En-tête
---

  Lettre de D&S n°172

Juin 2020

 

Sommaire

Éditorial

Dossier du mois : Les ressources spirituelles dans l’exercice de nos diverses responsabilités dans la période actuelle

Nouvelles exigences démocratiques

Résonances spirituelles

Echos

Que font nos partenaires ?
Propositions de lectures
Agenda

 

---
---
---

EDITORIAL

 

Le temps des responsables

« Curieuse notion que la responsabilité. On la fuit comme on la cherche. On s’en défausse comme on s’en pare. On y accède comme on la quitte. On use du même vocable pour désigner un pouvoir, pour attribuer une faute ou louer une assomption. »[1]

Toute idée a son revers. Celle de responsabilité, à laquelle est consacrée cette lettre, en a deux, que rappelait Alain Etchegoyen, un philosophe un peu oublié, et qui fut aussi, quelques années après Jean-Baptiste de Foucauld, le dernier commissaire au Plan ; deux revers qu’un petit virus a remis en lumière.

Le premier, c’est celui de « pouvoir » et c’est pourquoi ce terme a été un de ceux retenus pour notre « enquête sur l’esperluette », le & de Démocratie et spiritualité. Là encore l’événement a bousculé nos réflexions : les décisions, notamment celles limitant de façon considérable nos libertés, et que finalement nous avons acceptées, ont-elles, même en situation d’urgence sanitaire, respecté suffisamment les principes de la démocratie, comme le conteste François Sureau[2] ? ; quelles valeurs, quelle idée de la personne humaine, ont inspiré ces décisions ? Comment aussi avons-nous nous-mêmes assumé des formes de responsabilité inédites, celle d’aller au-devant des risques pour « les premiers de corvée », celle de limiter au maximum nos contacts physiques de façon à ne pas être responsables de la circulation du virus, pour les autres ?

Le second, c’est celui de « culpabilité » que certains de nos concitoyens ont voulu mettre en cause en déposant des plaintes contre des membres du gouvernement. « Responsable, mais pas coupable » : c’est sans succès que Georgina Dufoix avait voulu rappeler dans l’affaire du « sang contaminé » cette distinction entre responsabilité politique et culpabilité pénale. Et c’est vrai qu’il y a quelques risques pour la démocratie, y compris celui de l’inaction, à vouloir faire sanctionner par les tribunaux des choix qui sont le résultat des politiques mises en œuvre par un pouvoir que nous avons désigné démocratiquement, comme les erreurs qui peuvent être commises à cette occasion, et que les commissions d’enquête, parlementaires ou indépendantes, sont sûrement plus conformes à l’idée qu’on peut se faire du débat démocratique. Mais a contrario, en n’assumant pas ses erreurs, tout pouvoir risque de tomber dans le mensonge et mettre sciemment en danger la vie des gens, et ce qui devient mensonge d’Etat transforme ces choix et ces erreurs en autant de fautes.

 « Vivre le temps des responsables met à l’épreuve notre liberté individuelle et notre réflexion collective. »[3]

Mais, et c’est ce pourquoi nous avons voulu interroger cette notion de responsabilité, celle-ci contribue aussi à nous faire grandir comme humains, en nous permettant de dépasser à la fois les déterminismes et l’individualisme : les déterminismes en mettant l’accent sur le « pouvoir d’agir » dont, chacun d’entre nous dispose, où qu'il soit ; l’individualisme en nous incitant à ne jamais oublier les conséquences sur les autres et sur la société de ce « pouvoir d’agir ».

La responsabilité c’est l’affirmation de ce « pouvoir d’agir ». Un « pouvoir d’agir » qui nécessite une régulation démocratique, d’autant plus forte qu’il est plus important : la démocratie c’est d’abord, pour tous, le « pouvoir d’agir » sur le pouvoir. Un « pouvoir d’agir » qui ne peut être motivé par les seuls intérêts, individuels ou collectifs, mais qui s’articule aussi avec des finalités qui dépassent nos destins individuels, avec les valeurs qui nous font agir. La vie, la liberté, la justice, la vérité …, nous sommes aussi appelés à un exercice de discernement sur ce qui inspire des comportements responsables.

 

Daniel Lenoir, Président de Démocratie et Spiritualité

 

[1] Alain Etchegoyen Le temps des responsables. Julliard, 1993.

[2] François Sureau L’or du temps. Gallimard, 2020

[3] Alain Etchegoyen, Le temps des responsables.

---

Nouveau Président de Démocratie et Spiritualité

Nous avons le plaisir de vous informer que, sur proposition de Jean-Baptiste de Foucauld qui souhaitait quitter ses fonctions, le CA du 9 juin 2020 a élu Daniel Lenoir à l’unanimité à la présidence de Démocratie & spiritualité. 

Une page nouvelle s’ouvre pour l’association, dans un souci à la fois de continuité avec l'inspiration des fondateurs et de renouvellement des méthodes et des thèmes de réflexion, pour élargir et diversifier le cercle de nos adhérents.

---

DOSSIER DU MOIS :

Les ressources spirituelles dans l’exercice de nos diverses responsabilités dans la période actuelle

---

CR de la conviviale du 19 mai 2020 animée par Jean-Baptiste de Foucauld et Bertrand Parcollet:                                                                                                

Le 1er tour de table virtuel permet à chacun-e d’évoquer la prise de conscience de sa responsabilité personnelle réelle pendant la pandémie, sur différents plans.

C’est d’abord dans nos attitudes vis à vis des autres qu’elle s’est exprimée, dans le souci de se protéger pour les protéger, et d’approfondir la relation au groupe familial, aux proches, aux voisins, de remercier les soignants.

Sur une plateforme nationale d’écoute et de soutien psychologique, les écoutants ont été assez peu sollicités pendant la période de confinement. Le risque d’enfermement était réel, beaucoup de personnes au chômage se sont refermées, comme enterrées, mais le confinement leur conférait parfois aussi une certaine légitimité, car elles se retrouvaient dans la situation commune puisque nous étions tous confinés. Lors de la reprise des entretiens, elles sont très heureuses d’être écoutées, la distance téléphonique et WhatsApp les aidant à ne pas se sentir jugées.

Des vécus opposés sont parfois évoqués lors de cette conviviale, à la fois une grande patience nécessaire pour rester à l’écoute des différences, ce qui n’est pas toujours aisé, et en même temps un sentiment d’urgence pour agir, coconstruire, et faire confiance.

Beaucoup soulignent le lien évident entre engagement extérieur, social par exemple, et ressources spirituelles, entre l’écologie extérieure et l’écologie intérieure : une nouvelle manière de vivre, d’écouter, de penser, voire de prier. La pratique de la sobriété est citée, la fraternité comme une ressource spirituelle pour soutenir l’action, tout en sachant qu’il faudra passer demain d’une fraternité de crise à une fraternité plus complète et plus durable et d’une sobriété subie à une sobriété choisie et juste. Selon une participante, « de nombreux groupes tissent une toile de dimension spirituelle pour sauver notre maison commune, et prendre les bonnes décisions politiques.

Plusieurs participants ont pris conscience aussi de l’attitude de la société à l’égard des plus âgés et de la mort. Attitude de protection des plus vulnérables mais aussi parfois une forme d’acharnement médical et de paternalisme, comme en témoigne l’expression « nos ainés » qui les déresponsabilise. Notre société vit dans la crainte et le déni de la mort, ce qui nous conduit à ignorer tout ce qui relève de la vulnérabilité et à privilégier la survie par rapport à l’inéluctable, la vie au détriment de la liberté de la personne. Ce déni entraine une perte d’humanité, avec les souffrances qui y sont associées, la détresse des personnes très âgées, celle des soignants des services de réanimation, qui, outre l’épuisement, ont vécu, en continu parfois, la disparition du lien aux patients, inconscients des soins qui leur étaient prodigués. Une réflexion s’impose sur le sens de la vie qu’il faut préserver mais aussi le sens de la mort qui est partie intégrante de la vie. Une participante suggère la mise en place à D&S d’un accompagnement spécifique, de nature spirituelle, laïque ou religieuse, sur la mort.

Avec le déconfinement, les nouvelles règles imposées aux visiteurs dans les Ehpad rendent difficile le contact avec les personnes les plus vulnérables. Port du masque pour les familles, vitre en plexiglas, distance à respecter les privent des gestes d’affection, pourtant essentiels, et réduisent leur existence à une survie biologique, alors que les semaines de confinement les avaient déjà coupées de leurs proches. Il nous faut ajuster ces règles pour ne pas perdre notre humanité. On est avec ce virus dans quelque chose de diabolique, comme s’il fallait être inhumain pour rester en vie.

En dissimulant une grande partie de notre visage, le masque introduit une sorte d’anonymat, transforme et complique le lien social. Il est difficile d’interagir avec quelqu’un dont on ne voit que les yeux et le front, surtout quand on ajoute la distanciation sociale. Une grande partie du plaisir de communiquer disparait. Là encore, il nous faut inventer pour maintenir la relation avec l’autre.

Face à cette faille systémique, (face à cette découverte que le système mondial de santé, de transport, de production, etc. a été gravement défaillant d’un seul coup), nous avons besoin de prendre du recul, de tirer les leçons d’expériences- qu’elles soient très spécifiques au cas de cette pandémie, ou génériques à de nombreux autres défis actuels- de ce vécu commun à toute l’humanité. Les ressources spirituelles interconvictionnelles peuvent nous aider à relever les défis, en nous inspirant de la richesse et de la profondeur des travaux de la philosophe Cynthia Fleury ou du sociologue Bruno Latour par exemple.

 

C’est aussi notre conscience citoyenne qui est questionnée, notre responsabilité dans l’origine et la gestion de la crise, dans l’acceptation des règles qui nous sont imposées.

 

Plusieurs participants témoignent qu’ils n’ont pas vu venir la crise. L’un d’eux évoque sa carrière passée d’urbaniste et d’aménageur, où la perspective d’une catastrophe sanitaire n’a jamais été prise en compte (pas davantage que celle d’un accident nucléaire, pourtant dans le champ du possible). On ne peut vivre dans l’attente des catastrophes à venir, dit un autre participant.

D’autres se sentent une responsabilité dans le manque d’anticipation du matériel nécessaire à une bonne gestion de la pandémie ou regrettent notre réaction tardive pour réclamer des masques, des tests, demander le respect de l’humanité dans les Ehpad, ou encore la liberté de culte en même temps que celle du commerce : nous n’avons pas été des démocrates assez spirituels. La conscience citoyenne suppose une certaine conscience du tragique. Ce qui était difficile avant le sera aussi après.

L’expérience du confinement a été dans les familles une épreuve de vérité pour l’autorité parentale. Autorité indispensable avec des tensions inévitables, dans une unité de temps et de lieu ouverte simultanément au travail, aux relations familiales et conjugales, aux loisirs. Autorité justifiée, et revalorisée en quelque sorte, sur le plan éducatif. Pourra-t-on dire qu’il y aura un avant et un après ?

Après une période où certains prônaient la « désobéissance civique », nous nous sommes soumis à « l’obéissance civique » : port du masque, respect des distances sociales, pour le bien commun. Cette expérience marque -t-elle le passage de systèmes hiérarchiques à des systèmes horizontaux construits sur une obéissance partagée, ou au moins consentie ? En tant que citoyens, sur le plan éthique, nous ne pouvons accepter l’atteinte aux libertés fondamentales liée à l’état d’urgence que dans le cadre démocratique existant et pour une durée très déterminée. Or dans le domaine judiciaire, les prolongations « d’office » de nombreuses détentions provisoires « se sont faites sans audiences, et alors même que les délais maximums n’étaient pas atteints. Le juge des référés du Conseil d’État a estimé que l’interdiction des rassemblements dans les lieux de culte après le déconfinement constitue une atteinte grave et illégale à la liberté de culte.

Concernant la gestion de la crise, sentiments et points de vue mêlés, voire opposés, s’expriment. C’est à la fois, en tant que citoyen, un sentiment d’impuissance disciplinée, une solidarité financière, la mobilisation des militants avec l’arrivée dans les associations d’aide aux plus démunis, aux victimes de la crise, de nouveaux venus, nombreux, et prêts à s’engager pour aider dans la durée. Concernant la gestion par le pouvoir, est évoqué tantôt un soutien aux décideurs, ainsi l’admiration d’un participant pour la capacité de réaction de nos dirigeants, d’adaptation à de nouveaux réflexes et stratégies à inventer face à un avenir inquiétant, notamment dans le domaine social ; tantôt une critique des gouvernants : dénonciation de la confiscation par l’État de la responsabilité du citoyen, mauvaise gestion de la crise, perplexité face au changement de position et de valeurs du président, qui ne sont plus crédibles, manque de maitrise de la situation de l’ensemble des dirigeants politiques.

 

Quelle est notre responsabilité dans les orientations à donner au « monde d’après » ?

Plusieurs participants évoquent leur part de responsabilité de citoyen dans l’avenir du monde, leur investissement, au sein du Pacte civique par exemple, sur la question de la démocratie, sur l’économie de demain en lien avec l’écologie, sur la réforme sanitaire. La planète est un grand village, au tissu de relations très dense ; il nous faut bien discerner les origines de la crise et les risques d’autres catastrophes à venir et prévoir une action publique internationale, commande de médicaments par ex. Promouvoir une gouvernance de santé mondiale plus rigoureuse, réguler le commerce des animaux sauvages. L’avenir dépend en grande partie du sens des responsabilités de chacun, le changement doit venir « de la base ». Le désir d’être utile est exprimé, par exemple auprès des enfants des écoles en les initiant au questionnement par le biais des contes. Le point de vue du philosophe André Comte-Sponville est cité : priorité à la vie sociale et économique et aux jeunes !

Il s’agira aussi à l’avenir d’approfondir les relations entre politique et science, de réguler le rôle des médias,de trouver de nouveaux équilibres pour construire le monde de demain. La spécificité de D & S, l’éthique du débat, qui permet de rendre les désaccords féconds, se révèle précieuse.Mais nous serons appauvris, et il nous faudra prendre conscience que de gros efforts seront nécessaires. 

 

La 2e partie de la conviviale porte sur la manière dont nous vivons la démocratie et sur la manière dont la situation actuelle interpelle notre vie spirituelle

 

 Bertrand Parcollet observe que la situation actuelle met en exergue trois formes dans l’évolution de la démocratie. D’’abord le gouvernement des experts et des savants, avec le risque de formation d’une oligarchie, ce qui interroge l’avenir du pouvoir exécutif. « Inscrire la démocratie dans le régime des savoirs et non simplement dans le régime des pouvoirs est essentiel » (Cynthia Fleury). Ensuite le gouvernement par l’opinion, avec une assemblée parlementaire représentative d’une opinion majoritaire à un moment donné, ce qui interroge l’avenir du pouvoir législatif. Le gouvernement de proximité enfin, avec une certaine re-légitimation de la démocratie locale, mais qui semble plutôt réservée aux petites communautés démocratiques.

Les participants évoquent successivement leur expérience de la démocratie de proximité, concrète, autour des « communs », encore peu développée en France, la nécessité pour les dirigeants de se mettre à l’écoute en multipliant les conférences citoyennes, en tenant compte de la pluralité des personnes, par la pratique des désaccords féconds pour éviter les malentendus qui bloquent l’action. A l’occasion de cette crise sanitaire, nos dirigeants ont dû sortir du fantasme de toute-puissance, pratiquer la modestie, l’humilité, bénéfiques pour notre démocratie. Comme l’écrit le philosophe Jürgen Habermas dans son analyse des ressorts éthiques et politiques de la crise : « il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non-savoir. Aujourd’hui, tous les citoyens apprennent comment leurs gouvernements doivent prendre des décisions dans la nette conscience des limites du savoir des virologues qui les conseillent ».

L’État jacobin, qui devrait se mettre davantage à l’écoute des collectivités territoriales, est plus handicapé que les États fédéraux, qui entretiennent une plus grande proximité avec les citoyens. Ne faut-il pas réfléchir à une évolution de nos institutions ? On peut aussi se demander si les pays qui prônent l’individualisme ou le pratiquent sous différentes formes, comme la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Espagne, ou les États-Unis, n’ont pas plus de mal à se sortir de la crise sanitaire que des pays qui ont le sens du collectif comme l’Allemagne, les pays d’Europe du Nord ou les pays asiatiques. Cela mériterait une étude plus poussée.

 

Comment D & S peut -elle contribuer pour que le nouveau projet de société soit une co-construction, pas seulement une réflexion d’experts ? Nous devons faire des propositions.

 

Quelles ont été les conséquences du confinement en termes de spiritualité, définie ici comme une occasion de se relier à soi-même, aux autres, à la nature, à l’universel ?

 

 On peut renvoyer à l’ouvrage Les Tisserands d’Abdenour Bīdar, (éd Les liens qui libèrent, 2016) : pour lui nous sommes confrontés, avant même la crise sanitaire, à une crise à ces 4 niveaux qu’il nous faut approfondir, pour « réparer le tissu déchiré du monde ».  La spiritualité, qui touche à l’universel, est une vertu indispensable pour reconstruire le monde, pour chacun et pour la collectivité. Des « sorties par le haut » sont ainsi possibles : religieuse ou laïque, la spiritualité peut apporter le souffle, la joie. Confrontations et dialogues entre les différentes spiritualités sont essentiels.

Jean-Baptiste rappelle que l’homme est passé d’une position dominée à une position dominante par rapport à la nature, à l’universel. Aujourd’hui, il reçoit un choc en retour, une forme de renversement, il se heurte à plus grand que lui. Il s’agit désormais de passer à une troisième étape, de considérer le monde comme un Autre qui mérite le respect, de faire émerger une communion nouvelle entre la Nature et l’Homme. La démocratie est l’attitude politique qui peut permettre ce meilleur équilibre entre l’homme et la Terre.

En plus des 4 définitions proposées par Bertrand pour définir la spiritualité, une 5ème : le temps. Il est plus important pour maturer les choses que la conquête des espaces, même si le confinement y a aidé.En jardinant, souligne une participante, on peut faire l’expérience du temps qui existe dans la nature, et se relier.

Eliane Fremann

---

Nouvelles exigences démocratiques

De la morale à l’éthique à l’heure du coronavirus

 

Comment sortir du couple « faute humaine /châtiment divin » qui structure les trois mythes de la Genèse (Le drame du jardin d’Éden, Le déluge et La tour de Babel), cités par Pierre Guilhaume dans ses « Réminiscences bibliques » (*), et qu’il rapproche du « virus-châtiment » qui frappe l’humanité aujourd’hui ? Notre première intuition est qu’à l’époque contemporaine, il nous faut passer des principes ou des convictions apriori qu’ont longtemps nourris les croyances religieuses aux observations des conséquences vécues par les populations humaines et décrites par les sciences dans la limite des connaissances.

 (*) Mèl du 1/04/2020 adressé aux membres du Pacte civique

 

Ce texte est né d’un dialogue exigeant entre Marcel Lepetit et Anne-Marie Feron, Nantaise adhérente de D&S et membre du Pacte civique. Né de l’incompréhension suscitée par le bandeau de la Lettre de D&S de mars 2020 (**) et de sa relation à la pandémie en cours. Ayant circulé auprès de quelques autres membres du même collectif nantais, il a bénéficié également de suggestions de Patrick Lassus, qui ont été intégrées dans cette version du texte publiée ici.

 (**) "On le voit maintenant : l'éthique de la conviction et l'éthique de la responsabilité ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent l'une l'autre et constituent ensemble l'homme authentique, c’est-à-dire un homme qui peut prétendre à la "vocation politique". (Max Weber, Le savant et le politique)

 

Introduction :

Deux culpabilités latentes traversent le regard d’une grande partie de nos contemporains en cette période de crise aiguë : au couple « faute humaine /châtiment divin » pour les chrétiens s’est souvent substitué le couple « avidité humaine / revanche de la Nature » pour les non-croyants. Dame Nature ayant facilement remplacé le Divin surtout chez les panthéistes. Ces deux types de représentation du lien entre le covid-19 et la responsabilité de l’humanité sont à nos yeux tout autant stérilisantes.

A ces visions binaires, nous proposons d’y substituer la triade « action injuste /conséquence / responsabilité », qui doit prendre en compte l’état lacunaire de nos savoirs[1] et de nos institutions. Une action humaine est dite injuste ou inappropriée lorsqu’elle rompt une relation d’équilibre aux vivants, humains et non humains ; on pourrait même dire lorsqu’elle rompt des « inégalités de vie », pour reprendre la formule favorite de Didier Fassin[2].

Ce triptyque est une manière d’actualiser la distinction de Max Weber entre « éthique de conviction » et « éthique de responsabilité », telle qu’elle a été repensée dans les années 1970 sous « le Principe responsabilité » par Hans Jonas (1979)[3]. Car avec le capitalisme numérique et la mondialisation des échanges économiques, l’humanité est entrée dans une nouvelle ère, cruellement ressentie aujourd’hui avec le coup de semonce en cours.

 

Développons cette grille de lecture

En première intention, nous reprenons la distinction de Marie-Laure Delorme[4] entre l’éthique des principes (on se décide en fonction de principes déterminants et intangibles) et l’éthique des conséquences (on prend aussi en compte les conséquences auxquelles leur stricte obéissance conduit). Cette distinction nous mène au cœur des contradictions humaines et des conflits de valeurs les plus aigus, au temps du Covid-19.

Pour introduire la question de manière schématique, commençons par donner quelques exemples liminaires de dilemmes moraux. Pouvait-on justifier ou non la torture des présumés terroristes sur la base navale américaine de Guantánamo, dans les années 2000-2010, ou bien celle pratiquée par l’armée française en Algérie à la fin des années 1950 ? Tous condamnent moralement la torture, mais certains mettront en avant qu’on peut éviter des morts supplémentaires par l’obtention d’un renseignement. En 2005, fallait-il publier ou non les caricatures de Mahomet[5]?  Entre le droit à la liberté d’expression et la haine des djihadistes, exacerbée par le sacrilège d’une figure sacrée dans la religion musulmane, où nos démocraties occidentales peuvent-elles mettre le curseur dans leurs relations avec le Proche et le Moyen Orient? Pour sortir du confinement dû au coronavirus, devons-nous choisir entre l’effondrement économique et sociétal dû à un arrêt prolongé du pays, ou accepter des dispositifs de suivi numérique que nous aurions refusés en temps normal ?

Questions qui ne peuventt trouver de réponse que dans une nouvelle éthique qui articule l’attachement aux principes guidant une action et la prise en compte des conséquences de ladite action. Nous développons ici quatre dilemmes auxquels nous confronte la crise sanitaire actuelle.

 

Premier dilemme : En cas de saturation des unités de soins intensifs dans nos hôpitaux, peut-on « trier » les malades ? Faut-il favoriser, par exemple, les plus jeunes aux dépens des plus âgés ?

 

Pour répondre à cette question début avril 2020[6], Jürgen Habermas part d’emblée de l’intangibilité juridique du « droit à la vie et à l’intégrité physique » pour chacun, garanti par la loi fondamentale allemande. Ce qui lui fournit un critère de discernement pour hiérarchiser les choix dans des situations à paramètres multiples.

Face au danger que représente la saturation des unités de soins intensifs de nos hôpitaux, le philosophe allemand évoque les « scénarios de médecine de catastrophe, qui ne se produisent que lors de guerres. Lorsque des patients y sont admis en trop grand nombre pour pouvoir être traités comme il conviendrait, le médecin se voit inéluctablement contraint de prendre une décision tragique car, dans tous les cas, immorale. C’est ainsi que naît la tentation d’enfreindre le principe d’une stricte égalité de traitement sans considération pour le statut social, l’origine, l’âge, etc., la tentation de favoriser, par exemple, les plus jeunes aux dépens des plus âgés. « Et quand bien même des personnes âgées consentiraient d’elles-mêmes à un geste moralement admirable d’oubli de soi, quel médecin pourrait se permettre de ‘comparer’ la ‘valeur’ d’une vie humaine avec la ‘valeur’ d’une autre et s’ériger ainsi en une instance ayant droit de vie et de mort ? », écrit-il.

Rappelons que cette tentation n’avait rien de théorique en France, puisque à la mi-mars 2020 cette question a été confiée au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur le « tri » des malades, principalement pour l’accès aux appareils respiratoires[7]. Heureusement, la France semble avoir échappé pour le moment[8] à ce qui est devenu une réalité en Italie.

Nous reprenons le raisonnement et la distinction que fait Habermas entre la logique économique des nombres et le principe selon lequel qu’il n’y a pas à « choisir » une vie humaine contre une autre. « Le langage de la ‘valeur’, emprunté à la sphère de l’économie, incite à une quantification qui est menée en adoptant la perspective de l’observateur [coupé de ce qu’il observe]. Mais l’autonomie d’une personne ne peut être traitée ainsi : elle ne peut être prise en considération qu’en adoptant une autre perspective, en se positionnant vis-à-vis de cette personne. En revanche, la déontologie médicale se montre conforme à la Constitution et satisfait au principe voulant qu’il n’y a pas à ‘choisir’ une vie humaine contre une autre. Elle dicte en effet au médecin, dans des situations qui n’autorisent que des décisions tragiques, de s’orienter exclusivement sur la base d’indices médicaux laissant penser que le traitement clinique en question a de grandes chances de succès ».

On peut penser que c’est au nom de ce principe que le CCNE, saisi par le ministère de la santé, a recommandé la création de « cellules éthiques de soutien » [9]pour aider les médecins en cas de saturation des hôpitaux.

Élargissons maintenant cette problématique à un 2è conflit éthique plus englobant.

 

Deuxième dilemme : Vaut-il mieux mourir de la maladie ou de la récession ? Faut-il choisir entre la vie ou l’économie ?

Roberto Saviano[10] s’interroge : Faut-il arrêter les productions au risque d’un effondrement économique, ou les maintenir en sacrifiant des vies humaines ?

L’écrivain italien compare deux politiques menées face à l’épidémie entre deux régions du nord de l’Italie (toutes les deux gouvernées par la Ligue du Nord) : la Lombardie et la Vénétie. Rappelons que dans le système italien, l’organisation des soins de santé est une prérogative des régions.

En Lombardie, « pour éviter de confiner des ouvriers indispensables aux chaînes de montage (…), [ les indécisions et les mesures tardives ont ]  favorisé une diffusion massive de la contagion (…), qui a provoqué une mortalité épouvantable. Cette réalité nous saute aux yeux, offrant l’image d’un territoire géré par des classes dirigeantes qui auraient décidé de « ne pas s’arrêter », conscientes du risque de l’hécatombe, voire pariant sur le destin ».

Par contraste, « la Vénétie a beaucoup misé sur le dépistage des personnes asymptomatiques pour identifier les foyers de contagion et agir ensuite rapidement en isolant les territoires concernés. A la différence de la Lombardie, où la contagion s’est accrue à cause de l’impréparation des petits hôpitaux, la Vénétie a tenté de limiter les hospitalisations des malades (sauf, bien sûr, pour les cas graves) en privilégiant les soins à domicile ».

R. Saviano ajoute : « Bien qu’ayant une population très inférieure (environ moitié moins), mais bénéficiant d’un dynamisme économique équivalent (…), cette différence d’approche (…) se mesure au nombre de personnes ayant perdu la vie : plus de 10 000 en Lombardie et moins de 1 000 en Vénétie, alors même que le nombre de tests de dépistage du virus y est à peu près équivalent (entre 170 000 et 180 000) ».

On voit que ce débat éthique entre la vie ou l’économie, la propagation de l’épidémie ou l’amortissement de la récession qui s’annonce concerne tous les pays du monde, y compris la France bien entendu.

L’observation dramatique du journaliste italien nous conduit à un 3è débat éthique, qui se joue dans les arbitrages complexes entre des impératifs contradictoires, auxquels s’est trouvé confronté le conseil scientifique Covid-19, chargé de conseiller le chef de l’État[11].

 

Troisième dilemme : Comment choisir le moment approprié pour lever le confinement par étapes ?

Redonnons la parole au philosophe allemand, Jürgen Habermas, qui reste fidèle au critère de discernement qu’il a posé plus haut : accorder la primauté aux droits fondamentaux sur le calcul utilitariste de l’économie.

« Avec la décision portant sur le moment approprié de mettre fin au confinement, la protection de la vie, qui s’impose non seulement sur le plan moral mais aussi sur le plan juridique, peut se retrouver en conflit avec, mettons, des logiques de calcul utilitaristes. Les hommes et les femmes politiques, lorsqu’il s’agit d’arbitrer entre, d’un côté, des dommages économiques ou sociaux et, d’un autre, des morts susceptibles d’être évitées, doivent résister à la « tentation utilitariste » : doit-on être prêt à risquer une « saturation » du système de santé, et donc des taux de mortalité plus élevés, pour redonner de l’essor à l’économie et atténuer ainsi le désastre social d’une crise économique ? » 

Sa conclusion personnelle est claire : « Les droits fondamentaux interdisent aux institutions étatiques toute décision qui s’accommode de la mort de personnes physiques »[12], même si la décision des gouvernants s’avère plus compliquée à prendre.

Au terme de ce bref examen des débats éthiques auxquels nous confronte la crise sanitaire en cours, nous terminerons par la question du confinement des seniors.

Quatrième dilemme : Fallait-il sur-confiner plus longtemps les aînés, au risque de la dépression psychologique ?

Après avoir beaucoup hésité, nos gouvernants ont fini par répondre « non ». Et pourtant la médecine technicienne penchait pour le « oui », au vu des données fournies par le dernier Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 22 avril 2020 de Santé publique France[13]: 93 % des personnes décédées du coronavirus avaient plus de 65 ans et 81 % avaient un ou plusieurs gros problèmes de santé préalable (comorbidité). La moyenne d’âge des décès est de 81 ans.

On sait que la médecine tendant vers le tout-chimique, et victime de son fantasme de toute puissance dans une société du tout-maîtrise, est favorable à des mesures de confinement strictes pour protéger les personnes âgées.

« (…) Mais, on sait maintenant qu’une grande majorité des seniors s’est révoltée lorsqu’il a été question de les maintenir en confinement obligatoire jusqu’à la fin de l’année. Fallait-il que l’économie mondiale soit à l’arrêt pour prolonger leurs jours ?

Le Pr Axel Kahn de la Ligue contre le cancer a témoigné avoir reçu une avalanche “d’appels désespérés” suite à ces annonces (heureusement annulées entre temps). Sa réponse en tant que médecin rejoint celle de la psychologue Marie de Hennezel[14] : « Nous savons (…) que pour aider les gens, il ne faut jamais rompre avec eux. Il faut les accompagner en leur proposant ce qu’ils sont capables d’accepter, ce à quoi ils peuvent adhérer. Ce que nous disons aux personnes âgées ou à celles atteintes d’un cancer, c’est de gérer leur déconfinement de manière spécifique : éviter les réunions familiales, voir les petits-enfants sans les embrasser… En revanche, il faut qu’elles puissent aller prendre l’air, se promener, en portant un masque. »

« (…) Leur attitude est appuyée par l’analyse de David Le Breton, professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg, qui estime que « l’enfermement (même volontaire) peut avoir des conséquences dramatiques. C’est ce que le personnel soignant des EHPADs appelle le syndrome du “glissement”, les personnes âgées qui ne reçoivent plus de visites se laissent lentement mourir de solitude et de désespoir ». Santé publique France rappelle que la peur de la maladie et les conditions de vie bouleversées ou plus précaires en cette période de confinement ont des conséquences sur la santé mentale des Français.[15]

 

Autre grand dilemme de cette crise : celui de la mort dans le plus grand isolement.

 

« (…) Au-delà du problème des seniors en bonne santé qui ne souhaitent pas rester confinés jusqu’à la fin, se pose la question, encore bien plus douloureuse, de toutes les personnes malades qui meurent actuellement dans le plus grand isolement.

On parle de “sauver des vies” mais on peut aussi gâcher toute une vie en privant une personne de la présence de ses proches au moment du grand passage. »

“Il est saisissant que, du plus profond de leur surconfinement forcé, ce soit en définitive les personnes âgées qui, en ce temps, fassent retentir pour toute la société le cri de la dignité humaine blessée”, affirme Mgr Matthieu Rougé.

« (…) Ce processus est encore plus douloureux, lorsqu’il nous a été interdit de partager les derniers moments du mourant.

(…) La cérémonie des obsèques elle-même est pratiquement devenue impossible. Pas moyen de partager les pleurs, d’apporter ni de recevoir du réconfort, de se prendre dans les bras, car cela est désormais incompatible avec les “gestes barrières” obligatoires.

Que sommes-nous en train de sauver, donc ? Quel genre de vies allons-nous avoir si, en plus de la perspective commune de la maladie et de la mort, nous devons nous préparer à vivre ces épreuves sans pouvoir être entourés, sans contact, sans cérémonies ?

(…) Tout cela produit une masse de souffrance que les mots ne peuvent pas décrire. La douleur extrême est muette. Les personnes les plus frappées par les drames liés au coronavirus ne sont pas sur des plateaux télés, à la radio, ni en train de diffuser des messages incendiaires sur Twitter ».

L’accompagnement des personnes âgées, des mourants et de leurs proches pose la question de l’éthique du « care », du soin accordé aux autres. Les chercheurs y mettent en évidence que les critères de décision morale peuvent être différents selon le genre. « Confrontés à un même dilemme éthique, les hommes ont plus souvent recours à des valeurs fondées sur l’impartialité et des principes abstraits de justice pour motiver leur décision, tandis que les femmes ont tendance à valoriser l’impact concret de leur choix, la valeur et le souci de l’autre en recherchant la meilleure solution pour préserver et entretenir les relations humaines qui sont en jeu »[16].

Cette donnée est d’autant plus importante à considérer, quand on est devant les constats suivants : Dans les hôpitaux et les Ehpads, ce sont en majorité des femmes qui prennent en charge aujourd’hui les malades du Covid-19. Elles représentent au total 87 % des infirmiers et 91 % des aides-soignants en France, avec des rémunérations souvent faibles. Elle est plus forte encore dans les métiers de service à la personne, avec 97 % de femmes chez les aides à domicile et les aides ménagères, des emplois qui cumulent bas salaires et temps partiel.

Quel que soit le genre de celles et ceux qui sont les professionnels du soin, ils/elles exercent leur activité avec le sens des responsabilités qui caractérise la relation aux autres.

 

Conclusion provisoire :

Pour reprendre notre triade « action injuste /conséquence / responsabilité » de l’introduction, nous voyons que les humains doivent écarter les décisions injustes au nom de principes réexaminés au vu de leurs conséquences. Ainsi, dans le contexte de la pandémie en cours et des ravages qu’elle entraine (près de 400 000 morts dans le monde à ce jour), nous nous réjouissons que le primat accordé à la vie ait permis d’écarter certaines tentations, comme le « tri » des malades, la relance trop rapide de l’appareil de production ou le sur-confinement des seniors.

De même qu’il est improductif de séparer principes et conséquences, il est inutile d’opposer davantage éthique et morale[i][17]. Ce sont deux instances qui permettent d’interroger les comportements humains à l’aune du « tout n’est pas permis ». Cette double approche de la morale par les principes et de l’éthique par les conséquences se fond dans la notion de responsabilité des humains à l’égard de tous les vivants. Car la responsabilité est à la fois un fait (nous sommes comptables de nos actions à l’égard d’autrui) et une valeur morale faite d’autant de devoirs que nous avons de droits.

 C’est en réconciliant principes et conséquences que la maxime du Mahatma Gandhi s’est faite connaître sur tous les continents : « Sois le changement que tu veux voir dans le monde ». Ce qui rappelle la Règle d'or dont le principe fondamental est énoncé dans la plupart des religions et des cultures : « Traite les autres comme tu voudrais être traité » ou « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse ».  Il en va de même de la consigne en vigueur depuis l’apparition du Covid-19 : « Se protéger soi, c’est protéger les autres » est bien conforme au « principe responsabilité », lequel renvoie à l’éthique indépassable de la réciprocité.

 

 

 

 

[1] C’est à dire « le savoir explicite de notre non-savoir », selon l’expression du philosophe allemand Jürgen Habermas. Entretien au « Monde » du 10/04/2020.

[2]La vie. Mode d'emploi critique, Seuil, 192 p., 2018

[3]Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, 1979 ; trad. française éditions du Cerf, 1990

[4] Marie-Laure Delorme, Journal du Dimanche, 1er février 2015. Distinction qu’elle mobilise pour analyser le concept d’indécidabilité dans les travaux de Pierre Bayard, professeur de littérature française et psychanalyste.

[5] D’abord par un journal danois, puis par Charlie Hebdo

[6] Ibidem

[7] Tribune au Monde du 20 mars 2020 de Philippe Bizouarn (Médecin anesthésiste-réanimateur, CHU de Nantes) : Coronavirus : « Dans un contexte de ressources rares et face à l’arrivée massive de patients, un tri pourrait se faire »

[8] Ce qui semble contesté par le Directeur général de l’association Marie-Prie dans le Bas-Rhin (l’un des foyers nationaux de l’épidémie les plus importants avec la Seine-Saint-Denis). Enquête de Florence Aubenas publiée par Le Monde papier du 28/04/2020 < https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/26/bienvenue-en-alsace-a-coronaland_6037791_3224.html >

[9] Le Monde du14/03/2020

[10] Écrivain et journaliste italien. Tribune au « Monde » du 1/04/2020

[11] Voir son 6e avis sur les conditions du déconfinement, analysé par « Monde » du 25/04/2020 <https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/25/coronavirus-masques-systematiques-teletravail-ecoles-le-conseil-scientifique-recommande-une-strategie-nationale-pour-le-deconfinement_6037781_3244.html >

[12] Toujours, son entretien au « Monde » du 10/04/2020

[13] COVID-19 : une étude pour connaître la part de la population infectée par le coronavirus en France (Mis à jour le 22/04/2020) <https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-une-etude-pour-connaitre-la-part-de-la-population-infectee-par-le-coronavirus-en-france>. Données reprises ici de la newsletter du 25/04/2020 de Jean-Marc Dupuis - Santé Nature Innovation, que nous a transmis Yvon Rastetter. Cette lettre d’information gratuite < https://lead.santenatureinnovation.info/inscription-santenatureinnovation/ >, qui affiche 850.000 abonnés, se présente comme celle de « la médecine naturelle » opposée à « la médecine traditionnelle (qui) dérive (selon lui) vers le tout-chimique ».

[14] France Culture. Matinale du 27/04/2020

[15] COVID-19 : une étude pour connaître la part de la population infectée par le coronavirus en France (Mis à jour le 22/04/2020) <https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-une-etude-pour-connaitre-la-part-de-la-population-infectee-par-le-coronavirus-en-france>. Données reprises ici de la newsletter du 25/04/2020 de Jean-Marc Dupuis - Santé Nature Innovation, que nous a transmis Yvon Rastetter. Cette lettre d’information gratuite < https://lead.santenatureinnovation.info/inscription-santenatureinnovation/ >, qui affiche 850.000 abonnés, se présente comme celle de « la médecine naturelle » opposée à « la médecine traditionnelle (qui) dérive (selon lui) vers le tout-chimique ».

[16] Par exemple, la psychologue américaine Carol Gilligan, In a Different Voice, publié en 1982 (Une voix différente, Flammarion, 2008), citée dans l’enquête de Claire Legros publiée par Le Monde du 1/05/2020

[17] Les nombreux articles disponibles sur le web quant à la différence sémantique, versus la confusion, entre éthique et morale ne permettent pas de conclure à une différence irréductible.

---

Résonances spirituelles

Marie de Hennezel : « L’épidémie de Covid-19 porte à son paroxysme le déni de mort »

 

TRIBUNE

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/04/marie-de-hennezel-l-epidemie-de-covid-19-porte-a-son-paroxysme-le-deni-de-mort_6038548_3232.html

à Nous publions cet article en lien avec la constitution d’un nouveau groupe D & S : « Vieillissement, fin de vie et mort » sous la responsabilité de Sébastien Doutreligne, qui cherche un.e co-animateur/trice…

Fustigeant la « folie hygiéniste » qui, sous prétexte de protéger les plus âgés, leur impose des « conditions inhumaines », l’écrivaine et psychologue Marie de Hennezel estime que la crise sanitaire met à mal le respect des droits des personnes en fin de vie.

Tribune. Si le déni de la mort est une des caractéristiques des sociétés occidentales, l’épidémie due au SARS-CoV-2 illustre son paroxysme. Depuis la seconde guerre mondiale, ce déni n’a fait que s’amplifier, avec le progrès technologique et scientifique, les valeurs jeunistes qui nous gouvernent, fondées sur l’illusion du progrès infini, la promotion de l’effectivité, de la rentabilité, du succès. Il se manifeste aujourd’hui par une mise sous silence de la mort, une façon de la cacher, de ne pas y penser, avec pour conséquence une immense angoisse collective face à notre condition d’être humain vulnérable et mortel.

Ce déni de la mort a eu trois conséquences. D’abord au niveau individuel, il n’aide pas à vivre. Il appauvrit nos vies. En faisant comme si la mort n’avait pas d’incidence sur notre manière de vivre, nous croyons vivre mieux, mais c’est l’inverse qui se produit. Nous restons souvent à la surface des choses, loin de l’essentiel.

Une illusion

Ensuite, ce déni entretient une illusion, celle de la toute-puissance scientifique et technologique, celle du progrès infini. Avec ce fantasme incroyable : imaginer qu’un jour on pourrait avoir raison de la mort. Enfin, le déni de la mort nous conduit à ignorer tout ce qui relève de la vulnérabilité. Il est responsable d’une perte d’humanité, d’une perte de la culture de l’accompagnement, avec les souffrances qui y sont associées.

Dès 1987, avec l’arrivée des soins palliatifs en France, a commencé un long combat pour sortir de ce déni. En 2005, lors de son audition au Parlement, en vue de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie (dite loi Leonetti), la sociologue Danièle Hervieu-Léger avait eu cette réflexion : « Le déni de la mort se venge en déniant la vie. La mort qui n’a pas sa juste place finit par envahir toute l’existence. Ainsi notre société est-elle devenue à la fois thanatophobe et mortifère. » Le déni a pourtant perduré.

L’épidémie actuelle l’illustre factuellement. La peur de la mort domine. Au lieu d’être considérée comme notre destin à tous, une réalité sur laquelle il faut méditer car elle est inéluctable, la mort devient l’ennemi à combattre. Faut-il pour autant ne pas se protéger ni protéger les autres, évidemment que non. Mais cette responsabilité doit être laissée à chacun et non édictée par un pouvoir médical devenu tout-puissant, qui poursuit aujourd’hui son fantasme d’éradiquer la mort, de préserver la vie à tout prix, au détriment de la liberté de la personne. Les acquis sur la dignité du mourir et le respect des droits des personnes en fin de vie sont brutalement mis à mal.

Le combat contre la mort est vain

Je ne remets aucunement en cause l’acharnement avec lequel médecins et soignants, au risque de leur propre vie, soignent des patients qui ont encore envie de vivre. Je remets en question la folie hygiéniste qui, sous prétexte de protéger des personnes âgées, arrivées dans la dernière trajectoire de leur vie, impose des situations proprement inhumaines. Cela a-t-il un sens de confiner une personne âgée, qui dans son for intérieur est relativement en paix avec l’idée de mourir, comme c’est le cas pour beaucoup ? De l’empêcher de vivre les dernières joies de sa vie, voir ses enfants, les embrasser, voir ses amis, continuer à échanger avec eux ? Leur demande-t-on leur avis, leur choix ? Demande-t-on aux proches ce qui est plus important pour eux : prendre le risque d’attraper le Covid-19 en prenant une dernière fois dans ses bras un parent aimé et lui dire au revoir ? Ou se protéger au risque d’une culpabilité qui les empoisonnera pour longtemps ?

Ce déni de la mort est dramatique et le combat contre la mort est vain. Nous ne mesurons pas les souffrances qui naîtront de l’érosion de l’humain quand la distanciation sociale sera devenue la norme, comme des inégalités que cette peur de la mort aura induites, les désespoirs, les dépressions, les violences, les envies de suicide. Nous réaliserons après le confinement le mal qui aura été fait en privilégiant la vie au détriment de la personne.

Les vraies questions sur le sens de l’existence

Car qu’est-ce qu’une personne ? Sinon un être humain qui, se sachant mortel, et méditant sur sa finitude, est renvoyé à l’essentiel, à ses priorités, à ses responsabilités familiales, aux vraies questions sur le sens de son existence.

Heureusement, quand notre société aura atteint le pic du déni de la mort, s’amorcera un déclin. Nombreux sont ceux qui, déjà dans le silence de leur confinement, méditent aujourd’hui sur le sens et la valeur de leur existence, sur le genre de vie qu’ils ont vraiment envie de mener. Une vie de retour aux choses simples, une vie où le contact avec ceux que l’on aime compte plus que tout, où la contemplation du beau et de la nature participe à la joie de vivre.

Une vie où l’on n’abandonne pas les plus vulnérables, où la solidarité humaine l’emporte. Une vie qui respecte les rites essentiels qui ponctuent l’existence et rassemble la communauté des vivants : la naissance, le mariage, la mort. Une vie où le devoir d’accompagnement de ceux qui vont mourir impose naturellement la présence, les mots d’adieu, bref d’entrer dans ce que le psychanalyste Michel de M’Uzan (1921-2018) appelait « l’orbite funèbre du mourant ».

Marie de Hennezel est psychologue et écrivaine.

 

Introduction à l’intervention de Bernard GINISTY dans le cadre du Colloque « Nicolas BERDIAEV aujourd’hui » tenu les 13 et 14 avril 2013 à Castelnaudary (Aude) à l’initiative de l’Association Culturelle du Razès.

àVous trouverez le dossier complet sur notre site :  http://www.democratieetspiritualite.org  sous la rubrique « Débattre ».

 

La vie spirituelle se vit à travers un engendrement permanent.

En cela, elle a quelque chose à voir avec la démocratie. Celle-ci désespérera toujours les nostalgiques de la sécurité des systèmes clos, car elle laisse toujours ouverte la question de la vérité et donne place en son sein à une opposition, au lieu de la rejeter dans le non-sens. La démocratie, comme la spiritualité, ne vit que de la responsabilité de chacun par-delà ses enracinements nationaux, raciaux culturels ou religieux.

Nicolas Berdiaev ne cesse de promouvoir cette pensée de l’aurore : « Maintenant encore, je voudrais pouvoir recommencer ma vie de manière à rechercher encore et toujours la vérité, le sens de la vie. La vérité possède une éternelle nouveauté, une jeunesse infinie. J’ai déjà dit que j’ai une curieuse disposition d’esprit : pour moi, un développement ne se passe pas comme une ligne montant tout droit. La vérité se présente à moi éternellement neuve, comme fraîche éclose et révélée ».

L’espace spirituel, comme l’espace démocratique, laisse place pour le surgissement de l’Autre, c’est à dire pour des naissances.

---

Échos

 Vous trouverez un hommage à notre amie Geneviève Esmenjaud, en date du 17 mai 2020 sur notre site sous la rubrique « Actualité ».

---

Que font nos partenaires ?

Pacte Civique

Parmi les travaux récents et notables qu’a produit (ou contribué à produire), le Pacte civique en mai, nous pouvons retrouver :

• La parution imminente du rapport 2019 de l’Atelier Démocratie/OCQD : « Le poids de la défiance, le prix de la confiance », avec pour thème central la crise des Gilets Jaunes et le Grand Débat National. D’autres thèmes ont été abordés, parmi lesquels : Les élections Européennes de 2019, la politique énergétique du gouvernement, la loi LOM, EGALIM etc.

http://www.pacte-civique.org/?OCQD

• La parution du Baromètre de la Fraternité (3ème édition) le 16 mai, co-produit par le Pacte civique, et qui comporte une série de propositions afin de mieux faire vivre la valeur Fraternité dans nos sociétés et institutions.

https://pactecivique.fr/2020/05/05/le-barometre-de-la-fraternite-en-est-deja-a-sa-troisieme-edition/

Charles Cusseau

 

Ecritures&spiritualités

La situation sanitaire ne nous ayant pas permis de réunir le jury, la remise du prix annuel 2020 se fera exceptionnellement en fin d’année, sous la présidence de Sylvie Germain.  Ce prix reconnaît la place de la littérature dans la rencontre spirituelle et est particulièrement attentif à la qualité d’écriture, au souffle spirituel, à la présence de l’altérité.

Six ouvrages sont en compétition. Delphine Dhombres, Hommes de l’ombre. (Nouvelle cité). Ryad Girod, Les Yeux de Mansour (P.O.L.).
Fabrice Hadjadj, À moi la gloire (Salvator).
Yannick Haenel, La Solitude Caravage (Fayard). 
Dai Sijie, L’Évangile selon Yong Sheng (Gallimard). Valérie Zenatti, Dans le faisceau des vivants (L’Olivier).

Plusieurs rencontres ont dû être annulées ou reportées, nous espérons qu’elles auront lieu le 18 septembre (avec Marguerite Kardos et Philippe de Tonnac autour de son livre le cercle des guérisseuses) et en fin d’année, un récital autour du texte de Christian Bobin l’homme qui marche.  

Cette étape de confinement correspond pour notre association fondée dans les années 70, à un temps de réflexion et de maturation sur la place de la littérature spirituelle dans le débat public contemporain. Comment ces écritures dialoguent-elles ? Sont-elles audibles pour un large public, sans les barrières des étiquettes et des préjugés ? Quels sont les textes porteurs d’un spirituel qui éclaire l’homme contemporain ?

Faut-il poursuivre la réalisation de ces salons, moments forts de rencontres et d’altérité, mais lourds d’organisation, développer de nouveaux outils numériques, ou nous concentrer sur notre prix qui valorise des textes porteurs de souffle et d’universel ? 

Pour répondre à ces questions, il faut nous ouvrir aux partenariats avec des groupes et associations pour croiser nos regards et développer nos complémentarités.

Dans cette période de gravité et de retrait, nous formons le vœu que, du silence, mûrisse un travail d’hospitalité essentiel à tout écrivain et à tout lecteur.  L’expérience de la frugalité s’applique aux mots que nous échangeons, il nous revient, par l’écriture, de devenir hôtes de nous-mêmes et des autres, et de plus vaste que nous même… 

Et que du désarroi germent des pages jamais écrites pour éclairer la nuit du monde.    

Christine Ray, présidente, Ecritures&spiritualités

Propositions de lectures :

 

Edgar Morin : Un Festival d’incertitudes ; 2020.04.21 Tract de crise GALLIMARD N° 54

L’expérience des irruptions de l’imprévu dans l’histoire n’a guère pénétré les consciences. 

L’arrivée d’un imprévisible était prévisible, mais pas sa nature. Edgar Morin

 

Marion Muller-Colard : Lettre à Lucie ; 2020.04.10 Tract de crise Gallimard N° 42

Docteure en théologie, auteure de plusieurs essais dont L'Autre Dieu. La Plainte, la Menace et la Grâce (2014), Le Complexe d’Elie (2017), L’Intranquillité (2017), Marion Muller-Colard participe à une cellule éthique de soutien au personnel soignant au cœur de la pandémie de Covid-19. Dans un court texte, humble et profond, elle s’adresse à Lucie, une infirmière qui a lancé un appel poignant sur le non-respect de la dignité des morts du Covid. L’auteure rappelle que les règles de toutes les sociétés humaines reposent sur le soin de leurs défunts et sur le respect de leur dignité. Eliane Fremann

 

Albert Camus : L’ABéCédaire : Marylin Maeso, Editions de l'Observatoire, 2020

Voilà un ABéCédaire utile pour tous ceux qui s’intéressent à la pensée d’Albert Camus, la pensée d’un auteur qui est sorti du statut de « philosophe pour classe de terminale » et qui, marquée par les événements auquel il a été confronté, n’a pour autant rien perdu de son actualité. Agrégée de philosophie et spécialiste de l’œuvre d’Albert Camus, Marylin Maeso qui vient aussi de publier Les lents demain qui chantent, a sélectionné, autour de  238 mots-clefs, autant, et même un peu plus, d’extraits et de citations, dont les plus connues (comme « mal nommer », avec la source), mais aussi souvent oubliées :  fraternité, humanisme, laïcité, utopie, quatre thèmes parmi d’autres sur lesquels le regard de Camus vaut le détour. Daniel Lenoir

 

---

AGENDA

 

Prochains bureaux : mardi 23 juin et mardi 8 septembre à 18h.

 

L’Assemblée générale se tiendra le 12 septembre 2020 au matin et se prolongera par une après-midi conviviale.

 

Prochaines Conviviales :

•  Mardi 16 juin : La question de la pauvreté, du chômage et de l’exclusion à la suite de la crise du Covid-19, avec Paul Israel, président du CCSC et sympathisant de D&S, et Christophe Devys, président du Collectif ALERTE, qui échangeront avec nous.

Pour participer, s’inscrire ici : http://www.democratieetspiritualite.org/contactez-nous/

•  Mardi 22 septembre : Vieillissement, fin de vie et mort ; lancement du groupe de travail animé par Sébastien Doutreligne, qui cherche un.e co-animateur/trice

•  Mardi 20 octobre 2020 : Thème à définir

 

Prochain CA : mardi 27 octobre 2020, à 18h.


L’Université d’été 2021 se tiendra les vendredi 10, samedi 11 et dimanche 12 septembre (matin) 2021 à Lyon, au centre Jean Bosco.

---
---

L'Ours

Lettre D&S N° 172 Juin 2020

ISSN 2557-6364

Directeur de publication : Jean-Baptiste de Foucauld
Rédacteur en chef : Monika Sander
Comité de rédaction : Jean-Baptiste de Foucauld, Sébastien Doutreligne, Eliane Fremann, Daniel Lenoir, Régis Moreira, Bertrand Parcollet
.

---

Le conseil du webmaster

Afin d'améliorer le confort de lecture de la lettre de D&S, taper sur votre clavier : Ctrl +

Signalez tout changement de votre adresse mail http://www.democratieetspiritualite.org/contactez-nous/

Consultez régulièrement vos "indésirables" ou "spam"

---