En-tête

 

 Lettre trimestrielle de D&S n°160

 Septembre-Octobre-Novembre 2018

 

Sommaire

Agenda

L’éditorial

En marche vers notre 25e anniversaire… avec un questionnaire pour mieux vous connaître

Nouvelles de l'association.

D&S se mobilise pour son 25e anniversaire !

Résonances spirituelles.

Dernière Méditation interspirituelle : « En veille pour accoucher du monde qui vient »

 « Une spiritualité pour vivre avec ou sans religion », texte de José Arregi

Démocratie et spiritualité

Chronique de Bernard GINISTY :La démocratie et les « cabales des dévots »

« La mobilisation du « spirituel » en démocratie au XXe siècle », par Eric Vinson

Echos d'ailleurs

Paix intérieure et paix sociale. Dialogue entre un député et un évêque sur la spiritualité et la politique

Libres propos.

« Nos opinions entre le meilleur et le pire », par Jean-Claude Devèze

Informations diverses.

 

  

Agenda

 

Les soirées conviviales

• au 250 bis Boulevard Saint Germain (75007) Codes 25B01, puis 62401

• lundi 12 novembre 18h15:  hommage   à Patrick Brun

• mardi 11 décembre, à 18h 15 autour du livre de Marion Muller-Collard L’Intranquillité

• mardi 8 janvier 2019 à 18h15 : avec Jean Birnbaum autour de son livre La religion des faibles : ce que le djihadisme dit de nous.

• 

au Forum 104, 104 rue Vaugirard (75006 PARIS)

mardi 27 novembre à 19h30, débat du Pacte civique sur la sobriété

 25e Anniversaire de D&S, les 2-3 février 2019 au Forum 104, 75006 Paris

 

Groupe de Grenoble : à la galerie LA VINA ,12 place Notre Dame à Grenoble.

• mercredi 28 novembre 2018 à 17h : « Comment je vis les transformations de la démocratie en Europe ? »

Editorial

 

En marche vers notre 25e anniversaire… avec un questionnaire pour mieux vous connaître

DS a maintenant 25 ans. C’est une date anniversaire qu’il est naturel de fêter. Car ce n’était pas si évident de tenir debout tout ce temps, avec de si modestes moyens, et en organisant chaque année une Université d'été, en publiant à un rythme mensuel une lettre (ce numéro est le 160 ème), en inspirant avec d’autres le Pacte civique. On le doit au dévouement des équipes qui se sont successivement relayées, notamment celui des secrétaires généraux successifs.

Le samedi 2 et le dimanche 3 février au matin, nous ferons le bilan de ce qui a été fait, mais surtout nous envisagerons l’avenir et nous réfléchirons à notre futur programme d’action et au renouvellement de nos équipes et de nos partenariats !

L’intuition de départ de D&S et de sa Charte, c’est qu’il faut se battre sur deux fronts pour mettre en valeur le fait que, d’un côté, la démocratie a besoin de valeurs éthiques et spirituelles pour s’accomplir et que, de l’autre côté, les religions et spiritualités ont besoin de la démocratie pour être préservées de leur penchant à l’intolérance. Face aux menaces des intégrismes violents, et du relativisme ambiant qui dissout bien des repères, ce souci de fécondation croisée paraît robuste. Mais le fait est que nous avons du mal à le faire partager pour qu’il devienne opérationnel et concret. Comment faire mieux, alors que les problèmes identifiés en 1993 restent toujours actuels et que des enjeux nouveaux sont apparus, avec la question du climat, des migrants, de la finance, du numérique, et de la tentation prométhéenne, sans parler du populisme ?

Pour nous donner toutes les chances de réussir cette mutation, nous avons embauché pour 8 mois, à mi-temps, Eric Vinson qui nous connait bien et partage nos idées depuis longtemps. Mais cette initiative ne manquera pas d’assécher nos modestes réserves financières et impliquera, si nous voulons continuer dans cette voie, d’augmenter fortement notre base cotisante, qui est, il faut le dire, faible. C’est la première raison pour laquelle nous avons besoin de vous.

Merci par conséquent de répondre au « Save the date » qui vous sera prochainement envoyé, en vous inscrivant sur Hello asso et en nous apportant la contribution financière que vous jugez possible (éventuellement sous forme de virement permanent).

Mais nous avons besoin de vous aussi pour mieux vous connaître et recueillir vos avis sur le projet de D&S lui-même. C’est la raison du questionnaire assez complet qui vous sera adressé dans quelques jours et qui porte sur les apports de D&S pour chacun d’entre vous comme sur ses insuffisances éventuelles, mais aussi sur votre vision de ce que D&S devrait et pourrait faire dans un avenir proche. Merci de prendre le temps de pause nécessaire pour répondre à ce document qui est important pour nous.

Dans vos réflexions, vous pourrez en outre vous appuyer sur un document sur « le Nouveau paysage religieux », émanant d’un groupe de travail de D&S, qui vient d’être finalisé.

 

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Nouvelles de l'association

D&S se mobilise pour son 25e anniversaire !

Depuis cet été, des membres de D&S (de son Conseil d'administration et de son Bureau, en particulier, dont certains regroupés dans un groupe spécifique) s'investissent activement dans la préparation de ce 25e anniversaire, sur le fond comme sur la forme de cet événement important pour l’association. Un temps fort que tous souhaitent comme un moment de réjouissance, de rassemblement et surtout de refondation de notre mouvement, autour de ce qui nous tient à cœur et nous réunit : révéler et cultiver le lien – trop méconnu – qui unit la spiritualité et la démocratie dans notre société et notre culture comme dans notre vie quotidienne personnelle et locale.

De nombreux contacts avec divers réseaux plus ou moins proches (Coexister, Scouts de France, Sésame, UPH, Esprit Civique, Cieux, etc.) ont ainsi été pris, et des rencontres organisées avec des figures, des experts de la démocratie (tel le chercheur Marcel Gauchet) et/ou de la spiritualité (tels le théologien catholique Christoph Theobald et l'essayiste protestante membre du CCNE Marion Muller-Colard), ainsi que des membres de différentes familles philosophiques religieuses (juifs, bouddhistes, musulmans, etc.). Le tout afin de recueillir leurs analyses, conseils, questions et désirs d'agir en rapport avec notre problématique spirituelle-démocrate. Ce tour d'horizon des forces, acteurs et ressources en présence dans notre société en plein questionnement va se poursuivre jusqu'en février prochain, et sans doute au-delà ; et ce dans l'idée de profiter de cette opportunité festive pour tisser des liens à long terme, entre collaborations ponctuelles ou partenariats plus profonds, sur fond de relations interpersonnelles.

Par ailleurs, des membres de D&S (Jean-Baptiste de Foucauld, Jean-Claude Devèze, Eric Vinson, Valérie Penicaut, etc.) sont toujours actifs à titre personnel sur différents chantiers en rapport avec notre thématique : « débats mouvants », événement inter-associatif « La fraternité en actes », colloque universitaire à Gdansk (Pologne) sur fraternité/solidarité autour d'Emmanuel Mounier, diverses conférences sur les grands spirituels démocrates (Gandhi, Mandela, Martin Luther King...) ou les enjeux actuels (bioéthique, etc.)… Ce qui contribue à la notoriété et au rayonnement de notre association.

 

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Résonances spirituelles

Dernière Méditation interspirituelle

Cette dernière méditation interspirituelle, partagée à trois le 27 juin dernier au Forum 104 (Paris), clôt une aventure engagée par D&S il y a une douzaine d’années. Comme d'habitude, elle fut pleine de silences, de mots qui faisaient échos, d’interrogations sur comment garder notre espérance, de remerciements sur un temps privilégié porteur de nouvelles voies répondant à nos interrogations.

 

En veille pour accoucher du monde qui vient

Notre monde souffrant est en attente d'enfantements.

Notre terre agressée est en quête de ressourcements.

Notre humanité déboussolée cherche des voies nouvelles.

 

Nos corps oubliés ont soif d’attentions.

Nos esprits dispersés sont en quête de vérité et d’unité.

Nos âmes esseulées aspirent à des relations aimantes.

 

Nos veilles attentives ouvrent sur le monde qui vient.

Nos prises de conscience sont chemin vers l'essentiel.

Nos intranquillités sont ferments pour travailler la pâte humaine.

 

Nos méditations sont source d’intériorité et d’envolées.

Nos engagements sont cheminements personnels et collectifs.

Nos disponibilités sont occasions d’aventures humaines.

                                                                                                          J. C. Devèze

 

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« Une spiritualité pour vivre avec ou sans religion », de José Arregi

Marcel Lepetit nous invite à lire ce texte récent de José Arregi,susceptible de parler aux adhérents de D&S comme aux non-adhérents, aussi bien à ceux qui se réclament d’une spiritualité agnostique, que non-confessionnelle ou religieuse, quelle qu’en soit la tradition de référence. Selon le site web protestantsdanslaville, « J. Arregi est un théologien basque, religieux franciscain du monastère d’Arrantzazu, professeur d’université. Il a été très critiqué par la Conférence épiscopale espagnole et en particulier par le nouvel évêque ultraconservateur de San Sébastian qui lui a imposé le silence depuis 2010. Ce qu’on lui reproche est de contester l’unicité de l’expression de la foi, autrement dit son appel au pluralisme des expressions (D’après Pierre Collet). José Arregi a alors décidé, en accord avec ses supérieurs, de quitter son ordre et son ministère « pour – dit-il – permettre aux franciscains et à moi-même de vivre vraiment en paix ».

 

En voici l’introduction...



« Voici quelques indications pour une spiritualité d’aujourd’hui, une spiritualité pour ce XXIe siècle qui avance, pour un monde si lourd de possibilités et de menaces, pour un temps crucial où notre espèce humaine doit décider ce qu’elle veut finalement être, ce qu’elle veut décidément faire avec soi-même, avec ceux qui viendront après, avec la communauté entière des vivants que nous sommes.


Nous nous trouvons au seuil d’une nouvelle genèse. L’Esprit plane sur les eaux. L’Esprit gémit pour la libération.

Nous nous trouvons devant une option véritablement historique, bien plus cruciale que toutes les options faites jusqu’au jour d’aujourd’hui par le Homo Sapiens, voire par le genre Homo. « Vois, je mets aujourd'hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal » (Dt 30,15). Il ne s’agit plus du commandement d’une divinité extérieure, mais de la Vie elle-même qui nous interpelle, de l’Esprit qui anime tout et qui veut guérir, libérer, recréer tout. Spiritualité signifie se laisser impulser par cet Esprit, dans le cadre d’une religion ou hors de toute religion.


Je vais signaler quelques traits de cette spiritualité avec ou sans religion... »

 

La suite sur: http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl1163.htm

 

 

 

 

Démocratie et spiritualité

 

Chronique de Bernard Ginisty du 3 octobre 2018 

 

La démocratie et les « cabales des dévots » (1) 

Le pape François vient de dénoncer vigoureusement le cléricalisme comme source principale de nombreux abus : « Le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux-mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial. (…) Cela se manifeste clairement dans une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église – si commune dans nombre de communautés dans lesquelles se sont vérifiés des abus sexuels, des abus de pouvoir et de conscience » (2).

Mais peut-être certains n’ont-ils pas vu que les religions n’avaient pas, hélas, le monopole du cléricalisme. Il s’agit d’une tentation permanente des responsables des institutions de s’identifier à elles pour donner une forme d’absolu à leurs propres idées et justifier ainsi leurs différents « abus ». Dès 1912, Charles Péguy pointait ces « cabales des dévots » qui menacent toujours le vivre ensemble : « Nous naviguons constamment entre deux curés, nous manœuvrons entre deux bandes de curés ; les curés laïques et les curés ecclésiastiques; les curés cléricaux anticléricaux, et les curés cléricaux; les curés laïques qui nient l’éternel du temporel, qui veulent défaire, démonter l’éternel du temporel, de dedans le temporel ;  et les curés ecclésiastiques qui nient le temporel de l’éternel, qui veulent défaire, démonter le temporel de l’éternel, de dedans l’éternel »  (3).

Syndicats, partis politiques, organisations culturelles et médiatiques ont aussi leur « clergé » tenté de s’identifier à leur institution. Il ne suffit pas de jeter le catéchisme de son enfance aux orties pour se croire délivré du cléricalisme ! Il nous menace tous lorsque, par paresse intellectuelle ou confort, nous transformons institutions et idéologies en idoles qui justifient toutes les dérives.

 La démocratie est le lieu du vivre ensemble et donc des rapports conflictuels et des compromis entre citoyens. La laïcité n’est pas un univers aseptisé qui nous dispenserait d’affirmer dans le débat public les raisons de vivre et de construire une société. En se libérant des emprises cléricales, la démocratie n’a pas fermé le débat sur les grandes options qui inspirent la vie, mais l’a situé chez chaque citoyen qui peut risquer sa parole propre, au lieu de se noyer dans les pensées uniques sécrétées par les clergés institutionnels.

Le philosophe Paul Ricœur nous invite à fuir les consensus minables pour « une pratique du dissensus mis en œuvre par une éthique de la discussion ». Il poursuit : « Il y a un noyau du poétique qui est le sacré, le religieux, la parole originaire. Ça, c’est le problème des convictions. Et le problème de la communauté politique est de pouvoir partager cette conviction en la retraduisant dans le langage de chacun, dans sa philosophie, dans sa liberté laïque » (4).  C’est dans un espace démocratique, et non dans le refuge dans des cléricalismes religieux nationaux ou institutionnels, que peuvent se déployer les itinéraires personnels vers ce que chacun juge comme essentiel.

 

(1) L’expression « cabale des dévots » a servi à désigner, au I7ème siècle, la lutte menée par la société secrète du Saint-Sacrement, organisation clandestine de catholiques intransigeants pour faire interdire le Tartuffe, comédie de Molière jugée blasphématoire (source Wikipedia).

(2) Pape François : Lettre au peuple de Dieu in Journal La Croix du 21 août 2018.

(3) Charles Péguy : Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle in Œuvres en prose complètes, Editions la Pléiade Tome III Paris 1992 page 668.

(4) Paul Ricoeur : L’unique et le singulier. Entretien avec Edmond Blattchen Alice éditions, Bruxelles 1999 page 73

 

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La mobilisation du « spirituel » en démocratie au XXe siècle

Tel est le titre de la thèse de Théorie politique soutenue à Sciences Po par Eric Vinson en décembre 2015, et sous-titrée « trois exemples français : Jean Jaurès, Jacques Maritain, Lanza del Vasto ». Lors de la conviviale du 8 octobre dernier, E. Vinson s'est largement référé à ce travail (non publié à ce jour), dont voici un très court résumé.

« Icônes humanistes mondiales, Gandhi, Luther King et le Dalaï Lama ont une caractéristique commune : mettre le religieux –envisagé à partir du ''spirituel''– au cœur de leur démarche politique. De quoi singulariser ces ''spirituels engagés'' au sein de l'espace libéral qui tend à cloisonner le religieux et le politique, surtout en France. Pourtant, des figures politiques du XXe siècle y partagent un certain air de famille avec ces leaders démocratiques originaux, dont Gandhi est le modèle. En effet, parmi bien d'autres (Péguy, Mounier, S. Weil, etc.), trois philosophes contemporains – le socialiste Jaurès (1859-1914), le néothomisme Maritain (1882-1973) et le non- violent Lanza del Vasto (1901-1981) – mettent aussi le ''spirituel'' au centre de leur parcours, même s'ils l'abordent différemment du fait de rapports différents à la religion dominante, le catholicisme. Loin d'une juxtaposition de trois monographies, cette thèse étudie ces cas afin de définir le ''spirituel', terme courant rarement précisé́. Elle le conceptualise comme le ''souci du lien avec la réalité́ ultime'' (l'Absolu, l'Infini, ''Dieu'' pour les croyants), en détaille les effets objectifs (théoriques et pratiques) sur ces ''militants mystiques'' et typifie ceux-ci au sein d'un courant démocratique spécifique, ''spirituel-démocrate''. Peu étudiés jusqu'ici, ces effets sont si déterminants qu'ils impliquent la constitution du ''spirituel'' en catégorie anthropologique, entraînant une redéfinition simultanée du politique et du religieux. Ce dernier, ainsi requalifié par le ''spirituel'', peut alors trouver droit de cité dans l'espace public libéral. Et la Théorie politique, l'opportunité́ d'un nouveau paradigme. »

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Echos d'ailleurs

-  Paix intérieure et paix sociale. Dialogue entre un député et un évêque sur la spiritualité et la politique,

2018, éd. Temps Présent-MRJC, 64 pages (5€). Par Marcel Lepetit

Ce petit livre retranscrit un échange public entre François Ruffin, député France insoumise de la Somme, et Olivier Leborgne, évêque du diocèse d’Amiens. Commençons par citer les questions posées par les deux animateurs du Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne (MRJC) de la Somme, « territoire en grande partie rural, plus pauvre que la moyenne nationale », écrivent-ils en appendice du livre, pour situer le territoire où œuvrent les deux dialoguants. Ces questions sont en résonance avec celles que se pose D&S pour la préparation de son 25è anniversaire.

 

A côté de trois questions plus attendues, comme :

-    « François Ruffin, considérez-vous que tous les chefs d’entreprise sont responsables des violences économiques et sociales que vous dénoncez ? »

-    « Mgr Leborgne, l’Eglise a-t-elle été parfois un facteur de violence ? »

-     « Que représente pour vous la figure du Christ ? »,

d’autres questions s’inscrivent dans une recherche d’élucidation de l’interaction entre politique et spiritualité, ce que l’une des deux dimensions peut apporter à l’autre, et réciproquement :

-    « Comment envisagez-vous la cohabitation entre croyants et non croyants ? », en écho au poème d’Aragon, sur « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas », évoqué dès l’entame de l’échange ;

-    « François Ruffin, quelle définition donneriez-vous de la spiritualité ? »

-    « Mgr Leborgne, faites-vous une distinction entre la spiritualité et la foi ? »

-    « Quel lien faites-vous entre la foi ou la spiritualité et l’engagement politique ? »

-    « Faut-il connaître soi-même une forme de paix intérieure pour mener des actions qui visent la paix sociale ? »

-    « Comment se porte la démocratie ? »

 

On rêverait que ce type de questions soit plus souvent posé à nos responsables politiques de tous bords, à des responsables religieux de différentes confessions et à des personnalités se référant à d’autres ressources spirituelles, scientifiques ou philosophiques.

 

Au lecteur curieux, il reste à découvrir les réponses que livrent ces deux responsables, engagés dans la société française, à des titres différents, mais sur le même territoire.

 

 Pour rendre compte du sens de l’initiative que le MRJC a prise en réunissant ces deux personnalités au profil si contrasté, les deux initiateurs de ce dialogue encore trop rare dans notre pays écrivent : « A la dénonciation d’un choc des civilisations, nous préférons celle du choc des ‘méconnaissances ‘, contre lequel nous voulons créer des espaces de rencontre entre des personnes de différents horizons : religieux, politiques, sociaux, associatifs ». En livrant leur propre ligne d’horizon, ils ajoutent : « Nous pensons qu’il est encore temps de bâtir notre maison commune en rêvant, créant, résistant et inventant une nouvelle société écologique, sociale et fraternelle, plus pacifique et plus spirituelle ».

 

A mes yeux, l’intérêt de ce livre porte moins sur les réponses que sur la pertinence des questions posées dans le contexte sociétal qui est le nôtre. Car, à ces mêmes questions, on peut attendre autant de réponses que de personnalités interrogées. C’est la raison pour laquelle ce dialogue assez inédit en France mériterait de se multiplier.

Libres propos

A la demande du conseil d’administration, nous proposons à nos lecteurs d’alimenter la lettre de leurs réactions à un évènement récent, de leur récit d’une expérience vécue, de leurs témoignages, de leurs poèmes… Ce texte, rédigé en police ARIAL 12, d’une page maximum (3000 signes au plus), sera relu, comme tous les articles publiés par D&S, par le comité de lecture de la Lettre avant d’être publié, un lien avec les valeurs de notre association étant apprécié.

Nos opinions entre le meilleur et le pire

par Jean-Claude Devèze

 

Il est intéressant d’approfondir à la fois la façon dont nous construisons notre propre opinion, celle dont s’élaborent des opinions collectives et celle dont interagissent opinions personnelles et opinions collectives

Mon opinion, je la construis à travers mes rencontres, mes lectures, les émissions que j’entends et que je regarde, mes travaux d’approfondissement des sujets qui m’intéressent ou me préoccupent, les réunions auxquelles je participe ou que j’anime. Parmi ces dernières, j’aime bien les réunions conviviales de D&S avant une échéance électorale où chacun explicite les raisons qui le pousseraient à voter pour tel parti ou tel candidat.

Ce qui est en jeu, c’est l’édification d’une pensée personnelle, ce qui demande du travail.  C'est aussi la façon dont nous la confrontons à celle des autres, pour construire des positions partagées ; ce qui demande souvent du courage dans une époque où il est plus facile de se rallier à des consensus mous ou de se taire.

L’opinion collective se construit à travers des processus complexes où interfèrent d’une part des expressions liées à des faits vérifiés, à des expériences analysées et à des convictions étayées, d’autre part le brouhaha médiatique rempli de fausses nouvelles et d’informations non mises en perspective, saturé d’épisodes qui font le buzz. Ce qui est en jeu, c’est à la fois nos capacités à élaborer une pensée propre et celles à mettre valeur des pensées structurées ; ainsi qu'à contribuer à mettre en débat les questions qui fâchent et à animer des réseaux d’échange respectant l’éthique de la discussion.

La politique et les médias sont victimes d’une perte de confiance d’une part croissante de l’opinion publique en France et en Europe, ce qui risque de remettre en cause nos régimes démocratiques. Cette défiance s'inscrit dans un climat de montée des inquiétudes dans de nombreux domaines comme : l’alimentation (vache folle, pesticides, infections du lait…), la santé (médicaments toxiques, vaccins, fiabilité des services d’urgences…), la finance (crise de 2008, corruptions….), les migrations (envahissement, perte d'identité, insécurité...). L’enjeu est de mieux comprendre comment se constitue l’opinion des citoyens, des consommateurs, des usagers pour agir en matière de formation, d’information, de communication et de délibération.

Pour progresser dans la façon de se forger notre opinion et de chercher à approcher la vérité en acceptant de modifier sa propre opinion, il est nécessaire de discuter avec des personnes aux avis et parcours différents. A cet effet, il est souhaitable de recourir à des méthodes favorisant le débat comme celle de construction de (dés)accords féconds initiée par Patrick Viveret. C’est ce que je propose dans mon livre « Pratiquer l’éthique du débat, le défi de la délibération démocratique » (Chronique sociale) où je présente plusieurs exemples de débats mouvants[1].

Pour savoir comment agir de façon libre par rapport à l'opinion dominante et pour accompagner notre quête d’humanité, nous avons deux voies complémentaires : se référer à des paroles authentiques des « prophètes », des « rois », des « prêtres », des artistes, des poètes, des sages et cheminer dans des groupes en vérité et en fraternité.

 

Informations diverses

Evénements, acteurs...

. Université d'automne d'Esprit civique, sur le thème de la culture

Les 28 et 29 septembre 2018 derniers s'est tenue la 6e édition de l'Université Populaire de Cluny organisée par l'association Esprit civique, animée par le Député Dominique Potier et en présence de JB de Foucauld. Ayant pour thème : « La culture : un jardin extraordinaire ! Ce qui nous relie, ce qui nous élève », cet événement était présenté ainsi : « Jardin public » et « jardin intérieur » apparaissent symboliquement comme deux lieux fertiles et fragiles, alors que nous percevons la double urgence de cultiver une vie spirituelle et une vie en commun. L’année à venir sera marquée par des élections européennes à haut risque. Nous vous proposons de nous libérer du tohu bohu contemporain pour explorer la question évacuée de notre vie politique, celle du sens. « Unis dans la diversité » nous voulons défricher un jardin extraordinaire : la culture comme la ressource d’un nouvel humanisme.

En savoir plus : http://www.espritcivique.org/index/?p=1741

 

Théorias : un réseau de chercheurs universitaires pour théoriser le spirituel

Theorias est un réseau transdisciplinaire et international de théorisation de la spiritualité, créé en 2012 à l’Université de Louvain La Neuve (Belgique), suite au colloque "Approches Transdisci­plinaires de la Spiritualité dans les Arts et les Sciences" conjointement organisé par le laboratoire ACE (Rennes 2) et le CTEL (Centre Transdisciplinaire d’Epistémologie de la Littérature, Nice) à l’Université de Nice-Sophia Antipolis en juin 2011. Ce réseau s’est donné pour objectif d’élaborer une théorisation de la notion de spiritualité afin d’en faire un concept utilisable dans les divers champs du savoir scientifique. A lire : Théoriser le spirituel ? Approches transdisciplinaires de la spiritualité dans les Arts et les Sciences, Claude Le Fustec, Françoise et Jeff Storey (dir.), Editions Modulaires Européennes, coll. Esthétique et Spiritualité, Bruxelles, Belgique, avril 2015, 285 p.

En savoir plus : https://www.univ-rennes2.fr/ace/reseau-theorias

https://www.lsrs.lu/organisation-organisation/theorias-reseau-international-de-chercheurs-pour-la-theorisation-transdisciplinaire-de-la-spiritualite/theorias-termes-cles.html

 

Colloque « Nicolas Berdiaev : un philosophe russe à Clamart », les 24-25 novembre 2018.

Avec l'appui de la mairie, cette manifestation est proposée par l'ACER, association d'étudiants russes à la fondation de laquelle avait participé Berdiaev. Ce dernier a joué un  rôle éminent dans le milieu intellectuel français et européen dans les années 1930. Aristocrate russe devenu marxiste, il se convertit au christianisme. Expulsé de Russie en 1922, il vit à Paris puis Clamart de 1924 à sa mort en 1948. Sa pensée revient aujourd'hui au-devant de la scène. A une époque où le sens de notre histoire semble problématique, sa critique de la modernité et du monde bourgeois, son appel à la spiritualité, son militantisme social, sa critique de la machine peuvent entrer en résonance avec les réflexions contemporaines qui lient recherche spirituelle et engagement dans la cité. Critiquant fortement l'Eglise, il est resté fidèle à l'Eglise orthodoxe jusqu'à la fin de sa vie en proposant un christianisme personnaliste et mystique.

En savoir plus : https://www.acer-mjo.org/fr/acer-mjo/actualites/colloque-sur-nicolas-berdiaev-les-24-et-25-novembre

 

 

A lire, à voir...

- Nos lecteurs cinéphiles signalent l'intérêt d'aller voir le film documentaire réalisé cette année par le cinéaste allemand Wim Wenders

Le Pape François : Un homme de parole (1h36 mn).

 

 

- Paul Tillich, Le Courage d’être,

trad. Jean-Pierre LeMay, éd. Labor et Fides, 2014, 220 p., 16 €.                                                                                                       Par Monika Sander

Le courage d’être est sans doute le livre le plus connu (régulièrement réédité) mais aussi l'un des plus difficiles de Paul Tillich (1886 – 1965), professeur et théologien protestant d’origine allemande, exilé aux Etats Unis en 1933.

Le concept « courage » s’enracine selon lui dans toutes les dimensions de l’existence humaine et dans la structure de l’être lui-même. Il est donc parfait pour analyser la condition humaine sous deux points de vue : ontologique et éthique. Pour rassembler le matériel conceptuel indispensable pour traiter de manière systématique le problème du courage, il faut l’enraciner dans l’histoire.

Dans le monde antique, le sentiment du tragique de l’existence dominait la pensée et conduisait au stoïcisme pour surmonter l’angoisse du destin et de la mort. On parle d’angoisse ontique (ce qui est de l’ordre de l’être). Le Moyen-Âge célébrait le courage aristocratique mais sa fin était dominée par l’angoisse morale. Le fond humaniste de la Renaissance est chrétien (un don de l’Esprit disait Thomas d’Aquin), elle amorce un mouvement orienté vers l’avenir, vers la création et la nouveauté. Notre époque est dominée par l’angoisse spirituelle déclinée sous trois formes : la mort, l’absurde, la culpabilité et donc la condamnation.

L’angoisse est existentielle (elle peut devenir névrotique lorsqu’une époque touche à sa fin), elle ne peut être éliminée et le courage consiste à intégrer l’angoisse du non- être car, selon l’auteur, l’ontologie de l’angoisse et l’ontologie du courage sont interdépendantes. Les principes ontologiques ont un caractère bipolaire et constituent la structure fondamentale de l’être : celle du soi et celle du monde. Pour s’affirmer, devenir une personne, il faut renoncer à la sécurité, en dépit de la menace du non-être et trouver le courage d’être, non seulement être soi-même mais aussi le courage d’être participant.

Cela a produit les mouvements néo-collectivistes : fascisme, nazisme, communisme où dominaient des méthodes totalitaires donnant de l’importance à la participation pour l’affirmation de soi, au courage d’être participant. On intègre ainsi l’angoisse du doute et de l’absurde. La collectivité tient un rôle analogue au dieu du jugement, du repentir, de la punition et du pardon.

Dans la démocratie des temps modernes, le courage consiste à participer au mouvement qui produit de l’histoire. Les risques inhérents, échecs et autres catastrophes, ne sapent pas le courage mais réduisent la sécurité de l’individu à presque rien, il peut être exclu de la participation par le chômage ou la perte de la sécurité socio-économique. Il y a risque de fuite dans l’autorité pour l’individu isolé, incapable de développer le courage d’être soi. Par contre, l’individualisme moderne permet à un individu d’être libre sans toutefois détruire le groupe. Il peut surmonter l’isolement et affronter le danger de perdre son propre monde dans l’affirmation de soi individuelle. Cela ouvre la voie à quelque chose qui transcende à la fois le soi et le monde. Il y a aussi la croyance d’une continuité de la vie après la mort. L’idée moderne d’immortalité exprime la continuité d’une participation au processus producteur réalisé dans un temps et un monde sans fin.

On en vient au courage du désespoir dans la philosophie contemporaine. Heidegger affirme qu’il n’y a pas de nature essentielle de l’homme, à une exception près : il peut faire de lui-même ce qu’il veut. L’homme est ce qu’il fait. L’auteur parle de « résolution » (Entschlossenheit), symbole de l’ouverture de ce que l’angoisse, la soumission au conformisme et le retrait sur soi avaient enfermé. Personne ne peut diriger les actions de l’individu « résolu » : ni Dieu, ni les usages, ni les lois de la raison, ni les normes ou les principes. Nous devons être nous-mêmes, nous devons décider où aller. Notre conscience est un appel à nous-mêmes.

Ceci dit, en ayant le courage d’être nous-mêmes, nous devenons coupables, et il nous est demandé d’assumer cette culpabilité existentielle.

Dans la dernière partie du livre, le théologien protestant aborde la question du mysticisme, car, dit-il, les mystiques, pour surmonter la peur du destin et de la mort, tirent leur courage d’affirmation de soi de l’expérience d’une rencontre unique et personnelle, ils s’appuient sur Dieu et Dieu seul, et non sur leur propre existence, ils empruntent une voie qui passe de l’ombre à la lumière, du vide à l’abondance.

Il appelle foi absolue l’état où l’être est saisi par God beyond God (Dieu au-delà de Dieu), état fluctuant, à la frontière des possibilités humaines. La foi est cette frontière. Elle n’est pas un concept, pas un lieu où l’on peut vivre, elle est sans nom, sans Eglise, sans culte et sans théologie. Elle est à l’œuvre dans la profondeur de toutes les réalités, elle donne le courage d’intégrer le doute radical. Ce courage d’être qui s’enracine en Dieu en dépit de tout, même quand Dieu a disparu dans l’angoisse et le doute.

 

Le courage de la Réforme transcende à la fois le courage d’être participant et le courage d’être soi : il n’est menacé ni par la perte de soi ni par la perte du monde.

On pourrait dire que le courage d’être est le courage de s’accepter soi-même comme accepté en dépit du fait que l’on soit inacceptable.


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Penser la foi chrétienne

après René Girard, Bernard Perret, éd. Ad Solem, avril 2018, 328 p.                                                                                                       Par Patrick Boulte

Il semble bien que nous soyons actuellement dans une période extrêmement riche de relecture de l’inépuisable message biblique, à partir d’un approfondissement de la compréhension de nos fonctionnements humains. Le récent livre de Bernard Perret : Penser la foi chrétienne après René Girard constitue, à mon avis, une contribution notable, autant que rigoureuse, à ce mouvement. Comme l’indique le titre de son ouvrage, il le fait en partant de l’apport de la théorie mimétique de René Girard et, notamment, en dialoguant avec deux théologiens qui ont relu le message chrétien à la lumière de cet apport : Raymund Schwager et James Alison.

Il débouche sur une réflexion qui me semble marquer un grand progrès pour la pensée chrétienne, à savoir qu’il convient de remettre en cause le fait de toujours renvoyer à l’idéal du sujet, censé être autonome et responsable de ses actes, de cesser d’être obnubilé par son propre « manque d’être », pour reconnaître qu’il faut « accepter de recevoir son identité en se laissant mimétiquement (à l’instar du Christ) attirer par une pratique de vie entièrement dénuée de rivalité, celle de la victime pardonnante ». C’est cela la conversion ! L’enjeu est de pouvoir « vivre sans craindre la mort et l’humiliation et sans être contaminés par la violence ».

La rédemption est d’abord « une révélation, une découverte de ce qu’est vraiment la vie que Dieu veut pour nous ». Le livre de Bernard Perret peut nous aider, entre autres, à avoir plus de considération pour notre expérience personnelle, à admettre les « limites inhérentes à la manière dont nous sommes construits » et à nous réconcilier avec nous-mêmes. Ce n’est pas rien !

 

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