A l’écoute des jeunes
Cette séquence a réuni 6 jeunes – 3 jeunes gens que nous avions interviewés et 3 autres qui font partie des collectifs Coexister (1) et Madera (2). Âgés de 26 à 36 ans, venus en métro, en moto ou en rollers, ils ont noué très facilement le contact, aussi bien avec nous qu’entre eux.
Après une rapide présentation du travail de notre groupe D&S (composition du collectif, objectifs et fonctionnement), carte blanche leur a été donnée pour s’exprimer librement sur leur rapport au politique et à l’engagement, ce qu’ils ont fait, souvent en termes forts, indiqués entre guillemets.
1 – les jeunes délaissent les engagements politiques pour plusieurs raisons :
– « On ne croit plus dans les partis, qui sont figés. » « Les jeunes ne se sentent pas écoutés, ne peuvent pas peser, les discours politiques ne s’adressent pas à eux. »
– « Inertie de la Ve République, mur des institutions. Le vote est inutile, le vote blanc n’est pas pris en compte. » « On a perdu la croyance que la démocratie peut agir. » ils demandent plus d’horizontalité.
– « Le problème est mondial, le système capitaliste mondial a oublié le bien commun. »
– « Sentiment d’impuissance, générateur de souffrance. Beaucoup ne veulent pas faire d’enfant dans ce monde. » L’un des participants évoque avec émotion ses deux jumelles âgées de quelques mois.
– « Quand ils votent, les jeunes choisissent l’extrême gauche mais aussi l’extrême droite. Le dialogue avec ceux qui votent RN est nécessaire mais épuisant. »
2 – « Les jeunes s’engagent localement, pour l’écologie qui est dans une situation catastrophique et constitue une priorité, sur le plan professionnel dans un métier « qui a du sens » (ONG entreprises sociales : être le changement que l’on veut voir) ou dans des mouvements impulsés par la société civile (vague Me too, manifestation contre la loi Duplomb, mobilisation du 10 septembre). »
« Ils expriment le besoin de créer de la joie pour lutter contre la souffrance -Evocation des tiers-lieux, des terreaux fertiles qui suivent un autre modèle de gouvernance, où l’on s’engage au quotidien et où s’exprime moins le désir de pouvoir. Il faut agir là où on vit. L’engagement associatif redonne foi. Les jeunes sont engagés mais différemment. »
3 – « La perte de croyance dans la démocratie, la perte de sens et d’espoir entraine un retour à la religion qui apporte des repères -mais conduit certains jeunes à des croyances parfois extrêmes. »
4 – Les réseaux sociaux sont évoqués, les opportunités qu’ils offrent mais leur danger aussi.
Dans un second temps, les jeunes s’adressent spontanément à la salle pour engager un dialogue avec les participants de l’université d’été, prolongeant la séquence et modifiant le programme prévu !
Questions de la salle
1 – Avez-vous une personnalité phare ? Une pensée phare ? Un pays où vous aimeriez vivre ? Vous projetez-vous dans un modèle ?
Personnalités citées par les jeunes : des mangakas, auteurs de BD japonaises (porteuses de valeurs : le rêve, la confiance, la liberté) ; Camille Etienne, la jeune militante écologiste née en 1998 ; Jean-Marc Jancovici (3)et le Shift Project ; Jacinda Ardern, Première ministre de Nouvelle-Zélande entre 2017 et 2023, élue à 36 ans, qui a exercé ses responsabilités avec beaucoup d’éthique – « tous les politiques ne sont pas dans la recherche du pouvoir. »
Pays cités : pour deux de ces jeunes dont les parents ont émigré en France, c’est notre pays qu’ils choisissent pour son respect des droits humains, son système éducatif même s’ils dénoncent avec force la dégradation des services publics (école, hôpitaux, etc..). Le Japon est cité par un grand lecteur de mangas qui s’interroge sur une expatriation possible. Le Sénégal où « un soulèvement populaire a finalement permis la tenue d’une élection présidentielle démocratique début 2024. ».
2 – Comment ferez-vous pour construire une vision politique ? La politique, c’est la régulation fondamentale des sociétés. Cette question n’a pas été retenue par les jeunes présents.
3 – Quelles sont vos attentes par rapport à nous ?
« La lutte continue, on continue à s’engager auprès des exilés malgré les lois Darmanin ».
Plusieurs attendent du soutien : « La réflexion intellectuelle, ok mais on a besoin de choses concrètes comme du mentorat, une aide pour trouver notre chemin dans la société, et du positif. »
Les jeunes de Coexister signalent l’événement de janvier à St Jacut (4) où ils « partagent leur volonté d’agir, de changer le monde. ». Ils soulignent l’importance du dialogue interculturel.
Question des jeunes : Et vous, à nos âges, qui admiriez-vous ?
Réponses des participants
Jacques Delors (5) qui a exercé des responsabilités politiques de 1er plan, est cité : « Ma génération a eu beaucoup de chance de pouvoir ainsi bénéficier d’une référence aussi crédible et forte pour guider la vision et l’action » ce sont les mots de Jean-Baptiste de Foucauld, cofondateur de D&S, sur notre site. Edgar Morin, Pierre Rabhi, des « chercheurs d’humanité » porteurs d’« une vision de l’avenir ».
Il faut distinguer exercice des responsabilités et désir de pouvoir.
Des initiatives actuelles de la société civile en faveur des jeunes sont citées : « Un cabas pour un étudiant », la colocation intergénérationnelle, les journées OASIS sur les expériences des éco-lieux, une alternative au système politique actuel. Et pour finir, cette phrase d’Albert Camus : « Le seul sujet qui m’intéresse, c’est comment dois-je me conduire ? » Rendre le monde meilleur dans ma sphère. Le dialogue s’est poursuivi jusqu’en fin d’après-midi à la cafétéria avec deux des jeunes participants.
1/. Mouvement d’éducation populaire, qui propose à des jeunes de 15 à 35 ans issus de toutes les convictions religieuses, philosophiques et spirituelles de vivre une expérience positive de la diversité interconvictionnelle
2/ Association qui accompagne les personnes exilées pour une meilleure insertion sociale et professionnelle
3/ Jean- Marc Jancovici, ingénieur, fondateur en 2010 du Shift Project, le think tank de la décarbonation : de jeunes actifs bénévoles entre 25 et 35 ans luttent contre l’urgence climatique et pour la transition énergétique.
4/ interfestival des religions et des convictions de l’abbaye de Saint Jacut, fin janvier avec des partenaires interconvictionnels (la CINPA, les Amis de La Vie), pour un week-end intergénérationnel et interconvictionnel
5/ Jacques Delors (1925-2023) : militant syndical CFTC puis CFDT, haut fonctionnaire, élu député européen dès 1979, ministre de l’économie et des finances de 1981 à 1984, président de la Commission européenne où il a joué un rôle-clé de 1985 à 1994. Donné favori à l’élection présidentielle française de 1995, il renonce à se présenter à la surprise générale. « Conscient de la complexité de la réalité, peut-être même hanté par elle, il était à la recherche de l’action juste au moment juste. » (Jean-Baptiste de Foucauld)
Démocratie & Spiritualité …une instance commune de réflexion invitant à l’action.