En-tête

 

 

 Lettre de D&S n°167

Janvier 2020

 

Table des matières

Éditorial

Dossier du mois : La radicalisation – une question pour la démocratie

Résonances spirituelles face aux défis contemporains

Nouvelles exigences démocratiques

Que font nos partenaires ?

Notes de lectures

Agenda

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Editorial

"Mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde" (Albert Camus).

 Le 11 janvier 2015, il y a aujourd'hui cinq ans, a été un grand moment de communion républicaine et nationale qui a mis plus de 4 millions de personnes dans la rue et fait tomber les manifestants dans les bras des policiers. Mais après "Je suis Charlie", il a fallu trouver les mots pour dire l'événement, expliquer la violence, panser les blessures, prévenir les répliques qui, hélas, n'ont pas manqué depuis. Les attentats ont conduit la société française à interroger, avec des préoccupations nouvelles, des notions anciennes comme la laïcité, la radicalisation, les dérives sectaires ou religieuses, ou le communautarisme, par exemple, qui sont devenus depuis facteurs de division et de polémique.

Certains y ont même vu de nouveaux arguments pour justifier un vieux cancer de nos sociétés, le racisme. Pour autant se poser ces questions à propos des dérives de l'islam, ou plus précisément de l'islamisme, ce n'est pas tomber nécessairement dans une islamophobie aux relents xénophobes ; à condition, faut-il le rappeler, de ne pas en réserver l'usage à la seule religion musulmane, mais de l'appliquer aussi à toutes les religions ou convictions, dont on sait le potentiel d'intolérance dont elles peuvent être porteuses. A condition, enfin, de ne pas confondre les mots et les problèmes qu'ils désignent.

 "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde". Ce précepte de l'auteur de "La Peste", dont nous célébrons cette année le soixantième anniversaire de la mort accidentelle, et qui, à un moment, n'a plus su trouver les mots pour dire le drame algérien, n'a peut-être jamais été d'une aussi grande actualité depuis, comme on le voit aujourd'hui avec les polémiques sur l'islamisme et l'islamophobie.

 Avec Pierre N'Gahane (c'est l'objet du dossier de cette première lettre de l'année), nous avons essayé, lors de la conviviale du 17 décembre, de décrypter les mécanismes de la radicalisation[1]. Si celle-ci tend à abolir toute distance critique des individus vis à vis de leurs propres convictions et est donc un vecteur d'intolérance, elle ne conduit pas nécessairement à la violence ni, a fortiori, au terrorisme : il ne faut pas assimiler celui-ci avec celle-là, même si elle en est, incontestablement, le terreau.

 De même, si la radicalisation se développe sur le terreau du communautarisme, cela ne doit pas conduire à interdire toute forme de communautés, dès lors que celles-ci ne viennent pas contester l'appartenance à la communauté nationale, symbolisée par la République, dès lors aussi que les normes qu'elles promeuvent ne viennent pas contester les lois de la République, a fortiori vouloir s'imposer à elles et donc à tous.

De même, il faut faire une distinction entre une radicalité citoyenne qui prend sur soi et s’engage au bénéfice de l’autre et de la collectivité en respectant sa liberté, et une radicalité qui poursuit des objectifs inverses.

De même, la laïcité, mise à toutes les sauces, n'est pas une panacée, le remède à tous nos maux, le mot à opposer à tous les mots, la réponse à apporter à tout ce qui nous inquiète : la laïcité est, et ce n'est déjà pas si mal, un régime juridique du religieux dans notre République; avec deux principes, celui de la liberté religieuse et celui de la neutralité de l’État, et un corollaire essentiel : aucune religion ou conviction, y compris l’athéisme, ne peut vouloir imposer son imperium à l'ensemble de la société.

De même, il ne faut pas confondre la laïcité, qui est essentiellement neutralité et distance critique, avec le dialogue interreligieux : si l'une est le terrain sur lequel l'autre peut pousser, et celui-ci l'occasion d'illustrer les vertus pacificatrices de la laïcité, la laïcité, en tant que telle, n'a pas plus à promouvoir ce dialogue, nécessaire, mais qui relève d’un autre registre, qu'à promouvoir telle ou telle religion, comme d'ailleurs à développer des pratiques antireligieuses qui en sont tout autant une déviance que son instrumentalisation au profit de formes déguisées de racisme..

C'est la raison pour laquelle D&S a engagé des travaux sur les deux sujets, avec la volonté de valoriser le potentiel pacificateur de la laïcité et le potentiel mobilisateur des spiritualités, dans le dialogue interconvictionnel, pour faire vivre, ensemble, une République démocratique.

 

JB de Foucauld et D.Lenoir, Paris, le 11 janvier 2020

PS : bien sûr cette première lettre est aussi l’occasion de souhaiter à tous nos adhérents et sympathisants une bonne année 2020, comme nous avons souhaité le faire en intitulant le séminaire d’étape de notre enquête « sol invictus ». Ce dont nous rendrons compte dans notre prochaine lettre.

 

[1] Lire  Olivier Bobineau et Pierre N’Gahane, Les voies de la radicalisation, comprendre pour mieux agir, Armand Colin, 2019.

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 DOSSIER DU MOIS :

La radicalisation – une question pour la démocratie

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Suite à la CONVIVIALE du mardi 19 Novembre à la Fondation Jean Jaurès avec le préfet Pierre N’Gahane, en partenariat avec l’association Hermeneo :

 

La radicalisation : une question pour la démocratie, une question pour les spiritualités.

Pierre N’Gahane, préfet, ancien secrétaire général du CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation), économiste, ancien vice-président de l’Institut catholique de Lille, chargé notamment des questions éthiques.

Pierre N’Gahane est, avec Olivier Bobineau, l’auteur de La voie de la radicalisation- Comprendre pour mieux agir (mai 2019)

 

Synthèse

Daniel LENOIR, vice-président de D&S introduit la conviviale en présentant Pierre N’GAHANE et en soulignant les défis que pose la radicalisation pour la démocratie et la spiritualité. Il évoque l’ouvrage Les voies de la radicalisation, que Pierre N’GAHANE a co-écrit avec Olivier BOBINEAU, sociologue. L’une des idées développées dans cet ouvrage à caractère anthropologique et sociologique, est que l’intransigeantisme musulman, s’exprimant à travers la radicalisation djihadiste, offre des réponses différentes aux « 3 E » permettant la construction de l’identité : l’estime de soi, l’équité et l’espoir. Or, derrière les questions d’identité, il y a celles de la spiritualité et de la démocratie.

A sa lecture, Daniel LENOIR a relevé trois points d’interrogation : le premier tient au fait qu’il est surtout question de la deuxième génération issue de l’immigration alors que ce qui est décrit à propos de la radicalisation concerne la troisième. Le deuxième concerne la nature des liens entre radicalisation non violente, cœur de l’ouvrage, et radicalisation violente. Le troisième a trait à la radicalisation des Français « de souche » convertis, dont il n’est pas question.

 

Pierre N’GAHANE rappelle tout d’abord son engagement dans la mission de secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, ayant abouti à la construction du dispositif actuel, avec notamment le numéro vert permettant des signalements en cas de suspicion de radicalisation. Le début de cette mission a été marqué par de nombreux échanges, et en particulier avec Olivier BOBINEAU. L’idée de départ de ce dispositif a été d’utiliser une approche sociologique, celle semblant la plus pertinente, et de raisonner par rapport à la réponse publique qu’il était possible d’apporter. Or, cette réponse publique devait différer suivant le type de profil en jeu : une personne profondément dangereuse appelle des outils de sécurité et de sûreté de l’État, avec un travail de services spécialisés, tandis qu’une personne radicalisée et intransigeante (avec un caractère religieux ou non) sollicite des outils différents… et moins évidents lorsqu’il n’y a pas de trouble à l’ordre public et pas d’apologie du terrorisme. Au début de la mission, il existait des études sur les personnes d’origine maghrébine, sur les personnes s’étant repliées sur elles-mêmes (notamment les salafistes) mais peu sur les convertis, et pas encore sur les djihadistes. L’effort a donc porté sur la radicalisation non violente.

 

Pierre N’GAHANE rappelle la définition de la radicalisation que donne Farhad KHOSROKHAVAR, sociologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) : processus par lequel un individu ou groupe d’individus adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, sociale ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel. » Néanmoins, il souligne qu’il s’agit d’aller au-delà du seul caractère violent. Il propose avec Olivier BOBINEAU la définition suivante : la radicalisation est le processus social par lequel un individu met une valeur, une norme, un principe comme premier, source, fondement et racine de toute identité individuelle ou collective à l’exception de tous les autres. Par cette construction, ils sont tous deux arrivés à dire qu’aujourd’hui, nous nous trouvons à la confluence de trois formes de radicalisation :

 

• La radicalisation identitaire et communautariste : une radicalisation non religieuse mais une sorte de repli sur soi, pouvant être communautaire ou communautariste. Elle regroupe des personnes perdues et vulnérables. Des orphelins de sens, vivant des frustrations, ne se sentant pas forcément intégrés dans la société, utilisant les réseaux sociaux comme repère(s), et pouvant amener à un repli communautaire, davantage marquée par une approche culturelle pouvant ressembler à la religion.

• La radicalisation religieuse salafiste ou frériste : plus embarrassante, reposant sur une école juridique (le hanbalisme) marquée par le souhait de retourner à la pensée des pieux ancêtres. Le salafisme est fondamentaliste, littéraliste et ne fait pas de place à l’exégèse et à l’herméneutique. Les Frères musulmans en sont une composante politique, se développant dans certains quartiers.

• La radicalisation violente djihadiste et terroriste : les premiers attentats de ce genre ont eu lieu en France l’été 1995 (attentat dans le RER B à St Michel). Il y a eu ensuite Toulouse avec Mohamed MERAH en 2012. Après 2015, plus aucun Français ne peut plus dire qu’il ne sait pas de quoi il retourne à propos de ce type de radicalisation (attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 et au Bataclan en novembre 2015).

Ces trois formes de radicalisation se sont rencontrées en même temps. Avec la question suivante qui se pose : quelles réponses publiques apportées ? Le résultat n’est pas ( ?)le plus musclé (adapté) pour toutes les formes de radicalité nous dit Pierre N’GAHANE. Cela constitue un véritable défi pour notre démocratie, par rapport notamment à notre principe de laïcité en tant que liberté de conscience et liberté de culte, dans le respect de l’ordre public et sans apologie du terrorisme. Car autant il est possible d’en parler, d’identifier les difficultés, autant il est compliqué d’aller chercher des personnes qui sont en voie de radicalisation. De surcroit, de nombreux sujets de société sont identifiés comme ayant un caractère religieux, mais sont davantage des questions de normes sociales. Cela reste un enjeu fondamental, sur lequel il est difficile de légiférer.

Pierre N’GAHANE estime qu’aujourd’hui nous sommes à la croisée des chemins et qu’il faudrait prendre les choses par le bon bout : avoir du discernement par rapport aux différentes formes de radicalisation, en considérant que toutes ses formes ne sont pas violentes. La laïcité représente un atout indispensable qui permettrait de concilier ces personnes se radicalisant avec la Cité.

 

Mohamed KHENISSI, membre de D&S, président de Hermeneo, ouvre le débat en répondant à Pierre N’GAHANE. Suite à la lecture de l’ouvrage, il relève tout d’abord la découverte d’une approche anthropologique et sociologique de la radicalisation non violente, et pose la question de savoir comment ce retour au religieux est interprété (après 1989, année charnière où la figure du maghrébin va être remplacé par celle du musulman, où le fait religieux va apparaître dans le discours des politiques, après les années 2000 avec le choc des violences, le salafisme, le retour aux sources, …).

Pierre N’GAHANE mentionne que le retour du religieux débute dans les années 1990, et monte en puissance dans les années 2000. Autant, lors de la marche des beurs, il était question d’un islam séculier, un islam des pères où le référentiel identitaire n’est pas la norme religieuse, autant aujourd’hui il s’agit d’un islam des pairs, construit par réseau(x), avec un choc religieux arrivant à un moment propice. Quant au salafisme, Pierre N’GAHANE estime qu’un certain nombre d’écrits, comme ceux d’al-Souri, ont permis de diffuser un « kit » permettant à des orphelins de sens d’épouser cette idéologie salafisante.

Mohamed KHENISSI pose la question de savoir si le discours quiétiste, diffusé depuis une quinzaine d’années en Europe, n’aurait pas favorisé la réception d’un discours djihadiste car alors même qu’il est souvent entendu que le salafisme quiétiste n’est pas à craindre, il existe pourtant de nombreuses ruptures (parité hommes/femmes, liens entre musulmans et non musulmans notamment).

Pierre N’GAHANE rappelle que, même si le salafisme est par nature quiétiste et n’est pas forcément politique, il reste peu compatible avec notre vie républicaine et démocratique. Or, même s’il y a cette incompatibilité, une législation interdisant le salafisme reste difficile à concevoir.

Mohamed KHENISSI demande si nous n’allons pas vers des formes de radicalisation plus politiques, le « kit » identitaire existant toujours, avec des personnes prêtes à s’engager sur la scène politique.

Pierre N’GAHANE estime que l’enjeu de société est la réponse publique aux trois formes de radicalisation évoquées. Pour la radicalisation djihadiste, les réponses existent, même si elles sont à compléter. Les réponses restent à construire pour ce qui a trait au repli identitaire, communautariste, même s’il y a déjà eu des réponses en matière de politique de la ville (existante depuis 40 ans), avec l’enjeu de l’intégration, les réponses en matière sociale, éducative. Là où Pierre N’GAHANE estime que l’enjeu le plus important est la radicalisation religieuse, qu’elle soit salafiste ou frériste (politisée). Or, même si le principe de laïcité implique qu’il n’est pas possible de faire tout ce que l’on souhaite, il n’est pas pour autant forcément aisé d’apporter des réponses.

Suite à des questionnements de Patrick BOULTE (à propos du rôle de l’État dans l’organisation de l’islam en France et de l’adaptation de l’islam aux réalités contemporaines) et d’Yvon RASTETTER (à propos du salafisme), Pierre N’GAHANE est amené à rappeler que la branche salafiste de l’islam en France n’est pas majoritaire et que l’islam a toujours été en dialogue avec les autres religions. L’État français a recherché lui aussi ce dialogue depuis Lionel Jospin, et a été confronté au fait que, dans le sunnisme, majoritaire en France, il n’y a pas d’ordonnancement hiérarchique. Après la stabilisation du périmètre du Conseil français du culte musulman (CFCM) sous Nicolas SARKOZY, des réunions régulières ont eu lieu, avec l’union des mosquées aussi, pour construire un certain nombre de repères (carrés musulmans, mosquées, …). Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à l’État d’interférer dans la manière dont l’islam doit être pensé. Pour que l’islam en France soit un islam de France, après la loi de 1905, il est important de le légitimer, d’avoir les moyens de disposer d’imams non financés par des pays étrangers (la moitié l’est actuellement). Cela ne peut se faire que par les musulmans eux-mêmes, dont la communauté est évaluée entre quatre et cinq millions environ. Les enjeux sont colossaux.

Jean-Claude DEVEZE pointe notamment la faiblesse de l’État français par rapport à certains pays étrangers (Turquie, Arabie saoudite) et pose la question de savoir comment les femmes auront à l’avenir davantage de place, avec l’idée que cela amènera plus de raison, notamment par rapport à la radicalisation.

Pierre N’GAHANE souligne que certains, à l’instar de Faker COCHRANE, théologien néo-mutazilite, jouent la mixité, avec une approche plus moderne du culte. A propos des relations avec certains pays, même s’il n’est pas question de porter de jugement sur ce qui se passe au sein de ces pays, il n’en demeure pas moins que ces relations ont favorisé l’arrivée de certaines pratiques posant des difficultés. Avec un islam salafisant et politisé (essayant de reconnecter le politique et le religieux dans un système où la laïcité est un principe de séparation), il y a lieu de se poser des questions car il est fort probable qu’il y ait une stratégie sournoise d’entrer (dans les institutions, l’aide sociale, l’enseignement,). Et en premier lieu que les musulmans se posent des questions afin qu’ils s’organisent mieux pour éjecter cet islam incompatible avec la République.

Suite à une question de Yannick MOREAU à propos de la radicalité religieuse, Pierre N’GAHANE rappelle que nous sommes dans un pays où toutes les religions sont autorisées et l’État s’assure que les personnes puissent vivre leur religion. Ce qui pose problème dans ce cadre, c’est la dimension politique, avec ceux ayant un objectif de substitution, passant d’un salafisme quiétiste (pas que musulman) à un salafisme politique.

 

Michel GANANSIA pose la question de la prospective à 5/10 ans, ce à quoi Pierre N’GAHANE répond qu’un pas de géant a déjà été réalisé, avec notamment aujourd’hui environ 2500 mosquées et lieux de prière sur le territoire français. Cette trajectoire ne reculera pas, et il s’agira de tenir compte de la présence musulmane dans l’espace français, avec des besoins grandissants. Un rattrapage nécessaire pour que les musulmans ne soient plus dépendants de pays extérieurs, et une autonomisation et une protection par rapport à cela. Par ailleurs, la Fondation de l’Islam de France a récemment été créée.

Jean-Baptiste de FOUCAULD conclut la conviviale en retenant l’idée des trois types de radicalisation, avec notamment la radicalisation religieuse posant problème car, lorsqu’elle se traduit par un retranchement de la société, elle est contraire au principe de citoyenneté. Il rappelle ce que sont pour lui les sources de radicalisation : d’une part le produit de la relativisation des valeurs, de l’exclusion et de la précarité (la radicalisation est alors une espèce d’accès à l’identité, presque un appel d’air essentiel), d’autre part la radicalité individualiste, où tout le monde veut ses droits, où le fait de s’effacer devant l’intérêt général n’est plus admis, où la société développe plus vite les désirs que les moyens de les satisfaire. Face à cela, Jean-Baptiste de FOUCAULD propose deux approches : la première est écologique et sociale, avec un projet collectif plaçant en son cœur la question de la justice. A une époque où il n’existe plus d’idéologie permettant de canaliser la violence et de faire attendre la satisfaction. Une époque ayant besoin de recréer de la mixité sociale, où les gens devraient aussi davantage se parler. Avec le redoublement du problème par la question écologique et environnementale. La seconde porte sur le combat théologique sur la démocratie : la démocratie est-elle conforme au plan divin ou non ? Dieu est-il tolérant ou intolérant ? Veut-il des comportements imposés de l’extérieur par contrainte et non par adhésion profonde ? Ou veut-il l’amour ?

Du point de vue de Jean-Baptiste de FOUCAULD, ce travail peut venir des religions elles-mêmes, avec notamment un débat nécessaire au sein de l’islam. Il faudrait également que des associations comme D&S y participent à leur manière, en affirmant et proclamant que la démocratie est plus spirituelle que l’intolérance. Il y a par ailleurs de quoi fonder une théologie de la démocratie avec les textes religieux (Jacques MARITAIN a été à cet égard le premier à le dire du côté catholique). Combat social et combat théologique à mener donc, à même de lutter contre les sources de radicalisation.

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Résonances spirituelles face aux défis contemporains :

Chronique de Bernard Ginisty du 25 octobre 2017

En quête de « radicalité »

Étrange destin que l’utilisation du mot « radical » dans l’histoire politique française. Depuis la troisième République, où il fleurait bon le cassoulet des banquets républicains et les combinaisons politiciennes jusqu’à ces jeunes islamistes « radicalisés » permettant à Ben Laden de proclamer à la face de l’Occident : « il y a autant de jeunes musulmans prêts à mourir que d’américains qui veulent vivre », le mot « radical » a occupé tout le spectre de l’engagement politique. Et, face à cette dérive, la République ouvre, avec plus ou moins de bonheur, des centres de « déradicalisation » !

La panne de sens d’un monde orphelin des grandes utopies mobilisatrices conduit à rechercher de la radicalité. Poser la question de la « radicalité » c’est poser celle des « racines », c’est-à-dire d’une sève nouvelle qui permettrait enfin de sortir du mal-être pour revitaliser nos modes de vie personnels, politiques ou sociétaux. On a voulu nous faire croire que la seule croissance économique dispenserait de nous interroger sur ce qui fait le socle de la vie en société. Nous étions occupés à la production et à la consommation tandis que l’État, baptisé État-Providence nous dispensait d’être acteur de lien social et de l’attention à autrui.

On ne peut plus prolonger indéfiniment des courbes de croissance, on ne peut plus rêver d’un accroissement sans fin d’une consommation universelle qui augmente les désastres écologiques, nous ne pouvons plus continuer de demander aux institutions et aux politiques de faire les évolutions et d’avoir les comportements responsables auxquels nous nous refusons.

Ce malaise conduit alors certains à se ruer, au nom de la radicalité, dans les impasses les plus diverses : retour agressif à un identitaire nationaliste ou religieux qui fait les beaux jours des partis nationalistes et des religieux fanatiques, rage destructrice de jeunes de banlieues sans perspectives, guerre contre ceux qui incarneraient le mal.

Toutes ces fausses quêtes de radicalité ont un point commun. Elles oublient que l’évolution de notre monde ne se fera que si chacun d’entre nous devient plus conscient, plus intelligent, plus altruiste. La radicalité n’est pas dans le cri, le discours, la diabolisation de l’autre, la recherche d’un leader charismatique, mais dans le travail spirituel, intellectuel et politique sur nos modes de vie et nos systèmes de pensée et de valeurs.

C’est ce chemin que propose Maurice Bellet dont toute l’œuvre tend à retrouver la radicalité fondatrice du Christianisme. Pour lui, « Les choses tout à fait premières sont donation et pas objet ». Aussi, poursuit-il « Le progrès se fait – selon la loi de toutes les grandes choses humaines – non en ajoutant et en ajoutant encore à l’acquis, mais par une reprise héroïque de la primitive ouverture, pour que cette naissance soit aujourd’hui dans toute sa force »[1]

 

[1] Maurice BELLET : L’Eglise morte ou vive, éditions Desclée de Brouwer, 1991, page 50 

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NOUVELLES EXIGENCES DEMOCRATIQUES

Le peuple algérien, personnalité de l’année 2019

Akram Belkaïd, Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 décembre 2019 

Il n’y a ni doutes ni interrogations à avoir. En Algérie, la personnalité de l’année 2019 est le peuple. Le peuple et rien que le peuple. Ce peuple qui a créé la surprise et défié l’ordre établi. Ce peuple qui est descendu dans la rue pour dire non à un cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika. Ce peuple qui a dit non à une parodie d’élection présidentielle. Ce peuple qui, aujourd’hui encore, continue de rejeter un système dont, finalement, la seule expertise est d’imaginer mille et une ruses et subterfuges, y compris parmi les plus grossiers, pour perdurer. Peuple algérien, tu es la femme et l’homme de l’année. Dans le concert de bilans internationaux concernant 2019, il est pourtant rare que tu sois cité. Alors, n’étant jamais mieux servi que par nous-mêmes, cette distinction est proclamée tienne.

….. Depuis le 22 février dernier, ce peuple a fait irruption dans l’actualité nationale et internationale, bouleversant un état de fait qu’une grande majorité croyait immuable. Qu’en était-il le 25 décembre 2018 ? C’était l’attente de la confirmation d’une candidature pour un cinquième mandat. C’était les déclarations en pagaille de responsables, civils et militaires, nous expliquant que la meilleure chose qui puisse arriver au pays, c’était qu’Abdelaziz Bouteflika, comparé à Franklin Delano Roosevelt (rien que ça…), puisse rempiler. C’était la morgue, le mépris, le mensonge éhonté. Mais c’était aussi la neurasthénie, la perte de foi et le dégoûtage. C’était cet ami décidé à quitter le pays alors qu’il y avait toujours tout vécu, années noires comprises.

 

Des peuples qui sortent dans la rue pour dire non, il y en a toujours eu et il y en aura encore. Mais le faire de manière aussi constante est bien plus rare. Tous les vendredis et tous les mardis sans jamais discontinuer, sans jamais donner crédit à celles et ceux qui annonçaient l’essoufflement et le découragement, les Algériennes et les Algériens réitèrent leur envie de changement. Ni les menaces répétées du défunt général, ni la comparaison avec les situations syrienne ou libyenne osée par d’anciens premiers ministres devenus depuis taulards, ni les bastonnades, les arrestations arbitraires, les condamnations pour écrits et opinions n’ont eu raison du Hirak. Ce peuple est un héros que l’on disait fatigué, brisé, acheté. Il a démontré le contraire.

 

Mais ce qui force le respect, c’est le caractère pacifique de cette protestation. Revenons à décembre 2018. Imaginons-nous deviser à propos de l’avenir. Imaginons que quelqu’un ait alors évoqué l’imminence d’un mouvement d’ampleur mais non-violent. En Algérie ? Impossible que cela arrive ! aurait-on protesté en riant. Ce peuple a vaincu sa propre réputation, l’image qu’on en faisait, en Algérie comme ailleurs, en France ou au Maghreb. Hirak et silmiya sont les mots de l’année. La démission d’un président. Le report à deux reprises de l’élection présidentielle, tout cela avec une détermination sans faille et – souvent une bonne humeur et une inventivité dont il faut espérer qu’elle sera largement documentée : le bilan parle de lui-même.

 

Le peuple s’est donc réconcilié avec lui-même. Il s’est affranchi des définitions stigmatisantes qui le qualifiaient de foule, d’amas incontrôlables et influençables. Bien sûr, rien n’est encore joué mais cette année 2019 restera à jamais marquée par l’empreinte d’une sidération positive. Tous les témoignages le disent, tous les récits l’affirment : ce peuple s’est surpris lui-même. Pacifique, il l’a été. Clairvoyant, il le demeure. Que de pièges tendus a-t-il évités. Des slogans sortis de nulle part qui cherchent à faire croire à un retour aux années 1990 ? Les cortèges calment le jeu et font taire les provocateurs….. On le disait inculte, ce peuple, incapable d’avoir une réflexion politique. Le voici capable de dire le plus simplement du monde que l’Algérie a besoin d’un État civil et non militaire.

 

Chaque révolution naissante – et le Hirak en est une – appelle sa contre-révolution. Celle-ci est protéiforme, parfois difficile à cerner. Les partisans du changement doivent combattre le régime, sa mentalité pyramidale et patriarcale (le fameux syndrome de l’homme fort). Il lui faut aussi s’imposer à celles et ceux qui, quelles que soit leur position sociale et leur niveau intellectuel, s’estiment supérieurs au peuple, persuadés que la collectivité a le plus souvent tort et que seul des individus éclairés peuvent la mener. Pour décrédibiliser la foi dans la capacité des peuples à aller de l’avant, on use et abuse du terme populisme. Pourtant, il n’y a pas de mal à faire confiance à un peuple quand il démontre tant de capacités en quelques mois. Il n’y a pas lieu d’être jaloux de lui. Il n’y a pas à se sentir menacé par ce geyser qui amène une nouvelle génération au premier plan. Il faut juste se dire que cette mobilisation est la meilleure chose qui est arrivée à l’Algérie depuis l’indépendance.

 

On terminera en disant que deux autres acteurs mériteraient la distinction évoquée en début de chronique. D’abord, la jeunesse algérienne. C’est elle qui a fait basculer les choses. C’est elle qui est désormais en première ligne : dans la rue mais aussi en matière d’écrits et de prises de position. Des nouveaux noms émergent, des talents fracassent la hiérarchie. N’en déplaise aux grincheux, c’est tant mieux. Ensuite, les détenus d’opinion. Impossible de ne pas penser à eux tous les jours. Aucun bonheur ne sera possible en Algérie sans leur libération.

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Que font nos partenaires ?

Ecritures et spiritualités

UN SALON DU LIVRE DES SPIRITUALITES

Le  1er décembre 2019

Le chant de la terre

Au collège des  Bernardins

         « En ce temps de bruit et de fureur, seul me parait compter, à long terme, le renouveau spirituel qui déjà chemine discrètement. Seul il pourra donner aux hommes des raisons de vivre sans haïr ni se haïr, et la possibilité de créer sans se prendre pour des démiurges mais dans le respect des visages et de la terre. » 

Cette conviction, formulée en 1985 par Olivier Clément, un des fondateurs d’Ecritures&spiritualités, anime toujours ses successeurs.  L’association réunit des écrivains de toutes les traditions, convaincus de la fécondité et de la saveur de l’attention à l’altérité, inscrite dans toutes les traditions spirituelles, mais trop peu vécue. Depuis une quarantaine d’années, (initialement sous le nom d’association des écrivains croyants d’expression française) elle organise salons, rencontres littéraires, et un Prix décerné chaque année en juin.   Pour ce salon du livre dédié au chant de la terre, le collège des Bernardins, l’institut Elie Wiesel et la Fondation de l’islam de France étaient partenaires.  

Cette hospitalité spirituelle était manifestée par la présence, côte à côte, de la théologienne juive Catherine Chalier ou de la rabbin Pauline Bebe, d’écrivains musulmans, comme Khaled Roumo ou Karima Berger, du Dominicain Alberto Ambrosio et des catholiques Véronique Margron ou Anne Soupa, pour ne nommer que quelques-uns des cent quatre auteurs présents- romanciers, philosophes, essayistes, poètes- pour dédicacer leurs livres.   Cette proximité a permis des moments d’échanges rares entre écrivains et avec leurs lecteurs.  Les inscriptions dans le livre d’or en témoignent :  Un beau moment d'œcuménisme qui ouvre la porte à ce qui nous dépasse...    - Un message fort qui vient au bon moment.

Près de deux mille visiteurs ont fréquenté le salon, bavardé à la cafétéria, goûté aux gâteaux des scouts musulmans, protestants, catholiques, apprécié la gentillesse des amis soufis qui ont contribué à la chaleur de l’accueil.

 

Une mission commune, le souci du bien commun et de la terre

Depuis toujours, les grandes traditions spirituelles ont invité à célébrer la terre et les vivants. Aujourd'hui plus que jamais, la littérature et la pensée s'engagent à leur tour pour dire, alerter, éveiller à la conscience de ce don qui nous est fait et que notre vie pourtant menace de détruire.   Dans un chant à trois voix, la pasteure protestante Marion Muller-Collard, la romancière juive Valérie Zenatti et cheikh Bentounès, ont fait entendre dans un auditorium comble un profond cantique polyphonique, un appel à notre mission commune pour la terre et pour la paix. Samuel Grzybowski, co-fondateur de l’association Coexister, formulait cette adresse de la part des générations plus jeunes :  Aidez-nous à ne jamais choisir, c’est-à-dire à ne jamais exclure, entre l’unité et la diversité, entre l’identité et l’altérité, entre la ressemblance et la différence, entre les racines et les branches. Aidez-nous à toujours choisir les deux pour ne pas être dans une injonction plutôt qu’une autre, à être capable de vivre cet équilibre entre le commun et le singulier.

      La réflexion s’est prolongée par une conférence de Christine Kristof-Lardet, qui présentait les lieux spirituels engagés en écologie.

Cette mission commune, elle était aussi fortement présente dans les livres de Geneviève Azam, autrice d’une lettre à la terre, d’Anne Sibran, qui a vécu de longs mois avec un chaman d’Amazonie, ou de Patrick Viveret, philosophe engagé depuis des décennies pour une évolution des modes de production soutenables pour l’humanité.

Les poètes  aussi étaient nombreux, sous cette nef, à offrir par leurs écrits, cet espace unique de présence à soi et au monde : Colette Nys-Mazure, Jean Lavoué, Frédéric Brun, Gérard Pfister, Didier Ayres, Marc Bouriche, Agnès Gueuret,  et Cédric Giraud, auteur du recueil de la Pléiade consacré aux écrits mystiques du Moyen Age ou Audrey Fella, auteur d’un bel ouvrage sur les femmes mystiques dont  on mesure aujourd’hui  la dimension prophétique.

 

La littérature Jeunesse consacrée aux spiritualités

 

Pas de changement si nous ne veillons pas à ce qui est transmis, dès le plus jeune âge, en matière de spiritualité, d’altérité, de justice. Une attention particulière était donnée à la jeunesse, avec un large choix de titres consacrés aux traditions spirituelles et à l’écologie ; les parents glanaient des livres pendant que les plus jeunes écoutaient des contes, dessinaient, fabriquaient des guirlandes et une planète, entourés par des adultes de toutes les confessions.

 L’atelier d’éveil spirituel animé par Agnès Charlemagne, a donné la parole aux adolescents pour qu’ils s’écoutent entre eux et que chacun affine une pensée personnelle.  Ce dimanche aux Bernardins ils ont été une quinzaine, de 7 ans à 15 ans, musulmans, protestants et catholiques…

À la fin de l’atelier ils ont pris une minute de silence pour écrire quelques mots sur des messages qu’ils ont laissés avant de quitter l’atelier : 

           « Dieu nous a laissé notre liberté. Si je décide de partir, de Le laisser, Il sera très triste et essaiera peut-être par différentes façons de nous ramener car Il nous aime. Mais si on décide de L’aimer, alors quel amour, quelle joie !!! », 

           « J’espère que l’atelier va durer longtemps, oui parce que ça me touche profondément dans le cœur »,

           « Cet atelier est super parce qu’on voit bien les autres s’exprimer sur leurs différentes religions et on n’a pas peur de s’exprimer », 

           « J’avais déjà parlé à Dieu, mais là c’était très bien ! »

 

Autour des livres, des romans, des écrits spirituels ou théologiques, c’est le bonheur de l’échange qui s’est surtout exprimé tout au long de cette journée.   Écrire, c’est rallier la saveur du monde, nous dit le grand poète Édouard Glissant.  Face aux défis et à la cruauté du monde contemporain, il y avait du plaisir à partager cette saveur, autour des écritures, écouter d’autres voix, pour mieux habiter et respecter le monde.

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AGENDA

 

Prochains Bureaux au siège :mardi 4 février à 18 h et mardi 10 mars à 17h

Prochains CA au siège:  jeudi 12 mars 2020 , à 18h

Assemblée Générale : mardi 28 avril 2020 de 18h à 20h30
(suivie d’un apéritif) dans les locaux de l’ODAS, 250 bis, Bd Saint Germain, métro Solferino

 

Université d'été du jeudi 27 août au 29 août 2020 au centre Jean Bosco à Lyon

le & de D&S, l’alliance de la démocratie et de la spiritualité face aux défis actuels.

 

GROUPES:

• Groupe "Cheminement" 1 : mardi 25 février à 13h30, au 87, rue de l’Eglise, Paris 15e

• Groupe "Cheminement" 2 : prochaine date en attente

Groupe de Grenoble LA BIENVENUE : « Qu'est ce qui me donne de la joie dans la démocratie? », mercredi 4 mars 2020 de 17h à 19h.

 

Prochaines conviviales, à 18h, 250 bis bld Saint-Germain :

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Mardi 18 Février : La question environnementale, avec Christian de Perthuis, professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine, fondateur de la Chaire Economie du Climat, dont le dernier ouvrage s’intitule Le tic-tac de l’horloge climatique (De Boeck - Oct 2019).

 

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Mardi 17 mars :  La non-violence, avec Etienne Godinot`

 

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L'Ours

Lettre D&S N° 167 Janvier 2020

ISSN 2557-6364

Directeur de publication : Jean-Baptiste de Foucauld
Rédacteur en chef : Monika Sander
Comité de rédaction : Jean-Baptiste de Foucauld, Sébastien Doutreligne, Eliane Fremann, Daniel Lenoir, Régis Moreira
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