En-tête
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  Lettre de D&S n°170

Avril 2020

 

Table des matières

Éditorial

Dossier du mois : Covid-19
Nouvelles exigences démocratiques

Libre propos

Résonances spirituelles face aux défis contemporains

Echos

Que font nos partenaires ?

Agenda

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EDITORIAL

 

Covid-19 : une crise dans la noosphère ?

Dans le château de Barbe-BleueGeorges Steiner, décédé en février dernier, s’interroge sur « les motifs et les aspects de la débâcle de l’ordre européen au cours de la « guerre de Trente Ans » de 1915 à 1945″ et constate à quel point est insatisfaisant l’immense corpus des analyses disciplinaires, historiques, économiques,, sociologiques, psychologiques, ou autres.

Ce constat peut facilement s’appliquer à la crise que nous vivons avec l’épidémie de Covid 19 qui suscite déjà une production considérable.

Non que l’épidémie puisse, comme l’a fait Emmanuel Macron, être assimilée à une guerre : le corona n’est pas un ennemi mais un virus, et les dégâts qu’il fait n’ont rien à voir avec la violence dont les humains sont capables entre eux. Elle est plutôt, selon la belle expression de Frank-Walter Steinmeier, le Président allemand, « un test de notre humanité ».

Non que l’épidémie soit la première, ni la plus grave, à laquelle ait à faire face l’humanité. Depuis au moins le néolithique et la proximité avec les animaux qu’a entrainée la domestication de certains d’entre eux, l’humanité a été régulièrement exposée à ces zoonoses, ces infections qui se transmettent de ceux-ci (en général des mammifères) à l’homme et qui viennent nous rappeler que nous sommes également partie du règne animal.

Non que la crise économique à laquelle nous allons avoir à faire face soit la première, ni peut-être la plus grave, encore que l’ampleur de la baisse du PIB laisse à craindre une récession particulièrement importante. Mais c’est aussi l’occasion de revenir sur ce que recouvre cet indicateur macro-économique de la richesse et de mesure de sa croissance, qui n’a qu’un rapport de plus en plus lointain avec le bien-être (sans parler même du bonheur) et qui ne mesure pas les dégradations aussi bien environnementales que sociales sur lesquelles repose cette croissance.

Mais on voit bien que cette épidémie est un événement singulier, un point de rupture, dont on espère que l’humanité saura tirer les leçons. A condition de sortir des modes de raisonnements qui sont les nôtres.

Bien sûr, dans sa face positive, cette crise révèle les capacités de résiliences de nos sociétés : on est étonné de la priorité donnée à la vie par les gouvernements, de la capacité de nos sociétés à s’arrêter, à vivre ce confinement finalement relativement bien accepté, tout en maintenant les services essentiels pour pouvoir à la fois prendre soin des malades et continuer à vivre dans ce nouveau contexte.

Bien sûr, la crise a aussi sa face sombre, et elle révèle et amplifie les profondes injustices qui marquent notre société planétaire, avec ceux, chez nous, pour qui le confinement accentue les exclusions, en termes économique, numérique ou de logement, avec les nations pour qui le confinement est une catastrophe économique, et plus encore, sociale.

Bien sûr, le moment venu, il faudra, plutôt que de rechercher des responsables qui seraient autant de boucs émissaires, faire un retour d’expérience, un Retex, sur la gestion nationale, européenne et mondiale de cette crise, et en tirer les conséquences pour toutes les politiques publiques.

Chaque crise nécessite l’étude concrète de sa complexité propre.

Edgar Morin, dans son exercice de crisologie , rappelle que chaque crise est une singularité. C’est le cas de celle-ci, et il est vain de vouloir l’analyser par référence à celles qui l’ont précédée, comme ont tendance à le faire les analyses sectorielles et disciplinaires. C’est un constat probablement partagé, mais nous n’en tirons pas toutes les conséquences. Et l’on risque ce faisant de faire mentir demain tous les « plus rien ne sera comme avant » proclamés à longueur de discours.

Il nous appelle aussi à la pensée complexe, qu’il a développée dans le prolongement d’Henri Laborit. Mais on voit bien aussi que tel n’est pas notre mode de pensée commune, une pensée qui reste trop marquée par le déterminisme hérité de la physique classique et qui reste le modèle implicite des approches scientifiques communes, ainsi que par un dualisme simplificateur, qui, telle une corde de rappel, nous ramène toujours à la tentation illusoire de vouloir distinguer définitivement le bien et le mal, de séparer arbitrairement le bon grain et l’ivraie. Alors qu’il faudrait intégrer le caractère aléatoire de nombre de phénomènes, résultat de la complexité des processus à l’œuvre, et arriver à penser que, telle la pièce de monnaie, la vérité peut avoir deux faces, que telle la langue d’Ésope, la réalité peut être à la fois la pire et la meilleure des choses. Dire cela, ce n’est pas inviter à un relativisme généralisé. C’est inviter à ce que l’esprit de géométrie ne l’emporte sur l’esprit de finesse.

Bien sûr les avancées scientifiques, en physique et en biologie notamment, conduisent à transmuter profondément notre façon de penser le monde et constituent une nouvelle révolution copernicienne, probablement plus fondamentale encore que la première. Mais ces avancées n’ont pas encore profondément modifié les méthodes de nombreuses autres disciplines, comme la médecine ou l’économie par exemple. Surtout elles n’ont pas encore infusé dans le « sens commun », qui alimente la pensée de l’humanité sur elle-même, et qui détermine des décisions collectives, des décisions qui devront, de plus en plus, être prises à l’échelle planétaire, de cette humanité toute entière dont nous sommes partie solidaire.

Il nous faudra, et c’est un exercice difficile et exigeant, appréhender les relations complexes entre cette épidémie et la question environnementale, entre cette épidémie et l’économie, entre cette épidémie et la question sociale, entre cette épidémie et la gestion, qu’on espère démocratique, des politiques publiques, comme des libertés publiques, entre cette épidémie et la question spirituelle, la présence toujours renaissante du négatif et du tragique, pour ne citer que certaines des questions les plus importantes qui se posent à nous. Et pouvoir partager ces nouveaux savoirs de l’humanité sur elle-même le plus largement possible, au sein de cette noosphère évoquée par Teilhard de Chardin qui alimente désormais notre conscience commune.

La révolution numérique a donné à cette noosphère une réalité encore plus autonome que ce qu’avait pu faire en son temps « la révolution Gutenberg ». En même temps qu’elle accroit plus largement les possibilités de liens et de présence malgré la distance, ainsi que de diffusion et de partage, elle amplifie considérablement les mouvements spontanés, fondés sur les infox ou sur les raisonnements simplistes, reflet dans un miroir particulièrement grossissant des vieilles peurs de l’humanité. Dispersant l’attention, absorbant la recherche difficile de l’intériorité dans le harcèlement d’une extériorité en mouvement perpétuel, elle appelle à la définition de règles de bon usage.

Ce n’est pas le moindre des enjeux de cette crise que de maitriser cette viralité des échanges numériques, qui peut, comme la crise pour Gramsci, faire naître tous les monstres, mais qui peut aussi donner à cette noosphère nécessaire à l’humanité pour affronter les problèmes auxquels elle a à faire face, un support dont elle n’a jamais disposé jusqu’alors.

Daniel Lenoir

Jean-Baptiste de Foucauld

 

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Nouvelles exigences démocratiques

 

DOSSIER DU MOIS :

COVID-19

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Compte-rendu de la conviviale téléphonique du 2/04/20 sur la crise sanitaire et le confinement

 

La conviviale téléphonique a réuni 15 personnes. 

 Lors du 1er tour de table virtuel, nous nous sommes situés dans l’existentiel, l’expérience personnelle du confinement.

Les participants se sentent privilégiés par leurs conditions matérielles de confinement, dans un appartement assez vaste en ville ou dans leur maison à la campagne.  Chacun, à sa manière, privilégie des temps pour soi dans un confinement très actif : exercice physique, attention à la nature et au silence, méditation, lecture, poursuite des travaux d’écriture en cours.Daniel, confiné chez lui et très fatigué, dans l’impossibilité de lire, a été très soutenu ces deux dernières semaines par son entourage familial et amical pendant la traversée de la maladie.

La relation avec les autres se trouve renforcée par le confinement, les liens sont plus vivants avec les proches :  dans le couple, avec les enfants et petits -enfants, la famille, les réseaux associatifs et une solidarité s’est mise en place avec le voisinage.  L’usage d’Internet se renforce et se diversifie et les appels téléphoniques sont nombreux, en particulier avec les personnes seules et isolées. Les plus fragiles, confinés dans les Ehpad, sans visites de leurs proches, sont, eux, dans une grande solitude.

 

Lors d’un 2e tour, nous avons repéré trois thèmes à approfondir.

 

Tout d’abord, le confinement est une occasion de questionnement sur l’essentiel, et l’épidémie est un révélateur du rapport à la mort dans notre société.

Un lien est établi entre vie intérieure et courage d’assumer le risque de la maladie, la nécessité de chercher plus profond en soi, d’accepter d’être face à soi-même, de transformer ce qui n’est pas clair en nous.

Un participant évoque l’expérience marquante de la maladie de sa mère pendant cette épidémie :  la mort est devenue une statistique. Le non-accompagnement humain des personnes qui meurent, déjà ancien, est d’une grande violence. La réponse technicienne domine, sans respect des personnes, la vie spirituelle est remplacée par la technique, il n’y a plus d’aumôniers dans les hôpitaux. On traite nos grands malades comme des déchets en se contentant de remettre une urne à la famille.

On est là dans quelque chose de diabolique, comme s’il fallait être inhumain pour rester en vie. Comment faire évoluer cette situation ? Comment changer le rapport à la mort dans notre société ?

Que faire pour les personnes qui souffrent de la solitude – les exclus, les personnes en Ehpad, en prison, à l’hôpital entre autres ? D&S peut avoir un rôle à jouer, porter une parole sur ces sujets de société, qui touchent à la spiritualité.

 

Le deuxième thème retenu est celui des inégalités, révélées et aggravées par la crise sanitaire et le confinement.

En premier lieu, les inégalités criantes concernant le logement, entre les personnes à la rue ou entassées avec leurs familles dans de tout petits appartements, et celles qui disposent d’une grande maison (ou de plusieurs) avec jardin. Ne peut-on promouvoir un droit à un toit pour tous ?

La question des métiers sous-valorisés, non reconnus et pourtant essentiels à la société, a été révélée par cette crise : le personnel soignant, mais aussi les travailleurs sociaux, les enseignants, employés des supermarchés, et ceux chargés du nettoyage. Ce mépris est révélateur des valeurs de notre société. Quand fera-t-on passer l'humain avant le marché ?

Avec la catastrophe sanitaire, on peut s’attendre à une catastrophe économique et sociale mondiale. L’économiste Esther Duflo a pointé le lien existant aux États-Unis entre le système social et économique et les conséquences sur la santé, la perte d’emploi entrainant celle de l’assurance sociale. Dix millions de chômeurs ont été enregistrés ces 2 dernières semaines aux États-Unis et l’État mobilise des milliards pour payer les chômeurs. Une réforme fiscale est à mener : un participant propose d’instaurer un impôt de guerre.  Pour l’après, l’idée de la sobriété et de la fraternité est plus que jamais d’actualité.L’Inde confinée est confrontée à de gros problèmes d’approvisionnement en nourriture, surtout pour les plus démunis (travailleurs journaliers migrants).

La crise révèle aussi l’illettrisme et la fracture numérique qui prive de nombreux élèves de l’enseignement à distance, prôné par Jean-Michel Blanquer. Le ministre reconnait la perte de contacts avec 5 à 8% des enfants et adolescents. Comment suivre le travail scolaire de ses enfants dans un logement exigu, quand on a, au mieux, un seul écran pour toute la famille et qu’on maîtrise soi-même très mal la langue française ? Comment remplir et imprimer les attestations de sortie ? La formation au numérique est à développer plus largement, en particulier dans les milieux défavorisés.

 

Troisième thème : Le temps d’après 

Il faut une éthique de responsabilité sans culpabilisation, en finir avec le couple faute-châtiment divin. Certes, des actions injustes envers la nature et l’humain ont des conséquences, le négatif ne demande qu’à s’exprimer dans le monde. Comment gérer ce mélange de désenchantement et de tragédie ? Comme le dit Edgar Morin : aujourd’hui nous sommes dans une « communauté de destins sans solidarité », et c’est ce qu’il faut changer. Prendre de nouvelles bonnes habitudes ; relancer le débat sur la fraternité ; créer quelque chose de nouveau : avoir uneexigence forte sur la démocratie, approfondir les enjeux.  Là encore, D&S peut avoir un rôle à jouer.

 Quid de la question de l’Europe ? Face à l’explosion des déficits publics des pays européens et à l’absence de solidarité entre États, la BCE rachète massivement les dettes émises sur les marchés. Mais l’ONU et l’OMS ne sont pas efficaces : comment imposer certaines normes sanitaires ? Nous avons régressé sur la gestion des crises sanitaires au niveau international. Seuls les pays asiatiques, frappés ces dernières années par différents virus, ont tiré les conséquences des crises précédentes. La réaction sanitaire doit être mondiale. En France, une éthique de responsabilité a manqué aux gouvernements successifs ; en 2009, face à la menace du virus H1N1 qui n’a finalement pas touché l’Europe, le plan de commande de millions de vaccins par Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé, a été tourné en dérision.

Le danger du numérique pour la démocratie est très rapidement évoqué, faute de temps.Si la crise a permis à certains de découvrir la grande diversité de ses usages (écran de travail, de loisir, écoute d’un concert, exploration d’un musée, etc..), et à de nouvelles formes de sociabilité en ligne de se développer, elle relance aussi la question des Libertés et des NTIC. Des drones sont utilisés pour contrôler le respect des règles du confinement dans les rues des villes françaises et un projet de géolocalisation de la population (tracking), est à l’étude, voire déjà en place avec les téléphones portables. Ces situations rappellent la nécessité de créer, à D&S, un groupe de travail pour réfléchir sur le numérique et ses enjeux pour la démocratie ; à l’heure actuelle, il manque de participants.

 

La diversité des problèmes évoqués lors de cette téléconférence sur la crise du coronavirus, les interactions multiples avec nos thèmes de réflexion rendent évidente leur intégration dans les groupes thématiques existants. Par ailleurs, le groupe de travail proposé par Jean-Claude Devèze sur « la préparation du monde que nous voulons après le coronavirus » se met en place, avec 5 participants.                                                        

 Éliane Fremann

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Nouvelles exigences démocratiques

Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise

Résumé par Marcel Lepetit : Faire maintenant personnellement et à plusieurs (pendant et après le confinement), l’inventaire des activités, dont nous aimerions qu’elles reprennent à l’identique (comme avant), mieux, ou qu’elles ne reprennent pas du tout. Voir en page 9 le questionnaire proposé comme aide à l’auto-description.

Voir son blog : http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/downloads/P-202-AOC-03-20.pdf

Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré. L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant.

 

Il y a peut-être quelque chose d’inconvenant à se projeter dans l’après-crise alors que le personnel de santé est, comme on dit, « sur le front », que des millions de gens perdent leur emploi et que beaucoup de familles endeuillées ne peuvent même pas enterrer leurs morts. Et pourtant, c’est bien maintenant qu’il faut se battre pour que la reprise économique, une fois la crise passée, ne ramène pas le même ancien régime climatique contre lequel nous essayions jusqu’ici, assez vainement, de lutter.

En effet, la crise sanitaire est enchâssée dans ce qui n’est pas une crise – toujours passagère – mais une mutation écologique durable et irréversible. Si nous avons de bonne chance de « sortir » de la première, nous n’en avons aucune de « sortir » de la seconde. Les deux situations ne sont pas à la même échelle, mais il est très éclairant de les articuler l’une sur l’autre. En tout cas, ce serait dommage de ne pas se servir de la crise sanitaire pour découvrir d’autres moyens d’entrer dans la mutation écologique autrement qu’à l’aveugle.

La première leçon du coronavirus est aussi la plus stupéfiante : la preuve est faite, en effet, qu’il est possible, en quelques semaines, de suspendre partout dans le monde et au même moment, un système économique dont on nous disait jusqu’ici qu’il était impossible à ralentir ou à rediriger. À tous les arguments des écologiques sur l’infléchissement de nos modes de vie, on opposait toujours l’argument de la force irréversible du « train du progrès » que rien ne pouvait faire sortir de ses rails, « à cause », disait-on, « de la globalisation ». Or, c’est justement son caractère globalisé qui rend si fragile ce fameux développement, susceptible au contraire de freiner puis de s’arrêter d’un coup.

 

En effet, il n’y a pas que les multinationales ou les accords commerciaux ou internet ou les tour operators pour globaliser la planète : chaque entité de cette même planète possède une façon bien à elle d’accrocher ensemble les autres éléments qui composent, à un moment donné, le collectif. Cela est vrai du CO2 qui réchauffe l’atmosphère globale par sa diffusion dans l’air ; des oiseaux migrateurs qui transportent de nouvelles formes de grippe ; mais cela est vrai aussi, nous le réapprenons douloureusement, du coronavirus dont la capacité à relier « tous les humains » passe par le truchement apparemment inoffensif de nos divers crachotis. A globalisateur, globalisateur et demi : question de resocialiser des milliards d’humains, les microbes se posent un peu là !

 

Cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme d’atterrissage.

D’où cette découverte incroyable : il y avait bien dans le système économique mondial, caché de tous, un signal d’alarme rouge vif avec une bonne grosse poignée d’acier trempée que les chefs d’État, chacun à son tour, pouvaient tirer d’un coup pour stopper « le train du progrès » dans un grand crissement de freins. Si la demande de virer de bord à 90 degrés pour atterrir sur terre paraissait encore en janvier une douce illusion, elle devient beaucoup plus réaliste : tout automobiliste sait que pour avoir une chance de donner un grand coup de volant salvateur sans aller dans le décor, il vaut mieux avoir d’abord ralenti…

 

Malheureusement, cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme d’atterrissage. Les globalisateurs, ceux qui depuis le mitan du XXe siècle ont inventé l’idée de s’échapper des contraintes planétaires, eux aussi, y voient une chance formidable de rompre encore plus radicalement avec ce qui reste d’obstacles à leur fuite hors du monde. L’occasion est trop belle, pour eux, de se défaire du reste de l’État-providence, du filet de sécurité des plus pauvres, de ce qui demeure encore des réglementations contre la pollution, et, plus cyniquement, de se débarrasser de tous ces gens surnuméraires qui encombrent la planète[1].

 

N’oublions pas, en effet, que l’on doit faire l’hypothèse que ces globalisateurs sont conscients de la mutation écologique et que tous leurs efforts, depuis cinquante ans, consistent en même temps à nier l’importance du changement climatique, mais aussi à échapper à ses conséquences en constituant des bastions fortifiés de privilèges qui doivent rester inaccessibles à tous ceux qu’il va bien falloir laisser en plan. Le grand rêve moderniste du partage universel des « fruits du progrès », ils ne sont pas assez naïfs pour y croire, mais, ce qui est nouveau, ils sont assez francs pour ne même pas en donner l’illusion. Ce sont eux qui s’expriment chaque jour sur Fox News et qui gouvernent tous les États climato-sceptiques de la planète de Moscou à Brasilia et de New Delhi à Washington en passant par Londres.

 

Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause.

Ce qui rend la situation actuelle tellement dangereuse, ce n’est pas seulement les morts qui s’accumulent chaque jour davantage, c’est la suspension générale d’un système économique qui donne donc à ceux qui veulent aller beaucoup plus loin dans la fuite hors du monde planétaire, une occasion merveilleuse de « tout remettre en cause ». Il ne faut pas oublier que ce qui rend les globalisateurs tellement dangereux, c’est qu’ils savent forcément qu’ils ont perdu, que le déni de la mutation climatique ne peut pas durer indéfiniment, qu’il n’y a plus aucune chance de réconcilier leur « développement » avec les diverses enveloppes de la planète dans laquelle il faudra bien finir par insérer l’économie. C’est ce qui les rend prêts à tout tenter pour extraire une dernière fois les conditions qui vont leur permettre de durer un peu plus longtemps et de se mettre à l’abri eux et leurs enfants. « L’arrêt de monde », ce coup de frein, cette pause imprévue, leur donne une occasion de fuir plus vite et plus loin qu’ils ne l’auraient jamais imaginé [2]. Les révolutionnaires, pour le moment, ce sont eux.

C’est là que nous devons agir. Si l’occasion s’ouvre à eux, elle s’ouvre à nous aussi. Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré. L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant.

Par exemple, l’autre jour, on présentait à la télévision un fleuriste hollandais, les larmes aux yeux, obligé de jeter des tonnes de tulipes prêtes à l’envoi qu’il ne pouvait plus expédier par avion dans le monde entier faute de client. On ne peut que le plaindre, bien sûr ; il est juste qu’il soit indemnisé. Mais ensuite la caméra reculait montrant que ses tulipes, il les fait pousser hors-sol sous lumière artificielle avant de les livrer aux avions cargo de Schiphol dans une pluie de kérosène ; de là, l’expression d’un doute : « Mais est-il bien utile de prolonger cette façon de produire et de vendre ce type de fleurs ? ».

 

Nous devenons d’efficaces interrupteurs de globalisation.

De fil en aiguille, si nous commençons, chacun pour notre compte, à poser de telles questions sur tous les aspects de notre système de production, nous devenons d’efficaces interrupteurs de globalisation – aussi efficaces, millions que nous sommes, que le fameux coronavirus dans sa façon bien à lui de globaliser la planète. Ce que le virus obtient par d’humbles crachotis de bouches en bouches – la suspension de l’économie mondiale –, nous commençons à l’imaginer par nos petits gestes insignifiants mis, eux aussi, bout à bout : à savoir la suspension du système de production. En nous posant ce genre de questions, chacun d’entre nous se met à imaginer des gestes barrières mais pas seulement contre le virus : contre chaque élément d’un mode de production dont nous ne souhaitons pas la reprise.

C’est qu’il ne s’agit plus de reprendre ou d’infléchir un système de production, mais de sortir de la production comme principe unique de rapport au monde. Il ne s’agit pas de révolution, mais de dissolution, pixel après pixel. Comme le montre Pierre Charbonnier, après cent ans de socialisme limité à la seule redistribution des bienfaits de l’économie, il serait peut-être temps d’inventer un socialisme qui conteste la production elle-même. C’est que l’injustice ne se limite pas à la seule redistribution des fruits du progrès, mais à la façon même de faire fructifier la planète. Ce qui ne veut pas dire décroître ou vivre d’amour ou d’eau fraîche, mais apprendre à sélectionner chaque segment de ce fameux système prétendument irréversible, de mettre en cause chacune des connections soi-disant indispensables, et d’éprouver de proche en proche ce qui est désirable et ce qui a cessé de l’être.

D’où l’importance capitale d’utiliser ce temps de confinement imposé pour décrire, d’abord chacun pour soi, puis en groupe, ce à quoi nous sommes attachés ; ce dont nous sommes prêts à nous libérer ; les chaînes que nous sommes prêts à reconstituer et celles que, par notre comportement, nous sommes décidés à interrompre [3]. Les globalisateurs, eux, semblent avoir une idée très précise de ce qu’ils veulent voir renaître après la reprise : la même chose en pire, industries pétrolières et bateaux de croisière géants en prime. C’est à nous de leur opposer un contre-inventaire. Si en un mois ou deux, des milliards d’humains sont capables, sur un coup de sifflet, d’apprendre la nouvelle « distance sociale », de s’éloigner pour être plus solidaires, de rester chez soi pour ne pas encombrer les hôpitaux, on imagine assez bien la puissance de transformation de ces nouveaux gestes-barrières dressés contre la reprise à l’identique, ou pire, contre un nouveau coup de butoir de ceux qui veulent échapper pour de bon à l’attraction terrestre.

  Un outil pour aider au discernement

Comme il est toujours bon de lier un argument à des exercices pratiques, proposons aux lecteurs d’essayer de répondre à ce petit inventaire. Il sera d’autant plus utile qu’il portera sur une expérience personnelle directement vécue. Il ne s’agit pas seulement d’exprimer une opinion qui vous viendrait à l’esprit, mais de décrire une situation et peut-être de la prolonger par une petite enquête. C’est seulement par la suite, si vous vous donnez les moyens de combiner les réponses pour composer le paysage créé par la superposition des descriptions, que vous déboucherez sur une expression politique incarnée et concrète — mais pas avant.

Attention : ceci n’est pas un questionnaire, il ne s’agit pas d’un sondage. C’est une aide à l’auto-description*.

Il s’agit de faire la liste des activités dont vous vous sentez privés par la crise actuelle et qui vous donnent la sensation d’une atteinte à vos conditions essentielles de subsistance. Pour chaque activité, pouvez-vous indiquer si vous aimeriez que celles-ci reprennent à l’identique (comme avant), mieux, ou qu’elles ne reprennent pas du tout.

 

Répondez aux questions suivantes :

Question 1 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas ?

Question 2 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît nuisible/ superflue/ dangereuse/ incohérente ; b) en quoi sa disparition/ mise en veilleuse/ substitution rendrait d’autres activités que vous favorisez plus facile/ plus cohérente ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 1.)

Question 3 : Quelles mesures préconisez-vous pour que les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs qui ne pourront plus continuer dans les activités que vous supprimez se voient faciliter la transition vers d’autres activités ?

Question 4 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles se développent/ reprennent ou celles qui devraient être inventées en remplacement ?

Question 5 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît positive ; b) comment elle rend plus faciles/ harmonieuses/ cohérentes d’autres activités que vous favorisez ; et c) permettent de lutter contre celles que vous jugez défavorables ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 4.)

Question 6 : Quelles mesures préconisez-vous pour aider les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs à acquérir les capacités/ moyens/ revenus/ instruments permettant la reprise/ le développement/ la création de cette activité ?

(Trouvez ensuite un moyen pour comparer votre description avec celles d’autres participants. La compilation puis la superposition des réponses devraient dessiner peu à peu un paysage composé de lignes de conflits, d’alliances, de controverses et d’oppositions.)

 

 

 

 

 

Et si le coronavirus avait raison du populisme ? Réflexions à partir de l’Italie

 par Laurence Morel[1]

 

À première vue, le coronavirus semble la confirmation éclatante des thèses défendues par les populistes, du moins ceux de droite (de loin les plus nombreux). La pandémie qui s’est installée en un temps record sur la planète serait la démonstration des méfaits de l’ouverture des frontières et de l’incurie des élites. Le virus est le migrant par excellence, la parabole de l’ennemi extérieur, insidieux et destructeur. Le populisme devrait donc sortir renforcé de cette crise sanitaire, voire en être le grand gagnant.

Rien n’est moins sûr. Ce que montre aujourd’hui l’Italie, encore une fois, et bien malgré elle, laboratoire politique pour ses voisins européens, est que le populisme, qu’il soit de gauche ou de droite, pourrait au contraire figurer parmi les victimes du coronavirus. À y regarder de près, on ne peut en effet qu’être frappé par la manière dont il met à mal toute la rhétorique populiste.

La rhétorique de la haine et de la division d’abord. Ainsi voit-on grandir chaque jour dans l’Italie ravagée par l’épidémie un sentiment collectif d’union et de solidarité. Encouragé par le mouvement des Sardines, né en novembre dernier pour protester contre l’agressivité du leader de la Ligue, ce sentiment est aujourd’hui démultiplié par l’épreuve que vivent les Italiens. Peu importe les consignes de distanciation sociale (physique), le renforcement du lien social est bien réel et les vociférations populistes trouvent de moins en moins d’écho dans cette atmosphère pacifiée. Comme l’écrit le psychanalyste Massimo Recalcati dans un très bel article publié samedi dans La Repubblica, l’isolement imposé par le coronavirus n’est pas un repli individualiste, il est un acte de fraternité. Une fraternité qui, bien que paraissant avoir pour prix notre liberté (celle d’aller et venir, de se rassembler...), amplifie cette dernière, qui, sans elle, ne serait que chimère[2].

La rhétorique de la peur ensuite. Certes la peur n’a jamais été autant présente. Mais le coronavirus a substitué la peur d’un danger réel, documenté par des faits (le nombre exponentiel des malades, les risques accrus de décès avec la saturation des hôpitaux...), à la peur populiste dirigée contre des maux imaginaires ou fortement exagérés. Surtout, la perception d’un danger véritable, objectif, engage à dompter la peur, à ne pas céder à la panique, à avoir confiance, car “andra tutto bene” (tout finira bien), slogan qui inonde les réseaux sociaux depuis quelques jours. Ici aussi, c’est l’utilisation politique de la peur par les populistes, dénoncée par les Sardines, qui est battue en brèche. Les Italiens veulent la rationalité et l’optimisme du président du Conseil Giuseppe Conte, du président de la République Sergio Matarella, ou encore du pape (voir plus loin), et non l’appel irrationnel à la peur d’un Matteo Salvini.

Mais surtout, la crise sanitaire engendrée par la diffusion du coronavirus décrédibilise les recettes et solutions de “bon sens” populistes. Faut-il nécessairement fermer les frontières ? Quelles frontières ? Celles entre les pays d’Europe ou celles de l’Europe ? La réponse ne va pas de soi et les pays de l’UE agissent en ordre dispersé. Sans surprise, ceux qui ont déjà fermé leurs frontières sont ceux où les populistes gouvernent ou sont particulièrement forts. L’Allemagne vient de le faire sous la pression de la droite conservatrice. Chacun comprend cependant l’inanité de ces mesures (et le risque qu’elles représentent pour l’économie), dès lors que le virus est déjà partout. Et que la seule barrière efficace est celle entre les individus, auto-imposée, même si elle semble réaliser la prédiction dystopique d’une victoire du monde virtuel sur le monde physique...

Le coronavirus fait aussi régresser l’antipolitique dont se nourrissent les populistes. “Souvent les autorités se sentent seules, parfois incomprises. Prions pour nos gouvernants qui doivent décider des mesures pour enrayer la pandémie”, a imploré jeudi le pape Francesco. Peut-être n’a-t-il fait que traduire un sentiment déjà diffus dans la population si l’on en croit l’approbation par deux Italiens sur trois des mesures gouvernementales et la popularité en hausse du président du Conseil (en tête des leaders politiques avec plus de la moitié d’opinions positives), ainsi que celle du chef du parti Démocrate Nicolà Zingaretti. C’est ni plus ni moins le retour de la compétence aux commandes, la revanche des partis de gouvernement, qui s’appuient sur le jugement des experts, pour gérer une crise dont la complexité s’impose à rebours de la simplification populiste – bien illustrée au-delà des frontières italiennes dans les réactions d’un Trump, Bolsonaro ou Boris Johnson à l’épidémie.

C’est aussi le retour de la “grande politique”, celle du long terme, de la vision du monde et du futur, miroir inversé de la “politique politicienne”, que les Italiens réclament sur des réseaux sociaux plus bavards que jamais. Et l’amorce d’un certain retour de la confiance envers la politique “classique”, qui joue le jeu des institutions, et, plus généralement, de la confiance envers les institutions : système sanitaire (avec les médecins littéralement portés aux nues), forces de l’ordre (plébiscitées pour leur efficacité), écoles et universités (celles du nord assurent rigoureusement tous leurs cours en ligne depuis le tout début de l’épidémie) ... Comme si les Italiens se rendaient compte que l’État fonctionne quand même un peu mieux que ne le prétend la diatribe populiste.

Enfin, la crise du coronavirus peut s’avérer une véritable fabrique de civisme dans un pays qui en manque notoirement. Les solidarités qui s’expriment vont bien au-delà du   familisme habituel, dont on connaît la force au détriment des liens impersonnels en Italie. Elles en sont même d’une certaine façon l’opposé, puisque les mesures de distanciation sociale sont pensées en dehors de la famille (même si certains cherchent à les appliquer aussi en son sein, vis-à-vis des plus fragiles, personnes âgées, affectées de pathologies...), dans les rapports avec l’extérieur, ceux que l’on ne connaît pas et que l’on pourrait contaminer. Ce civisme qui s’exprime avec force ces jours-ci en Italie est une forme de responsabilisation sociale et de participation authentique à la vie collective qui élève les individus et donne le sentiment de contribuer à une œuvre commune. Il est aux antipodes du peuple atomisé et massé derrière un leader, ou même digital de la plateforme Rousseau (Cinq Étoiles), des populistes. Et nul besoin d’un “commissaire extraordinaire” doté de pouvoirs de crise, comme l’a réclamé la droite populiste. Ce qu’il faut dans ce genre de circonstances, a écrit la philosophe politique Nadia Urbinati, est la responsabilité individuelle des citoyens dans le cadre strict de la Constitution[3].

Solidarité, fraternité, rationalité, compétence, confiance, civisme, participation : telles sont les valeurs qui semblent ainsi émerger au début de cette crise du coronavirus en Italie, et font soudain ressembler le populisme à une farce sinistre. L’équilibre est certes fragile entre cet appel d’air démocratique et la tension populiste. La remise en cause de certaines libertés individuelles soulève des inquiétudes légitimes, et une dramaticité supérieure pourrait déboucher sur des exclusions, discriminations et mêmes violences, dictées par une lutte pour la survie. Les populistes ne manqueraient pas de l’exploiter. Mais les germes d’une démocratie purgée de ses démons populistes sont bien présents. La démocratie italienne pourrait donc sortir renforcée de cette crise. De même que les autres démocraties. Du moins veut-on l’espérer.

Laurence Morel

 

 

[1] Maître de conférences de science politique à l'Université de Lille II, spécialiste de la vie politique italienne, elle enseigne Italian Politics à l'Université de Stanford (au siège de Florence) et a publié un ouvrage sur la crise politique et institutionnelle italienne L'Italie en transition. Recul des partis et activation de la fonction présidentielle, Paris. L'Harmattan, 1997.

[2] “La nuova fratellanza”, La Repubblica, 13 mars 2020

[3] “Ora dipende solo da noi”, La Repubblica, 12 mars 2020

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Libre propos

Résonances spirituelles face aux défis contemporains

 Nous avons trouvé  sur le site ci-après ce texte d’Abdenour Bidar ; il nous a paru intéressant et nous le souhaitons le partager avec vous :

https://www.huffingtonpost.fr/entry/avant-le-coronavirus-nous-etions-deja-enfermes-mais-nous-ne-le-savions-pas_fr_5e84a604c5b6871702a8121c`

Abdennour Bidar pose la question de « l’après pandémie » : qu’allons-nous faire de cette période étrange ? Les propositions ne manquent pas, elles vont du rêve d’une communauté humaine ressoudée par l’épreuve à la certitude que nous passerons directement du confinement à l’affairement fébrile habituel car il faut faire repartir l’économie.

L’auteur nous souhaite dans un premier temps de garder l’espérance et de réfléchir sur le sens que nous voulons donner à notre vie. Si nous sommes en accord avec nous-mêmes, nous pouvons vivre en harmonie avec autrui et le monde qui nous entoure. Et il conclut par des propositions très concrètes pour changer de paradigme.

« Avant le coronavirus, nous étions déjà enfermés mais nous ne le savions pas. »

Nous n'espérons qu'une chose : sortir du confinement et que rien ne soit plus comme avant. Mais cela dépendra de notre engagement à changer notre façon de vivre.

Des paroles puissantes nous exhortent à tout faire pour que l’ampleur et la dureté de l’adversité solidarisent notre humanité entière dans la décision de changer de paradigme."

Et après ? Après cette période étrange et douloureuse de confinement, qu’allons-nous faire ? J’entends beaucoup d’appels, ces derniers jours, pour que la vague de cette pandémie produise dans notre humanité souffrante et égarée un choc de conscience ! Ces voix veulent croire que la terrible épreuve que nous traversons tous à l’échelle planétaire –plus de 2 milliards de personnes déjà confinées sur tous les continents- va être salutaire, qu’elle sera la chance paradoxale, l’opportunité terrible qu’il nous fallait ! Edgar Morin espère ainsi que l’événement nous fasse “ressentir plus que jamais la communauté de destin de toute l’humanité” (Libération, 27/03/2020) et d’autres paroles puissantes et justes nous exhortent à tout faire pour que l’ampleur et la dureté de l’adversité solidarisent notre humanité entière dans la décision de changer de paradigme. À tout faire, tous ensemble, pour qu’ait lieu enfin la grande révolution que nous attendons hors de ce système insensé qui détruit tout le vivant, nature et société, qui asservit nos existences et étouffe nos âmes… ce système fou dont la situation folle imposée par un virus est comme l’un des visages les plus grimaçants et menaçants. À tout faire donc pour entreprendre de changer radicalement nos façons d’être, de produire, de consommer, de travailler, de vivre les uns avec les autres et avec la nature. 

Certains semblent persuadés d’ailleurs que dès la fin de la pandémie va venir le temps d’une communauté humaine tout entière réveillée et ressoudée par l’épreuve, et qui, littéralement transfigurée, ne vivra plus dès lors que d’écologie, d’entraide et de paix. Les plus enthousiastes nous invitent même à assister à une série de petits miracles qui vont dans ce sens: regardez, nous disent-ils, comment face au virus, nous réalisons tous que, riches et pauvres, nous sommes à égalité de vulnérabilité; regardez de quelle façon la pollution a baissé, les conflits qui s’arrêtent, toutes ces nouvelles solidarités virtuelles qui se développent spontanément, et voyez comment les familles retrouvent le temps de se parler, comment chacun même retrouve le temps dont il manquait pour méditer sur lui-même. 

On repassera de l’anormalité extraordinaire du confinement immobile à l’anormalité ordinaire de l’affairement fébrile. Deux enfermements, l’un chez soi, l’autre “hors de soi”, dans une existence éparpillée qui n’a rien à voir avec l’essentiel.

Soit. Je partage cet optimisme. Mais je voudrais ici rappeler que l’optimisme est une responsabilité– le mot est du philosophe Alain. L’épidémie à elle seule ne pourra rien pour nous. L’épreuve à elle seule ne sera pas salvatrice. Bien au contraire, elle risque fort de nous précipiter demain dans une situation bien pire. Ce que nous observons de positif durant ce temps suspendu du confinement s’évanouira aussitôt que les “affaires” auront repris, que chacun sera à nouveau accaparé par sa vie d’avant, si nous ne faisons pas davantage que nous émerveiller, un peu béats, et si nous nous contentons de nous mettre à croire en des lendemains qui chantent. Retrouver l’espérance c’est bien, tout faire pour qu’elle se concrétise, c’est mieux. Notre optimisme n’aura donc raison que si nous sommes assez nombreux à prendre, dans cette période même de confinement, la décision, la vraie détermination à ressortir demain de chez nous pour nous engager, nous battre au quotidien et au long cours, en commençant par changer notre propre façon d’être et de vivre. 

Sinon, que va-t-il se passer ? On aura laissé les grandes voix prêcher dans le désert et retourner au silence, une fois de plus. On aura imaginé en rêve un beau “Demain”, une fois de plus. On aura pris la décision fictive de changer de vie, une fois de plus. Bref, on se sera fait encore une fois des illusions sans aucune force, ni danger réel pour le système et l’empire de son emprise. Et contrainte financière oblige, on reprendra le cours de notre vie normale… ou plutôt de cette vie anormale dans laquelle, du matin au soir, nous courons sans queue ni tête. On repassera de l’arrêt total à l’agitation totale, de l’anormalité extraordinaire du confinement immobile à l’anormalité ordinaire de l’affairement fébrile. Deux extrêmes, deux folies, deux enfermements en réalité, l’un chez soi, l’autre perpétuellement “hors de soi” dans une existence éparpillée entre mille buts et tâches qui n’ont pour la plupart à peu près rien à voir avec l’essentiel de ce qui devrait nous occuper. Car nous étions déjà enfermés mais nous ne le savions pas, ou pas encore assez. Enfermés dans un système de société et de civilisation devenu absolument insensé, qui nous fait tourner sans fin dans la roue du travail et de la consommation, qui ne se préoccupe que de nous faire fonctionner comme des robots toujours plus performants, de nous élever en batterie comme un bétail qu’on fait trimer et qu’on engraisse –et qu’on confine lorsqu’il faut protéger sa force de travail pour garantir ainsi l’avenir de ce qu’elle rapporte à une caste de super riches qui confisque l’essentiel de la richesse produite. 

Croit-on donc que la fin du confinement sera la fin de l’enfermement ? Croit-on qu’en ressortant de chez nous, on va s’échapper de la vraie prison où nous maintient le système ? Il faudrait être bien naïf pour le croire ! La réalité est que nous n’allons faire que rejoindre notre régime habituel d’enfermement. Et on peut raisonnablement prévoir que ce régime va se durcir dans des proportions inconnues jusqu’ici, jusqu’à l’insupportable. Pourquoi ? Parce que le système va mettre tout le monde à marche forcée pour “faire repartir l’économie”. Il va vouloir récupérer l’argent qu’il a perdu, et nous édifier pour cela avec des grandes leçons de “solidarité collective”, tout en n’oubliant pas de culpabiliser et de punir les mauvais tire-au-flanc qui essaient de se soustraire au saint effort de rembourrer les côtes amaigries du veau d’or. Les conditions de la vie sociale, du travail, vont ainsi devenir encore bien plus difficiles, asservissantes, démoralisantes, violentes. Elles vont faire des dégâts humains considérables à toutes les échelles, et bien sûr ce sont les plus vulnérables qui, toujours plus nombreux, vont en payer le prix le plus lourd. De quoi donc va-t-on réellement sortir, je vous le demande ? Et je veux bien espérer mais mesure-t-on bien, dans le camp des optimistes et des chantres de la révolution de civilisation, la force de frappe du rouleau compresseur libéral ?

Le système va mettre tout le monde à marche forcée pour “faire repartir l’économie”. Il va vouloir récupérer l’argent qu’il a perdu.

Face à la puissance hégémonique du système en place, combien de forces sont-elles prêtes à entrer en lutte, en résistance ? Faudra-t-il attendre que la folie destructrice du désordre établi nous précipite tous dans le chaos pour que des ruines du monde ancien surgisse un renouveau ? Ou bien peut-on encore croire que l’on va pouvoir s’en sortir avant, de justesse et sans passer d’abord par la case “destruction totale” et “effondrement” ? Les grands bouleversements historiques, dans le sens d’un progrès, sont souvent le fait d’une minorité plus consciente. Tant mieux, car ce que l’on observe très majoritairement aujourd’hui, ce sont des masses mondiales conditionnées et tétanisées par la peur autant que par l’obsession matérialiste de la consommation, et qui vont être contentes que demain des pouvoirs toujours plus autoritaires les privent de toujours plus de liberté pour être bien sûres d’être “protégées” et bien nourries –je devrais dire gavées. Tout le monde aime la liberté mais personne n’en veut. Cherchez l’erreur. C’est la même qui se reproduit depuis des millénaires, relisons La Boétie : lorsque le monde dans lequel il vit lui fait assez peur, l’homme entre de son plein gré dans la servitude de celui qui prétend pouvoir le protéger. 

Combien donc d’entre nous vont résister à la peur, garder la tête froide et conserver leur esprit critique, développer les ressources d’imagination créatrice et les forces de combat pour penser et construire ensemble une réelle alternative ? Les collectifs de citoyens conscients, nombreux à s’agglomérer sur le Net en ce moment, seront-ils assez pérennes et puissants demain pour faire émerger quelque chose d’autre ? La crise va certes déstabiliser les pouvoirs en place mais la demande d’ordre et de sécurité risque d’être bien plus grande que l’esprit de révolution et d’aventure. Il me semble, par conséquent, que toutes ces forces et ces intelligences de changement doivent, au lieu d’espérer un peu facilement en une sortie de crise heureuse et rédemptrice, plutôt se préparer à avoir encore devant elles de longues années de lutte obscure et souterraine. De longues années d’humilité. De longues années d’efforts invisibles passées à semer dans un sol ingrat les graines d’un renouveau qui, s’il doit germer un jour, ne le fera plus probablement que bien plus tard –bien après que soit passé le fléau de ce maudit virus. 

Je n’aurai pour l’heure, par conséquent, qu’un seul conseil. La patience dans l’épreuve et dans l’espérance. La patience et la persévérance dans l’invention d’un nouveau modèle de société et de civilisation. L’aurore finit toujours par arriver, même après la nuit la plus noire. D’ici là, essayons de ne pas tous céder à la panique ni, à l’inverse, à la “pensée magique” de croire que le changement serait déjà là, à portée de main. Galvanisons, coûte que coûte, notre résolution à mettre en œuvre ce changement dès notre libération. Mettons à profit l’enfermement lui-même pour fortifier en nous-mêmes cette résolution et notre foi en un avenir meilleur. Il le faut et ce sera demain plus difficile encore parce que sans doute d’autres épreuves nous attendent, toujours plus lourdes au fur et à mesure que nous nous serons enfoncés plus bas dans l’impasse. 

Tâchons donc dès maintenant de nous mettre en réseau, virtuel et réel -comme par exemple le réseau de solidarité auto-organisé #COVID- ENTRAIDE FRANCE- nous tous qui partageons le même constat de l’absurdité de la civilisation et de son scandale mais qui avons pris la décision d’y résister de toutes nos forces- quand bien même nous ne verrions pas de notre vivant le résultat de notre lutte. Et si l’aube arrive plus tôt que prévu, tant mieux.

Relions-nous pour réfléchir et en vue d’agir ensemble, dès la sortie du confinement, à ce nouveau paradigme de civilisation dont nous avons le plus urgent besoin. 

Quel sera ce nouveau paradigme ? Quelle peut être son idée de base, simple, dont le sens, l’intérêt seront immédiatement compréhensibles par tous ? Qui que nous soyons, où que nous vivions sur la planète, une même évidence et une même souffrance nous sautent aux yeux: nous avons rompu nos liens nourriciers, notre lien de proximité et de respect à la Mère Nature, notre lien de solidarité et de compassion aux autres à force de trop d’individualisme, et jusqu’à notre lien à nous-mêmes dans des vies absurdes ou superficielles. Voilà le dénominateur commun de toutes nos crises : la souffrance ou rupture de nos liens essentiels, notamment ce triple lien vital qui nous fait respirer, ouvrir grands nos poumons et notre cœur, grandir en humanité : le lien à soi, le lien à l’autre, le lien à la nature. Avec ce triple lien viennent naturellement pour nous le sens et la joie de la vie. Ni plus ni moins. Car le sens de la vie, n’en déplaise aux relativistes et aux nihilistes, est d’être en accord avec soi, de vivre en fraternité avec autrui et en harmonie avec la nature. Telle est la formule de la grande santé humaine.   

 Le sens de la vie est d’être en accord avec soi, de vivre en fraternité avec autrui et en harmonie avec la nature. Telle est la formule de la grande santé humaine.

 Voilà donc un nouveau paradigme possible : la vie bien reliée. Et voilà du même coup un objectif majeur pour les luttes de demain qui commencent aujourd’hui : réparer ensemble le tissu déchiré du monde. Ce but est capable aussi bien de les exalter en leur offrant une visée aussi spirituelle que politique, et de les rassembler dans leur diversité en une communauté de combat. Entre celui qui lutte pour sauver la biodiversité, celui qui s’engage pour les malades, les isolés, les déracinés, tous les souffrants, et enfin celui qui médite chaque jour pour trouver, au fond de son propre cœur, le lien sacré à la vie tout entière, ce sera le même engagement partagé dont chacun trouve et fait sa propre part. Car tous ceux-là auront entrepris, chacun sur un plan, de retisser un morceau du grand tissu déchiré. Il y a mille et une façons de le faire, en soi-même ou hors de soi. À chacun de trouver sa façon, de mettre ou remettre sa vie dans l’alignement de son moi profond ; de faire quelque chose pour le bien commun ; de retrouver un contact vivant et régulier avec la terre, l’eau, les arbres, les animaux, le ciel. Et pendant ce temps du confinement qui nous est imposé, c’est peut-être la première question avec laquelle nous avons rendez-vous : quels sont les liens que je peux réparer ? Là tout de suite, avec ceux en compagnie de qui je vis le confinement. Ce lien de sollicitude, de bienveillance, de partage, d’amour que j’avais un peu oublié ou négligé. Et demain, dehors, dans mon métier ou mon engagement bénévole, dans mon quartier ou sur mes réseaux, ce lien d’engagement et de combat qui va redonner à nos vies une belle et grande direction. Comment donc vais-je pouvoir rejoindre, dès aujourd’hui, l’armée des ombres, cette grande armée des Tisserandes et Tisserands qui ont entrepris de changer de vie pour changer la vie ? Et qui œuvrent souterrainement au monde d’après ?   

Il y a là un principe de base possible pour la future civilisation humaine, si toutefois elle doit voir le jour. J’ajouterais cependant une dernière chose, décisive à mes yeux. C’est formidable de se donner un but mais encore faut-il s’en procurer le moyen le plus efficace et le plus nécessaire. Or en l’occurrence, si nous voulons reconstruire ce triple lien il faut pouvoir y consacrer une part importante de son temps. La tâche, en effet, est tellement immense que nous n’aurons aucune chance d’y parvenir si nous ne pouvons pas lui donner l’essentiel de notre énergie et de nos journées. Certains ont déjà l’opportunité de s’y investir dans leur métier, lorsque celui-ci crée du lien ou en restaure. Mais beaucoup trop de vies sont aujourd’hui accaparées et gaspillées par des jobs qui non seulement n’ont pas tellement de sens autre que celui de gagner sa croûte mais qui ne permettent en rien de participer à raccommoder le tissu déchiré du monde… et qui même souvent contribuent à le défaire encore plus. La première question à se poser collectivement est par conséquent : comment libérer le temps des gens, de tous les gens qui en ont besoin pour apporter leur contribution et leur renfort à la recréation de tous nos liens brisés ? 

Ma réponse est celle que proposent actuellement de plus en plus de penseurs et de militants: il faut instaurer un revenu de base, décent pour vivre, qui libère de la contrainte économique toutes celles et ceux qui en auraient besoin, et qui en feraient la demande pour prendre leur part de la reconstruction de la civilisation humaine comme grand écosystème des liens vitaux à soi, aux autres et à la nature. Inventons donc ce qu’André Gorz appelait déjà au XXème siècle “la civilisation du temps libéré”. Et puisque toute lutte politique doit commencer par une revendication concrète, dont le bénéfice parle à tout le monde, je propose ainsi que ce revenu universel devienne maintenant l’étendard de ralliement de toutes les Tisserandes et tous les Tisserands du monde. Car lui seul pourra nous permettre de reprendre la maîtrise de notre temps… comme le fait un peu le confinement, qui à sa manière pénible et dans le meilleur des cas nous permet de faire déjà l’expérience d’une vie qui s’appartient à nouveau. Et ce temps retrouvé va lui-même libérer des espaces: des espaces où se parler pour s’aider mutuellement à trouver pour chacun sa “juste place” dans le projet de réparer le tissu déchiré; des espaces où planifier et coordonner toutes les actions à mener ensemble pour y arriver, des espaces que j’appelle pour cela “maisons du temps libéré” -qu’elles soient virtuelles ou réelles– parce qu’on y vit en commun le projet de réconcilier la grande famille humaine, et elle-même avec la famille encore plus vaste du vivant.

Abdenour Bidar

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Propos pour un « déconfinement » attendu.

Chronique de Bernard Ginisty du 8 avril 2020

La crise majeure due au Corona virus a conduit la plupart des gouvernements de la planète à « confiner » des milliards d’êtres humains pour enrayer la pandémie. De plus en plus d’observateurs s’interrogent sur « l’après », sur la sortie du confinement. Pour la plupart, il est hors de question de retrouver les modes de vie et de consommation que vient de « déconstruire » le virus. Tout un chacun affirme la nécessité d’une profonde réforme de notre citoyenneté économique et politique.

Le discours sur la réforme a une vieille histoire. Il a porté une des grandes fractures de l’Occident initiée par Luther. Aux beaux jours de la dogmatique stalinienne, la réforme était vilipendée. Les réformistes étaient accusés d’être de vilains petits aménageurs du grand capital voulant éviter la révolution pure et dure. Aujourd’hui, le mot réforme est dans toutes les bouches. Qu’il utilise le ton de l’épopée révolutionnaire, de l’indignation éthique ou de la critique technocratique, tout Français se veut réformateur. On peut s’étonner que ce prurit de réformes aille de pair avec le désenchantement politique que nous connaissons. Une des explications réside probablement dans le fait que chacun demande à l’autre de se réformer au lieu de se remettre lui-même en cause. Or, il n’y a pas de réforme possible si chacun ne débusque pas en lui et dans les institutions auxquelles il adhère, les complicités entretenues plus ou moins consciemment avec le système dénoncé. Il ne s’agit pas d’exhortation morale, mais d’une élémentaire analyse systémique du fonctionnement des sociétés sans laquelle le discours politique devient une perpétuelle oscillation entre la langue de bois technocratique et l’incantation révolutionnaire.

La réforme n’est pas un statut, une rente ou une institution établie. Le réformateur doit savoir que la vie des hommes dans la cité consiste à résister en permanence à des idoles, c’est-à-dire à ce qui le dispenserait de sa responsabilité : un sens de l’histoire soi-disant inéluctable, le culte de l’argent devenu la seule valeur commune, ou le dernier bruit médiatique à la mode. Il ne passe pas son temps à être le militant de la réforme des autres. Il a le goût du débat et de l’invention politique. Aussi éloignée de la répétition des pensées uniques que des manichéismes confortables à la recherche de boucs émissaires, la réforme suppose une nouvelle façon de penser la société et les modes de vie. Loin de s’accomplir dans une appartenance à une institution, même se définissant réformatrice, elle fait appel aux sources de création présentes en chaque homme.

Il s’agit donc de sortir du « confinement » dans des pensées uniques et des comportements grégaires et irresponsables. Dans une correspondance épistolaire passionnante entre Élisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut, unis par une amitié philosophique, mais politiquement opposés, celle-ci écrit : « Au fond, tu sais bien – et tu en souffres comme moi – que nous baignons dans un affreux mélange de puritanisme américain et de pornographie publicitaire qui tient lieu de libération » (1)

Tout « réformateur » devrait se rappeler ces propos du poète René Char : « Quand on a mission d’éveiller, on commence par faire sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement comme le premier saisissement sont pour soi » (2).

 

(1) Élisabeth de FONTENAY, Alain FINKIELKRAUT : En terrain miné, correspondance échangée entre septembre 2016 et juin 2017, collection Folio, éditions Gallimard, 2019, page 138.

(2) René CHAR, Les Matinaux, in Œuvres Complètes, bibliothèque de La Pléiade, éditions Gallimard, 1983, page 329.

Vous aurez peut-être envie de lire une interview « coup de gueule » d’André Comte-Sponville sur France Inter sous le titre "La mort fait partie de la vie"

https://www.franceinter.fr/idees/le-coup-de-gueule-du-philosophe-andre-comte-sponville-sur-l-apres-confinement?fbclid=IwAR2ylHDHdrzF_HxL4iT6rJyZ3nkjkrRiYDFhCigZ30V92UdPmOncuqbgJWg

L’auteur se pose deux questions : « Découvrons-nous brusquement que nous sommes mortels ? » Nous l’étions avant la pandémie et nous le resterons, la mort fait partie de la vie. Et le taux de mortalité lié au virus est de 1 ou 2 % maximum.

« La société fait brusquement de ses vieux une priorité absolue », pourquoi ? C’est occulter le réchauffement climatique, le problème des banlieues, le chômage des jeunes pour ne citer que ceux-là. Et la dette, résultat de cette épidémie, ce sont nos enfants et petits-enfants qui la paieront.                                                                 

 

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ECHOS

 Avancement du groupe de travail D&S

sur « le monde d’après à coconstruire »

 

Dans un premier temps, le groupe a échangé des textes susceptibles de faire avancer notre réflexion commune (ils ont été en partie repris par JC Devèze dans le document joint à l’invitation de la conviviale du 21 avril à 18h).

Lors de notre première réunion téléphonique le 16 avril, nous avons pu partager l’approche personnelle de chacun sur l’après, puis préciser l’objet principal du groupe. En priorité, le groupe produira un document de 4 pages au maximum, le plus percutant possible ; il devra exposer nos approches prioritaires s’inscrivant dans l’esprit D&S et s’appuyer nos convictions qui nous semblent importantes à partager (par exemple, valoriser la fraternité). Les sept personnes membres du groupe ont décidé de se retrouver au téléphone tous les jeudis matin pour atteindre dès que possible cet objectif.

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Que font nos partenaires ?

Forum 104 : Son nouveau directeur, Patrick Rochet se propose d’organiser des « Rencontres du Bien commun », début 2021, auxquelles D&S serait convié.

 

Avec le Labo de la fraternité, le Pacte civique et des membres de D & S participeront le 16 mai prochain, « Journée internationale du vivre ensemble en paix » promue par nos amis d’AISA, à la diffusion du 3èmebaromètre de la fraternité : la crise sanitaire pose en effet la question suivante : comment passer d’une fraternité de crise à une fraternité durable ?

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AGENDA

 

Prochains bureaux : vendredi 24 avril 2020 à 18 h, par téléphone et mardi 26 mai à 18h.

 

L’Assemblée générale du 28 avril 2020 de 18 h à 20h30 sera reportée au mois de juin.  Trois dates au choix vont être proposées afin de permettre la venue de nos amis des différentes régions, en espérant que la sortie du confinement la rendra possible. Un mail dans ce sens va être envoyé à tous nos adhérents.

 

Prochaines Conviviales :

Mardi 21 avril à 18h00 : Conviviale sur la crise sanitaire et le confinement, par téléphone, et sur inscription  . Une invitation vous a été adressée par le secrétariat de D&S le 14 avril.

 

Mardi 19 mai : Responsabilité et spiritualité, en préparation.

 

Groupes Cheminement parisiens :

 

Les membres du groupe cheminement 1, comme du groupe cheminement 2, se donnent un rendez-vous les mardis ou mercredis à l‘heure habituelle, pour garder le lien entre eux malgré le confinement. Ils prennent un temps de méditation, sans parole, loin des écrans, pour se connecter en pensée les uns aux autres. Certains produisent ensuite un écrit ou envoient un petit document audio au groupe pour témoigner de leurs ressentis ou perceptions.

 

L’Université d’été 2020 à Lyon, au centre Jean Bosco : Jeudi 27, vendredi 28 et samedi 29 août au matin :
Le « & » de D & S, l’alliance de la démocratie et de la spiritualité face aux défis actuels.
Le programme sera probablement repensé en raison de la pandémie que nous traversons.

 

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L'Ours

Lettre D&S N° 170 Avril 2020

ISSN 2557-6364

Directeur de publication : Jean-Baptiste de Foucauld
Rédacteur en chef : Monika Sander
Comité de rédaction : Jean-Baptiste de Foucauld, Sébastien Doutreligne, Eliane Fremann, Daniel Lenoir, Régis Moreira, Bertrand Parcollet
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