des étapes à franchir. Lâcher les commandes, accepter de les passer à d’autres, se laisser faire sans sombrer, est un travail intérieur de chaque instant. Ensuite, à chacun de remplir les quelques interstices qui restent… lecture, méditation, le temps ne manque pas. Mon chemin de respiration s’est ouvert grâce au personnel soignant, tous, l’aide-soignant, le kiné, l’infirmière, font preuve d’une patience infinie, d’une bienveillance sans limites, de discrétion devant le dénuement, tous sont capables de sourire en toutes circonstances.
Connaissant les tensions qui parcourent notre société, les difficultés du métier de soignant, je reste sans voix devant une telle disponibilité, jour et nuit. A constater la mine fatiguée du personnel de nuit, j’imagine les contraintes d’un tel engagement, la force intérieure nécessaire pour ne pas se laisser déstabiliser par la souffrance et l’angoisse des malades. S’appuyer sur plus grand que soi, faire confiance à la force intérieure qui nous habite tous, oui, je connais, je l’ai souvent écrit ; ici, on passe à la pratique. L’engagement des soignants me touche, leur sérénité m’a encouragée tout au long du chemin cahoteux à parcourir pour retrouver une certaine autonomie.
La vieillesse est un déclassement, c’est évident ; les engagements, lointains certes, transformés et adaptés, peuvent cependant ouvrir de nouveaux sentiers, déployer une richesse spirituelle insoupçonnée.
J’ai fait miennes les valeurs de Démocratie & Spiritualité : vivre simplement en cohérence avec mon chemin intérieur, respecter toutes formes de spiritualité, apprendre à les connaître pour un dialogue respectueux et avancer ensemble.
Au fil du temps, il s’avère qu’une clinique, lieu de détresse, est aussi l’ouverture vers un chemin plus subtil, spirituel, il se niche dans le lien qui se crée entre la souffrance et le soin, discrètement, respectueusement, dans l’acceptation de l’autre. La fatigue n’aide pas. C’est difficile pour tous, le personnel qui ne se plaint pas, le patient qui redécouvre l’importance de l’altérité et essaie de retrouver son équilibre dans un environnement déstabilisant. Gare à l’usure, place à l’optimisme au sein de cette société particulière. J’essaie de recomposer mon univers intime, mes anciens piliers sont le cran d’arrêt devant l’abîme de la dépression, m’obligent à lutter pour trouver le courage de retourner dans la courant de la vie – c’est un engagement prometteur d’avenir.
Si le mot transmission pose souvent question – que transmettre d’une époque à l’autre ? – le mot « engagement » perdure d’une génération à l’autre et continue à faire grandir en toute liberté.
Monika Wonneberger-Sander, Mai 2025