En-tête

 

 Lettre bimestrielle de D&S n°158

 Mars - Avril 2018

 

Sommaire

Agenda

L’éditorial

Préserver notre capacité à prendre le temps de…

Nouvelles de l'association.

Assemblée Générale de D&S en le lundi 9 avril à 17h dans les locaux de Poursuivre

Vingt-cinquième anniversaire de D&S

Conviviale du 8 janvier 2018: Fin de vie

Conviviale du 5 février 2018  rencontre avec Benjamin Stora « France-Algérie, accepter le passé
et construire l’avenir ».

Résonances spirituelles.

Une lumière dans les ténèbres

Non-violence : la violence peut être traversée et dépassée

Démocratie et spiritualité

Quel avenir pour Démocratie et Spiritualité ?

Chronique de Bernard GINISTY

La transmission au risque de la communication

Libres paroles.

La Tunisie sept ans après sa révolution 

Informations diverses.

 

 

 

Agenda

Les soirées conviviales

• à l'ODAS, au 250 bis Boulevard Saint Germain (75007 PARIS) Codes 25B01, puis 62401

- pas de soirée conviviale en avril

 - lundi 28 mai : « Comment se construit et se nourrit la montée (politique et/ou religieuse) aux extrêmes » ?

• au Forum 104, 104 rue Vaugirard (75006 PARIS)

- lundi 18 juin : rencontre avec Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité : Analyse de la situation française, des problèmes à résoudre, des solutions.

 

Groupe cheminement :

Au 87 rue de l’Eglise (75015 PARIS) Code : 5287

 - mardi 10 avril à 10H30

 

Méditations interspirituelles, un mercredi par mois de 18h15 à 19h15

au Forum 104, 104 rue de Vaugirard (75006) PARIS

mercredi 28 mars 2018

mercredi 25 avril 2018

mercredi 23 mai 2018

mercredi 27 juin 2018

 

Groupe de Grenoble : « Comment je vis l'arrivée des migrants ?»

lundi 26 mars 2018, à 17h30 à la galerie LAVINA ,12 place Notre Dame à Grenoble.

 

Assemblée générale de D&S : lundi 9 avril 2018, à 17h,

à l'ODAS, au 250 bis Boulevard Saint Germain (75007 PARIS) Codes 25B01, puis 62401 Métro Solférino

L'éditorial

 

Préserver notre capacité à prendre le temps de…

 

Trop de personnes se sentent éparpillées, écartelées entre le travail, la vie familiale ou amicale, les activités bénévoles, mais aussi agressées par de multiples tensions proches ou plus éloignées qui les perturbent. De plus, la communication numérique, qui laisse peu de place à la nuance et fait disparaître la perception des expressions de l’interlocuteur, encombre notre quotidien et engendre souvent du stress. Ces stimulations permanentes s’inscrivant dans la dictature de l’urgence et la tyrannie de la performance nous obligent à réagir vite à de multiples messages et à traiter de multiples informations sans pouvoir toujours distinguer l’essentiel, le superficiel et le faux.

Nous avons alors de plus en plus de mal à prendre le temps de vivre à notre rythme, à faire silence, à mûrir nos décisions, à équilibrer nos vies, à nous rendre disponibles pour entretenir des relations de qualité, à nous mettre à l’écoute de ce qui nous entoure et de la nature... Par ailleurs, la « toile numérique » nous piège avec la multiplication des « faux amis » et des messages liés à « notre profil » qui nous rendent imperceptibles des réalités importantes et dérangeantes. A tout ceci s’ajoute la multiplication des désirs engendrés par une société de consommation qui, en proposant toujours plus de gadgets et produits jetables, nous embringue dans une course à une croissance vide de sens et d’humanité.

Comment décélérer et sortir de l’immédiateté et/ou de l’hyperactivité qui nous entraînent dans le cercle vicieux de faire et vouloir « tout, tout de suite » ? Comment vivre l’instant présent en se mettant à l’écoute de son être et de son corps pour se rendre disponible à ce qui advient comme à ce qui nous dérange ? Comment prendre le recul nécessaire pour donner du sens à nos vies ?

S’il importe de s’engager dans la vie et d’agir sur le réel, cet engagement et cette action ne peuvent être féconds que grâce à une prise de distance régulière permettant, dans la gratuité du moment, de se relier à la profondeur de notre être et au ressenti de notre corps. Nous proposons donc de mettre en priorité la capacité de prendre le temps nécessaire chaque fois que nous avons à nous engager dans des processus requérant écoute, observation et discernement pour agir juste. Il est bon de rappeler à ce propos le premier engagement du Pacte civique : « Se donner régulièrement des temps de pause pour réfléchir au sens de son action et à l’équilibre de ses responsabilités ».

L’un des buts de Démocratie et Spiritualité est de contribuer à ce qu’il faut bien appeler une résistance, en nous aidant, d’une part, à nourrir notre vie intérieure pour être à la fois en accord avec nous-même et en relation ouverte avec autrui, d’autre part, à cheminer ensemble pour discerner les façons de se mettre au service des autres et de faire vivre une vie démocratique de qualité.

Comme nous l’avions proposé à Jean-Marc Ayrault lors de sa rencontre avec le Pacte civique en avril 2013, la réflexion sur les temps de vie, la manière de les organiser tout au long de l’existence, la réduction des temps de travail subis et la promotion du temps de travail choisi, devraient être relancées. Notre société a besoin de respirer autrement, de retrouver le sens du temps, devenu aujourd’hui trop compressé ou trop vide.

Le bureau

 

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 Nouvelles de l'association

 

Assemblée générale de D&S

Vous êtes cordialement invité(e) lundi 9 avril 2018 à l'Assemblée Générale de D&S qui se tiendra de 17H à 20H00 au 250 bis Boulevard Saint Germain et sera suivie d’un pot convivial. Codes d’accès : 25B01, puis 62401.

Nous comptons sur votre présence, votre réflexion et votre créativité, plus que jamais précieuses dans cette période nouvelle où le monde est plus éclaté et où D&S cherche à se renouveler, se rajeunir et à préparer la décennie 2020-2030.

 

Vingt-cinquième anniversaire de D&S

D&S n’organisera pas d’université d’été en 2018 mais nous fêterons le 25e anniversaire de notre association, au Forum 104 à Paris, les 2-3 février 2019. Merci de noter ces dates dès à présent

Après un retour sur le passé de D&S, il s’agira de vérifier son inscription dans l’actualité, de poursuivre sa réflexion et repenser son rôle en renouvelant ses forces, pour construire ensemble l’avenir, tourné vers la jeunesse. Plusieurs associations proches seront invitées à la préparation de cet évènement.

 

Deux conviviales

La soirée du 8 janvier 2018, animée et préparée par Valérie Penicaut, a porté sur le thème de la fin de vie. Elle a permis de réaliser à la fois un débat autour de phrases que nous avions sélectionnées et de partager des informations sur la législation (voir compte rendu sur le site D&S). A l'issue de la réunion, a été proposé un groupe de paroles pour partager nos expériences respectives d'accompagnements et de vécus de personnes en fin de vie ; cette seconde réunion a réuni le 19 février douze personnes qui ont eu une occasion précieuse de s'écouter. Il a été décidé ensuite de consacrer à nouveau la réunion conviviale du 12 mars pour partager notre approche, en se référant à des documents complémentaires envoyés par Valérie. Ceux qui le veulent pourront se retrouver le jeudi 29 mars de 10H à 12H au 87 rue de l'Eglise (code 5287) pour l’approfondissement du thème. Un des objectifs pouvant être de préparer une contribution de D&S au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui anime le débat sur ce sujet.

De cette expérience novatrice, nous tirons deux enseignements : d’une part, l'intérêt de poursuivre dans le temps une démarche délicate en abordant de diverses manières un sujet sensible sur le plan personnel et important comme objet de débat collectif; d'autre part, la nécessité, si possible, de mieux clarifier l'objectif au départ et le processus envisagé dans la durée. Il est important de bien distinguer groupe de travail et réunions conviviales ; ces dernières, se tenant le second lundi de chaque mois à 19H la plupart du temps, sont de divers types: réunions d’actualité à partir de sujets proposés par les participants, d’actualité prédéfinie (par exemple façon dont chacun aborde une prochaine échéance électorale), autour d’un invité (ou plusieurs), ou encore en résonance avec une lecture commune.

 ICI le lien avec CR mis sur notre site internet

 

La soirée conviviale du 5 février 2018 a permis aux personnes présentes de rencontrer Benjamin Stora et d’échanger avec lui sur le thème « France-Algérie, accepter le passé et construire l’avenir ». Parmi les idées fortes à retenir, proposons- en trois que vous trouverez dans le compte rendu :

• La première concerne la différence entre Français et Algériens dans l'approche de la guerre et le récit qui leur en est fait :

La question de l’Algérie est souvent abordée en France par la fin de cette histoire, par la tragédie, l’exode, le départ des pieds noirs, le massacre des harkis… ; c’est une grande différence d’approche entre Français et Algériens sur la guerre qui les a opposés, de novembre 1954 à l’indépendance, le 1er juillet 1962 : l’analyse française est faite toujours par la fin et jamais par son commencement que fut la conquête. Du côté algérien, des faits commis par les Français à l’époque coloniale reviennent à la surface, trois à quatre générations plus tard de façon massive, car les exactions commises sont exacerbées par leur déni.

 

• La deuxième est la grande différence entre l'affrontement franco-allemand et l'affrontement      franco-algérien, alors qu’on les compare souvent pour s’étonner que l’apaisement des mémoires entre la France et l’Algérie soit si difficile à faire.

L’affrontement franco-allemand est un affrontement entre deux Etats nations constitués, alors que, pour la guerre d’Algérie, il n’y avait pas deux Etats constitués. C’est l’une des différences principales. Dans le cas algérien, on est dans l’ignorance de la guerre de conquête ; de plus, la présence française en Algérie a duré 132 ans et non pas 4 ans comme la présence allemande en France. Cette occupation a instillé l’acculturation très profonde de toute une société dont on a bousculé les habitudes de vie, marginalisant la langue arabe qui, considérée comme une langue folklorisée, ne fut pas enseignée dans les écoles de la République.

 

La troisième concerne l'émergence du sentiment nationaliste algérien ;

 Il a fallu 130 ans d’histoire pour que le nationalisme s’affirme, réclamant la souveraineté, d’où l’importance de cette question du nationalisme, encore omniprésente en Algérie. Tous les nationalistes rencontrés évoquent le fait que la longueur du temps colonial n’ayant pas fait émerger l’idée démocratique, les paroles sur la démocratie n’avaient que peu de poids par rapport aux paroles de rupture.

Yves Le Bars, à la suite de la soirée du 5 février 2018 avec Benjamin Stora, nous adressé un texte qu’il a intitulé « La France ne doit pas ignorer l’Algérie. Et n’en a-t-elle pas aussi besoin ? » Il l’a écrit en se référant aux contacts au sein de Joussour, un programme de coopération entre sociétés civiles algérienne et française.

 

ICI le lien avec CR de cette soirée avec Benjamin Stora sur notre site internet

ICI le lien avec texte Yves Le Bars: "La France ne doit pas ignorer l'Algérie. Et n'en a-t-elle pas aussi besoin?" 

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Résonances spirituelles

Une lumière dans les ténèbres

Textes partagés le 31 janvier 2018 à la méditation interspirituelle au Forum 104

 

Périsse le jour où je suis né,

Et la nuit qui dit : Un enfant mâle est conçu ! 

Ce jour ! Qu’il se change en ténèbres,

Que Dieu n'en ait point souci dans le ciel,

Et que la lumière ne rayonne plus sur lui! 

Que l'obscurité et l'ombre de la mort s'en emparent,

Que des nuées établissent leur demeure au-dessus de lui,

Et que de noirs phénomènes l'épouvantent ! 

Cette nuit ! Que les ténèbres en fassent leur proie,

Qu'elle disparaisse de l'année,

Qu'elle ne soit plus comptée parmi les mois ! 

Que cette nuit devienne stérile,

Que l'allégresse en soit bannie ! 

Qu'elle soit maudite par ceux qui maudissent les jours,

Par ceux qui savent exciter le Léviathan ! 

Que les étoiles de son crépuscule s'obscurcissent,

Qu'elle attende en vain la lumière,

Et qu'elle ne voie point les paupières de l'aurore ! 

Car elle n'a pas fermé le sein qui me conçut,

Ni dérobé la souffrance à mes regards. J

Job 3 (3-10)

 

Quand la lumière brille dans les ténèbres, il n'y a pas le moindre rayon de perdu.

Jostein Gaarder , Dans un miroir, obscur, trad. Hélène Hervieu, p. 126

 

Si je ne reconnais pas ma nuit, je ne peux connaître aucune aurore.

Etienne Perrot

 

Entre ombre et lumière, là où plus rien n'existe et au cœur même du désespoir ou plutôt de la fin de l'espoir, l'inattendu jaillit soudain comme un geyser d'Amour et de lumière. Le cœur est percé, il s'ouvre et tout est connu, tout est consommé.

Mâ Satya

 

Eteindre la lumière du passé pour allumer celle du présent, qui en illuminera le futur dans la lueur de la vie...

Descrea

 

La noirceur ne peut pas chasser la noirceur. Seule la lumière peut le faire. La haine ne peut chasser la haine. Seul l'amour le peut.

Martin Luther King

 

Etre aimé, c'est se consumer dans la flamme. Aimer, c'est luire d'une lumière inépuisable. Etre aimé, c'est passer ; aimer c'est durer.

Rainer Maria Rilke

 

Quand la lumière pénètre les cœurs, les yeux s'illuminent.

Mazouz Hacène

  

 

Non-violence : la violence peut être traversée et dépassée

Textes partagés le 28 février 2018 à la méditation interspirituelle au Forum 104

Le cruel et le violent

N’ont pas dit leur dernier mot.

Leurs faces plaquées sur les murs !

Cruels, violents, nous le sommes

Jusqu’au bout des yeux, des ongles :

Fouiller le cœur en sa chair ;

Percer la chair jusqu’au cœur ! »

François Cheng(Chants toscans)

 

La non-violence est infiniment supérieure à la violence. Le pardon est plus viril que le châtiment. Le pardon est la parure du soldat.

La non-violence, sous sa forme active, consiste en une bienveillance envers tout ce qui existe. C'est l'amour pur.

Si la non-violence est la loi de l'humanité, l'avenir appartient aux femmes. Qui peut faire appel au cœur des hommes avec plus d'efficacité que la femme ?

Gandhi

 

Ta tâche n'est pas de chercher l'amour, mais simplement de chercher et trouver tous les obstacles que tu as construits contre l'amour.

Djalâl-od-Dîn Rûmî

 

Démocratie et spiritualité

 

Quel avenir pour Démocratie et Spiritualité ?

Patrick Brun

 Au moment où nous nous reposons le problème de l’avenir de D&S en préparant son vingt-cinquième anniversaire, relisons l’appel de notre ami Patrick Brun, qui nous a quittés en novembre dernier, dans la conclusion de son ouvrage « Démocratie et spiritualité en questions, pour un vivre ensemble porteur de sens ».

 Compte-tenu de l’état du monde et de la société, nous avons aujourd’hui une « ardente obligation » de promouvoir de façon continue la démocratie à tous les étages de la vie en société. Notre démarche doit prendre appui sur deux pieds qui sont comme le yin et le yang d’une transformation collective : d’une part l’approfondissement d’une spiritualité démocratique ressourcée dans les valeurs de la laïcité et du patrimoine symbolique de l’humanité ; d’autre part la mise en œuvre de la réflexion et de la délibération éthique sur les interrogations et choix de société. La grande voix de Vaclav Havel nous conforte dans cette direction :

« On ne peut constituer un Etat spirituel ou moral, ni par une constitution, ni par une loi, ni par un ordre. Un tel Etat ne peut résulter que d’un constant effort d’instruction et d’auto-instruction, des délibérations responsables qui précédent chaque décision politique, de l’actualisation incessante de critères éthiques et d’un jugement moral, d’une permanente réflexion et mise en question de soi, d’interrogation constante sur l’enchaînement optimal des priorités. Ce n’est qu’une façon d’agir, et le courage d’imprégner tout ce qui existe de thèmes spirituels et moraux, de les cultiver partout et toujours, de chercher les dimensions humaines en toutes choses » (Havel Méditations d’été. Cité dans Bull.n°3 1995 p.26)

Cette magnifique citation de l’homme de culture et de gouvernement que fut Vaclav Havel pourrait nous servir de boussole pour l’avenir de Démocratie et Spiritualité. Si nous arrivons à donner à l’association Démocratie et Spiritualité et au Pacte civique l’audience et la force militante qu’ils méritent, nous disposerons de deux leviers pour cette double transformation personnelle et collective que nous appelons de nos vœux, D&S comme espace de prise de distance, d’intériorisation et de délibération éthique et le Pacte civique comme espace de réflexion, de mobilisation de l’opinion, de proposition et d’action auprès des décideurs. Il nous appartient d’être à la fois veilleurs et ferments. Les démarches que nous développons et la publicité que nous leur donnons sont déjà en elles-mêmes les prémisses du changement que nous espérons.

Il n’en reste pas moins que Démocratie et Spiritualité peut être définie comme « une école de discernement démocratique et spirituel qui permet à chacun de donner un sens à sa propre démarche et de construire collectivement des propositions pour le bien commun » (d’après Bull.13 p.21).

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Chronique de Bernard Ginisty du 10 janvier 2018

La transmission au risque de la communication

La communication est devenue la préoccupation majeure aussi bien des institutions que des candidats à des fonctions électives. Lorsque telle organisation ou tel élu n’ont pas répondu aux attentes qu’ils avaient suscitées, ceux-ci réagissent le plus souvent en évoquant un manque ou une erreur de communication. On s’adresse alors à des cabinets d’experts pour que le message émis devienne plus en phase avec la demande des usagers ou des électeurs.

Communiquer serait l’alpha et l’oméga de notre vie collective envahie de plus en plus par ce qu’on appelle le « bruit médiatique ». Ainsi nos sociétés vivraient ce que l’analyste des médias Marshall Mac Luhan avait diagnostiqué il y a déjà une cinquantaine d’années : « le message, c’est le medium » (1).

L’effet produit par la technique et l’outil de communication devient plus important que le message véhiculé par ce support. Ce qui jadis faisait l’objet de discussions, de confrontations, de valeurs partagées, tend à se transformer en techniques de persuasion, « en temps réel », pour parler le langage des informaticiens, à destination d’une société perçue comme gisement d’électeurs ou de consommateurs.

Régis Debray est aujourd’hui un des meilleurs spécialistes de la « médiologie » qui étudie les paradoxes de la transmission culturelle. À l’occasion d’un dialogue avec le théologien dominicain Claude Geffré, il analyse avec beaucoup de pertinence ce qui sépare la communication d’une authentique transmission. « J’oppose totalement transmission et communication. Elles sont pour moi comme l’eau et l’huile. La communication, c’est le transport d’une information dans l’espace, la transmission, c’est son transport dans le temps. Plus il y a de communication, moins il y a de transmission. La communication est mon “ennemie n° 1” ; c’est peut-être pourquoi, je n’ai pas de bons rapports avec les journaux… » (2). L’inflation de l’information ponctuelle et événementielle, qui, avec internet, a pris des proportions gigantesques, n’a plus rien à voir avec le lent mûrissement qu’exige toute authentique transmission. Pour Régis Debray, « La transmission, au fond, c’est la culture. L’homme est le seul animal qui ait une histoire parce qu’il est le seul animal à transmettre, les autres ne faisant que communiquer, les malheureux. Et là où il y a continuité cumulative – c’est-à-dire stockage et transmission d’informations puis apprentissage du maniement de ce stock – il y a anthropogenèse, histoire, inscription d’une mémoire, bref, temporalité et culture » (3).

L’histoire de l’homme commence lorsqu’un être vivant, parfaitement adapté à son milieu « en temps réel » grâce à l’instinct, se pose une question et diffère sa réponse à la sollicitation de son environnement. L’humanité apparaît avec la « perte de temps » qui consiste à substituer à une réponse immédiate un temps de réflexion et de débat. Pour Claude Geffré, c’est ce long travail qui caractérise une authentique « religion » qui se veut fidèle à son rôle de transmission : « Je réserve le mot religion à la relation avec une transcendance ayant fonction d’altérité. Une fonction de remise en question et d’interrogation de l’homme par rapport à lui-même. Soit une fonction qui conduit à un décentrement de l’homme vers autre chose que lui-même, vers un ailleurs » (4).

 

1 – Cf. entre autres : Marshall Mc LUHAN (1911-1980): Pour comprendre les media. Éditions du Seuil 1968

2 – Régis DEBRAY, Claude GEFFRE (1926-2017) : Avec ou sans Dieu ? Le philosophe et le théologien, Éditions Bayard 2006, page 38

3 – Idem, page 64

4 – Idem, page 62

LIBRES PAROLES

La Tunisie sept ans après sa révolution !

Jamila Barbouch

 Après chaque visite à mon pays natal, la Tunisie, des proches ou des amis me posent souvent la même question, à savoir : « où en sont la Tunisie et sa révolution ? »

Ma réponse était souvent mitigée : mon pays avance certes à petits pas, mais il ne retomberait probablement pas dans un régime d’oppression aveugle, même si la Tunisie est encore loin de concrétiser ce que les Tunisiens espéraient le 14 janvier 2011.

La Tunisie est le premier pays arabe qui a réussi à installer un régime démocratique traduisant une volonté commune, découlant d’un dialogue national. Dans un contexte économique et mondial incertain, il est normal qu’il y ait des difficultés. Plusieurs mesures ont inquiété une bonne partie des Tunisiens. Parmi les signes négatifs, notons les différents remaniements ministériels qui ont permis à des responsables de l’ancien régime de Ben Ali d’intégrer le gouvernement, et, aussi, l’adoption de la loi dite de « réconciliation administrative », qui amnistie les fonctionnaires accusés d’être impliqués dans des faits de corruption administrative sous la dictature, très mal perçue par les Tunisiens qui accusent le gouvernent de connivence avec les corrompus.

Malgré ces difficultés complexes, le cas tunisien reste néanmoins un cas orphelin dans le monde arabe. La Tunisie est actuellement le seul pays arabe ayant réussi à traverser la phase la plus critique et la plus dangereuse de son histoire contemporaine sans sombrer dans une guerre civile destructrice.

La volonté populaire a réussi, bon gré mal gré, à imposer les libertés publiques, le droit à l’organisation de la vie politique et de la vie civique. Autres acquis : la liberté de la presse, la libération des prisonniers politiques et surtout la chute de l’horreur d’une dictature atroce qui s’appuyait sur un système dominant répressif. La justice transitionnelle, l’impartialité de l’institution de l’armée et le non recul par rapport aux acquis de la femme tunisienne représentent les autres grands acquis de ce bouleversement en Tunisie.

Il est indiscutable que tout cela ne représente qu’une forme timide d’un système dit de bonne gouvernance s’appuyant sur des élections libres et transparentes. Mais la démocratie ne garantit pas une vie meilleure sans l’implication nationale de tous les courants et forces vives et sans l’aide de la communauté internationale. Les Tunisiens ont pu découvrir dans le cadre de la démocratie l’autre revers de la médaille, à savoir la mise à l’épreuve des différentes sensibilités idéologiques de femmes et d’hommes politiques. Etre un opposant farouche à la dictature n’est pas la garantie, non plus, de détenir une compétence opérationnelle incontestable. Les couacs à répétition ont démontré l’hypocrisie d’une certaine classe politique tunisienne.

Aujourd’hui, avec un retour à peine masqué aux intérêts des clans et du pouvoir souterrain, on constate l’éloignement progressif des objectifs nobles de la révolution : la lutte contre le chômage, une meilleure répartition des richesses et la disparition des inégalités régionales de développement. Sans oublier, bien sûr, la lutte contre la corruption financière et administrative. Une nouvelle situation qui pousse chaque Tunisien à comprendre que le pays n’a pas réussi encore à achever le travail de la révolution. Le terrorisme vient juste compliquer la tâche, notamment avec l’implication au grand jour de certains régimes arabes ennemis de la démocratie dans le financement de ce « terrorisme instrumentalisé ».

Les autres inquiétudes portent sur la situation sociale et morale. Malheureusement, le peuple tunisien souffre d’une crise éthique majeure et d’une sorte d’aliénation culturelle inquiétante. La Tunisie se trouve aujourd’hui dans une situation marquée par une contradiction majeure. D’un côté, une véritable envie d’une vie meilleure et d’un engagement sérieux de la société civile pour promouvoir une participation démocratique et une citoyenneté responsable, d’un autre côté, un net recul de la valeur travail, l’apparition de nouvelles formes de corruption et une négligence citoyenne incompatible avec la renaissance démocratique. Est-ce l’autre revers surmontable de cette révolution ou le début de l’engrenage de la déception ?

Une chose est certaine. Une large partie du peuple tunisien est enfin consciente de ce qui se passe dans son pays, des défis intérieurs et extérieurs liés au danger du terrorisme et au découragement d’une jeunesse en manque de valeurs qui sombre dans le chômage. Tous les Tunisiens sont à mon sens conscients, plus que jamais, de l’importance de maintenir les institutions démocratiques, de les protéger et de les renforcer. Cela a été clairement démontré au cours des incidents terroristes de Ben Guerdane au sud de la Tunisie, avec le soutien indéfectible de la population aux troupes de l’armée nationale. Chaque citoyen tunisien peut désormais prendre la mesure de ce que pourrait être la fragilisation des institutions, ce qui signifierait, tout simplement, la fin du rêve et de l’espoir tunisien !

 

Informations diverses

 

• Eric Lombard nous conseille de lire Simplicité. L’art d’aller à l’essentiel, de Benedikt Weibel (Presses polytechniques et universitaire romandes, 2017, 159 pages). http://www.ouvertures.net/clef-efficacite-faire-simple/. Ce petit livre efficace est porteur d’un message simple sans être simpliste ; remercions l’auteur de nous en avoir simplifié la lecture avec une table des matières détaillée et des résumés en fin de chapitre. Bien que foisonnant d’anecdotes, d’exemples et de pistes de réflexion, il s’en tient à l’essentiel. Sans blabla, sa bête noire, qu’il pourchasse chez ses étudiants.

 

• Reprise de "Péguy le visionnaire". Cette pièce, écrite par Samuel Bartholin et mise en scène par Laetitia Gonzalbès (Compagnie Kabuki), est reprise au théâtre de la Contrescarpe (5, rue Blainville, 75005 Paris). L’acteur en scène est Bertrand Constant. La pièce est programmée les vendredis et samedis soir à 20h30, du 23 mars au 30 juin, avec une représentation supplémentaire le dimanche à 17h00 à partir du mois de mai (du 6 mai au 1er juillet).

http://www.theatredelacontrescarpe.fr/charles-peguy-le-visionnaire

 

 Quel retour du religieux ? Politique, identités, quête de sens : le mercredi 4 avril au Musée Social 5 rue Las Cases, Paris 7e, 9h-18h

 https://www.helloasso.com/associations/cefrelco/evenements/quel-retour-du-religieux

  

•  Intervention de JB de Foucauld sur les Défis de la mondialité   le samedi 2 juin aux Rencontres Orient-Occident du château Mercier (www.roo-mercier.com)

 

• Éduquer à la laïcité et aux faits religieux : quelles bonnes pratiques ? Journée organisée par l’association Enquête le 9 juin 2018 au Collège Aimé Césaire – 2 esplanade Nathalie Sarraute 75018 Paris.

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