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Perspectives d’un renouveau spirituel à l’ère de la mondialisation

Le fait religieux, trait de civilisation constant, qui résiste aux diverses tentatives d’éradication, prend de multiples formes qui se renouvellent en fonction du contexte historique. Le choc de la mondialisation est-il une chance ou un risque ? Quel renouvellement implique-t-il du fait religieux ? Comment rendre ce renouvellement potentiel fécond pour les régimes démocratiques ?

Voilà quelques enjeux de taille auxquels il convient de réfléchir pour répondre à l’intensification des défis actuels.

1 – Des relations circulaires entre mondialisation et religions

Les différentes religions organisées ont été mises en relation et en concurrence par la mondialisation. C’est un véritable choc d’altérité. Situation d’autant plus périlleuse que le «fidèle» a souvent pris son autonomie et n’est plus si fidèle que cela ; il se transforme peu à peu en citoyen, voire en acteur. Le développement de la démocratie,  l’éducation, l’économie de marché, le consumérisme ont favorisé le libre choix, et celui-ci s’exerce aussi à l’égard des religions. Se développe ainsi un étonnant mouvement spirituel informel, une sorte d’intériorité de masse qui s’alimente aux multiples sources spirituelles rendues accessibles par la mondialisation et permet aux personnes de tenir debout. Dans le même temps, le marché mondial, lui aussi, s’intéresse aux religieux, comme un produit de consommation. La religion, n’est plus l’opium du peuple, mais peut devenir l’une des drogues du marché. La mondialisation aboutit donc à une forte pression utilitariste et consumériste sur les religions, dont la capacité d’adhésion institutionnelle se trouve contestée de toute part.

C’est pour les religions un choc douloureux, car toute identité est fragile, et les religions sont un facteur important d’identité, car elles ont rapport avec l’ultime, dont la représentation symbolique est à la fois friable et de haute valeur. Comment vont-elles réagir ?

On peut envisager quatre scénarios :

1 – la crispation identitaire, le refus de s’intéresser à l’autre, impur et infidèle ; ce scénario peut mener à des violents conflits et au terrorisme, notamment s’il est relayé en politique d’une façon ou d’une autre;

2 – la juxtaposition individualiste des différences, les religions instituées cultivant leur quant à soi, se tolérant les unes les autres, mais sans dialoguer en profondeur, tandis que les personnes, ne se référant plus aux institutions, mèneraient de leur côté leurs recherches spirituelles avec les matériaux symboliques qu’elles réuniraient elles-mêmes, plus avec le souci de se construire elles-mêmes et de faire face aux chocs de la vie que d’agir sur la société ;

3 – un dialogue ouvert entre les religions, non pas pour tenter de se convertir, mais pour s’écouter et approfondir, chacune retrouvant, grâce aux contacts avec les autres, des éléments enfouis et porteurs de sa propre tradition (cf. infra).

4 – Une nouvelle synthèse religieuse, incorporant le champ immense des découvertes scientifiques, si peu explorées par la théologie, qu’il s’agisse des sciences physiques ou sociales ; il y a une disponibilité pour une reformulation générale, pour le meilleur ou pour le pire d’ailleurs.

La manière dont les religions vont faire face à ce choc va affecter le contenu la mondialisation elle-même. Les scénarios précédents ouvrent la voie à trois cas de figure:

a)Les religions nourrissent les tendances latentes à la guerre des civilisations et transforment le multiculturalisme en anti-culturalisme;

b) Les religions aident à la coexistence pacifique des différences, en donnant l’exemple;

c) Les religions apportent un concours réel à une mondialisation réussie.

2 – Rechercher entre les religions et les spiritualités une grammaire commune facilitant leur dialogue et leur enrichissement mutuel

Quel langage commun, quelles procédures utiliser, quel état d’esprit permettrait donc aux religions gagner le pari de la mondialisation réussie ?

Dans le dialogue inter-religieux, malgré l’échange, chacun reste sur ses positions fondamentales, un peu comme dans les contacts diplomatiques. Mais ce type de dialogue favorise la tolérance et la compréhension mutuelle, et pourrait permettre d’envisager des actions communes.

Le dialogue intra-religieux, préconisé par Raimon Pannikar, vise à favoriser un contact en profondeur entre les religions, passant plus par la voie de l’intériorité que par celle de l’extériorité. La motivation de chacun est de mieux se connaître lui-même et non de chercher à savoir qui a raison. Dans ce dialogue, chaque religion  découvre des valeurs qui sont restées latentes en elle et que les autres ont plus développées, car « celui qui ne connaît que sa propre religion n’en connaît aucune, et pas même la sienne »

Selon l’attitude méta-religieuse, il existe une grammaire commune entre les religions. Malgré leurs différences, elles participent toutes d’une même « unité transcendantale », selon le mot de Fritjof Schuon. Ce courant de la philosophia perennis, tel qu’exprimé notamment par Aldous Huxley, dialogue mal avec les religions instituées, en raison d’une méfiance réciproque ; le plus souvent traditionnaliste, voire réactionnaire, il n’a en général pas su jusqu’ici se situer dans le mouvement démocratique, mais il n’y a là rien de fatal. Il y aurait dans ce continent souvent ignoré, du moins en France, un potentiel considérable de compréhension et d’approfondissement mutuel des religions entre elles. Cela permet de prendre conscience que chaque religion se caractérise par une recherche d’équilibre plus ou moins réussie entre des couples d’opposés, couples qui expriment en leurs termes antagonistes des visions spirituelles opposées et incomplètes, mais sommées de coexister pour représenter correctement la totalité de la réalité. L’accès au divin peut en effet se faire par la voie de l’immanence ou de la transcendance ; de manière impersonnelle ou personnelle ; par l’intériorité ou par l’extériorité ; par une relation directe ou par la médiation d’une institution, d’un livre ou d’un culte ; de manière libre ou déterminée; par la contemplation ou dans l’action.

Chaque religion se positionne sur cette grande combinatoire générale en mettant l’accent sur un des termes plutôt que sur un autre. Elle se simplifie ainsi la vie et rend son message social plus audible. Mais chacune possède, de manière plus ou moins apparente, ces doubles dimensions et résiste d’ailleurs à toute schématisation. Tout se passe comme si une sorte de division théologique du travail s’était organisée, avec le Dieu personnel de l’occident d’un côté, et, de l’autre, les religions, tantôt immanentes, tantôt extra-mondaines de l’orient, avec toutes les infinies nuances qui vont d’un pôle à l’autre. Il est temps de dépasser ces clivages dans une compréhension commune, car les grands moments spirituels adviennent lorsque ces pôles apparemment antagonistes s’articulent entre eux de manière souple, s’unissent sans se confondre, et restent distincts sans être séparés. Alors l’image du divin comme Totalité s’impose en Présence et en Vérité, «double nature de toutes les théophanies », pour reprendre une expression de Schuon. C’est dans ces moments que le caractère lumineux des religions vécues a le plus de chance de l’emporter sur leur face obscure et violente.
Force est de constater que beaucoup d’expériences spirituelles aujourd’hui relèvent de fait de cette attitude méta-religieuse, lorsqu’elles injectent dans la langue maternelle du sens les apports nutritifs de traditions étrangères. Mais cela n’est pas théorisé.

Il est évident que cette dernière approche serait la plus favorable à ce que les religions soient un facteur de paix et non de conflit. Elle les relativise, mais au non d’une vérité encore plus large. Elle les enrichit en leur révélant chacune des ressorts cachés qu’elles possèdent mais sous-estiment ou ignorent. Elle les met en position d’apporter aux démocraties, tout en les respectant, cette dimension verticale qui leur manque, ce qui sera examiné dans un deuxième temps.

Pour le christianisme, enfin, l’approche méta-religieuse me parait être moins un risque qu’une chance, car elle permet de mettre l’accent sur des spécificités chrétiennes qui peuvent avoir valeur universelle. En particulier, la liaison trinitaire éclairante entre le Père créateur, le Fils rédempteur, et l’Esprit qui les unit et au sein duquel nous avons à cheminer pour que le Monde se rapproche du Royaume. Et aussi pour l’aider à dépasser ses problèmes actuels d’identité, écartelée entre le relativisme démocratique et la radicalité évangélique : La formalisation de l’identité chrétienne entre en conflit potentiel avec le relativisme, tandis que, simultanément, la cristallisation de l’appel de l’Evangile dans des formes trop extérieures et rigides risque de trahir l’esprit et la radicalité de l’Evangile. L’accès à cette radicalité est ardu, mais doit rester toujours ouvert. Il y a dans l’Evangile une sagesse et un équilibre entre la tolérance et l’exigence qui peut inspirer aussi bien la vie spirituelle que l’action, et un équilibre entre les cultures de résistance, de régulation et d’utopie, qui peut aider aussi à construire de beaux projets politiques.

A propos Jean-Baptiste de Foucauld

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