En-tête

 

 

 Lettre de D&S n°162

 Mars - Avril 2019

 

Sommaire

Agenda

L’éditorial

 

 Démocratie et Spiritualité après le 25ème anniversaire.

Nouvelles de l'association.

Colloque du 25e anniversaire de D&S.

Texte d'orientation de D&S

 Conseil d’administration de D&S.

Résonances spirituelles.

Rabhi Enokh racontait...

Martin Buber

François Cheng

L'espérance c'est...par Monika Sander

 

Démocratie et spiritualité

Note de lecture : « Nous avons fait galoper l’histoire - Confessions d’un cavalier usé » de Karol Modzelewski par Patrick Boulte

Echos d'ailleurs

Chronique de Bernard GINISTY: « Le Troisième Homme » ou du bon usage des institutions.

 Libres propos

Démocratie et Spiritualité : un souffle discret depuis vingt-cinq ans par Daniel Lenoir

Informations diverses.

 

  

Agenda

 

Les soirées conviviales

au 250 bis Boulevard Saint Germain (75007- PARIS) Codes 25B01, puis 62401

• mardi 16 avril à 18h15 : soirée conviviale avec Bernard Perret autour des thèses de René Girard, pour éclairer la crise française et européenne

• mardi 25 juin à 18h15: soirée conviviale ouverte entre anciens et nouveaux membres de D&S : mieux se connaitre et se rejoindre.

 

Groupe "Cheminement" :mercredi 17 avril, 14h-16h,au 87 rue de l’Eglise (75015 - PARIS)
Code : 5287 puis 1

Groupe de Grenoble : Jeudi 9 mai, 17h-19h, à la Maison des associations : « Comment je vis le Brexit ? »

 

Assemblée Générale de D&S:

samedi 18 mai de 10h à 13h à l'ODAS au 250 bis Boulevard Saint Germain (75007- PARIS) Codes 25B01, puis 62401

 

Editorial

 

Démocratie et Spiritualité après le 25ème anniversaire

 

Notre colloque anniversaire, les 2 et 3 février derniers, a réuni une centaine de personnes qui se sont montrées très motivées pour approfondir la problématique que nous nous efforçons de creuser, dont l’actualité a été pleinement ressentie. Notre responsabilité à poursuivre la tâche en renouvelant les équipes n’en est que plus grande. Ce sera l’objet de l’Assemblée générale de l’association qui se réunira le samedi matin 18 mai et aura pour tâche d’élire un nouveau Conseil d’administration. Merci de noter dès à présent cette date. En attendant, celles et ceux qui n’ont pu assister au colloque ou souhaitent en reprendre certains aspects peuvent visionner sur notre site les multiples vidéos disponibles.

A bien des titres, l’interaction entre Démocratie et Spiritualité éclaire les différents aspects du contexte actuel.

Sur le plan géopolitique, le multilatéralisme, forme embryonnaire de démocratie entre les Etats, est battu en brèche par les populismes, par l’unilatéralisme américain, et par l’inquiétante montée en puissance de la Chine. L’Union européenne apparait bien seule, désormais, pour défendre ses valeurs, d’autant plus qu’elle peine à les appliquer elle-même. Pourtant, elle s’est avérée jusqu’ici assez solide pour gérer avec cohérence et efficacité le Brexit. Elle se trouve ainsi au milieu du gué, d’où l’importance des futures élections. Nous aurons besoin d’un Parlement qui diffuse cette spiritualité de l’unité dans la diversité qui est la marque de fabrique de l’UE[1].

Le Brexit, précisément, est un parfait exemple de l’impasse dans laquelle se mettent les démocraties lorsque les calculs à courte vue (David Cameron), l’esprit partisan et le refus du dialogue avec l’opposition (Theresa May), les désirs de pouvoir contradictoires des uns et des autres (les parlementaires de tous bords), la diffusion d’informations démagogiques et inexactes (certains médias) l’emportent sur le souci de l’intérêt général et la volonté de construire ensemble.

Notre pays est lui-même confronté, sous d’autres formes, à des problèmes voisins. Nul doute que les « gilets jaunes » ne souffrent, au-delà d’une insuffisance de pouvoir d’achat, d’un déficit général de fraternité, d’écoute et de considération à l’égard des problèmes qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne. Nul doute aussi que des propos ressentis comme blessants et les décisions affectant le niveau de vie de ont fait déborder le vase d’une colère qui s’accumulait depuis longtemps. Mais la manière dont cette colère s’exprime, le caractère vague des revendications, le refus de s’organiser et de dialoguer avec les représentants élus, la tolérance vis-à-vis de la violence, posent question à notre démocratie et érodent notre capital éthique collectif. Le risque est devenu réel d’une France éclatant en sous-France, s’ignorant et se combattant, et ne se retrouvant que pour demander toujours plus de prestations à un Etat débordé de toutes parts et incapable de faire face à cette accumulation de revendications. Le retour au sens et au bon sens, à la cohérence, à l’acceptation des priorités pour résorber peu à peu, et en même temps, les crises sociales et écologiques sera long et difficile. Il demandera beaucoup de capacité à délibérer en respectant les règles de l’éthique du débat, de transparence dans les processus de décision, de charisme pour les mettre en œuvre, d’exemplarité dans les comportements, et d’équilibre quant aux efforts demandés aux uns et aux autres.

Plus que jamais l’heure est à la mobilisation autour des valeurs prônées par Démocratie et Spiritualité et par le Pacte civique.

Le Bureau    

 

[1] Le Pacte civique diffusera prochainement un jeu de vidéos mettant en valeur, sur quelques sujets importants, le rôle essentiel et méconnu du Parlement européen.

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Nouvelles de l'association

Orientations de D&S

Synthèse du texte proposé pour le 25ième anniversaire

 Il y a 25 ans, D&S a été créée par divers acteurs pour répondre notamment aux multiples conséquences de l’effondrement du bloc communiste. La charte fondatrice de l’association exposait leurs espoirs et craintes devant cette nouvelle situation, pleine de promesses et de risques. Les fondateurs y invitaient à un effort simultané d’approfondissement de l’exigence démocratique et de renouvellement spirituel, dans une logique d'inter-fécondation de ces deux dynamiques humanistes.Pour notre 25ième anniversaire, nous mettons en débat ce texte d’orientation, issu de notre expérience et questionné par les mutations du monde.

I - Des défis socio-économique, écologique et politique constituant des enjeux de civilisation

Le XXe siècle a été notamment façonné par des guerres mondiales, l'échec de l'expérience soviétique et une mondialisation néo-libérale mal régulée, aujourd'hui exacerbée par la financiarisation et la digitalisation. Cette globalisation aboutit à un désastre environnemental global, sans précédent, sur fond de retour des nationalismes et des intégrismes religieux. Le tout questionne des sociétés affaiblies par les idoles de la consommation et de la technique et par un épuisement démocratique et moral. Face à ces multiples défis, graves et interconnectés, la prise de conscience ne se traduit pas, jusqu’à présent, par la construction de réponses crédibles, à la hauteur des enjeux.

Nous avons à faire à une véritable crise de civilisation, impliquant tous les aspects de la vie individuelle et collective, ce qui exige de construire ensemble un présent et un futur désirables pour tous.

 

II - Spiritualité et démocratie, sources d’un vivre ensemble plus humain

Cette nouvelle donne entraîne un changement de paradigme global, axé sur un approfondissement à la fois spirituel, éthique et démocratique. Lequel devrait conduire à édifier une culture humaniste reliant corps-âme-esprit et articulant les plans personnel, communautaire et universel.

Ceci nécessite d’approfondir la place du spirituel et du politique dans un monde en mutation.

La spiritualité, une ressource pour aujourd’hui et demain

Si l’on constate une certaine attractivité du mot « spiritualité » (cf. titres de livres, colloques, stages divers, et la récente vogue de la méditation), l’indifférence ou le rejet à son égard restent forts. Dans ce mot inspirant mais difficile à préciser, D&S reconnaît les traits suivants : le respect de la personne humaine et du cosmos dans toutes leurs dimensions et leurs liens ; les valeurs de justice, de fraternité, de cohérence ; l'ouverture à l’intériorité, à l'altérité, à la transcendance ; l'attention à ce qui dépasse l'humain, mystère à explorer sans fin dans une logique de dialogue pluraliste et de libre recherche. Pour ceux qui s’y réfèrent, la spiritualité est une dimension de la condition humaine, un souffle de vie venu des origines. Une différence, souvent implicite, existe entre ceux qui s'attachent à une spiritualité avec transcendance, le plus souvent religieuse, et ceux qui la récusent. Soucieuse de dépasser ce clivage à ses yeux dépassé, D&S cherche à réunir les chercheurs de sens attentifs au bien commun et à la dimension spirituelle dans la pensée comme dans l’action. Ce qui requiert une approche constructive de la laïcité qui, bien comprise, protège les libertés d’expression et de conscience.

Ceci conduit à confronter et affiner nos convictions, religieuses ou non, et à en nourrir le débat démocratique.

 

La démocratie, une démarche continue et interactive à promouvoir et à approfondir

La démocratie est un bien précieux, mais un art difficile à pratiquer. Il faut l'affirmer quand on connaît les ravages des totalitarismes, qu’ils soient politiques et/ou religieux La référence à la devise de la République doit nous inspirer : pas de liberté s’il n’y a qu’individualisme sans solidarité et violences sans dialogue ; pas d’égalité quand les exclusions et discriminations menacent et que les pauvretés s’accroissent ; pas de fraternité si les justices sociale et écologique font défaut. Si elles sont prises au sérieux, ces valeurs peuvent inspirer les pratiques locales comme celles des entreprises ou des associations, et contribuer largement à la mise en place des changements nécessaires. Par ailleurs, on ne saurait ignorer que l’élection de représentants ne suffit plus ; la démocratie doit être continue et interactive pour faire droit à la demande d’écoute, de respect et de prise en considération des citoyens et de leurs aspirations à participer à la décision politique. Il s’agit donc de trouver de nouveaux équilibres entre les démocraties représentative, implicative et directe. D&S, qui a participé, avec d’autres associations proches, à la création du Pacte civique, contribue à renforcer la qualité de notre vie démocratique et à promouvoir une société de délibération nous aidant à trouver de nouveaux équilibres pour surmonter nos contradictions. Faisons surgir des éclaireurs comme l’ont été des spirituels démocrates tel Gandhi et des démocrates spirituels tels Jaurès et Mandela.

Il s’agit d’inventer les voies pour que des spiritualités vécues nourrissent des citoyennetés interactives.

Une fécondation réciproque entre spiritualité et démocratie

D&S reconnaît divers impacts réels et/ou potentiels du spirituel (religieux ou non) sur la vie démocratique, comme, par exemple, le travail sur soi et la transformation personnelle en lien avec des cheminements collectifs fraternels porteurs de vérités communes.

Réciproquement, D&S reconnaît divers impacts de la démocratie sur la spiritualité et les institutions religieuses comme, par exemple, la légitimité de l’action politique pour construire des institutions et des dispositifs qui protègent la liberté, tendent vers l’égalité (notamment homme/femme) et stimule la fraternité.

Contribuons à générer une civilisation authentiquement humaniste, spirituelle et démocratique, mobilisant toutes les générations.

 

III - Des pistes de travail pour la réflexion et l’action de Démocratie& Spiritualité

D&S doit conserver son cap : une double émulation simultanée, celle du démocratique par le spirituel et du spirituel par le démocratique. Ainsi, notre association maintiendra à la fois une implication forte dans la vie démocratique et un investissement sur le spirituel, en travaillant à leur liaison et à leur fécondation mutuelle. D’où quatre pistes de travail pour les prochaines années :

• Travailler      les enjeux de société et les questions qu'ils posent aux      citoyens soucieux du spirituel, et ce grâce à ses universités d’été, ses réunions conviviales, ses interventions dans      le débat public ;

•  Aider à mieux comprendre la laïcité et      les spiritualités/religions, notamment à l’école et à l’université ;

• Promouvoir      la dimension spirituelle dans la vie de D&S, en particulier en      promouvant l’écoute et l’expression par chacun d’une parole intime,      porteuse de sens et d’éthique ;

• Approfondir      et cultiver le « & » de Démocratie & Spiritualité. Leur      fécondation passe par certaines de nos pratiques qui méritent d’être      valorisées et diffusées comme l’éthique du débat, des approches de la      médiation et de la non-violence active, des actions concrètes de lutte      contre l’exclusion.

 

Osons poursuivre la réflexion et l’action de D&S avec courage et lucidité.

 

La Conviviale du 12 Mars 2019

Après le succès du colloque des 2-3 février derniers pour le 25e anniversaire de Démocratie &Spiritualité, la réunion conviviale du 12 mars a réuni une vingtaine de participants dont 8 « nouveaux », présents au colloque. A la poursuite d’une dynamique de renouvellement de l’association, chacun était invité à s’exprimer sur ses attentes et les priorités pour l'avenir de D&S, ainsi que sur la forme de sa participation.

 

Membre de longue date de D&S, Martine Huillard a présenté les objectifs et le processus mis en œuvre dans le groupe Cheminement. Il s’agit d’exprimer nos expériences à partir de notre vécu, de nos cheminements uniques. Le processus met en œuvre deux pivots de la spiritualité, constitutifs de chaque être humain : l’écoute et la parole, partagées entre les participants, le temps de parole de l’un pouvant de manière naturelle alterner avec les résonances des autres.

Ce groupe, diversifié sur le plan social, spirituel, familial se réunit très régulièrement une fois par mois, depuis trois ans.

Son fonctionnement et les témoignages des membres du groupe ont suscité l’intérêt de nombreux participants à la soirée.

Responsables d’associations comme Mohamed Khenissi, président et fondateur d’Herménéo, ou Marc de Basquiat, président de l'Association pour l'Instauration d'un Revenu d'Existence (AIRE), actifs (consultants, hauts fonctionnaires) ou retraités engagés, les nouveaux venus à D&S ont émis des propositions diverses : étude du principe de laïcité des faits religieux et de ses applications pratiques en institution, retours de terrain sur un dialogue continu avec des détenus radicalisés, création d’un compte Twitter pour rendre le contenu de D&S accessible à un plus grand nombre, relations avec la presse...D’autres participants se sont déclarés disponibles pour aider D&S à capitaliser sur les acquis du colloque, sous une forme qui reste à trouver ensemble et fera l’objet d’une prochaine conviviale, ouverte, le 25 juin.

A l’issue d’une soirée stimulante, c’est autour d’un pot convivial qu’est né un nouveau groupe D&S, sur une base interreligieuse, constitué d’anciens et de nouveaux. Il s’est réuni une première fois mercredi 27 mars. Des rendez-vous ont été pris pour mai et juin.

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Résonances spirituelles

Rabhi Enokh racontait :

« Il y avait autrefois un sot si insensé qu’on l’avait surnommé Le Golem. Chaque matin, au lever, c’était pour lui tout un problème de retrouver ses vêtements, une tâche véritablement si ardue pour sa pauvre tête qu’il en hésitait le soir à se déshabiller pour se coucher. Mais voilà qu’un soir, prenant son courage à deux mains, il s’empara d’un crayon et d’un bout de papier sur lequel il consigna l’emplacement de chacune des parties de son vêtement qu’il quittait. Au matin, tout joyeux, il se leva et prit la liste : « La casquette- ici » et il s’en coiffa ; « Le pantalon- là » et il l’enfila, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il eût tout revêtu. 

« Oui mais moi-même, où suis-je donc ? », se demanda-t-il soudain, tout anxieux, « où suis-je donc passé ? » Et ce fut en vain qu’il se chercha et fouilla partout : il n’arriva pas à se retrouver. « Ainsi de nous » dit le Rabbi.

Martin Buber, Le chemin de l’homme, éditions du Rocher, 1995.

Le philosophe Martin Buber (1878-1965) pose dans ce petit ouvrage les fondements de la doctrine hassidique (courant mystique du judaïsme), apparue au milieu du XVIIIe siècle. Elle enseigne que l'on atteint la sagesse non en se détachant du monde, mais en s'en imprégnant profondément pour mieux le comprendre. " Commencer par soi, mais non finir par soi ; se prendre pour point de départ, mais non pour but ; se connaître, mais non se pré-occuper de soi. " 

 

Ne quémande rien.

N’attends pas

 D’être un jour payé de retour

Ce que tu donnes trace une voie

Te menant plus loin que tes pas.

François Cheng, Enfin le royaume, 2018.

 

 

L’Espérance c’est …

 

Croire en Dieu au-delà de Son silence

Croire à la joie au milieu des drames

Croire en la bonté de l’homme en dépit des apparences

Croire que l’homme abîmé par la vie se mettra debout

Croire que l’enfant sans parents saura aimer la vie

Croire que la vie est un don d’amour et de liberté

Croire

 

Monika Sander

Démocratie et Spiritualité 

Note de lecture : « Nous avons fait galoper l’histoire - Confessions d’un cavalier usé » de Karol Modzelewski - Éditions de la Maison des sciences de l'homme– 2018 – 541 p. par Patrick Boulte – Mars. 2019

 Il y a deux façons de lire le livre de Karol Modzelewski. L’une est de le voir comme un livre majeur d’histoire contemporaine, celle de la Pologne au XXème siècle, tout au long de la période marquée par les soubresauts de la fin des régimes communistes totalitaires. Livre d’un acteur de premier plan de ces événements ; de surcroit, celui d’un historien de formation et de profession. L’autre est de s’intéresser à l’homme lui-même. Nul doute que Karol Modzelewski ne préfère la première, tant la seule chose qui compte pour lui est l’histoire en train de se faire, les options à y prendre, les événements susceptibles d’être déclenchés pour tenter d’en modifier le cours, comme si les risques qu’ils lui faisaient courir étaient secondaires, ne comptaient pas, n’étaient même pas à prendre en considération. Par trois fois, il a été condamné à de lourdes peines de prison. Ce fut le cas à la suite de la publication, en 1965, conjointement avec Jacek Kuron, de leur « Lettre ouverte au Parti ouvrier unifié », en 1968, lors de la révolte des étudiants, en 1981, comme effet de la proclamation de la loi martiale et de l’interdiction de Solidarnosc dont il était le porte-parole. Tout cela, en donnant l’impression de ne jamais perdre la maîtrise intérieure des événements, toujours capable de déjouer les pièges que lui tendaient ses geôliers, « admirablement serein et imperturbablement courtois », comme le décrit son préfacier Bernard Guetta. Sans doute, dans l’actuel climat polonais, doit-il se sentir comme un « cavalier usé », lui qui avait pressenti, dès les lendemains de la table-ronde de 1989, les dangers dont pouvait être porteur la politique économique radicale de Leszek Balcerowicz ? Reste, à coup sûr, notamment pour les membres de D&S, un modèle d’engagement, constant, cohérent, lucide, où le souci de soi, de son image, de son identité, semble n’être jamais venu entacher les choix à faire et les orientations à prendre.  

 

 Echos d'ailleurs

Chronique de Bernard Ginisty  

 

« Le Troisième Homme » ou du bon usage des institutions.

En octobre 1966, soit dix mois après la fin du concile Vatican II, la revue jésuite de spiritualité, Christus, publiait un article de son directeur, François Roustang, qui eut un énorme retentissement. Intitulé le Troisième Homme, ce texte affirmait qu’au-delà des deux courants qui s’affrontaient dans l’Église catholique, les « conservateurs » et les « progressistes », un troisième type de catholique était apparu. « Une masse de chrétiens, devant les changements rapides et profonds qui ont eu lieu ont acquis une liberté personnelle qui ne les situe pas davantage parmi les conservateurs que parmi les réformistes. (…) Tous les efforts déployés, pensent ces chrétiens, cachent le problème crucial de la distance infinie entre le langage religieux et celui de l’existence. (…) User toutes ses forces en des réformes de structure revient à passer à côté de ce troisième homme qui n’en est plus à se demander s’il faut maintenir ou transformer, mais qui s’interroge au plus profond de sa foi. Si l’on n’y prend garde et si l’on refuse de voir l’évidence, le détachement à l’égard de l’Église ira en s’accentuant. (…) L’impossibilité, pour ces chrétiens, d’entrer dans le nouveau système se fera même au nom de la foi que le concile les a aidés à redécouvrir et à mieux vivre ». (1). Quelques mois après, François Roustang sera amené à démissionner de la direction de la revue et quittera la communauté des jésuites pour devenir thérapeute.

Ce texte, qui date de plus de cinquante, ans se révèle prophétique par rapport « au déclin irrémédiable dont la religion catholique allait être frappée » dans notre pays. Ève-Alice Roustang, fille de François Roustang, a pris l’initiative de le rééditer accompagné de trois études d’universitaires : un rappel historique de l’affaire du troisième homme par Etienne Fouilloux, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Lumière-Lyon II, Le compagnonnage avec Michel de Certeau pendant 10 ans par Claude Langlois, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, l’évaporation des engagés. Au tournant des années 1960-1970 dans le catholicisme français par la sociologue Danièle Hervieu-Léger.

Le grand intérêt de cet ouvrage est de tenter d’articuler une rupture personnelle et une crise institutionnelle que les évènements de mai 68 allaient amplifier. Dans un de ses ouvrages, François Roustang raconte ainsi ce moment : « Je me souviens qu’un jour, sous la poussée de questions inéluctables et à la faveur d’une énorme brèche dans l’institution qui m’abritait, ces mots non prévisibles m’étaient venus à l’esprit : « Je vais pouvoir penser ce que je pense ». A l’instant, comme si la terre avait tremblé, j’avais perdu l’équilibre. Je sus que mon existence allait être bouleversée et que je ne pourrais plus revenir en arrière » (2).

C’est la psychanalyse qui lui permit de traverser cette crise (3). Mais il se garde bien de passer d’une rigidité à une autre et devient très vite critique de cette discipline, notamment dans son ouvrage Un destin si funeste. A ce propos, Ève-Alice Roustang raconte : « un jour où je lui exprimai mon admiration pour ce livre, et en particulier la description de la psychanalyse comme institution mortifère, il m'expliqua que, venant de chez les jésuites, il savait comment marchait une institution ! » (4)

La question de l’articulation entre autonomie personnelle et médiation institutionnelle est au cœur de nos sociétés. Elle ne se cantonne pas au domaine religieux, mais envahit les sphères politiques et économiques. Le récent mouvement des « gilets jaunes » s’est caractérisé à la fois par une critique sévère des corps intermédiaires, partis ou syndicats, supposés les représenter, mais aussi par la très grande difficulté de trouver l’indispensable organisation qui peut seule permettre de donner un avenir à ce mouvement. C’est la longue histoire de l’être humain qui crée des institutions au service de nobles idéaux et voit peu à peu l’outil institutionnel remplacer la finalité qu’il devait servir et non pas confisquer. Cela conduit à la prise de pouvoir des fonctionnaires de ces corps intermédiaires, c’est-à-dire au cléricalisme et à la bureaucratie.

Il nous appartient, plus que jamais, d’inventer des institutions qui soient autre chose que des idoles protectrices ou des boucs émissaires témoignant de nos incapacités à assumer les crises que nous rencontrons.

• François Roustang (1923-2016), sous la direction d’Ève-Alice Roustang : Le Troisième Homme, entre rupture personnelle et crise catholique, éditions Odile Jacob, 2019, pages 19-27.

• Page 134

• Deux des principaux collaborateurs de Christus, à l’époque où François Roustang écrit Le Troisième Homme, sont deux intellectuels catholiques majeurs, pour qui la psychanalyse fut une démarche essentielle : Michel de Certeau (1925-1986) et Maurice Bellet (1923-2018).

• Page 12. François Roustang est l’auteur d’une œuvre importante dont entre autres : Un destin si funeste, éditions de Minuit, 1976 et Petite bibliothèque Payot 2009 ; Lacan, de l’équivoque à l’impasse, éditions de Minuit 1986, petite bibliothèque Payot 2009 ; Qu’est-ce que l’hypnose ? éditions de Minuit, 1994 ; Comment faire rire un paranoïaque, éditions Odile Jacob, 1995 ; Savoir attendre, éditions Odile Jacob 2006 ; Le secret de Socrate pour changer la vie, éditions Odile Jacob 2009

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Libres propos

Editorial de Daniel Lenoir, paru dans Témoignage chrétien, le 14 février 2019.

Démocratie et Spiritualité : un souffle discret depuis vingt-cinq ans

Créée en 1993 par Jean-Baptiste de Foucauld, D&S a célébré ses 25 ans les 2 et 3 février lors d’un colloque. Discrètement prophétique au moment où certains voyaient dans la chute du mur le signe de la fin de l’histoire, D&S appelait à « une résistance individuelle et collective aux automatismes induits par la pression croissante de la concurrence, de l’argent, de la corruption, des conflits de pouvoir et de la technique considérée comme une fin en soi.

Non seulement l’histoire ne s’est pas achevée, mais ce qu’on pourrait considérer comme l’échec de cette « résistance spirituelle » sur les différents champs de bataille annoncés a contribué à en renforcer la dimension tragique. Et ce d’autant plus que d’autres défis se sont fait jour, plus inquiétants encore : l’accroissement des conflits, l’épuisement moral de la démocratie, les replis nationalistes et populistes, l’omniprésence d’Internet, et surtout la « préservation de l’habitabilité de la planète ». La conjonction de ces défis nous amène à « faire face à une crise d’un genre nouveau ».

À cette occasion, la question environnementale a été au cœur des débats, avec une contribution essentielle de Dominique Bourg, philosophe, sur la dimension nécessairement spirituelle de la réponse, dans la mesure où celle-ci interroge à la fois notre rapport à la nature et notre façon de nous réaliser, et donc nos libertés, en soulignant que nous avons privilégié celle de produire et de consommer à toutes les autres.

Spiritualité nécessaire pour retrouver aussi la source de l’engagement personnel comme le souffle prophétique de l’utopie mobilisatrice ; spiritualité s’incarnant dans des spiritualités au pluriel, un nuancier de spiritualités s’enracinant dans les religions ou non, spiritualités soutenues par la croyance en la transcendance, ou spiritualités agnostiques ou athées ; D&S souhaite réunir « les chercheurs de sens, soucieux d’agir dans la société » : être plus encore un laboratoire d’idées, en lien avec les chercheurs, ouvrir un espace de partage, de compagnonnage et de ressourcement, devenir une ONG, être un lieu de discernement éthique pour tous ceux qui veulent concilier engagement dans la cité et référence spirituelle.

Entre ces projets, le colloque n’a pas tranché, mais il est clair que la question du « discernement » était la préoccupation principale. Il a d’ailleurs été beaucoup question de laïcité au cours de ces deux jours, non comme forme de spiritualité – la laïcité, comme l’a rappelé Jean-Louis Bianco, n’est pas une opinion mais un régime juridique –, mais comme moyen de trouver la bonne distance entre l’inspiration spirituelle et l’aspiration démocratique, distance sans laquelle il n’y a pas de dialogue possible, et comme chance pour les spiritualités de dialoguer entre elles et s’enrichir les unes les autres.

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Informations diverses

 

• Mercredi 10 avril à 20h, conférence de Bertrand Vergely, proposée par l’association La Traversée sur le thème : « Donner un sens à sa vie », à La Communauté Saint-Leu Saint-Gilles, 92 rue Saint-Denis - 75001 Paris, Métro Etienne Marcel ou Les Halles.

 

• Mardi 7 mai, intervention de Jean-Baptiste de Foucauld et Eric Vinson, suite à la proposition de Cécile Renouard, sur le nouveau campus de la transition écologique, près de Fontainebleau, devant une vingtaine de professionnels.

 

• Samedi 22 juin, de 11h à 18h, colloque de l’association Hermeneo au Forum 104, sur le thème : « Médias et faits religieux ».

 

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