En-tête

 

 

 Lettre de D&S

Elections européennes

 Mai 2019

 

Chers ami(e)s de DS,

L'Union européenne se divise et risque de s'affaiblir au moment où elle devrait se renforcer pour réconcilier transition écologique et justice sociale et porter ses valeurs dans un monde qui devient dangereux

Il est important de voter. Pour éclairer votre choix nous vous adressons quelques liens et documents qui, nous l'espérons, vous aideront:

-un lien avec les vidéos du Pacte civique qui mettent en valeur le rôle particulier et méconnu du Parlement européen: https://pactecivique.wordpress.com/mediatheque/

-une comparaison des programmes crédités de plus de 5 % des intentions de vote, condition pour avoir des élus. Le Pacte civique vous propose une comparaison des programmes électoraux pour les européennes et Parlement européen, cette fois je vote !

Institutions, frontières et mobilités, Défense, économie, finance, fiscalité, Europe sociale, énergie et climat, environnement et politique agricole : cette comparaison reprend les orientations majeures des programmes et leurs grands thèmes.

- un parlement européen qui travaille pour notre avenir

- réfugiés : réformer le règlement de Dublin

- obsolescence programmée : changer le modèle économique

- eau : un bien commun à préserver

- travailleurs détachés : protéger contre le dumping social

- équité fiscale: taxer les GAFA sur une base européenne

- espace numérique : préserver les droits des citoyens européens

 

-des textes émanant de membres de notre association D&S:

1. Un point de vue de Régis Moreira

2. Une chronique de Bernard Ginisty

3. Une chronique de Daniel Lenoir sur l'Europe sociale: http://www.daniel-lenoir.fr/europe-les-chantiers-du-social/

4. Une tribune parue lundi 20 mai dans la Croix

 

Bonne réflexion et bon vote

 Après la belle Assemblée générale du 18 mai, nous nous retrouverons le mardi 25 juin en fin d'après-midi pour une réunion conviviale avec notre nouveau CA.

 Bien amicalement

 Jean-Baptiste de Foucauld 

 Que nous apporte l’Europe ?

Nous vivons au quotidien l’Europe, sans nous en rendre compte. Nous sommes des citoyens européens qui ne faisons pas suffisamment attention à la fragilité démocratique, car souvent l’Europe est  vilipendée. L’abstention croissante aux élections européennes démontre un certain désintérêt ou indifférence des européens envers l’institution les représentant le mieux. Avant d’être démocratique, le déficit en Europe est éducatif. On ne forme pas à la citoyenneté européenne (civile, politique, sociale, transnationale). Les ministres revendiquent souvent les bonnes nouvelles européennes et rejettent sur la commission de Bruxelles ce qui ne leur convient pas.

Bousculée par la montée des nationalismes, le Brexit et l’euroscepticisme, l’Union européenne doit insuffler une nouvelle ambition politique. La construction d’une Europe unie a d’abord été une utopie semblant s’être perdue en route, pourtant, l’union européenne est l’espace où l’on peut critiquer son action, ou son organisation, mais elle reste une institution continentale dont nous avons besoin face aux défis mondiaux. On peut estimer que cette institution est en panne, être en désaccord sur son bilan actuel, sur son action future,  remettre en cause son existence, même s'ils sont divisés sur la façon de la faire évoluer, la majorité des Français est favorable à l'Europe (62%). 

Il faut revenir sur les avancées permises par l'Europe. Les élections européennes sont là pour nous les rappeler. Le 26 mai 2019, nous votons afin de continuer de construire  pour mieux vivre tous ensemble en Europe, afin que nos rêves puissent s’accomplir.

 

Les principales avancées :

1-      La Paix, depuis 1945 la France n’a pas connu la guerre, 74 ans de Paix est un acquis très précieux qui doit perdurer auprès des nouvelles générations qui n’ont pas connu les atrocités des guerres. Le cri « Plus jamais la guerre ! » a été un moteur du projet européen jusqu’à présent. Aujourd’hui, certains dirigeants politiques promeuvent le nationalisme afin de résoudre différents problèmes, ce qui ne pourra déboucher à terme que sur la guerre, car ils ont besoin pour prospérer de boucs émissaires. Notre vigilance s’impose…Ne laissons pas faire les « oublieux »  de l’histoire tragique de l’Europe.

2-      La Liberté : Depuis 1986, grâce à l’impulsion de Jacques Delors : l’Union Européenne a mis en place la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux. En effet, grâce à l’Europe, nous pouvons ainsi (sauf cas spécifiques de l’Irlande et du Royaume-Uni) passer toutes les frontières des Etats membres de l’Union (dans les 26 Pays de l’espace « Schengen » depuis 1995) sans subir le moindre contrôle ou en présentant une simple carte d’identité.

3-      L’€uro, lancé en 1999 et mis en circulation en 2002, la monnaie commune de 19 pays représentant 340 millions de citoyens, permet de maîtriser l’inflation et de faire disparaître les frais de change et les dévaluations entre les monnaies.

4-      L’intégration des normes commerciales à l’échelle des 511 millions de consommateurs. L’étiquetage des produits, la défense des 3000 produits agricoles d’appellation d’origine protégée (AOP), les marchés publics…

5-      Le développement grâce au fond européen de développement régional (Feder) a permis la construction d’infrastructures importantes. Il a pour vocation de renforcer la cohésion économique et sociale dans l’Union européenne en corrigeant les déséquilibres entre ses régions. Il permet notamment de financer la recherche.

6-      La politique agricole commune (PAC) mise en place en 1962, est la seule politique européenne intégrée, ayant permis le développement de l’agriculture, face aux nouveaux défis concernant l’indépendance et la sécurité alimentaire ; l’équilibre des territoires ruraux et la préservation des ressources naturelles. Que serait l’agriculture française sans la PAC, si décriée ?

7-      Le programme Erasmus, depuis 1987, permet d'améliorer et d'augmenter la mobilité étudiante et enseignante, ainsi que la transparence et la compatibilité des qualifications dans l'enseignement supérieur et la formation professionnelle supérieure en Europe. Depuis sa création Erasmus a concerné 9 millions de personnes.

8-      Le socle de valeurs et de principes  renforçant les droits de l’Homme.  Sont considérés comme tels : la liberté, la démocratie, le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'état de droit, principes énoncés dans le traité sur l'Union et auxquels la Charte des droits fondamentaux, adoptée à Nice en 2000, a ajouté la dignité humaine, l'égalité et la solidarité.

9-      La Protection de l’environnement. Depuis le sommet de Rio en 1992, l’Union européenne s’est engagée à enrayer la perte de la biodiversité sur ses territoires en créant un réseau de sites écologiques nommé Natura 2000. Avec plus de 23 700 sites terrestres et marins, il s’agit du plus vaste réseau de sites protégés au monde. Le réseau de sites européens représente : 18,15 % de la surface terrestre du territoire de l’Union européenne ; 6 % de la surface marine des eaux européennes 

10-   Le Parquet européen, qui sera basé à Luxembourg aux côtés de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) et de la Cour des comptes européenne, doit débuter ses travaux au plus tôt en novembre 2020. Après l'échec des négociations à Vingt-Huit, les ministres français et allemand de la Justice ont finalement proposé en décembre 2016 d'instaurer cette instance via le mécanisme de la coopération renforcée, avec un minimum de 9 Etats. Aujourd'hui, ce sont ainsi 22 Etats membres qui sont engagés pour la création du Parquet européen. Celui-ci aura le pouvoir d'enquêter et d'engager des poursuites concernant les infractions portant atteinte au budget de l'UE, telles que la fraude, la fraude transfrontière à la TVA, la corruption ou le blanchiment de capitaux.

 

Mes rêves d’Europe :

1-    Une Europe de la transition écologique : fiscalité environnementale européenne, gestion des biens communs naturels guidée par l’intérêt général : air respirable, terre vivante, eau non polluée; gestion des déchets, suppression des gaspillages, développement de Natura 2000, transformation de la Politique Agricole Commune en une PAC biologique, énergies sans gaz à effet de serre, économie « bas carbone », mise en place d’un pacte Finance-climat, via le mécanisme des coopérations renforcées.

2-      Une Europe économique responsable et durable, inventant un nouveau modèle social et économique de développement, respectant les femmes, les hommes et la nature avant la finance, afin d’enrayer le réchauffement climatique. Développer un modèle européen de l’entreprise où l’utilité sociale serait un but au même titre que le profit, en associant les salariés au conseil d’administration et les parties prenantes dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale. Mettre le service public au service de l’intérêt général. L’Europe doit être un acteur mondial de régulation du capitalisme.  

3-      Achever la construction de l’€uro, en le dotant d’une vraie gouvernance économique (parlement de l’eurogroupe, un budget, un ministre) en développant une convergence fiscale et sociale, en séparant réellement les banques d’affaires spéculatives et les banques de dépôt afin de sécuriser les avoirs des citoyens.

4-      Doubler le budget de l’Europe, (actuellement 160 M€ comparé aux 446 M€ de la France), en développant la taxe sur les transactions financières, instaurant une taxe sur le kérosène (avions) et le fuel lourd (cargos), ainsi que sur les sociétés

5-      Prendre sa part dans le défi des migrations, en organisant l’accueil dans une démarche de coopération à l’échelle de l’Europe, en réformant le règlement de Dublin, en maîtrisant humainement les frontières européennes et en augmentant l’aide au co-développement dans les pays d’émigration.

6-      Renforcer la démocratie en imposant plus de transparence dans les délibérations du Conseil européen, des chefs d’Etats et des ministres ; donner plus de pouvoir au parlement dans l’initiative législative et le contrôle de la commission ; supprimer le secret des affaires au bénéfice de l’intérêt général ; améliorer l’efficacité de l’initiative citoyenne européenne (ICE) ; instaurer un encadrement strict des interventions des lobbies et protéger les lanceurs d’alerte.

7-      Développer la formation d’une culture européenne, valoriser notre patrimoine commun européen et ses personnalités historiques, développer des programmes scolaires d’apprentissage de l’Europe : son histoire, ses valeurs, son fonctionnement institutionnel, ses défis, difficultés et réussites. Développer l’apprentissage et la maîtrise de plusieurs langues. Favoriser les jumelages, les rencontres, les voyages, afin de fortifier la citoyenneté européenne, fondée sur des valeurs  démocratiques.

8-      S’appuyer sur la jeunesse pour construire l’Europe fraternelle, en permettant que chaque jeune européen puisse bénéficier d’une bourse afin de porter un projet éducatif, professionnel, associatif, culturel ou solidaire dans un autre pays que le sien.

9-      Développer l’esprit de coopération, entre les Etats, les institutions, les entreprises, les associations, les personnes, dans un brassage intergénérationnel, en renforçant ce qui existe déjà et en réorientant nos actions vers une transition écologique par la justice sociale.

10-   Construire la Paix pour chaque habitant européen, en développant la communication sans violence, en favorisant les démarches d’égalité hommes/femmes, en laissant se développer la spiritualité laïque,  dans l’esprit de servir une Terre solidaire envers les plus démunis.

 

Oui, je vote le 26 mai 2019 !

 Régis Moreira, membre de Démocratie & Spiritualité – Grenoble le 8 mai 2019

 

 

 

 

Chronique de Bernard Ginisty 

Parmi les nombreux ouvrages que suscite la perspective des prochaines élections européennes, celui d’Olivier Abel intitulé Le Vertige de l‘Europe me paraît l’un de ceux qui analyse le mieux la crise que vivent les Européens (1). On ne sera pas étonné qu’ami de Paul Ricœur et créateur du Fonds qui gère son héritage intellectuel, Olivier Abel reprenne comme base de sa réflexion un article du philosophe publié en 1961 dans la Revue Esprit sous le titre « Civilisation universelle et cultures nationales » (2).



Dans ce texte, Ricœur estime que l’effort pour s’ouvrir aux autres cultures tant dans le cadre européen que dans celui plus vaste de la mondialisation risque de conduire à un scepticisme planétaire « aussi dangereux que la bombe atomique » : « Au moment où nous découvrons qu’il y a des cultures et non pas une culture, au moment par conséquent où nous faisons l’aveu de la fin d’une sorte de monopole culturel, illusoire ou réel, nous sommes menacés de destruction par notre propre découverte ; il devient soudain possible qu’il n’y ait plus que des autres, que nous soyons nous-mêmes un autre parmi les autres ; toute signification ayant disparu, il devient possible de se promener parmi les civilisations comme à travers les vestiges et les ruines ; l’humanité entière devient une sorte de musée imaginaire : où irons-nous ce week-end ? Nous pouvons très bien nous représenter un temps qui est proche où n’importe quel humain moyennement fortuné pourra se dépayser indéfiniment et goûter sa propre mort sous les espèces d’un interminable voyage sans but (…) ce serait le scepticisme planétaire, le nihilisme absolu, dans le triomphe du bien-être. Il faut avouer que ce péril est au moins égal et peut-être plus probable que celui de la destruction atomique » (3).



Pour Olivier Abel, l’Europe s’est construite pour échapper, entre autres, à la répétition des massacres suicidaires des guerres de religion, des deux guerres mondiales du XXe siècle et des totalitarismes nazis et communistes. « J’ai intitulé ce livre Le Vertige de l’Europe parce que j’ai le sentiment que l’Europe s’est reconstruite sur ce vide, une sorte d’évidement de son noyau culturel. (…) Comme disait Paul Ricœur, pour rencontrer un autre que soi, il faut avoir un soi. Notre impuissance à avoir confiance en ce que nous sommes nous interdit de rencontrer les autres et nous entraîne dans une dérive sécuritaire » (4). La mission fondamentale de l’Europe, c’est d’apprendre à sortir du choc dogmatique des civilisations sans sombrer dans un relativisme indifférent. Reprenant le propos de Ricœur selon lequel « nous sommes dans le tunnel, au crépuscule du dogmatisme, au seuil des vrais dialogues », Olivier Abel écrit : « C’est bien ici la tâche de l’Europe aujourd’hui, modestement, sur son chemin à elle, parmi d’autres cheminements » (5).



Ce propos rejoint celui du Président Vaclav Havel devant le Sénat de la République Française qui le recevait :« La vocation de l’Europe dans le contexte de la civilisation actuelle – et ainsi, l’idée fondamentale d’unification – ne doit pas résider, comme nous le voyons actuellement, dans quelque chose de nouveau, d’inédit. Elle peut être tirée simplement d’une nouvelle lecture de livres européens très anciens, d’une nouvelle interprétation de leur signification. Il y a quatre ans mourut un Juif lituanien, qui avait fait ses études en Allemagne pour devenir un célèbre philosophe français. Il s’appelait Emmanuel Levinas. Selon son enseignement, conforme à l’esprit des plus anciennes traditions européennes, en l’occurrence sans doute juive, c’est au moment où nous regardons le visage de l’autre que naît le sentiment de responsabilité de ce monde. J’estime que c’est justement cette tradition spirituelle que l’Europe devrait se rappeler aujourd’hui. Elle découvrira l’existence de l’autre – tant dans l’espace qui l’entoure qu’aux quatre coins du monde ; et la responsabilité fondamentale qu’elle entend assumer ne prendra plus le visage présomptueux d’un conquérant, mais celui, humble, de qui prend la croix du monde sur son dos » (6).



Bernard Ginisty



(1) Olivier ABEL, Le Vertige de l’Europe, éditions Labor et Fides, Genève, 2019. Olivier Abel est professeur de philosophie et d’éthique à la Faculté de théologie protestante de Montpellier.

(2) Paul RICOEUR (1913-2005), Civilisation universelle et cultures nationales, Revue Esprit, octobre 1961, repris dans Histoire et Vérité, éditions du Seuil, Paris 1964.

(3) Op. cit. p. 173-174.

(4) Olivier ABEL, L’Europe en mal d’identités. Grand entretien dans l’hebdomadaire Réforme du 15 avril 2019, p. 2 et 3.

(5) Op. cit. p. 178.

(6) Vaclav HAVEL (1936-2011), Discours lors de la réception solennelle de M. Vaclav Havel, Président de la République tchèque, au Sénat de la République Française, le 3 mars 1999.

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Europe : les chantiers du social

Dans son numéro du 2 mai consacré à l’Europe, Témoignage Chrétien a repris dans une version abrégée le papier publié ici sous le titre « De l’Europe sociale à l’Union sociale (suite, 3) ». Histoire d’éclairer d’une campagne européenne qui peine à démarrer,

Les chantiers du social

Après les dix années de glaciation Barroso, on avait espéré de la Commission Junker une relance de l’Europe sociale grâce à son projet de socle européen des droits sociaux. Las, celui-ci n’est resté qu’un texte de principe, sans valeur juridique.

Soyons justes, le bilan n’est pas totalement nul, et quelques directives significatives ont été adoptées : celle sur les travailleurs détachés, celle sur « les conditions de travail transparentes et prévisibles » (sic), pour les travailleurs des plateformes de services, ou celle sur le congé de paternité et parental.

Mais on est loin du compte et on cherchera en vain dans les discours de ceux qui briguent nos suffrages des références à cette Europe sociale supposée développer la citoyenneté européenne. Or, il y a un rapport subtil entre sentiment d’appartenance à une communauté et solidarité en son sein, chacun alimentant l’autre. Et la solidarité au sein de l’Europe ne peut se limiter à ces « solidarités de fait » qui résultent de l’intégration par le marché mais sont vécues comme des solidarités contraintes et non choisies.

Pour cela, il faudrait faire de l’Union européenne, qui n’est aujourd’hui qu’une union économique, une union également sociale (et d’ailleurs environnementale). Cela peut sembler irréaliste mais cela ne l’est pas plus que de faire un marché unique, ou une monnaie unique. Et c’est indispensable, car le tabouret européen ne repose aujourd’hui que sur le seul pied économique, et des propositions réalistes pour le rééquilibrer ne sont pas hors de portée.

Le premier pied à ajouter, ou à redresser, c’est celui de la libre circulation des personnes. Elle doit aussi s’étendre aux réfugiés, comme aux immigrés, ce qui était l’enjeu des accords de Schengen, mais suppose une réelle politique commune. L’immigration est une chance pour une Europe désormais zone de basse pression démographique, à condition qu’on évite tant la peur que la naïveté et qu’on sache la gérer ensemble : on voit bien où l’absence de solidarité européenne a conduit l’Italie. Cette option, incompatible avec la fixation de quotas par pays, nécessite au contraire une totale communautarisation de la politique migratoire entre les pays qui le souhaitent.

Le second fondement de ce volet social, c’est la lutte contre le « dumping social » et le « dumping fiscal ». C’est l’un des enjeux essentiels de l’Europe que de lutter en permanence contre ces risques de moins-disant social et de mieux-disant fiscal, mais cela suppose une réactivité beaucoup plus forte dès que des risques sont identifiés, comme celui des travailleurs détachés. Cela vaut aussi à l’autre bout de l’échelle des revenus en luttant contre la surenchère fiscale, qui les tire vers le haut et constitue de ce fait un puissant facteur de déstructuration des sociétés européennes. Il faudrait pour cela mettre en place un « serpent social » (à l’image du « serpent monétaire ») qui encadre l’échelle des revenus, en bas (c’est l’idée d’un Smic ou d’un revenu minimum européen) et en haut, par une harmonisation des fiscalités. Surtout, cette protection contre le dumping social (et environnemental) devrait se faire aux frontières de l’Europe, de façon à éviter une concurrence déloyale sur les conditions de production dans les pays d’origine.

Le troisième axe, c’est celui de la réforme nécessaire de l’État providence, pour l’adapter au contexte du XXIe siècle en combinant notamment protection sociale et environnementale. La conception de nouveaux mécanismes de protection offre une opportunité de dépasser la difficulté qu’il y a historiquement à faire converger des États providence nationaux aux constructions trop spécifiques, en s’y essayant sur des sujets nouveaux pour eux, comme, par exemple, le développement de la parentalité et l’accueil des enfants, la lutte contre la pauvreté, ou encore le développement de prestations d’accompagnement de la transition environnementale, et ce dans une logique d’investissement social.

Daniel Lenoir

Paris, le 2 mai 2019

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16  mai 2019

Les intellectuels Français contre l’Europe ?

 

Alors que l’Union entre les Européens est menacée comme rarement elle l’a été, nombre d’intellectuels français (pas tous heureusement) prennent l’occasion des prochaines élections du Parlement européen pour décocher leurs flèches assassines à l’égard des égarés qui croient encore aux vertus de l’unité entre les Nations.

Il y a d’abord ceux qui, sans avoir eux-mêmes une opinion bien tranchée sur l’Europe, ne lui pardonnent pas de n’être pas aimée, de « n’avoir jamais su vraiment intéresser les Français ». Cette disgrâce supposée les incline à recommander de s’abstenir de tout zèle inutile. Ainsi contribuent-ils eux-mêmes, à la mesure de leur crédit, à la désaffection générale.

D’autres s’en tiennent à l’imparable dichotomie entre la basse œuvre de l’économie et le noble travail de la culture et de l’esprit. L’Europe, ce n’est qu’affaire de marché, de concurrence et de consommation : au mieux du médiocre, au pire du néolibéral. Mais comment peut-on reprocher à l’Europe, tout ensemble, son penchant libéral et sa propension à édicter des règles,  jugées absurdes si elles nous touchent, insuffisantes si elles ne nous protègent pas ? Un constat équitable obligerait à considérer l’« acquis » de la législation européenne en matière de droits individuels, sociaux et environnementaux comme le plus avancé au monde dans bien des domaines.

D’autres encore sont impressionnés par la maïeutique néo keynésienne. Ils tiennent avec assurance que l’Euro est responsable de la langueur de notre économie en privant la France de l’arme du taux de change  et du déficit public pour doper sa croissance. Ainsi plusieurs décennies de recours infructueux à l’une ou l’autre de ces thérapeutiques ne les ont pas impressionnés. Notons que  les pays non membres de l’Euro, en principe affranchis de ces contraintes, ont des gestions plus rigoureuses encore que celle des pays membres de l’Euro en moyenne.

Si l’Europe trouve si peu de grâce aux yeux de nombre de nos intellectuels, c’est que décidément elle est bien peu française, sans doute beaucoup trop allemande et surtout de plus en plus étrangère. On peut rêver d’une Europe qui serait une grande France sans les défauts de la France. Cette Europe-là n’existera jamais. En tous cas, cette attitude fréquente, parfois  arrogante,  porte un tort considérable au crédit de notre pays.

Quant à  la fiscalité, objet de critiques récurrentes, il ne suffit pas d’un claquement de doigt pour que l’Union passe de la concurrence à l’harmonisation fiscale. La convergence des politiques européennes s’est faite dans un apprentissage tissé de négociations et de concessions mutuelles. C’est dans la durée que, pour la plupart des politiques communes, on est passé de l’unanimité à la majorité qualifiée. Dans la durée aussi que le Parlement européen est devenu un vrai Parlement. Le temps et le sens du compromis, si étranger à la culture politique française, sont le prix à payer pour habiter démocratiquement la diversité. Le Brexit, à contrario, nous aide pourtant à mesurer et la grandeur et la fragilité de ce qui nous relie.

Ne laissons donc pas la critique nécessaire des insuffisances de l’Union européenne, devenir  critique de l’Union européenne en soi. Ne mélangeons pas les genres. Or, c’est ce qui se produit automatiquement lorsque la critique est déséquilibrée.

Nous avons plus que jamais besoin d’Europe, face aux impérialismes, face à la menace écologique. C’est un besoin politique, en termes de souveraineté. C’est un besoin civilisationnel, celui d’un ensemble géographique  qui s’efforce de concilier la liberté de la Personne, la force cohésive de l’Etat, et la grandeur du Spirituel. Nulle part ailleurs cet équilibre n’est parvenu à se constituer de la même manière. Pour le défendre, l’approfondir, et le renouveler, nous avons grandement besoin des intellectuels aujourd’hui.

 

Jean-Baptiste de Foucauld, Frédéric Pascal, Jérôme Vignon, Pacte civique

(www.pactecivique.wordpress.com)

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