En-tête

 

 

 Lettre de D&S n°163

Mai Juin Juillet Août

 

Table des matières

 

L’agenda                     

L’éditorial                                         

Résonances spirituelles                   

Migrants                                                      

Homosexualité et spiritualité         

Spiritualité et politique                  

Libres propos                                               

Informations diverses                     

 

Agenda

Prochain Conseil d'administration de D&S :

mardi 1er octobre à 18h au siège

 Les soirées conviviales jusqu’à l’été 2020 : en principe au 250 bis Boulevard Saint Germain (75007) Codes 25B01, puis 62401.

Nous retiendrons le 3e mardi du mois pour la date de ces réunions conviviales et privilégierons nos partenaires, invités à réagir à nos thèmes.

 Mardi 17 Septembre à 18h : Bruno Dufay pour son livre :"L'individualiste hyper-connecté", Individualisme et technologies conduisent-ils au totalitarisme ? ", L’Harmattan, 2018

 Prochaines réunions : mardi15 octobre, mardi19 novembre, et mardi17 décembre.Pour 2020 : mardi21 janvier, mardi18 Février, mardi 17 mars, mardi 21 avril, mardi19 mai, et mardi16 juin.
Des contacts sont en cours avec Samuel Grzybowski, fondateur de Coexister et avec Cécile Renouard, animatrice du campus de la transition écologique et auteure de Vie spirituelle et transition écologique.

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• Groupe "Cheminement" 1 : mercredi 18 septembre à 15h

• Groupe "Cheminement" 2 : jeudi 19 septembre à 19h, au 87, rue de l’Eglise, Paris 15e

• Grenoble- Maison des Associations : La prochaine rencontre du groupe de Grenoble aura lieu le mardi 17 septembre à 17h : Thème retenu: "Comment je vis l'influence des spiritualités d'extrême Orient?" Rencontre animée par Régis Moreira.

 

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L’éditorial

 

Remobiliser l’association dans un cadre partenarial face aux défis de ce temps

A la suite du 25ème anniversaire, notre projet pour les prochaines années  prend corps.

Le 18 mai, notre Assemblée générale a élu un nouveau Conseil d’administration de 19 membres. Avec 9 personnes nouvelles[1], il se compose comme suit : Jamila Barbouch, Marc de Basquiat, Sébastien Doutreligne, Jean-Baptiste de Foucauld, Eliane Fremann, Etienne Godinot, Odile Guillaud, Daniel Lenoir, Yannick Moreau, Régis Moreira, Martine Parant, Bertrand Parcollet, Valérie Penicaut, François Peyredieu du Charlat, Michel Ray, Monika Sander, Bernard Templier, Marie-Odile Terrenoire, Eric Vinson.

Ce nouveau CA, le 20 juin dernier, a élu à son tour un Bureau 8 membres, lui aussi assez largement renouvelé : Jean-Baptiste de Foucauld, Eliane Fremann, Daniel Lenoir, Regis Moreira, Bertrand Parcollet, Valérie Penicaut, François Peyredieu du Charlat, Monika Sander. Ce Bureau, le 1er juillet, à réparti des tâches prévues par les statuts de la manière suivante : Président : Jean-Baptiste de Foucauld, à titre transitoire ; Vice-Président : Daniel Lenoir ; Secrétaire générale : Eliane Fremann (temporairement, en fonction de la charge de travail).

Ainsi, une nouvelle organisation se met peu à peu en place, à même de contribuer à l’intensification des défis que l’humanité se pose désormais à elle-même.

Du fait du développement technologique qu’elle a engendré, de sa croissance numérique, l’humanité est en effet devenue une véritable force tellurique, susceptible de bouleverser les conditions qui permettent son existence. C’est l’âge de l’anthropocène, dont nous prenons soudain conscience avec angoisse.

Nous constatons à la fois qu’il serait légitime que l’humanité tout entière accède peu à peu au niveau de vie des pays développés, mais, comme il est dit souvent, il nous faudrait alors trois planètes et  nous n’en avons qu’une. En d’autres termes, la tension va s’accroître entre les besoins sociaux non satisfaits et les nécessités de la réparation écologique, et cela d’autant plus que de nouveaux modes de production, de consommation, de modes de vie,  de développement, ne se mettront pas en place rapidement.

 Or, nous n’avons pas de modèle clair de remplacement à disposition et peinons  à inventer un nouveau paradigme mobilisateur. Les systèmes politiques démocratiques, soumis à la pression concurrentielle d’électeurs tentés par le consumérisme, ont du mal à faire comprendre et accepter les changements nécessaires. Cela explique qu’ils naviguent  à courte vue, de manière relativement passive, avec peu de liberté par rapport à l’accumulation des contraintes de tous ordres qui excédent peut-être leurs capacités.

Dans ce contexte, la tentation de la  régression dans la dé-mondialisation et dans  l’affirmation d’identités politico-religieuses non démocratiques devient forte.

 Difficile de nier que, dans un tel cadre,  face aux risques encourus et efforts à accomplir, on a besoin à la fois d’un sursaut démocratique et d’un sursaut  spirituel, c’est-à-dire de générer une capacité citoyenne de don au service de l’intérêt général.

 Pour contribuer à la nécessaire mutation,  la démarche DS doit donc être poursuivie et même intensifiée avec de nouveaux  objectifs et avec les partenaires qui poursuivent des démarches voisines.

 A cet effet, Daniel Lenoir et Valérie Pénicaut nous ont proposé une méthode, que nous suivrons à titre expérimental. Une méthode participative, souple, accumulative, décentralisée, faisant appel au numérique, et si possible pas trop coûteuse en temps.

Une méthode  qui a besoin du concours de toutes et tous et qui repose sur une articulation entre des Pôles de compétences, ceux qui avaient été utilisés lors du 25 ème anniversaire, et des thèmes de travail, pour lesquels nous avons identifié des volontaires.

Ces trois Pôles, qui auront une approche transversale, sont les suivants :

• Cheminement, animé par Valérie Pénicaut,

• Action, coordonné par Bertrand Parcollet

• Laboratoire d’idées : animé par Jean-Baptiste de Foucauld

Nous avons besoin également de renforcer nos fonctions support : administration, finances, communication, et éventuellement formation.

8 thèmes de travail ont été par ailleurs identifiés, dans lesquels il est proposé de regarder comment fonctionne l’interaction démocratie/spiritualité et ce qu’elle peut apporter à la résolution des problèmes en cours, avec l’aide de partenaires proches.

 

Ces 8 thèmes, avec leurs animateurs, sont les suivants :

 Transition environnementale et réconciliation du social et de   l’écologique / Daniel Lenoir

Laïcité / Sébastien Doutreligne

Entourage spirituel des responsables  / Valérie Pénicaut

Approche inter-convictionnelle des messages spirituels  face aux défis / Michel Ray

Non-violence / Etienne Godinot

La question migratoire

La culture et la civilisation universelle / Jean-Claude Devèze

La question numérique 

 

Merci aux personnes qui n’en auraient pas encore eu l’occasion d’indiquer leur intérêt pour participer à un Pôle ou à un thème (ou les deux !) de le faire savoir en écrivant à écrivant à elianefremann@gmail.com. Elles seront mises en contacts avec les animateurs de ces Pôles ou de ces Thèmes.

Nous organiserons un séminaire de travail en fin d’année pour recueillir les fruits de ces travaux et préparer l’université d’été 2020.

Merci d’avance et bon été à toutes et tous.

Jean-Baptiste de Foucauld

 

[1] Leur nom est souligné.

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Résonances spirituelles : Changer de regard

 

Si je ne suis pas pour moi qui le sera ?

Si je ne suis que pour moi

Que suis-je ?

Et si je n’agis pas maintenant, quand ?

 

Hillel l’Ancien, ou Hillel le Sage est le dernier président du Sanhédrin de l’époque des Zougot. Natif de Babylone, il se rend à Jérusalem, et y devient la figure intellectuelle dominante sous le règne d’Hérode, fondant une école d’interprétation pragmatique de la loi juive ainsi qu’une dynastie de patriarches qui assurera l’autorité spirituelle sur la Judée jusqu’au IVe siècle.

 

Lettre de Simone Weil à Joé Bousquet, Correspondance 1942 (Editions Claire Paulhan, 2019, p.90 et 91) : « Il est donné à très peu d’esprits de découvrir que   les choses et les êtres existent…Les mauvaises actions sont celles qui voilent la réalité des choses et des êtres, ou celles qu’il serait tout à fait impossible de faire si on savait vraiment que les choses et les êtres existent ». 

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Chronique de Bernard Ginisty 

Migrants : La Chronique de Bernard Ginisty du 20  juin 2019 : Méditation sur un cimetière marin

Si elle ne fait plus la une de l’actualité, la mort des migrants en mer Méditerranée se poursuit. Dans un récent ouvrage intitulé « Face aux migrants : le silence et le regard », le philosophe italien Vincenzo Sorrentino précise ainsi son propos : « C’est de notre disposition intérieure face à ces personnes dont je veux parler. Quel rapport existe-t-il entre eux et notre vie à nous ? Entre leurs besoins, opportunités, espérances, désirs et les nôtres ? Entre leur naissance, leur mort et les nôtres ? » (1). Loin de constituer un superflu pour « belles âmes », l’attention à l’errant, à l’exclu est au cœur de tout évolution des sociétés vers plus d’humanité. C’est le plus grand angle possible pour sortir de nos routines excluantes et de nos compétitions meurtrières. Ceux que nous laissons dériver et mourir sur des embarcations de fortune ou végéter dans le quart-monde de nos sociétés, ne témoignent pas seulement des failles de nos ordres établis, mais sont un appel à une compréhension plus grande du monde.

C’est ce qu’exprimait Michel Serres, ce grand éveilleur intellectuel qui vient de nous quitter. Évoquant sa rencontre avec le mouvement ATD Quart-Monde et les écrits de son fondateur, le père Joseph Wresinski, il écrivait ceci : « Comme tout le monde, quand on est très loin de ces choses, on attend un discours presque convenu, ce discours que dans les journaux on appelle “caritatif” et je m'attendais, comme tout le monde, à ce genre de discours. Eh bien, pas du tout. J’ai trouvé dans ces textes une pensée qui interrogeait avec une vivacité surprenante et une vigueur extraordinaire – ce justement dont j'avais besoin – qui interrogeait réellement l'histoire, les sciences humaines, la sociologie, l'ethnologie même, l'économie, la politique, la culture, l'apprentissage, la pédagogie, et qui les interrogeait de telle façon que je conseille désormais à mes étudiants de lire les écrits du père Joseph » (2).Mettre les exclus au cœur de notre engagement dans la société, non pas d’abord pour les « expliquer », mais d’abord pour entendre leur parole constitue le moteur essentiel de son renouvellement.

Le verset biblique qui nous dit : « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs devient la pierre d’angle » (3) n’exprime pas seulement une vérité spirituelle, mais le fondement de toute pensée de l’humanisation de nos sociétés. Pour Emmanuel Levinas, « c’est l’unique modalité possible de la transcendance » : « L’idée d’une vérité dont la manifestation n’est pas glorieuse, ni éclatante, l’idée d’une vérité qui se manifeste dans son humilité, comme la voix de fin silence selon l’expression biblique – l’idée d’une vérité persécutée n’est-elle pas, dès lors, l’unique modalité possible de la transcendance (…) Se manifester comme humble, comme allié au vaincu, au pauvre, au pourchassé – c’est précisément ne pas rentrer dans l’ordre. (…) Par cette sollicitation de mendiant et d’apatride n’ayant pas où poser sa tête – à la merci du oui ou du non de celui qui l’accueille – l’humilié dérange absolument ; il n’est pas du monde. (..) Se présenter dans cette pauvreté d’exilé, c’est interrompre la cohérence de l’univers. Percer l’immanence sans s’y ordonner » (4)

Si la parole de l’exclu évite de succomber au totalitarisme de la pensée pour ouvrir à la transcendance, la défense des droits de l’homme qui en découle permet d’échapper au totalitarisme de l’État : « La défense des droits de l’homme répond à une vocation extérieure de l’État, jouissant, dans une société politique, d’une espèce d’extra-territorialité, comme celle de la prophétie devant les pouvoirs politiques de l’Ancien Testament. (…) La possibilité de garantir cette extra-territorialité et cette indépendance, définit l'État libéral et décrit la modalité selon laquelle est, de soi, possible la conjonction de la politique et de l’éthique » (5).

• Vincenzo SORRENTINO : Face      aux migrants : le silence et le regard »,      éditions François Bourin, 2019. Cf. l’analyse de l’ouvrage par Elodie      Maurot : Polyphonie pour les migrants. Dans un essai      choral au ton méditatif, le philosophe italien Vincenzo Sorrentino cherche      à réveiller la compassion pour les migrants, in journal La      Croix du 6 juin 2019, page 11.

• Michel SERRES : Autour      du Père Joseph Wresinski, in      revue Quart Monde n°145, 1992, page 11

• Psaume 118,      22-23et Évangile de Matthieu, 21, 42.

• Emmanuel LEVINAS : Un      Dieu Homme ? in Entre      nous. Essais sur le penser-à-l’autre, éditions Grasset, 1991,      page 71.

• Emmanuel LEVINAS :      Les droits de l’homme et les droits d’autrui in      Hors sujet, éditions Fata Morgana, 1987, page 185.

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Homosexualité et Spiritualité

« Prêtre, j’ai décidé de vivre avec mon homosexualité, et non contre elle »

 Eclairage de Laurence Cossé sur son choix de ce texte :

Depuis la nuit des temps, et jusqu’à une époque très récente, l’Eglise catholique a condamné les mœurs homosexuelles comme étant une « abomination » (Lévitique, 18,22), des « actes honteux » d’« inconduite sexuelle » (Saint Paul, Rom 1.26-28 et 1 Tm 1.9-11).

Il y a quelques mois, un prêtre en exercice de la même Eglise a témoigné dans un article publié par La Croix que l’homosexualité, « condition non choisie », n’empêche ni d’être profondément croyant ni d’avoir vocation à la prêtrise. Son texte me paraît magnifique de foi, de force et d’humilité. Ce que montre surtout ce témoignage, c’est combien, malgré l’évolution du regard sur les homosexuels, la condition homosexuelle reste un chemin de Croix. Car, dans les faits, l’homophobie reste la norme.

 

Nous sommes tous homophobes, le plus souvent sans le savoir -parfois même en étant persuadé du contraire - ni sans savoir pourquoi. Il faut nous demander pourquoi.

La parution, ces jours-ci, du livre Sodoma de Frédéric Martel ainsi que les pages de La Force de la vocation du pape François consacrées à la question de l’homosexualité dans le clergé, me poussent à vous donner mon témoignage.

Né dans une famille catholique pratiquante, j’ai entendu l’appel à donner ma vie au Seigneur pendant l’enfance, bien avant que se posent dans ma vie les questions en rapport avec la sexualité. Au moment de la préadolescence, j’ai subi, sans pouvoir le définir comme tel à l’époque, un épisode d’abus sexuel de la part d’un jeune plus âgé de mon entourage, alors même que ma sexualité commençait à peine à s’éveiller. Cet événement m’a fait entrer dans une période de confusion qui a conduit à l’abandon de la question vocationnelle. Celle-ci est pourtant revenue, plus vive, au cours de mes études secondaires, m’incitant à prendre les moyens d’un discernement.

La question du célibat n’en était pas une pour moi, n’ayant pas d’attrait pour la gente féminine, ni de relations sexuelles. Celle de la chasteté vécue dans la continence l’était davantage : la vie pulsionnelle me conduisant souvent à la masturbation. J’interprétais, à l’époque, le trouble que provoquait en moi la vue ou l’idée du sexe masculin comme une séquelle de l’abus sexuel vécu dans la prime adolescence. Et c’est comme tel que j’ai pu en faire état à mes accompagnateurs spirituels successifs, ce qui était pour moi la source d’un grand soulagement.

Une compréhension plus fine du mécanisme qui conduit au déni

Après un chemin de séminariste marqué par des périodes de doute légitimes et des signes confirmant ma vocation, j’ai été ordonné prêtre. Le trouble demeurait. Ma vie de prière était souvent un appel à l’aide du Seigneur. C’est après sept ans d’ordination, au détour d’une conversation profonde avec un ami, que la réalité de mon orientation homosexuelle m’est apparue. Ce fut à la fois un étonnement, un sentiment de profonde réconciliation avec moi-même et une colère : comment avais-je pu vivre à ce point dans le déni ?

J’ai entrepris une psychanalyse qui m’a conduit à une compréhension plus fine de mon fonctionnement psychique, et en particulier du mécanisme qui conduit au déni : l’homophobie intériorisée. Il s’agit de l’intégration dans la profondeur du psychisme de l’environnement homophobe dans lequel nous vivons, notamment dans le discours officiel de l’Église. Puisque l’homosexualité est une condition non choisie, qui s’impose à la personne homosexuelle comme une donnée intérieure présente depuis toujours… puisque l’environnement familial, social et culturel est hostile, encore aujourd’hui en bien des lieux, à toute expression de cette orientation sexuelle… nombre de personnes homosexuelles sont dans l’impossibilité de s’avouer à elles-mêmes leur tendance profonde. Certaines vivent une telle lutte intérieure, un tel rejet d’elles-mêmes tant de l’extérieur que de l’intérieur, qu’elles en viennent à souhaiter mourir. Ce ne fut pas mon cas.

Prendre cette dimension de mon être à bras-le-corps

J’ai décidé de vivre avec mon homosexualité, et non contre elle, pour ne pas vivre contre moi. J’ai décidé de prendre cette dimension de mon être à bras-le-corps, comme le chemin étrange et particulier qui m’est proposé. Et en tant que prêtre, comme une dimension de ma vocation. Je ne crois pas que le Seigneur, lui, ait été ignorant de ma condition. Je ne crois pas que ma vocation ait été fondée sur une fuite de ma sexualité, mais bien sur un appel qui retentit au plus profond de mon être.

J’ai décidé de vivre mon homosexualité comme un chemin d’humilité. Elle me garde d’être un chrétien puant, qui regarde les autres de haut, comme le Pharisien de la parabole (Lc 18, 9-14). J’ai découvert que cette fêlure dans le piédestal est salutaire : pauvre devant Dieu, je suis gardé de la tentation de prendre sa place devant les hommes.

Ma vocation est d’être serviteur. Et j’ai pu voir à maintes reprises que ma condition homosexuelle n’était pas étrangère au service que je peux rendre en tant que prêtre, témoin de la miséricorde, pour des personnes blessées, rejetées, marginalisées.

La vie de foi, comme la sexualité, est un chemin de croissance

Le Seigneur m’a fait la grâce de n’avoir jamais eu de relation sexuelle. Je n’en juge pas pour autant mes confrères prêtres qui vivent ou ont vécu des relations homosexuelles consentantes : la répression externe dans le discours social et ecclésial, et interne dans le psychisme, est d’une telle violence parfois qu’il est impossible de tenir autrement dans une vie d’homme qu’en libérant de la pression intérieure. Je sais que pour beaucoup d’entre eux, il s’agit là d’un chemin d’humiliation.

En disant cela, je ne cherche pas à justifier des comportements. Ce n’est pas ma question. L’enjeu de mon ministère de prêtre est celui d’un pasteur à la suite du Christ : accompagner les brebis, prendre soin de celles qui souffrent, soutenir celles qui peinent. Les prêtres font partie intégrante du troupeau et, au même titre, méritent qu’on les écoute, qu’on les soutienne, qu’on les encourage.

La vie de foi, comme la sexualité, est un chemin de croissance. Personne ne peut dire qu’il est arrivé au terme de ce chemin.

Je crois que ce chemin, c’est le Christ.


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 Spiritualité et Politique

 Extrait d’un texte d’Abdennour Bidar[1], philosophe, écrivain, et fondateur du Sésame (centre de culture spirituelle)

 « Laquelle des forces politiques en présence, en effet, dispose de la grande vision capable de nous faire sortir de cette impasse ? Aucune. Pourquoi ? Parce que désormais notre crise est plus profonde encore que si elle était “seulement” politique. Elle est existentielle ou spirituelle, on dira comme on voudra, c’est-à-dire qu’elle concerne non plus simplement l’efficacité de notre organisation sociale mais – très au-delà – les fins les plus élevées que peuvent se donner une vie, une société et une civilisation humaines. Quelles sont ces fins ou finalités ultimes ? …

… Elles relèvent de “ce qu’il nous est permis d’espérer” de plus haut en tant que nous sommes humains, et là encore plusieurs mots désignent la chose : la vie juste, la sagesse, l’accomplissement de soi, etc. Or le drame est que dans nos sociétés occidentales contemporaines, nous ne partageons plus aucune conception de cette vie juste ni d’aucune sagesse. Nous ne savons plus du tout quoi viser à ce niveau-là. Nous sommes au temps de la fin des fins : absence totale de vrai cap, comme une poule qui court sans tête. Notre existence collective, et les forces politiques qui prétendent l’organiser, ne recèlent absolument plus rien de cet ordre, de cette altitude. La politique telle que les uns et les autres continuent de la concevoir et de la pratiquer a déserté ce plan. A cet égard, les hommes et leurs programmes sont remarquablement vides. Désespérément vides de sens (direction et signification). …

… N’est-il pas possible de nous rendre “libres ensemble”, de laisser démocratiquement chacun libre de choisir sa conception personnelle de la vie juste, tout en organisant la société d’abord en vue de cette finalité supérieure ?...

… De l’extrême-gauche à l’extrême-droite, en passant par les modérés de gauche ou de droite et les soi-disant “ni droite-ni gauche”, nos jeunes loups comme nos vieux renards politiques restent enfermés dans le périmètre du politique tel qu’il a été circonscrit aux XIXème et XXème siècle: un périmètre qui parle de droits et d’économie, d’Europe et des Nations, etc. mais qui laisse en dehors de lui ce qui avait pourtant été la préoccupation centrale à partir de laquelle les civilisations antérieures bâtirent, elles, tout leur édifice social, politique et culturel : la proposition d’une sagesse possible pour l’être humain. Mais qu’est-ce qui va nous permettre de rouvrir ce périmètre, de réintégrer la visée de la sagesse dans le champ du politique ? …

… Que nous est-il donc arrivé ? Pourquoi avons-nous évacué la question de la vie juste et d’une sagesse possible ? Est-ce parce que nous sommes devenus démocrates que nous avons renoncé à nous appuyer sur une conception commune de la vie juste et de la sagesse, pour laisser chacun choisir librement et personnellement la sienne ? L’ambition est louable mais le résultat est catastrophique. Nous ne “faisons plus société” au sens plein du terme, et la société devient introuvable dès lors que ne subsiste plus entre nous tous une visée commune supérieure à la prolifération indéfinie de buts individuels et du petit sens que chacun bricole de son côté. L’idée même de société est morte du fait de cette atomisation et déflation radicale du sens. Nous occidentaux sommes au terminus d’un processus de civilisation qui, dans ses dernières heures de survie, est passé brutalement d’un extrême à un autre ; du même sens imposé à tous hier, souvent par la religion, à un éparpillement ou émiettement total du sens aujourd’hui, qui aboutit plus qu’à sa dispersion en atomes individuels : à la disparition simultanée du sens lui-même et de son partage possible. …

… Il y a bien mille et une façons de donner un sens profond à sa vie, car chaque être humain est unique et spiritualiser sa vie c’est se mettre en quête de son unicité, de sa singularité.

… Au sortir des époques religieuses – où tout le monde croyait autoritairement dans le même dieu – il fallait fonder une démocratie spirituelle, une démocratie des chercheurs de sens, au lieu de cette démocratie vide de sens que nous avons crue être notre seule issue hors du religieux. Est-il encore temps de réparer l’erreur ?...   

Je dis “démocratie spirituelle” parce que la dimension spirituelle ne se limite pas au religieux. Les religions sont, pour l’être humain, une façon parmi d’autres de se relier à une sagesse possible, de trouver un chemin d’accomplissement ou de vie juste. A cet égard, il y a une vie spirituelle authentique tout aussi bien en dehors du religieux qu’au sein d’une église ou d’une confession quelle qu’elle soit – du côté de l’art, de la nature, du don de soi, et plus largement du côté de tout ce qui élargit notre conscience au-delà de notre petit ego. Il y a bien mille et une façons de donner un sens profond à sa vie, car chaque être humain est unique et spiritualiser sa vie c’est se mettre en quête de son unicité, de sa singularité. …

Nous avons si radicalement évacué le spirituel et, ce faisant, si radicalement coupé l’homme en deux, coupé nos vies en deux entre son moi social et son être essentiel, qu’il n’y a plus aucune articulation entre le sens profond et l’ordinaire de nos existences.

Notre vie sociale a besoin de la sagesse recueillie de notre vie intérieure, comme notre vie intérieure a besoin de la mise en œuvre et de la mise à l’épreuve de sa sagesse dans la vie sociale. C’est dans cette circulation à double sens entre le dedans et le dehors que nous puisons notre énergie vitale. Plus ma vie sociale exprime ma vie intérieure, et plus ma vie intérieure inspire ma vie sociale, plus je suis vivant, conscient, puissant, agissant, confiant –et compatissant, aidant, aimant, au lieu de voir en l’autre un anonyme ou un ennemi, parce que l’ouverture de l’âme vers le cœur ne rend pas simplement plus fort et lucide, elle développe aussi mon humanité. 

Pas un qui ait conscience que le but originel et primordial de l’organisation sociale est spirituel, c’est-à-dire qu’il est d’offrir à chacun l’écosystème de vie en société lui permettant de vivre relié à soi-même.

Il n’y aura plus de guérison sociale sans guérison de nos âmes. Sans réparation, réunification, réconciliation de tout ce que nous avons dissocié en toute inconscience de cause. Nos objectifs de justice deviendront toujours utopiques et irréalisables à mesure que nous finirons de tout oublier de la façon de mobiliser nos énergies spirituelles. 

S’il y a une révolution à faire, c’est celle-là. S’il y a une résistance à conduire, c’est celle-là. S’il y a comme jadis “des forces immenses qui n’ont pas encore donné”, ce sont celles-ci : nos énergies spirituelles, que nous devons réapprendre à cultiver grâce à une réorganisation complète de nos sociétés en vue de cette fin. …

… C’est ainsi un triple lien - à soi puis aux autres et à la nature - qu’il s’agit aujourd’hui de retisser. Je l’ai dit, la tâche est inséparablement politique et spirituelle. Lesquels de nos politiques seront assez lucides pour entendre cela et le porter ? S’ils ne le font pas, et ne nous invitent pas à le faire avec eux, nous les citoyens comment nous prendre en mains ? Comment nous organiser tous ensemble pour ré-spiritualiser nos vies, réaliser pleinement notre potentiel humain, et ce, je le répète, “Libres ensemble” ?

 

[1] Article du 4 septembre dernier, intitulé « Européennes : des élections dans le vide »,

 

 

Une requête de l’association Herménéo que nous soutenons :

Une émission de télévision interconvictionnelle

 

Nous demandons au service audiovisuel public la mise en place et la diffusion d’une nouvelle émission laïque dédiée au dialogue interconvictionnel et à l'art du "faire-ensemble" : une émission qui réponde aux questions de société et d’actualité, aux questions de sens et d’éthique et prônant le faire ensemble pour une société meilleure.

 

Pourquoi choisir la télévision et le service public ? 

1) Parce qu'il n'existe en France aucune émission équivalente aujourd'hui dans le PAF, à l'heure où les questions liées à la diversité et à la laïcité sont omniprésentes et urgentes. 

2) Parce que, d’une part, le service public audiovisuel d'information est par définition « public » et il se doit d’être un diffuseur d’ondes positives. D’autre part, parce qu'il est un outil irremplaçable pour la pédagogie de la laïcité et du vivre ensemble dont notre pays a tant besoin. 

3) Parce que la lutte contre la radicalisation a besoin de  concrétiser son volet informatif, culturel, et éducatif, à côté de son nécessaire volet sécuritaire. 

4) Parce qu'en dépit d'un travail de vulgarisation remarquable, l'actuelle juxtaposition cloisonnée des émissions religieuses du dimanche matin donne l'image d'une succession de communautés séparées les unes des autres, sans montrer les échanges, dialogues et rencontres qui existent (ou devraient davantage exister...) entre elles dans une société pluraliste. Du fait de ce cloisonnement, le message global envoyé grâce à cette nouvelle émission sera plus lisible et plus efficace contre la tentation du repli sur soi et le communautarisme. 

5) Par ce que dans une République laïque, aborder de façon informée et distanciée les questions liées au fait religieux, concerne tout le monde et non uniquement les seuls croyants (et à plus forte raison les seuls clercs), et ce conformément à une approche culturelle – non cultuelle – dans la même logique que l'école publique qui se doit de consacrer une partie de son programme à l'enseignement du fait religieux et à la laïcité depuis le rapport  Debray (2002) et à l'enseignement moral et civique. 

6) Parce que ces sujets complexes et sensibles sont très présents dans l'actualité et pas toujours compris ou bien présentés, alors même qu'ils intéressent le public et que tout un pan de la réalité sociale contemporaine (réalités interculturelles, interconvictionnelles, interreligieuses, etc.) est passé jusqu'ici inaperçu ou presque dans les médias. 

7) Parce qu'on présente trop souvent une image autoritaire et prohibitive de la laïcité (qui peut à terme l'affaiblir auprès d'une partie de la population), en ne soulignant pas assez sa nature essentiellement libérale qui protège toutes les convictions et favorise leur interaction par le dialogue civil et civique.

En clair (un mot) : pour faire connaître au plus grand nombre une laïcité à l'œuvre, incarnée par des acteurs pluriels reflétant la diversité et l'unité de la France d'aujourd'hui.

 

Analyse de la crise des Gilets Jaunes

Notes de lecture de Monika Sander du livre de Denis Maillard : Une colère française ; Ed. de l’Observatoire ; 2019

Intéressante analyse du mouvement des Gilets Jaunes, dont les racines plongent dans les années 70 selon l’auteur. Du XVIII° siècle aux années 1970, c’est le règne des grandes organisations (syndicats essentiellement) et autres mouvements de masse qui permettent à l’individu de se sentir membre à part entière de la société : il a des droits mais surtout des devoirs et cela suffit à son épanouissement.

A partir de 1970 la tendance s’inverse, et aujourd’hui on constate que les Gilets Jaunes éclipsent les organisations syndicales, ils ne renversent pas la table mais veulent s’y asseoir.

Le monde a changé, c’est une lapalissade de le dire, l’élection d’Emmanuel Macron le montre mais il semble que le Président ne l’ait pas compris : au lieu d’accompagner les Français, il les brutalise, il les sermonne au lieu de les écouter, il aurait dû présider sans diriger. Et les Français le rejettent. Il était chargé d’améliorer la société et en réalité il rend la vie plus difficile.

La nouvelle société est arrivée à maturité en deux ans (2017-18) : c’est une société de marché, individualiste, qui se veut hyper-démocratique, ce qui la rend en réalité quasi irreprésentable. Chacun se débrouille, prend la parole à partir des réseaux sociaux sans passer par des organisations officielles. Dans ce nouveau monde, les conflits sont plus directs, imprévisibles et radicaux, organisés par des consommateurs, des contribuables et des travailleurs. Le mouvement des GJ est né hors des espaces socialisés habituels

Notre société fluide permet à chacun en principe de mener sa vie comme il l’entend, cela explique en partie la fraternité des ronds-points, chaleureuse, sans compétition sociale, où la partie est le tout. Sans hiérarchie et posture officielle, l’ensemble reste cependant assez ambigu.

Tout cela change la position des corps intermédiaires, censés représenter le peuple et qui n’ont pas anticipé ce changement. Qui les remplace auprès de la classe moyenne ? L’agent immobilier, les émissions de télévision de conseil (La Maison de France 5, émissions de cuisine, de décoration, …). On ne joue plus collectif mais individuel.

Et c’est là que les « tutos » entrent en action, ils soutiennent l’individu dans sa quête d’autonomie, ce sont les avocats, les psys, les coaches qui permettent d’externaliser les conflits, au travail par exemple.

Les Français sont plus éduqués, ils connaissent la société de marché, cela leur confère de l’assurance, l’envie de conduire leur vie, une certaine puissance donc. Leur autonomie assumée n’est pas soutenue par l’Etat qui provoque une insécurité plurielle (culturelle et identitaire due à la mondialisation) par sa politique administrative, économique et sociale (changement des règles, pression sociale et environnementale). Cet Etat monarchique n’a plus cours, la société s’oriente vers la démocratisation et la délégation. Qui dit nouvelle forme de représentation dit nouveaux intermédiaires : ce sera une personne concrète dont le rôle est de révéler l’individu et l’amplifier.

Les GJ n’abandonnent rien d’eux-mêmes, la colère leur suffit, parle pour eux. On partage entre individus ce qui relie : émotions, coups de gueule comme lors d’un méga-concert, d’un match de foot, d’un attentat.

Finie la culture de la déférence qui était de mise quand un ouvrier parlait à son patron, le « sachant ». L’expérience donne la légitimité pour dire les choses sans fard même avec radicalité, pas besoin de porte-parole.

De ce point de vue, les GJ ont bien choisi leur lieu d’expression : chacun connaît les ronds-points, ils se trouvent souvent loin de tout mais permettent aux conducteurs autonomie, fluidité, évitement des conflits – à l’image de la société de marché.

Autre point très important : le back office

Après les Trente glorieuses, la société de marché bouleverse également l’économie, pas seulement la situation politique et sociale, l’économie se reconfigure autour des services.

Depuis les années 70 on assiste donc à une crise qui va de pair avec les prémices de la mondialisation : Avec la nouvelle importance donnée au client, l’augmentation de la concurrence et la transition numérique transforment les entreprises.

Tout cela redistribue les rôles sociaux et divise les lieux de travail en back office et front office, ombre et lumière. Les individus qui travaillent en back office ont fait moins d’études, travaillent sous contrainte et se croient invisibles. Et pourtant ce sont eux qui font tenir la société qui ne leur accorde aucune reconnaissance. Cela crée deux France : l’une travaille à l’épanouissement de l’autre.

Le GJ, artisans, autoentrepreneurs, travailleurs nomades manifestent contre cette situation, ils veulent rétablir une relation plus égalitaire, prouver leur autonomie et leur capacité d’initiative grâce au travail pour se libérer d’une société hiérarchique.

Le seul moyen actuellement pour empêcher que l’individu ne fasse qu’un avec son travail est le contrat de travail et comme la société de marché ne le souhaite pas, il y danger de conflit. Le back office est au courant de la situation mais il est lié au marché et de ce fait au front office. D’où lutte mais qui ne signifie plus de classe, ces clivages politiques et sociaux sont dépassés. Quelque chose de nouveau émerge : le mépris social qui se traduit par la colère, la révolte et peut aller jusqu’à la violence. Il reste une seule valeur supérieure et englobante : la nation. E. Macron l’a appris à ses dépens, les gouvernants doivent tenir compte de l’imaginaire, des émotions, des tourments. Deux sociétés se font face : une partie n’hésite pas devant une certaine brutalité des rapports sociaux ; l’autre partie, le monde du travail, est très policée.

Tout ce qui n’est pas l’Etat forme aujourd’hui la société civile (au Moyen-Âge ce sont l’Eglise et la vérité ecclésiale qui représentent cette société-là). Le pouvoir lui dénie toute influence.

Seule la CFDT a cherché à jouer un rôle à la hauteur de ses responsabilités, mais ce qu’elle gagne dans les entreprises, elle le perd en politique. Est-ce le rôle des syndicats de se recentrer sur l’entreprise pour trouver leur place dans la société ?

Le conseil social et économique (CSE) génère bien un plan social, syndical. Mais la parité est obligatoire – ce qui n’est pas le cas dans les syndicats ; et cela pose le problème de la légitimité des représentants syndicaux.  La tension entre la démocratie politique et le dialogue social joue contre les syndicalistes. Une manifestation garde sa nuisance mais elle ne représente plus qu’elle-même.

Il faut domestiquer la société de marché pour la rendre gouvernable et agréable à vivre pour ses membres sans nier ce qu’ils sont : des individus autonomes ; considérer leur expérience comme un savoir ; accorder de l’importance au travail redevenu central. Identifier ceux qui feront le travail social de demain.

Cela peut être le projet du syndicalisme : sécuriser le passage d’une société d’indépendants en un pays rendu à son commun qui en France s’appelle la République.

Qui ? Des trentenaires, féminisés, différents, agissant et réfléchissant autrement, venant d’autres mondes.

 

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Libres propos : Michel Serres, mousquetaire et prophète de la philosophie – Daniel Lenoir

Des trois mousquetaires de la Philosophie qui nous ont aidés à passer du vingtième au vingt et unième siècle, Edgar Morin toujours actif, René Girard, qu’il avait accueilli à l’académie française et qui l’a précédé il y a presque quatre ans, Michel Serres qui vient de nous quitter occupe une place particulière. Contrairement aux deux précédents, l’académicien n’a pas forgé l’épée tranchante d’un nouveau concept, comme la complexité chez l’un, ou le désir mimétique chez l’autre. Philosophe intuitif plutôt que systémique, espiègle plutôt que sentencieux, optimiste, ou plus exactement positif, plutôt que pessimiste, il a, en revanche souvent perçu avant tout le monde, à contre-courant des idées reçues, ce qu’on appelle improprement les signaux faibles, et qui ne sont faibles que parce que, tels ces « méchants faits  qui, selon Marc Bloch, viennent détruire les belles théories », ils ne sont pas sous le lampadaire des zélateurs aveuglés par la lumière de leurs dogmes. « Je n’ai pas de logo, pas de marque » revendiquait-il.

Plutôt que des concepts, il a préféré inventer des personnages, à l’image du plus célébré d’entre elles, « petite poucette » (c’est quand même plus joli que digital native), la fille de maintenant, c’est à dire celle qui tient dans sa main le monde entier, ou de « grand papa ronchon », qui ne cesse de répéter, contre toute évidence que « c’était mieux avant ».

Ainsi il a été l’un des premiers, en 1990, à intégrer dans une vision du monde l’enjeu environnemental, en proposant avec le contrat naturel de donner des droits à la nature, ou plutôt de donner le statut de « contrat » à la symbiose entre les humains et la planète : « la symbiose admet les droits de l’hôte, alors que le parasite -notre statut actuel – condamne à mort celui qu’il pille et qu’il habite sans prendre conscience qu’il se condamne lui-même à disparaître ». Un parasite qu’il personnalisera quelques années plus tard avec la figure du « malpropre », celui qui affirme son droit d’abuser en salissant de ses déchets l’habitat commun.

Il a été aussi un des premiers, en 2012, à analyser, avec la figure de la « petite poucette », les conséquences cognitives, sociales et sociétales de la révolution numérique, non pour la rejeter, mais avec le souci d’en identifier les opportunités autant que les risques, en essayant d’en analyser les conséquences sur les rapports au savoir et à leur transmission, appelant, face au « renversement de la présomption de compétence » entre le maître et l’élève, à une véritable révolution pédagogique, qui avait déjà pris la figure du « tiers instruit ».

Familier, comme Bachelard, de ces  sciences qu’on dit dures  et des mathématiques qui leur ont fourni un code de compréhension, autant qu’attentif à la poésie des images, attentif à toutes les formes de codification, comme l’informatique ou le droit, tout autant que de tintinophile, sceptique et agnostique tout autant que religieux, ce philosophe prophète n’était pas comme Philippulus (celui de l’étoile mystérieuse) annonciateur de catastrophes, mais découvreur de nouveaux chemins de vie pour l’humanité.

 

 

 

Informations diverses

 

• C'est avec une immense tristesse que nous apprenons le décès de Jean-Pierre Worms, président de la Fonda de 2004 à 2008, et compagnon de route de toujours.

Sociologue, homme politique et militant associatif, Jean-Pierre Worms a défendu toute sa vie les droits sociaux, la liberté associative et le pouvoir d’agir des citoyen.ne.s.

À travers la multiplicité de ses engagements intellectuels, politiques et associatifs, la vie de Jean-Pierre Worms témoigne d'une cohérence profonde, celle d'un humanisme inquiet et actif, cherchant inlassablement, dans le questionnement, la création et l'expérience, ce qui peut faire se rejoindre l'impératif de l'intérêt général et la capacité, pour chaque individu, d'exprimer et de déployer sa singularité.

Jamais dupe des postures institutionnelles, toujours attentif à ce qui émerge dans la société, il aura été un homme de liens, de main tendue et de bras ouverts.

Jean-Pierre Worms allait avoir 85 ans.

Nils Pedersen, président, et toute l'équipe de la Fonda.

 

• Vendredi 5 et samedi 6 juillet, dans le cadre des Dialogues en humanité qui se déroulent chaque année à Lyon, au parc de la Tête d’or, Régis Moreira a animé deux ateliers de 2 heures chacun dans le parcours Inventer demain en interrogeant les Récits qui façonnent nos vies :

ü  Un atelier Mes Ailes et Racines : chacun a décrit à partir de ses engagements sociaux ce qui a nourri son parcours de vie, en cherchant ses racines intérieures, son souffle et sa source d’inspiration.

ü  Un atelier Ma Boussole personnelle : Dans ce monde si déboussolé, comment je garde mon cap pour une vie où beaucoup de choses sont à concilier en même temps afin de trouver le bon équilibre de vie. Chacun dessinera sa boussole, puis nous les confronterons.

Contact :http://dialoguesenhumanite.org/meetup/514/2019-programme-lyon-5-6-et-7-juillet

 

• Du dimanche 28 juillet 18h au lundi 5 août 2019 à 14h, l’association « Initial « propose à Mirmande un séminaire sur le thème : « de Marcel Légaut à Maurice Bellet, qu’est devenue la question de l’humanité ? » http://www.initial.asso.fr/

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« Trois maîtres du silence intérieur : Le Pèlerin russe, Maurice Zundel (1897-1975) et John Main (1926-1982) ». Introduction à l’anthropologie et à la pratique de la prière silencieuse. Session animée les 27 au soir, 28 et 29 septembre 2019 par Michel Fromaget, anthropologue, maitre de conférences, auteur de très nombreux ouvrages dont Corps-âme-esprit – introduction à l'anthropologie ternaire, éd Almora (2017).  Au monastère de GRENTHEVILLE (Calvados). www.annonciade.info/grentheville-2

            Conférence I : « Notions préalables d’anthropologie chrétienne »

            Conférence II : « Maurice Zundel et le sens du silence intérieur »

            Conférence III : « John Main et la pratique du silence intérieur »

            Conférence IV : « Le silence et l’écoute intérieure dans le christianisme oriental »

            Conférence V : « Le silence et l’écoute intérieure dans le christianisme occidental »

            Conférence VI : « Silence et seconde naissance : Le cas Etty Hillesum  »

Session avec ateliers de méditation chrétienne                                  

« Il n’y a pas d’intériorité, pas de spiritualité, pas de rencontre avec la Beauté sans recherche du silence, sans amour du silence. Sur ce point la tradition spirituelle universelle et unanime n’a, à ma connaissance, jamais varié : il n’y a pour l’homme qu’un seul moyen d’entendre et d’écouter l’appel de l’être, qui est de faire en lui le plus grand et le plus profond silence. A la lumière des écrits de trois grands spirituels de notre temps, cette session propose une découverte de l’histoire, de la signification et de l’art du silence intérieur. »

Informations et inscriptions (nombre de places limité) :

Mail : nadine_fromaget@hotmail.com                                              

Tél :   06 17 17 50  95