En-tête
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  Lettre de D&S n°181

Mai 2021

 

Sommaire

Éditorial

J'écris ton nom
Daniel Lenoir, Président de D & S

 

Dossier du mois

Retour sur la conviviale interne autour de la laïcité avec Jean-Louis Bianco - Synthèse Laurence Fabert

L’appel de D&S pour une autorité indépendante chargée de la laïcité – Daniel Lenoir

 

Nouvelles exigences démocratiques

Crise du COVID et explosion des inégalités – Bernard Ginisty

 

Résonances spirituelles face aux défis contemporains

La sagesse, chemin du bonheur - Agnès Adeline-Schaeffer, pasteure

De l’évènement de Pâques à l’universalité de la Pentecôte – Bernard Ginisty

Le Tao – Texte transmis par Eliane Fremann

Chroniques du temps de peste - François Cassingena-Trévedy - La voix surgie du confinement qui a séduit tant de chrétiens… Texte de René Poujol 

 

Libres Propos

Retour sur le texte de Denis Clerc : Homo Faber vs. Homo Sapiens – Patrick Boulte

Les citoyens face aux tribunes de militaires qui jettent le trouble entre l’armée et le politique -

Jean-Claude Devèze

 

 Art – Poésie

Haïku – Monika Sander

S'inspirer de l'art pour créer du lien…

Avec Mahuna, poursuivre la quête du silence – Daniel Lenoir

 

Notes de lecture

De la laïcité en France de Patrick Weil (Grasset, 2021) – Daniel Lenoir

Vivre avec nos morts, Delphine Horvilleur (Grasset, 2021) – Monika Sander

Les Murs Blancs, de Léa et Hugo Domenach (Grasset, 2021) - Jean-Claude Devèze

 

Échos

Formation bienvenue le jeudi 3 juin à 18h – Régis Moreira

 

 Que font nos partenaires ?

Les 10 ans du Pacte civique : La réunion du 28 Mai 2021 au prévue CESE est reportée en septembre

Flash Info du Pacte civique autour du baromètre de la Fraternité

Groupe Interreligieux pour la Paix 78 – GIP 78 : Visio conférence : Revisiter l’habitat intergénérationnel

Rencontre avec les Cités d’or, mouvement d’éducation populaire – Eliane Fremann

 

Agenda

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EDITORIAL

 

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Paul Eluard, Poésie et vérité, 1942[1]

 

J’écris ton nom

 

Pour dire les forces de l’esprit nous n’avons que le pouvoir des mots. En n’oubliant pas bien sûr le silence. En n’oubliant pas non plus qu’en disant les idées force, les mots en disent aussi les côtés obscurs, la part d’ombre que chacune peut receler. Ce sont ces mots, forts et pauvres à la fois, que nous essayons d’écrire, au fil de nos lettres, au fil des échanges au sein de cette communauté d’espoir que constitue notre association.

« Laïcité, j’écris ton nom ». C’est ce que nous continuons à faire avec ce numéro où nous rendons compte de notre échange avec Jean-Louis Bianco et de l’initiative que nous avons prise d’un appel à la création d’une autorité indépendante pour succéder à l’Observatoire de la laïcité.

« Fraternité, j’écris ton nom »[2]. C’est ce que nous avons cherché à faire le 16 mai en célébrant la Journée internationale du vivre ensemble dans la paix. Nous reviendrons dans notre prochaine lettre sur ce mot, le troisième de notre devise républicaine.

« Liberté, j’écris ton nom », disait Paul Eluard en 1942. « Egalité, j’écris ton nom », avait ajouté dès 1789 la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, avant qu’en 1848 la République, deuxième du nom, leur adjoigne leur petite sœur « fraternité », adelphité qui les relie, pour éviter, autant que faire se peut, que parfois, comme au marché de Brive- la-Gaillarde, elles se crêpent le chignon. 

« Démocratie, j’écris ton nom ». Même si, heureusement, les circonstances sont moins dramatiques qu’en 1942, il faut aujourd’hui, comme pour la liberté à l’époque, avoir foi et espérance dans les vertus de sagesse et de discernement de la délibération collective pour chanter ce chemin d’humanisation que constitue l’aspiration démocratique.

« Spiritualité, j’écris ton nom ». C’est, en ces moments dramatiques de notre histoire, il y a quatre-vingts ans, et au nom de la résistance spirituelle que certains se sont levés pour éviter que la France ne perde son âme[3], notamment dans l’antisémitisme d’Etat du régime de Vichy. Aujourd’hui c’est peut-être davantage d’un sursaut spirituel que de résistance qu’il est besoin, pour (r)animer la démocratie, la liberté, l’égalité, la fraternité, et la laïcité ; pour leur (re)donner leur âme.

C’est ce à quoi nous nous attacherons en tous cas à l’occasion de notre prochaine Université d’été, du 10 au 12 septembre à Lyon, en essayant d’écrire ensemble les mots pour le dire.

 

Daniel Lenoir,
président de Démocratie et Spiritualité

 

[1] « Liberté » in Au rendez-vous allemand (Les éditions de minuit, 1945)

[2] Patrick Viveret, Fraternité, j’écris ton nom (Les liens qui libèrent, 2015)

[3]  France, prends garde de perdre ton âme est le titre du premier numéro des Cahiers du témoignage chrétien, publié à Lyon en novembre 1941, dont TC célébrera à l’automne le 80ème anniversaire.

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DOSSIER DU MOIS :

Autour de la laïcité avec Jean-Louis Bianco

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Retour sur la conviviale interne autour de la laïcité avec Jean-Louis Bianco le 15 avril 2021

Synthèse Laurence Fabert

 

Nous nous sommes réunis dans le cadre d’une conviviale interne réservée à nos seuls adhérents pour échanger et débattre autour de plusieurs questions :

- Quels défis la laïcité doit-elle relever aujourd’hui, en France, en Europe et dans le monde ?

- Comment la laïcité peut-elle non seulement éviter mais au contraire prévenir l’hystérisation des débats qui affectent aujourd’hui nos démocraties ?

- Quelles perspectives pour une autorité de la laïcité en France (Indépendante ou non de l’exécutif, notamment) ? D&S peut-elle prendre une position sur le sujet ?

Tout cela en partant de la position singulière de notre association sur les deux chemins, démocratique et spirituel, pour dépasser les tensions, en France, entre laïcité et religions, entre les valeurs de la République et les différentes traditions spirituelles.

Pour nourrir nos échanges et apporter son éclairage, Jean-Louis Bianco, adhérent à Démocratie & Spiritualité, ancien secrétaire général de l’Élysée, plusieurs fois ministre. Il a travaillé sur la charte de la laïcité à l’école et a été président de l’Observatoire de la laïcité de 2013 à 2021.

Un premier temps d’échange a eu lieu à partir du bilan des travaux de l’Observatoire de la laïcité. Le gouvernement a décidé de mettre fin à l’Observatoire qui sera remplacé a priori par un Haut Conseil qui reste à formaliser sachant que les enjeux sont politiques. Rappel est fait que la laïcité est mentionnée dans la constitution de la Vème République.

Ce bilan a permis de mettre en exergue les réalisations et contributions de l’Observatoire qui, par ailleurs, dans les derniers mois, a dû faire face à des critiques assez violentes.

En tout état de cause, ce qu’il est important de retenir, c’est que le soutien aux principes de la laïcité est réel parmi la population mais qu’il y a un énorme travail pédagogique à faire, surtout auprès des jeunes.

Des débats entre les participants, il ressort les éléments suivants :

 Il faut considérer la question de la laïcité comme une question de droit et éviter l’usage inconsidéré de mots comme « islamisme » ou « islamophobe » sans réelle définition claire.

La laïcité doit être concrète, vivante, attentive aux problèmes de terrain et permettre de traiter les problèmes au cas par cas (une enquête en milieu universitaire a montré que si le port du voile ne pose pas de problème particulier, l’appropriation d’une salle collective comme lieu de prière en est un). La charte de la laïcité de la branche famille (CAF) est considérée comme exemplaire, elle sert de référence pour traiter les litiges et dispose d’une instance pour les régler. En tout état de cause, éviter d’en faire un débat idéologique est prioritaire. Sinon, le risque est fort de deux laïcités irréconciliables, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, mais malheureusement, cela en prend le chemin.

 L’islamisme radical n’est pas en soi plus dangereux ou criminel que les autres formes de radicalisme religieux et certainement convient-il d’utiliser plutôt le terme d’islamisme politique pour désigner les musulmans qui veulent substituer la charia aux lois de la République. Les communautés, les formes de communautarisme existent, mais cela ne signifie pas forcément qu’ils souhaitent substituer les lois religieuses aux lois communes.

 Il y a des moyens juridiques pour réprimer les dérives et, comme les associations hésitent à porter plainte par peur des représailles, il incombe à l’État de prendre le relais.

De nombreux sondages aux méthodes parfois discutables ont été réalisés, ils sont à relativiser : la loi de 1905, même si sa compréhension et sa bonne application peuvent être questionnées, contient beaucoup de textes inspirants, la jurisprudence est abondante depuis. La sécularisation existe aussi dans la communauté musulmane, on constate d’ailleurs une plus forte adhésion aux valeurs de la République chez les musulmans de deuxième génération que chez les immigrés récents. Attention, toutefois à ne pas sous-estimer les influences extérieures.

On ne parle pas assez du financement des cultes –question posée par le financement de la mosquée de Strasbourg. Pour autant, la décision concernant le financement de la mosquée de Strasbourg est légale, conforme au Concordat. La décision a été prise par l’ancienne municipalité, entre temps, la maire est revenue sur cette décision.

L’Observatoire a obtenu un financement français pour l’Islam en France et pour la formation des imams pour éviter de les faire venir de l’étranger.

La question du financement est importante : Quid des aumôniers musulmans, du contrôle de tout financement de plus de 10 000 € venant de l’étranger, du financement des lieux de culte… ?

Il peut être intéressant de se souvenir de la parole de Jean Jaurès : « La loi protège la foi aussi longtemps que la foi n’empiète pas sur la loi ».

La loi autorise les communes en développement à recourir aux baux emphytéotiques pour les associations cultuelles, à garantir un emprunt.

Le projet de loi confortant le respect des principes de la république contient des propositions intéressantes visant à travailler avec les différents pays avec plus de transparence, savoir expliquer la loi française.

S’agissant de la laïcité à la française, on peut s’interroger sur sa réelle opérationnalité et se demander s’il y a eu des périodes de bon fonctionnement.

La laïcité en France est à relier à la spécificité de son histoire, aux prises avec le pouvoir séculaire de l’église catholique – les débats en 1905 étaient violents.

L’arrivée des pères pèlerins aux États-Unis fuyant les persécutions a abouti à une autre conception : si elle donne finalement une plus grande importance aux religions, une forme de laïcité existe. La place du religieux dans les deux sociétés n’est donc pas la même.

Il serait intéressant de mener une campagne sur la laïcité à l’aide d’affiches montrant le lien entre laïcité, liberté et égalité. La qualité des débats dépend aussi de nos capacités de citoyens éclairés sinon gare à la défaite de la démocratie.

Le gouvernement doit mener une campagne positive sur la laïcité que le monde nous envie, être ouvert et attentif au dialogue avec les pays arabes. Le contrôle des ressortissants de ces pays en France est inacceptable.

Constatant l’hystérie des débats liée au contexte social et identitaire, suggestion est faite de trouver des points d’appui pour agir et mener des actions concrètes – et pourquoi pas en cherchant dans des époques où les tensions étaient moindres.

En tout état de cause, il est nécessaire de déconstruire les écrits des divers courants salafistes, des courants novateurs doivent être promus contre les fondamentalistes.

Au cours des échanges, les participants reviennent sur deux questions :

• De quoi parle-t-on quand on évoque deux conceptions inconciliables de la laïcité ?

Tout d’ abord, il serait intéressant de clarifier le concept de laïcité.

Deux possibilités existent : Celle d’Aristide Briand qui a fait ses preuves en 1905, adaptée à notre époque versus une laïcité d’interdiction de manifester ses convictions. Or la laïcité dit la neutralité de l’État mais pas celle des citoyens – elle comporte le risque d’évoluer vers une démocratie illibérale.

La laïcité est un cadre politique qui fixe les principes de conciliation entre différentes libertés mais ce n’est pas un catéchisme. Il faut expliquer le pourquoi de ces principes mais ne pas les figer en dogmes.

Il faut partir de l’éprouvé. Si l’enseignement laïque du fait religieux dans les écoles est bien prévu – cela ne se traduit pas sur le terrain. Une pédagogie ouverte et vivante, au-delà des monothéismes, est encore à inventer pour répondre à la recherche de sens qui se fait jour un peu partout.

La laïcité est différemment interprétée et appliquée dans les pays européens, pourquoi ne pas se retrouver sur le principe de liberté de religion, la séparation entre églises et état ?

En passant de la laïcité « à la Briand » à la laïcité d’interdiction (cf. le port du voile dans la rue), on change le sens de la laïcité qui devient ainsi facteur de conflit, cela peut amener à penser que la seule religion valable est la nôtre.

Quelques conseils : ne pas être dans une position idéologique, l’autorité doit être libre et indépendante ; ne pas écrire un catéchisme mais être vecteur de conciliation, de liberté. Et expliquer pourquoi nous défendons l’égalité femme/homme et d’autres principes et droits.

Si les croyants doivent se battre pour les religions, ils doivent tout autant se battre contre les excès de religion (par ex. interdire aux femmes l’accès aux cafés). La loi doit être soumise au filtre de la raison. La question pourrait être traitée par le défenseur des droits.

• Quelles mesures à prendre contre les risques de l’islam politique ?

Tous s’accordent sur l’importance de la formation des enseignants à l’échelle nationale, ils ont besoin d’outils pour être soutenus et sensibilisés à la notion de séparation entre public et privé. L’Education nationale ne peut pas tout faire, des initiatives comme celles qui sont menées à Grenoble (découverte mutuelle) sont à développer.

Dans notre société violente, chacun a tendance à se replier sur ses racines et les tensions entre « eux » et « nous » s’accroissent – des outils sont à créer pour aider à une meilleure connaissance des diverses croyances, sans oublier les athées. Il est important que les non-croyants acquièrent une certaine connaissance des religions. Les médias peuvent être bénéfiques, les « Promeneurs du net », éducateurs de la rue numérique, combattent la haine sur internet, font un bon travail de lien, d’écoute et de conseil.

Plus de 5000 personnes ont déjà été formées par le ministère de la ville, les jeunes doivent devenir acteurs, l’absence de mixité sociale est à combattre ; malheureusement la tendance actuelle ne va pas dans ce sens.

A Bordeaux, une « Nuit des religions » a été organisée avec l’aide de bénévoles, excellent moyen de sensibiliser à la laïcité : les participants pouvaient visiter des lieux de culte dont ils ignoraient tout.

Le Conseil National des villes (CNV) a été saisi par le gouvernement sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République et la lutte contre le séparatisme. Ni déni ni surenchère, il serait dangereux de nier l’existence de l’Islam radical, de l’Islam politique dans les quartiers sensibles. La formation là encore est essentielle : Les ilotiers, les gardiens d’immeuble, les animateurs sportifs doivent être formés, tous ne portent pas les valeurs de la République. Réduire ces problèmes uniquement à la défense de la laïcité est une erreur, l’Islam politique est moins une atteinte à la laïcité qu’une atteinte à la démocratie. L’Islam politique croît aux endroits où les services de la République sont absents. L’ensemble des politiques publiques de droit commun doit être mobilisé.

Des témoignages de certains participants, militants associatifs, font état du quotidien auxquels ils sont confrontés, visant par exemple à leur interdire de parler sexualité devant des groupes multiculturels, de la laïcité.

D’autres participants, enseignants, indiquent n’avoir pas rencontré de difficultés avec les mamans voilées qui accompagnent les sorties scolaires, par contre en parler les blesse et risque de faire le lit d’un futur difficile, les enfants se sentant vexés à leur tour. Quelle vision ont les politiques pour se montrer aussi violents sur ces questions ? L’éducation doit rendre ces enfants justes et même exemplaires. Et surtout, il faut laisser un espace de parole, donner la possibilité de parler de religion sinon il y a risque d’agressivité. Et sans doute faudra-t-il expliquer le fonctionnement de l’administration.

Au cours des échanges est évoquée la Charte des principes pour l’Islam de France. Une charte n’est pas une loi. A quoi doit-elle servir ? Les représentants de l’Islam en France viennent de pays différents, de ce fait elle sera difficile à mettre en œuvre. La tendance actuelle qui veut que l’on transforme chaque incident ou chaque émotion en loi, n’incite pas à la conciliation.

Créer une organisation pour l’Islam en France s’avère difficile, si la Charte proposée par le CFCM formalise bien un engagement dans les principes de la République, ce travail n’a pas résisté au jeu des pouvoirs.

Une autorité indépendante est indispensable, le lien avec le défenseur des droits n’est pas assez exploité et pourrait l’être davantage.

A l’issue des débats, plusieurs voies se dégagent qui seraient intéressantes à exploiter :

-          Favoriser le débat entre musulmans, les impliquer dans le dialogue interreligieux et avec les non-croyants.

-          Faire témoigner les croyants

-          Développer le dialogue inter-associatif, organiser des initiatives communes autour de la solidarité.

S’agissant de l’organisme succédant à l’Observatoire, il doit être fondé sur :

-          L’indépendance

-          La simplicité

-          Des actions concrètes de formation et de connaissance (internet, éducation citoyenne, formation à une laïcité vivante)

-          La création des conditions du débat apaisé entre associations, citoyens…

La conviviale s’est terminée sur une note optimiste. Une certaine compréhension de la laïcité se développe, terme qui remonte à l’époque de la Renaissance. « Il faut que les hommes apprennent à penser par eux-mêmes » disait Condorcet.

Laurence Fabert

 

L’appel de D&S pour une autorité indépendante chargée de la laïcité – Daniel Lenoir

Après la conviviale avec Jean Louis Bianco, sous le titre « Pour une laïcité de Paix », D&S a lancé un appel pour la création d’une autorité indépendante chargée de la laïcité. Cet appel a déjà recueilli plus de 1500 signatures sur la plateforme We sign.it. Ceux qui ne l’auraient pas signée peuvent encore s’y associer :

https://www.wesign.it/fr/droitshumains/appel-a-la-creation-dune-autorite-independante-sur-la-laicite#

 

Pour une laïcité de paix

 Alors que l'Observatoire de la laïcité vit ses dernières heures et que le gouvernement envisage la création d'une nouvelle administration, nous l’appelons à la mise en place d’une autorité indépendante dont la charge sera d’arbitrer les dilemmes du quotidien dans l’application des principes de la laïcité. 

 Des débats malodorants sur un projet de loi fourretout supposé lutter contre le « séparatisme islamiste » à la dissolution annoncée de l’Observatoire de la laïcité, du lancement d’une enquête sur l’islamo-gauchisme à l’Université aux polémiques sur le financement public d’une mosquée en régime concordataire, d’une charte contestée de l’islam de France aux États généraux peut-être avortés de la laïcité, les Français sont en train de perdre leur latin républicain. Le comble pour une laïcité « à la française » qui devait servir de ciment au vivre ensemble et éviter que le combat légitime contre le terrorisme djihadiste ne dégénère en guerre de religion contre l’islam et qui est en train de devenir le paravent d’un racisme insidieux qui s’est focalisé sur la question du voile. Une laïcité qui finit par être rejetée comme liberticide et islamophobe par les plus jeunes. Quel gâchis !

 Si, comme tout principe juridique, la laïcité est simple dans son énoncé, son application peut paraître contradictoire dès lors qu’il s’agit de trancher les dilemmes du quotidien. Ce n’est pas nouveau, mais cela participe aujourd’hui d’une hystérisation malsaine des débats.

 Oui la laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience et de culte. Mais non cela ne confère pas aux religions une liberté sans limite. Oui, la laïcité a conduit à la séparation des Églises et de l’État ce qui entraine la neutralité de la République sur les questions religieuses. Non cela ne lui interdit pas d’intervenir pour que l’organisation des religions respecte les principes républicains. Non, l’islam n’est pas plus incompatible avec les valeurs républicaines que les autres religions et les musulmans ne sauraient être tenus pour responsables des attentats qui sont commis en son nom. Mais non, on ne peut considérer que ces actes sanguinaires n’ont aucun rapport avec un islam d’autant plus intouchable qu’il serait la religion des opprimés. Oui, le port du voile, comme celui de tout autre signe religieux, est autorisé dans l’espace public. Mais oui aussi, on a le droit de le critiquer sans être pour autant qualifié d’islamophobe. Oui, la liberté d’expression n’autorise ni le racisme ni l’injure. Mais non, le respect dû aux croyants de toute obédience n’interdit ni la critique ni la caricature de leur croyance et n’autorise pas à rétablir le crime de blasphème.

 

On peut énumérer à l’infini la liste des sujets sur lesquels les principes de la laïcité devraient permettre d’arbitrer pacifiquement et avec le discernement nécessaire les nombreux conflits qui naissent de la coexistence de convictions religieuses ou spirituelles différentes au sein d’une société comme la nôtre.

 

Pour apaiser les débats sans instrumentalisation politique ou idéologique et régler les dilemmes du quotidien dans le respect des droits humains et des libertés publiques, l’association Démocratie & Spiritualité appelle à créer, pour remplacer l’Observatoire de la laïcité, une autorité administrative indépendante, à l’image du Défenseur des droits ou de la Cnil, plutôt qu’une « administration » comme l’a annoncé la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

 

Daniel Lenoir
Président de Démocratie & Spiritualité

Voir également l’édito de Témoignage Chrétien du 29 avril « France, qu’as-tu fait de ta laïcité ? » (https://www.temoignagechretien.fr/france-quas-tu-fait-de-ta-laicite/)

 

Appel pour la création d’une autorité indépendante chargée d’arbitrer les dilemmes du quotidien dans l’application des principes de la laïcité.

 

Répondant à une question du Journal du dimanche du 18 avril sur l'avenir de l'Observatoire de la laïcité, la ministre déléguée chargée de la citoyenneté a indiqué que le gouvernement avait besoin d'"une administration solide sur la laïcité". Il peut bien sûr y avoir différents points de vue sur l'action qu'a conduite l'Observatoire de la laïcité pendant huit ans, même si certaines des critiques qui lui sont adressées relèvent davantage du procès en sorcellerie que de l'évaluation contradictoire de son bilan. On peut surtout être surpris que l'on envisage de remplacer cette structure placée auprès du Premier ministre par une administration, fut-elle "solide".

La Constitution dans son article premier définit la France comme "une République indivisible, laïque, démocratique et sociale". Il n'y a pas pour autant d'administration chargée de l'indivisibilité, ni de la démocratie ; quant au social, il s’incarne dans un ensemble d'institutions qui font bien plus que l'administrer.

Pour ce qui concerne la laïcité, il y a déjà au ministère de l'Intérieur - et c'est nécessaire pour appliquer la police des cultes prévue par la loi de 1905-, un bureau des cultes, qui, s’agissant de l’exercice d’une liberté fondamentale, pourrait aussi être rattaché au ministère de la justice. Mais à part ce sujet, la laïcité a moins à être administrée, qu'à inspirer, non seulement l'ensemble des politiques publiques (et de ce point de vue le rattachement de l'Observatoire au Premier ministre était pertinent), mais aussi l'ensemble du "vivre ensemble" républicain, ce qui ne relève pas uniquement de l'exécutif.

La laïcité, l’un des principes fondamentaux de la République comme le rappelle la Constitution, vise à combiner, et parfois à concilier, sur le terrain des convictions religieuses et spirituelles, les trois exigences portées par notre devise nationale, la liberté, l’égalité et la fraternité. Cela peut conduire à des dilemmes difficiles à trancher, ce que l’exécutif est souvent mal placé pour faire, ce pour quoi le recours aux juridictions peut s’avérer trop lourd et trop long pour assurer une régulation dynamique, et sur lesquels la modification régulière et opportuniste de la loi s’avère inopérante, comme viennent de l’illustrer les surenchères dont a été l’objet le projet de loi renforçant les principes de la République.

Pour régler ce type de dilemmes, par exemple sur les terrains de « l’informatique et des libertés », ou de « la défense des droits des personnes », nous avons su mettre en place des Autorités administratives indépendantes (en l’espèce la Cnil et le Défenseur des droits) qui jouent un rôle de régulation dynamique, adaptée à l’évolution rapide du contexte, et reposant en grande partie sur la médiation et la recommandation. Sur le même modèle, et pour que la laïcité redevienne l’un des « piliers du consensus républicain », l’association Démocratie & Spiritualité, qui regroupe des personnes de toutes convictions et sensibilités et est attachée à la laïcité comme condition du dialogue interconvictionnel au sein de la société civile, appelle à la mise en place d’une autorité indépendante chargée de la laïcité, qui vienne compléter l’ensemble des dispositifs existants.

 

Démocratie & Spiritualité
Paris, le 28 avril 2021

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Nouvelles exigences démocratiques

 

Crise du COVID et explosion des inégalités.

Chronique de Bernard Ginisty du 23 avril 2021

 

Dans sa publication d’avril 2021, le magazine américain Forbes donne un certain nombre d’informations sur l’évolution de la santé financière des milliardaires sur le plan mondial depuis le début de la crise du Covid 19. Deux associations très engagées dans la lutte contre les inégalités et la domination des marchés financiers sur l’économie réelle, ATTAC France (1) et OXFAM France (2), commentent ces données dans une note intitulée « l’indécent enrichissement des milliardaires français pendant la pandémie » : « La crise sanitaire aurait fait basculer un million de Françaises et de Français dans la pauvreté qui s’ajoutent aux 9,3 millions de personnes vivant déjà au-dessous du seuil de pauvreté. Les ultra-riches ont au contraire connu une spectaculaire augmentation de leur fortune.  Entre mars 2020 et mars 2021, la fortune des milliardaires français a augmenté en moyenne de 40% et la France compte 4 milliardaires de plus, dont le fondateur du Laboratoire Moderna » (3) ».

Les auteurs de cette note expliquent cette spectaculaire évolution non pas d’abord par la performance économique des entreprises, mais avant tout « grâce à la politique monétaire généreuse de la Banque Centrale Européenne qui a injecté des centaines de milliards d’euros sur les marchés financiers, sans réelles contreparties, afin d’éviter un effondrement boursier (…) et les aides massives accordées par l’État français aux entreprises du CAC 40 sans contrepartie sociale, fiscale ou environnementale ». Par ailleurs, « les ultra-riches rivalisent d’imagination pour échapper à l’impôt. Parmi les 50 familles les plus riches de France, 37 ont une présence au Luxembourg et y détiennent 535 sociétés avec au moins 70 milliards d’euros d’actifs ». ATTAC et OXFAM regrettent qu’à ce jour « le gouvernement français refuse tout débat sur une juste contribution des plus riches. Pourtant, même le Fonds monétaire international, qui était partisan des politiques d’austérité il y a encore peu, vient de recommander d’augmenter, au moins provisoirement, les impôts sur les plus riches et les entreprises ayant fait le plus de bénéfices pendant cette période afin d’aider les gouvernements à juguler les effets de la crise économique liée à la pandémie. Un appel secondé par le secrétaire général de l’ONU ».

Je voudrais laisser le dernier mot à un chef d’entreprise, Nicolas Hazard, fondateur de INCO (société d’investissement d’un réseau mondial d’incubateurs d’entreprises sociales) qui confirme cette analyse à partir de son expérience entrepreneuriale dans une vingtaine de pays : « La mondialisation et le néolibéralisme ne sont plus capables d’endiguer les inégalités sociales grandissantes et le réchauffement de notre planète. Les solutions d’hier sont les problèmes d’aujourd’hui et peut-être les tragédies de demain. Rien de plus faux que cette croyance en un espace-temps infini où nous pourrions extrapoler indéfiniment les principes qui nous ont réussi au XXe siècle (…).  Le salut nous viendra d’un passage à l’action, d’une myriade d’initiatives venues de la société qui, en se multipliant, feront à terme basculer le système, tout en donnant immédiatement du sens à nos vies !». (4).

 

(1)   ATTAC : Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne < https://france.attac.org>

(2)   OXFAM: Oxford Committee for Relief Famine <www.oxfam.org/fr>

(3)   Au sujet des milliardaires français, « la France détient le record d’Europe de la concentration des richesses entre les mains des milliardaires : ainsi, selon le magazine Alternatives Économiques, si on calcule la somme par nationalité des fortunes européennes classées dans les 500 personnes les plus riches de la planète, la fortune des milliardaires français s’élève à 354,3 milliards d’euros, loin devant les milliardaires allemands (280,6 milliards d’euros) ou du Royaume Uni (146,6 milliards d’euros ».

(4)   Cf. Nantes Innovation Forum. Les crises, moteur de la citoyenneté ? Supplément de 4 pages dans le journal Le Monde du 8 octobre 2020. Depuis juillet 2020, Nicolas Hazard est conseiller spécial en charge de l’économie sociale et solidaire à la Commission Européenne.

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Résonances spirituelles face aux défis contemporains

 

La sagesse, chemin du bonheur - Agnès Adeline-Schaeffer, pasteure à l’Oratoire du Louvre

En écoutant ces quelques versets (Jean 14, 15-21), peut-être prenez-vous conscience du sentiment qui vous traverse ! Quelque chose qui se rapporterait à la paix et à la sérénité, quelque chose qui nous parlerait de bonheur et de bénédictions, et qui nous ferait nous sentir bien…

Car tout de même, c’est bien de bonheur dont il s’agit, n’est-ce pas ? Justement, nous sommes tous à la recherche du bonheur. Il n’y a qu’à voir le nombre de messages échangés à ce propos au moment du premier mai. Même s’il se trouve que c’est la fête internationale du travail, il semblerait qu’avec le muguet, comme symbole floral, ce soit aussi la fête du bonheur et de la chance, du moins pour notre pays. Se souhaiter du bonheur en s’offrant une plante qui sent très bon, qui est très jolie, mais qui fane très vite, peut-être est-ce pour nous rappeler que le bonheur est éphémère et de passage…Comme l’écrivait le poète Jacques Prévert : « J’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant » ! Quel bonheur souhaitons-nous ? Que faut-il pour être heureux ? Nous pourrions sans hésiter, je suppose, établir une liste d’éléments essentiels à notre bonheur, comme l’amour, l’amitié, la santé, l’argent, les loisirs, peut-être une combinaison harmonieuse de tout cela, sans oublier bien sûr, les biens de consommation, et peut-être même aussi le pouvoir, pour certains. Mais nous sommes aussi lucides sur le type de bonheur que la société occidentale propose : un bonheur essentiellement matériel, proposé ces dernières décennies par une société de consommation qui incite toujours à posséder plus, à dépenser plus, à la limite du surendettement pour certains, et au regard des désillusions que cela engendre. Notre système économique a, jusque-là, chercher à générer un sentiment permanent d’insatisfaction. Nous savons bien que la mode change vite et que la technique évolue de telle manière que nombreux sont nos achats récents déjà obsolètes, ne serait-ce qu’en matière d’informatique ! Et je ne parle pas des conséquences de tout cela sur la vie de notre planète. Depuis la pandémie, depuis les différents confinements, où certains commerces déclarés « non essentiels », ont été fermés, la course à la consommation a été peut-être réfrénée. Mais tout cela risque fort d’exploser à nouveau quand tout va rouvrir. Alors, quel est ce bonheur que nous recherchons ? C’est une question très ancienne, déjà exprimée dans le livre des Psaumes : « Qui nous fera voir le bonheur ? » (Ps 4/7). La Bible propose une réponse, toujours dans le livre des Psaumes, inscrite comme une demande du psalmiste : « Fais lever sur nous la lumière de ta face, Seigneur, tu as mis en moi plus de joie au cœur qu’au temps où abondaient le blé et le vin » (Ps 4/8). C’est bien de bonheur qu’il s’agit, et le livre des Psaumes commence par cette acclamation : « Heureux l’homme…Il y a vraiment cette affirmation sans aucune ambigüité, que l’homme est fait pour le bonheur, mais pas n’importe lequel ! Car le verset continue ainsi : « Heureux l’homme qui ne prend pas le parti des méchants ! (Ps 1/1).

C’est avec ces mêmes mots que s’ouvre le texte que nous venons d’entendre. « Heureux qui a trouvé la sagesse ». Littéralement : heureux l’humain, l’être humain, heureux le « adam » qui a trouvé la sagesse. Et non seulement la sagesse, mais aussi l’intelligence. Dans notre quête, peut-être éperdue, du bonheur, nous sommes étonnés par la simplicité de cette énigmatique sagesse qui promet à l’être humain, tant de grâces et de bienfaits.

Mais de quelle sagesse s’agit-il ? Le mot hébreu pour dire sagesse, signifie à la fois : « habileté technique », « savoir-faire », « expérience », « capacité à gouverner ». Il s’agit donc d’une sagesse en prise avec la vie quotidienne, une sagesse bien ancrée dans le concret. Et si nous prenions le temps de lire tout le livre des Proverbes, nous serions surpris de la profusion des termes et des images qui définissent la sagesse. Les premiers chapitres présentent la sagesse sous les traits d’une figure emblématique, suivie d’une collection de maximes brèves ayant trait à la vie quotidienne. Et au cours de quelques chapitres, la sagesse devient une personne, qui fait retentir sa voix et exhorte les êtres humains à renoncer à la bêtise. Elle répand sur ceux qui l’écoutent, son souffle de vie. Elle ressemble à une femme à aimer, à étreindre, à embrasser, parce qu’elle est une présence inestimable. Il ne faut pas résister à lire le chapitre 8, où la sagesse prend la parole dans un poème éclatant où elle se présente comme la source de l’intelligence et de la justice, mais aussi l’instrument de gouvernement des chefs, des rois, des juges. Quelques versets affirment la préexistence de la sagesse aux origines du monde, comme celle qui en fut le maître d’œuvre (8/30). Elle apparaît alors, de manière surprenante sous les traits d’un enfant, jouant avec le monde, et trouvant ses délices parmi les êtres humains (8/31). La sagesse est aussi décrite comme une maîtresse de maison invitant chacun à participer au repas, au festin qu’elle a préparé. Tout au long de ces chapitres, la sagesse est associée à la crainte de Dieu, une crainte qui n’a rien à voir avec la peur ou l’appréhension, mais plutôt à mettre en lien avec le respect, l’honneur, la compréhension de Dieu, par l’approfondissement de son enseignement.

Le livre des Proverbes appartient dans la Bible à la littérature sapientiale, tout comme le Cantique des Cantiques, le livre de Job ou encore l’Ecclésiaste. Il est attribué au roi Salomon, dont la réputation dépassait les frontières en matière de sagesse. (1 R 5,12). Sa sagesse était inspirée par Dieu lui-même. On y trouve l’éloge de la sagesse véritable qui vient de Dieu, et qui dans certains passages, est Dieu lui-même. En tout cas, c’est un don que Dieu fait aux hommes. Et c’est aux hommes d’apprécier quoi en faire. Et c’est certainement là la grande nouveauté de ce passage biblique : la référence au discernement. Et ce livre des proverbes en particulier est un ouvrage pédagogique, visant à communiquer une expérience morale et religieuse, qui permettra aux jeunes générations comme aux moins jeunes, de se conduire droitement et intelligemment dans les diverses circonstances de la vie. C’est pourquoi la sagesse va de pair avec l’intelligence, qui est ici synonyme de la raison. Sagesse et intelligence, sagesse et raison voilà ce qui peut combler l’être humain. Un être humain comblé par des biens immatériels ! il y a de quoi être dans l’étonnement, effectivement, puisqu’il n’est plus question d’avoir, mais d’être ! Dans le passage que nous avons lu, c’est celui qui recherche la sagesse qui est déclaré heureux. C’est bien la sagesse qui est l’objet de la quête de l’être humain. Le bonheur est donné en plus comme une grâce. Son bonheur est célébré par cette valeur inestimable, incomparable de la sagesse, infiniment plus précieuse que le corail ou les perles, infiniment plus solide que les honneurs éphémères. Ses voies et ses sentiers sont synonymes de paix et de délices. Et le point culminant de notre passage se situe au verset 18, où la sagesse est désignée comme l’arbre de vie, reprenant exactement l’expression du livre de la Genèse. Et cette sagesse, comme arbre de vie, est tout simplement source de bonheur. A partir de là, le vocabulaire pour décrire cette quête est emprunté au vocabulaire des récits de la création. On y retrouve les termes de la terre et des cieux : « le Seigneur a fondé la terre par la sagesse, il a affermi les cieux par la raison », ou l’intelligence (3/19). Les abîmes, qui est un autre mot du vocabulaire de la création, s’ouvrent grâce à la science, que l’on peut traduire aussi par « connaissance » (3/20). La connaissance rejoint donc la sagesse et la raison qui apparaissent comme les trois outils nécessaires à la création du monde, ce « jardin » dans lequel il y avait l’arbre de vie auquel l’être humain n’a plus accès. Et que symbolise l’arbre de vie, sinon la vie en plénitude ? Voilà la promesse qui est faite à travers ce passage du livre des Proverbes. Ah, quel bonheur ! Retrouver enfin le paradis perdu !

Amis, frères et sœurs, est-ce bien de cela dont nous parle l’auteur des proverbes, dans ce passage ? Pas si sûr ! Ne nous méprenons pas. Le paradis du livre de la Genèse est bel et bien perdu. Et avec lui « la permanence d’un état de grâce, d’un Eden de luxe, de calme et de volupté » * La réalité de notre monde est autre, et il faut faire avec cette réalité. Mais ce que ce passage des Proverbes nous enseigne aujourd’hui, c’est que cette même sagesse avec laquelle on communiquait librement et sans honte, au début du monde, est toujours accessible. Nous n’avons pas à être nostalgiques, à la façon romantique, de cet arbre de vie du récit mythique de la création, mais nous sommes invités à regarder le monde tel qu’il est, avec le discernement de la sagesse, de la raison et de la connaissance. Car, si la sagesse est présentée ici comme l’instrument de création de Dieu, elle reste l’apanage de tout artisan, au sens propre du terme, comme au sens figuré de celui qui cherche à construire sa vie personnelle.

Au fond, la littérature de sagesse s’intéresse à la création perpétuelle, celle qui se poursuit de génération en génération, dans toutes les inventions, dans toutes les belles imaginations qui visent à renouveler le monde, à le développer, à le rendre harmonieux, habitable, parce que la sagesse est là pour révéler, sinon rétablir la justice qui équilibre les rapports humains. Et ainsi, elle garde son petit côté universaliste par une ouverture à la liberté d’interpréter cette sagesse, présente non seulement dans la tradition judéo chrétienne, mais dans toute religion. En effet, même si le nom du Seigneur, inscrit par le tétragramme, qui désigne le Dieu d’Israël, est présent tout au long du livre des Proverbes, il est tout à fait étonnant d’y trouver aussi des maximes empruntées aux peuples voisins environnants, dont l’Égypte. De nombreux versets, attribués à des sages étrangers, montre la circulation internationale de ce genre littéraire et lui confère toute sa valeur. La sagesse est alors un don universellement répandu, que le croyant peut éclairer à la lumière de sa foi singulière. Toute religion a en son sein suffisamment de sages et de sagesse pour participer à l’harmonie du monde. La sagesse évoquée dans le livre des Proverbes n’est pas la propriété d’une religion ou d’une autre, pas plus que celle des philosophes ou des humanistes. Chaque religion est libre d’interpréter la figure de la Sagesse, et certains chrétiens ne s’en priveront pas en voyant dans la Sagesse une préfiguration du Christ ou de l’Esprit Saint. Le judaïsme retrouve dans la Sagesse, une figure de la Torah tout entière, et l’Islam rapproche toute la sagesse du Coran. Quant à la philosophie, ne se veut-elle pas être « amie de la sagesse », comme le suggère l’étymologie de ce mot ?

Les chemins de la sagesse s’ouvrent, non pas en collectionnant des maximes, mais en cherchant, avec discernement, la façon de travailler ensemble, dans ce monde, non pas les uns contre les autres, non pas pour exacerber un désir stérile d’avoir raison sur l’autre, mais les uns avec les autres, de façon complémentaire, dans un respect réciproque, et sous le regard de Dieu, si nous sommes croyants. Car c’est ensemble, * « que nous serons à l’affût de tous ces signes d’amour qui, inépuisables, ne se livrent que par fragments, de ces fulgurances de bonheur qui nous saisissent si intensément qu’elles nous permettent de nous tenir debout ».

 Regarder le monde avec sagesse, raison et connaissance, avec des visions du monde qui s’éclairent les unes les autres, c’est tout simplement une belle promesse d’espérance, une façon harmonieuse d’appréhender le monde d’aujourd’hui, pour qu’il continue de vivre demain et que nos enfants, nos petits-enfants puissent à leur tour le cultiver. Nous avons juste la responsabilité de la leur transmettre.

Pour aller plus loin :

Revue Lire et Dire n°77, prêcher la sagesse, études exégétiques, 2008

Aux racines de la sagesse, Proverbes, Cahier Évangile n°28, Éditions du Cerf

La figure de la Sagesse, Proverbes 8, Supplément au Cahier Évangile n°120, Éditions du Cerf, 2002

Thomas Römer, Les chemins de la sagesse : Proverbes, Job, Qohèleth, Éditions du Moulin, 1999

* Raphaël Picon, Un Dieu insoumis, Labor et Fides, 2017, p 63, 64

 

De l’évènement de Pâques à l’universalité de la Pentecôte

Chronique de Bernard Ginisty du 30 avril 2021

 

La liturgie chrétienne nous fait vivre une période de 50 jours entre la célébration de la résurrection du Christ et celle de l’accueil de l’Esprit Saint avec lors de la Pentecôte. Ce temps est une pédagogie pour nous apprendre à échapper trois dérives mortelles pour toute vie spirituelle : l’identification à un gourou, la confusion avec une identité nationale ou raciale, l’aliénation à un Dieu transcendant perdu dans un autre monde.

Au cours de sa courte vie, le Christ a cherché à éveiller l’homme enfermé dans sa justice, sa loi, son malheur, sa tradition, sa nation, ses appartenances. Cet éveil a suscité, dans un premier temps, une fascination pour celui qui en est le messager. Loin de vouloir l’exploiter à son avantage, le Christ n’a cessé de casser cet enchantement pour renvoyer chacun à son itinéraire. A des disciples paniqués par l’annonce de sa mort, le Passeur de Pâques affirme : « C’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, l’Esprit ne viendra pas en vous ; si, au contraire je pars, je vous l’enverrai » (Jean 16,7). Cette liaison entre l’effacement du messager de la « bonne nouvelle » et la venue de l’Esprit constitue le fondement de toute relation éducative et spirituelle. Le surgissement de l’Esprit dans les flammes de la Pentecôte ne peut se faire qu’après la déception surmontée de ceux qui pensaient que la proximité avec un maître spirituel les dispenserait de se risquer eux-mêmes dans la liberté de l’Esprit.

La deuxième libération de la Pentecôte consiste à nous libérer de la liaison mortelle du religieux et du national, liaison plus que jamais génératrice de corruption et de crimes. A des disciples qui, à la veille de l’Ascension, attendent enfin la concrétisation de leur plan de carrière (« Est-ce maintenant que tu vas rétablir le Royaume pour Israël »), les derniers mots du Christ seront de les inviter à « recevoir une puissance, celle de l’Esprit qui viendra sur vous » pour témoigner « jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes des Apôtres1,8). L’événement de la Pentecôte annonce l’invitation à tout être humain, quelle que soit sa langue maternelle, d’accueillir l’Esprit. La confiscation du spirituel par une caste nationaliste ou sacerdotale est abolie : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes » (Id 2,17). Certes, l’histoire montre la tentative toujours recommencée des institutions religieuses et nationales de récupérer cette liberté de l’Esprit. Mais, elle témoigne aussi de sa renaissance permanente qui bouscule les laborieux efforts des pouvoirs pour colmater la brèche radicale ouverte par la Pâques du Christ et proclamée à la Pentecôte.                    

De là découle la troisième « révolution » de la Pentecôte. Cette libération de l’être humain par la force de l’Esprit ne s’accomplit pas dans quelque odyssée solitaire et gnostique. Dans le texte des Actes des apôtres, le premier signe concret donné après l’événement de la Pentecôte, c’est le partage : « Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous, selon les besoins de chacun » (Id 2,45). Si tout être humain, est porteur de l’Esprit, il est donc porteur de sens pour l’ensemble de l’humanité. Et désormais, aucun ordre humain ne sera acceptable qui ne fasse sa place aux plus exclus. Aux disciples le nez pointé vers le ciel pour tenter de combler le vide créé par la disparition de leur maître, il est dit pour toujours « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » (Id 1,11) Et l’épître de Jean précise où se trouve le vrai chemin vers Dieu : « Dieu, nul ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous » (4,12).

 

Philosophie chinoise

Le taoïsme, qui plonge ses racines dans la culture de la Chine ancienne, est l’un des trois piliers de la philosophie chinoise, avec le confucianisme et le bouddhisme. La recherche de la sagesse se fondant en Chine essentiellement sur la recherche de l’harmonie, il s’agit pour les taoïstes de placer son cœur et son esprit dans la même voie que la nature. Le tao ou dao signifie « la voie », « le chemin », la force principale qui coule en toutes choses dans l'univers. C’est à la fois un art de vivre et un chemin intérieur.

 

Avant que la tristesse, la colère,

L’envie ou la peur ne surviennent

Tu es au centre.

Quand ces émotions apparaissent

Et que tu sais voir au travers,

Tu es en harmonie.

Ce centre est l’origine de l’univers ;

Cette harmonie est le Tao,

Qui tend vers toutes choses.

Une fois que tu as trouvé le centre

Et atteint l’harmonie,

Le ciel et la Terre prennent leur juste place

Et toutes choses sont pleinement nourries.

 

Le DEUXIÈME LIVRE DU TAO -LE RIRE DE TCHOUANG-TSEU, Synchronique Éditions, 2010. Textes choisis et commentés par Stephen Mitchell.

Stephen Mitchell est un poète, un érudit mondialement reconnu pour ses traductions de textes spirituels et poétiques dont le Tao Te King, premier livre du Tao, l'ouvrage fondateur du taoïsme, écrit au VIe siècle avant J.-C. par Lao Tseu.

Texte envoyé par Eliane Fremann

 

Texte de René Poujol envoyé par Jean-Baptiste de Foucauld - La voix surgie du confinement qui a séduit tant de chrétiens…

https://www.renepoujol.fr/la-voix-surgie-du-confinement.../

 Chroniques du temps de peste : nos évêques pourront-ils assumer pareil questionnement ?

Il est des livres qui valent essentiellement pour leur contenu. D’autres que l’on se surprend à goûter aussi pour ce qu’ils laissent paraître d’un processus d’élaboration qui en modifie la portée et le sens. C’est le cas de ces Chroniques du temps de peste du moine bénédictin François Cassingena-Trévedy. (1) Il s’agit là de la reprise des articles publiés sur le réseau social qu’il traduit fort justement « Le livre des visages » (Facebook) durant le premier confinement, au printemps 2020, puis vers la fin de la même année. J’avais été de ses lecteurs. Je redécouvre aujourd’hui comment, de semaine en semaine, un public aussi nombreux qu’insoupçonné, entré spontanément en dialogue avec lui, l’a convaincu d’aller bien au-delà de son projet initial d’écriture puis de rassembler ses chroniques en un volume. Au moment de refermer le recueil de ses textes, me revient en mémoire cette phrase de Christian Bobin : « Un livre, un vrai livre, ce n’est pas quelqu’un qui nous parle, c’est quelqu’un qui nous entend, qui sait nous entendre. » (2) L’audience soudaine de François Cassingéna-Trévedy trouve là son explication. 

« Etre à l’heure exacte de l’Histoire est peut-être le plus grand exercice de piété. » FCT

« C’est une chose incroyable comme ces temps que nous vivons peuvent nous faire grandir en gravité. » Les chroniques démarrent en mars 2020, sur le ton de la confidence faite à quelques amis, comme des milliers de nos compatriotes l’ont expérimenté sur la même période. Le moine bénédictin de l’abbaye de Ligugé où il réside alors, nous fait partager sa conviction que ce temps de confinement, propice à l’approfondissement de la vie spirituelle, « peut être la chance d’une conversation plus profonde et plus vitale entre nous (c’est si rare, au fond), sur l’essentiel qui nous travaille, qui nous inquiète, qui nous habite, qui nous unit. » Au fil des lettres, on le voit prendre la défense des autorités publiques accusées de « complot » contre le culte catholique ; plaider que la « liturgie virtuelle (qui explose sur les réseaux sociaux) n’est pas tenable » ; dénoncer dans les manifestations l’exigence d’un rapide retour au culte des « esclandres d’enfants gâtés, de gamins capricieux. » Des propos certes « segmentants » mais qui, venant d’un moine bénédictin, attirent l’attention puis séduisent et fidélisent. A son grand étonnement. Dans ses lettres, lui-même prend acte de l’émergence d’une vraie communauté, d’une « paroisse d’un genre nouveau » qui l’oblige désormais.

A la veille du déconfinement, il exprime sans doute le ressenti de nombre de ses lecteurs en écrivant : « Nous n’avons plus envie d’avant. Nous avons envie d’autre chose ». Et l’on devine que cette réflexion ne porte pas uniquement sur les enjeux d’une planète confrontée au défi écologique, dont la pandémie n’est jamais qu’un avatar, mais aussi sur « le paysage religieux contemporain » notamment catholique. Des échanges nourris, suscités par ses premières lettres, il tire l’observation que « quelque chose s’est dénoué, détendu, dilaté, en nous et entre nous. » Dont il conclut à l’existence d’un Kairos à saisir, où dire des choses qu’il porte en lui, profondément, dont il pressent une secrète attente de la part ses lecteurs. Ce seront les trois textes qui suivront, exceptionnellement riches de saveurs nourricières, trois pépites qui, lors de leur publication initiale, ont pu dérouter de par leur longueur, peu habituelle sur les réseaux sociaux, et qui trouvent dans le livre l’espace nécessaire à leur respiration (et à la nôtre) comme à leur déploiement. 

Épitres aux Facebookiens 

Trois « épitres aux Facebookiens » dont il ne saurait être ici question de faire l’exégèse ou de citer abondamment, ce qu’elles mériteraient pourtant. Disons simplement qu’elles portent sur l’appréhension de la sexualité dans l’univers de la pensée catholique ; sur la nécessaire émancipation eucharistique au regard de son carcan sacré ; sur l’urgence à revisiter le dogme et la doctrine catholiques pour mieux nourrir une « foi modeste » adaptée aux exigences du temps présent. Quelques mots cependant à propos de chacune d’elles : 

De l’angélisme à l’honnêteté en matière de sexualité.

Sur la sexualité, nous dit-il, c’est l’incohérence qui domine, de par l’incapacité de l’institution à passer de l’angélisme à l’honnêteté. Car enfin, la sexualité incarne en chacun de nous le dynamisme même de la vie et « on ne sublime pas la sexualité ». Il nous faut donc « descendre au plus profond », « descendre vers ce centre de gravité qu’est notre chair, sur notre tout-bas. » Et l’on trouve là des pages vibrantes, bouleversantes, qui invitent à « promener dans l’obscur la lampe d’une parole partagée. » Sauf, nous prévient l’auteur, qu’en monde catholique cette démarche se heurte à un triple écueil : l’incompatibilité définitive du concept de péché originel, dans son acception traditionnelle, avec l’acquis des sciences humaines; l’idolâtrie de la mariologie qui nourrit un discours obsessionnel sur la virginité réduite à une idéologie matérialiste; enfin, la « dangereuse fascination du prêtre séparé, supérieur, environné en imbu d’une sacralité qui l’ignifuge » en totale contradiction avec les textes du Nouveau Testament. 

De la messe qui divise à l’Eucharistie signe d’unité

« La messe, nous confie encore l’auteur, n’est pas une machine rituelle garantie pour fabriquer de la Présence Réelle ». Autant dire que dans son esprit, la messe “exigée“ à hauts cris sur cette période de confinement par quelques lobbies cathos pouvait se trouver fort éloignée de la véritable Eucharistie qui échappe à tout utilitarisme. Bien qu’il existe, de fait, un « consumérisme sacramentel », notamment urbain, entretenu par un clergé qui impose et défend là son monopole de sacrificateur. Or « ce n’est pas le prêtre, encore moins le prêtre seul, qui “fait“ l’Eucharistie, mais l’Église. » Et la faillite, déjà présente en bien des lieux, du modèle territorial de la pastorale invite dès aujourd’hui à opter pour des Eucharisties “peut-être plus rares mais plus sommitales“, à éveiller les communautés à leurs responsabilités baptismales, comme à redécouvrir qu’« il se passe de l’eucharistique dans nos vies et pas seulement à l’heure et au lieu de la messe. »

De la mythologie chrétienne à la foi modeste

Enfin, concernant la crise globale (à la fois civilisationnelle et ecclésiale) qui sert de toile de fond à ses réflexions, François Cassinguena-Trévedy estime que : « l’état des lieux qu’il nous incombe de faire n’est pas seulement d’ordre institutionnel, éthique, politique, il est d’ordre métaphysique. » Parce que nous sommes entrés dans “une grande nuit commune de la foi“. Parce que « des pans entiers de notre édifice intérieur, de nos représentations familières et de nos certitudes tranquilles se sont effondrés. » Et qu’il devient urgent de sortir d’une approche mythologique concernant l’origine du monde et de l’homme, les origines mêmes de Jésus, la résurrection ou les “fins dernières“. Afin de passer « de la mythologie chrétienne à la théologie chrétienne ». Ainsi, tout en respectant celles et ceux qui, dans l’Église, confessent la “foi du charbonnier“ et tout en « réaffirmant (son) appartenance à l’institution au titre de sa vocation baptismale et monastique », l’auteur se sent-il autorisé à formuler une attente dont il devine qu’elle sera partagée par nombre de ses lecteurs, et au-delà : « Nous demandons simplement, face à nos frères, la permission, la grâce, d’être des hommes qui doutent. » Ce doute qui est, depuis toujours, pleinement constitutif de la foi. 

Dans la richesse des échanges suscités par ses lettres, durant le temps pascal, l’auteur veut voir une « expérience de la présence du Ressuscité » de nature quasiment liturgique. 

Pour autant il entend rassurer ceux qui pourraient le croire “tenté de fonder quelque phalanstère ou quelque secte » pour capitaliser sur sa lancée. Il les « renvoie au seul “Compagnon blanc“ (le Christ) et à sa seule compagnie qui est l’Église comme mystère. » 

Plaidoyer pour une Église plurielle

Il me souvient avoir écrit dans un billet de ce blog, au printemps dernier, combien durant cette période qui nous avait tous ébranlés au plus profond, et de manière durable, des paroles à la fois posées, enracinées, essentielles comme celles de François Cassingena-Trévedy ou du théologien Tchèque Thomas Halik nous avaient rejoints et nourris là où il nous avait semblé – peut-être à tort et de manière injuste – que nos évêques étaient absents. A la relecture, je me sens pris à leur égard d’une indulgence à la fois rétrospective et provisoire. Comment pourraient-ils assumer publiquement des interrogations aussi radicales sur le contenu de la foi ou le basculement des structures de l’Église, de hiérarchiques à ministérielles ? Pour autant, peuvent-ils faire semblant d’ignorer qu’une partie du peuple qui leur est confié a vibré à ces réflexions, y reconnaissant le reflet de sa propre quête spirituelle ? Ce qui justifie largement cet ultime questionnement de François Cassingena-Trévedy : « Aujourd’hui, l’institution est-elle en mesure de comprendre, d’accompagner, davantage : de bénir le désarroi de tous ceux qui en l’espace d’une vie, de quelques années parfois seulement, se découvrent sans rien ou reposer leur tête ? Est-elle capable de se convertir en institution de la nuit ? (…) Mais se peut-il qu’il n’existe jamais une institution de la nuit ? » 

• (1) François Cassingena-Trévedy, Chroniques du temps de peste, Tallandier, 176 p., 18 €.  Moine de l’abbaye de Ligugé où il était précédemment émailleur et maître de chœur, François Cassingena-Trévedy a choisi, en accord avec son père abbé, de poursuivre sa vie de moine en s’ancrant durablement en Auvergne. Il s’y consacre à son œuvre d’écrivain et de traducteur ainsi qu’à la rencontre de groupes et à son métier d’enseignant. 

• (2) Christian Bobin, Autoportrait au radiateur, Gallimard 1997, Collection Folio p. 176

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Libres Propos

La Rédaction de la LETTRE ouvre cette rubrique aux membres de D&S qui veulent contribuer aux débats. Ces libres propos ne représentent pas l’opinion de la rédaction ni de l’association Démocratie & Spiritualité mais de leurs auteurs qui sont seuls responsables de leur texte.

 

Retour sur le texte de Denis Clerc : Homo Faber vs. Homo Sapiens – Patrick Boulte

Financement de l’investissement productif

Les questions économiques sont rarement abordées par Démocratie et Spiritualité. Quand elles le sont, comme avec l’article de Denis Clerc, reproduit dans la dernière lettre au chapitre « Nouvelles exigences démocratiques », encore faut-il qu’elles le soient dans l’esprit de notre association avec mesure, positivité et souci du bien commun. On ne peut traiter un sujet aussi lourd de conséquences sur le plan national, en ne le prenant que sous l’angle des dysfonctionnements du système sur le plan international et en en généralisant les aspects aberrants. Le faire, c’est courir le risque d’adopter de mauvais remèdes, que l’on est obligé de corriger par la suite à grands coups de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi - CICE.

Il convient, à mon sens, de prendre le problème par un autre bout. Avons-nous besoin, oui ou non, d’initiatives entrepreneuriales ? Avons-nous besoin d’industrie, d’innovation et d’emplois ? Si oui, quelles sont les conditions à remplir ? Les entreprises ont-elles suffisamment de fonds propres ? D’après les statistiques de la Banque de France, en 2019, la part du financement des entreprises non financières, réalisé par le crédit bancaire, était de 63 %. Or, il faut rappeler que « le crédit bancaire n’est pas adapté au financement de l’innovation et des start-ups qui ne peuvent pas gérer des échéances de remboursement fixes », cf. la note du CAE n°33, qui pointe aussi la « quasi-absence d’investisseurs privés de long terme en France ». Pour notre développement, nous manquons de « capital-risqueurs », ce qui est un corollaire de la préférence des épargnants français, après l’investissement foncier et immobilier, pour les produits de taux, sans risque en capital. Il est donc particulièrement important que l’épargne s’oriente davantage vers les placements en actions. BPI France, un instrument créé par l’État, ne peut pas assurer, à elle seule, la tâche de doter l’industrie française en fonds propres, d’en assurer le développement et le renouvellement ou d’essayer de garder sur notre territoire national les centres de décision entrepreneuriale.

Prêtons aussi davantage attention aux changements en cours des pratiques des investisseurs avec le développement considérable de l’investissement socialement responsable et de l’activisme actionnarial, comme aux efforts faits, au niveau européen notamment, pour harmoniser et crédibiliser l’utilisation, dans ce cadre, des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance des entreprises ? Pensons aussi à la progression de l’épargne, l’épargne salariale entre autres, qui choisit de s’investir solidairement.

Patrick Boulte - 26 avril 2021

 

 

Les citoyens face aux tribunes de militaires qui jettent le trouble entre l’armée et le politique  

En ce printemps 2021, les tribunes d'abord d’anciens militaires, puis de militaires d’active nous ont alertés sur leur inquiétude face aux territoires perdus de la république et sur le manque de courage pour prévenir une faillite de l'État que montreraient ceux qui nous gouvernent. Il ne suffit pas de regretter que les signataires du second texte, anonymes, remettent en cause la non-intervention de l'armée dans le débat politique. En effet, ces lettres au président de la République sont d'abord significatives d'un climat de méfiance vis-à-vis d'autorités qui ont de plus en plus de mal à faire prévaloir l'ordre républicain sur tout le territoire et entre citoyens, ce qui pourrait à terme générer une guerre civile de plus ou moins haute intensité. Elles nous alertent ensuite sur l'état d'esprit d'une armée qui se sent mal reconnue pour les services qu'elle rend à la nation dans des opérations extérieures sans issues claires, et cela au risque de la vie de ses soldats. Elles nous interrogent enfin sur l'ambiguïté du lien de nos militaires avec des Français dont certains les applaudissent le 14 juillet et d'autres ne supportent plus leurs uniformes. Plutôt que de s'embourber dans des manœuvres politiciennes lors des élections régionales et de continuer à accumuler les lois sécuritaires, on attendrait du président de la République qu'il nous présente un diagnostic complet de la situation inquiétante du pays et de la façon d'y faire face en mobilisant les citoyens, les élus, les services publics et la société civile. Malheureusement, l'hystérisation du débat et une campagne présidentielle déjà polarisée par les problèmes de sécurité et d'autorité risquent de n'être pas propice à la mise en œuvre d'un processus démocratique correspondant aux problèmes posés. 

Il nous reste à nous poser la question de la façon dont nous pouvons contribuer d'une part à faire aimer notre pays et ceux qui la servent avec le sens de l'honneur, d'autre part à élever la qualité du débat démocratique à la hauteur des enjeux. Ceci exige de nous un travail de discernement personnel et collectif dans de nombreux domaines comme les suivants : le diagnostic que nous faisons de la situation de notre pays et des risques actuels, notre attitude vis-à-vis de l’armée et des forces de l’ordre, notre approche de la non-violence, notre capacité à employer les mots justes pour ne pas exacerber les débats.

Jean-Claude Devèze

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Art,Poésie

S'inspirer de l'art pour créer du lien…

La ligne silencieuse

Soutient l’artiste funambule

Oscillant sur le chemin.

Sa force l’entraine.

Des horizons nouveaux

Se dessinent…

 

Monika Sander 2020

Les liens invisibles, Hanna Sidorowicz

Les liens invisibles, Hanna Sidorowicz

 

Respirer par la poésie...

L'invisible lien

L'invisible lien, partout dans la nature,
Va des sens à l'esprit et des âmes aux corps ;
Le chœur universel veut de la créature
Le soupir des vaincus ou l'insulte des forts.

L'invisible lien va des êtres aux choses,
Unissant à jamais ces ennemis mortels,
Qui, dans l'anxiété de leurs métamorphoses,
S'observent de regards craintifs ou solennels.

L'invisible lien, dans les ténèbres denses,
Dans le scintillement lumineux des couleurs,
Éveille les rapports et les correspondances
De l'espoir au regret, et du sourire aux pleurs.

L'invisible lien, des racines aux sèves,
Des sèves aux parfums, et des parfums aux sons,
Monte, et fait sourdre en nous les sources de nos rêves
Parfois pleins de sanglots et parfois de chansons.

L'invisible lien, de la terre aux étoiles,
Porte le bruit des bois, des champs et de la mer,
Léger comme les cœurs purs de honte et sans voiles,
Profond comme les cœurs pleins des feux de l'enfer.

L'invisible lien, de la mort à la vie,
Fait refluer sans cesse, avec le long passé,
La séculaire angoisse en notre âme assouvie
Et l'amour du néant malgré tout repoussé.

Léon Dierx (1838-1912), in Les lèvres closes

Avec Mahuna, poursuivre la quête du silence

J’ai rencontré Mahuna par hasard, le 30 avril, devant la Librairie Blanqui 13, où elle dédicaçait son premier livre de poésie, et où je venais acheter mon journal après avoir fait mon marché. Je la laisse se présenter :

 « À mes yeux la poésie n’a pas de règles, de frontières, de barrières. Pas celle d’aujourd’hui. La poésie, c’est donner corps au sensible et à l’indescriptible. C’est matérialiser ce qui nous échappe, est fugace. Ce qui nous percute, nous éclate, nous enveloppe, nous berce ou nous jette à terre. C’est donc en écrivant que j’ai vu cette part de moi et lui ai dit qu’elle avait le droit d’être là au même titre que mes joies et ma part de lumière. J’ai reconnu son existence et lui ai ainsi permis de prendre place dans ma vie. » 

J’ai sélectionné dans son recueil, « au-delà de nos maux », ce paragraphe qui peut alimenter notre quête des mots pour dire le silence.

Daniel Lenoir

j’aime le bruit velouté du silence

il s’y loge la voix assourdissante

de mes pensées nouées

de mes émotions blessées

 

je suis amoureuse du silence

j’y range mes plus belles douleurs

j’y cache toutes mes peines de corps et de cœur

j’y enfouis mes rêves inavoués

ceux que jamais je n’oserais tenter

 

je suis amoureuse du silence

il m’enveloppe d’une douce torpeur qui me fait planer

me sourit et me promet de ne pas me brusquer

ou de ne pas me changer

dans se bras, je sais que mon intimité est respectée

il crée un monde où je peux réécrire tout ce qui s’est passé

où j’ai l’impression d’avoir été plus forte que je ne l’ai été

où j’aime à penser que j’ai su dominer ceux qui m’ont blessée

 

je suis amoureuse du silence

parce que je le sais

je sais bien qu’une fois que les premiers mots se feront mélodie

avant de se transformer en cris

je devrai affronter ma réalité

celle dans laquelle, ils m’ont interdit de parler

 

Mahuna, extrait d’Au-delà de nos mots (Mahuna Poésie, 2020)

Que vous pouvez commander sur https://mahunapoesie.com/

Et y découvrir aussi Mahuna

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Notes de lecture

 

De la laïcité en France de Patrick Weil (Grasset, 2021)

On le sait l'histoire ne se répète, ni ne bégaie ; même pas sous forme de farce après la tragédie, comme le suggérait Karl Marx pour Louis Napoléon Bonaparte après le 1er du nom. En revanche, il est possible de trouver dans le passé, avec les sujets d'aujourd'hui, sinon des concordances, du moins des résonances. Ainsi, la façon dont les débats qui ont précédé et suivi la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État résonnent avec les nôtres est au cœur du dernier livre de Patrick Weil, comme aussi les différences, et parfois, les discordances. Un détour par l'histoire qui permet aussi de soigner l'hystérisation croissante -que l'auteur appelle la "polarisation mortifère" - des débats sur la laïcité. On peut aussi dégager de ce "moment 1905" des leçons à l'usage d'un exécutif qui se comporte sur la laïcité comme une gallinacée qui aurait trouvé un couteau suisse.

Première leçon, la laïcité n'est pas née avec la loi de 1905, mais s'est imposée à l'issue d'un long processus qui a commencé dès le début de la Troisième République, quand elle se fut affranchie des tentations monarchistes et versaillaises, qui lui-même plonge ses racines dans les valeurs issues de la Révolution française, avec l'affirmation des libertés de conscience et d'expression.

Deuxième leçon, la loi de 1905 est le résultat de la conjonction d'un travail préparatoire approfondi, et largement consensuel, et d'un incident diplomatique entre la France et le Vatican, quand celui-ci s'est avisé de condamner, dans une note adressée aux souverains européens catholiques, que l'un d'entre eux (et oui), le président de la République Française, se soit rendu à Rome pour rencontrer le roi d'Italie sans avoir préalablement demandé l'autorisation au pape Pie X (qui d'ailleurs l'avait refusé aux autres souverains) ; note que le prince de Monaco s'est empressé de faire fuiter à Jean Jaurès, qui l'a publié en une de l'Humanité. Cela a précipité le vote d'une loi de séparation, qui avait été tellement bien préparée que le Sénat l'a votée dans les mêmes termes que le texte qui avait été adopté par l'Assemblée, ce qui a évité une navette qui aurait pu se prolonger longtemps sous la Troisième République.

Troisième leçon, malgré ce travail préparatoire, et malgré l'accord implicite du parti catholique, la loi s'est trouvée confrontée à une opposition de principe du même pape, d'un pape qui "ne conçoit qu'un seul type d’État, catholique, rendant "un culte public à Dieu"", opposition à laquelle ses promoteurs, Aristide Briand et Georges Clemenceau, ne s'étaient pas préparés et qui a failli plonger la France dans la guerre civile.

Quatrième leçon, les deux promoteurs ont su réagir en alliant fermeté vis à vis des clercs -et beaucoup d’ecclésiastiques se sont retrouvés condamnés par les tribunaux au titre de la police des cultes instituée par la loi de 1905-, et main tendue vis à vis des catholiques en évitant de les empêcher de pratiquer leur religion. Ils ont résisté tant à la tentation de la persécution des croyants, qu'à celle de céder à une Église catholique prête à en découdre pour maintenir son imperium sur la société française.

Cinquième leçon, l’Église romaine n'a jamais accepté le cadre démocratique des associations cultuelles posé par la loi de 1905 (le compromis s'est fait, avec la réconciliation qui a suivi la grande boucherie de 14-18, sur des associations diocésaines qui ne sont ni démocratiques ni compétentes pour le culte), et a tenté, avec le régime de l’État français de rétablir son imperium. Ce n'est qu'après la Libération que les catholiques, du moins ceux qui s'étaient illustrés dans le Résistance, se sont réellement ralliés à la laïcité, qui est devenue à ce moment principe constitutionnel, et ce n'est qu'avec Vatican 2, soixante ans après la loi de 1905, que l'institution en a réellement accepté les principes.

Il y a bien des choses intéressantes dans ce livre, notamment sur la place des cultes dans l'espace public, ou sur, au-delà des sensibilités différentes, la proximité juridique entre la France et les États-Unis, mais qui sont davantage connues. Mais les cinq leçons que je dégage de sa lecture me semblent les plus utiles pour aborder les débats d'aujourd'hui, non pour les transposer mais pour s'en inspirer, même si c'est avec une autre religion, l'islam, et dans une société profondément sécularisée.

Daniel Lenoir

 

 

Vivre avec nos morts, Delphine Horvilleur : (Grasset, 2021)

 Delphine Horvilleur se dit rabbin laïc, elle est à la fois l’une des rares femmes rabbins de France, défenseure de la laïcité, intellectuelle engagée dans le dialogue avec le monde musulman.

La laïcité, dit-elle, est l’espace de nos vies qui n’est jamais saturé de convictions, et elle garantit toujours une place laissée vide de certitudes. Elle empêche une foi ou une appartenance de saturer tout l’espace. En cela, à sa manière, la laïcité est une transcendance. Elle affirme qu’il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d’un autre venu y respirer.

 Ces convictions lui donnent la liberté intérieure nécessaire pour accompagner les mourants et leurs familles. Être rabbin veut dire, entre autres, vivre avec la mort, celle des autres, celle de son entourage et trouver les mots justes pour ce moment charnière de la vie. Comme une conteuse, elle tisse des liens entre les textes sacrés et des éléments biographiques de la vie du défunt, de manière à donner sens à sa vie et à sa mort.

 Avec subtilité, complexité, humour, elle éclaire l’identité juive qui repose sur une vacance, elle n’est pas prosélyte car le judaïsme préserve un espace libre pour une autre conception que la sienne, et ouvre à une transcendance infinie. Elle captive à travers de merveilleuses histoires drôles parlant de rabbins qui rêvent d’un Dieu plein d’humour, prêt à se retirer de l’histoire en riant, à s’éclipser au profit des hommes qui débattent, ce Dieu absent et pourtant si présent qu’ils ne nomment pas. Leur relation à Dieu est complexe, directe et plein de respect, entre liberté et soumission.

Le texte se lit avec bonheur, il est impressionnant de richesse et de profondeur, il évoque l’identité juive – il est très juif de croire qu’on n’est pas celui qu’on devrait être – et dit l’impuissance du langage devant le deuil – la Torah ne parle pas de la vie après la mort. La pensée juive enrichit cependant lentement sa palette eschatologique et son interprétation de l’après vie pour y greffer des éléments de résurrection ou même de réincarnation. La mystique juive promet que, le jour de notre mort, quelqu’un vient nous chercher, c’est aussi ce qui se dit dans les services de soins palliatifs. Il est d’usage de placer une bougie auprès du corps qui symbolise l’âme restée vive et finit par s’unir au divin – les défunts n’existent plus que dans nos souvenirs.

Ne croyez pas que c’est un livre triste, les éléments de la vie de l’auteure sont présents, ses formations, ses amis, les rencontres qui l’ont faite avancer, parmi lesquels Simone Veil tient une grande place. Une vie riche et diverse – la Bible ne dit-elle pas qu’il faut choisir la vie à tout moment ? Avec sensibilité et intelligence, elle parcourt les strates de la vie, propos empreints de cet humour qui sauve dans les situations où tout semble s’effondrer.

On sort heureux et apaisé de cette lecture.

Monika Sander, mai 2021

 

Les Murs Blancs, de Léa et Hugo Domenach (Grasset, 2021) -

 La propriété des Murs Blancs, à Chatenay-Malabry, a marqué l’histoire intellectuelle du XXème siècle. A propos du livre de deux petits-enfants de Jean-Marie Domenach, une sœur et un frère, nous ne reviendrons pas sur la dimension familiale, omniprésente pour eux qui y passaient souvent le dimanche dans des maisons au milieu d’un magnifique parc aux arbres centenaires.

L’habitat dans ces lieux, à partir de 1945, d’une « communauté » rassemblée autour d’Emmanuel Mounier (1905-1950), est très bien reconstitué. Fondateur de la revue Esprit qu’il dirigeait depuis 1932, le philosophe rêvait de réussir une vie communautaire avec des collaborateurs de la revue Esprit ; ce projet s’inscrivait dans sa perspective de fonder non seulement une école de pensée autour du personnalisme communautaire, mais aussi un mouvement rayonnant sur toute la France. Certes, quatre intellectuels, chrétiens de gauche et anciens résistants, comme lui, Henri-Irénée Marrou, Jean Baboulène, Paul Fraisse, Jean-Marie Domenach, le suivirent avec leurs familles dans cette aventure ; ils seront bientôt rejoints par Paul Ricœur. Par contre, le livre montre qu’une vie communautaire n’est pas évidente entre des personnalités à l’ego bien affirmé, ayant tendance à oublier le rôle majeur des femmes et la place à réserver à leurs enfants dans leur emploi du temps et dans leur cœur. La communauté se dilua avec la mort des uns et des autres, le dernier survivant, Paul Ricœur (1913-2005), n’ayant pas la vocation de chef de file.

Il est très bien décrit la vie de ce phalanstère qui fut un lieu de rencontres exceptionnel pour beaucoup d’intellectuels, d'artistes et d’hommes politiques : Jacques Julliard, Michel Winock, Ivan Illich, Chris Marker, Jacques Delors et aussi… Emmanuel Macron. Cela permet de revisiter cinquante ans des combats d’intellectuels engagés dont la revue Esprit fut le porte-voix et les Murs Blancs le quartier général : la guerre d’Algérie, la décolonisation et la dénonciation de la torture ; la lutte contre le totalitarisme communiste ; la construction de l’Europe ; la remise en cause d’une société bloquée gagnée par la consommation. Par contre, Mai 68 fut pour les penseurs des Murs blancs des « évènements » qu’ils eurent du mal à affronter et à comprendre ; ceci contribua à les couper de ceux de leurs enfants qui y firent leurs premières armes militantes.

Ce livre nous pose la question de la transmission et du rayonnement dans la durée de cette aventure intellectuelle qui a marqué le XXe siècle. Cet aspect est abordé dans un entretien avec Emmanuel Macron ; recevant les auteurs après avoir lu les épreuves du livre, il a conclu avec le vœu de « ne pas laisser partir cette génération avec ce qu’elle porte ». Ayant assisté durant deux ans Paul Ricœur dans l’écriture de son livre La Mémoire, l’histoire, l’oubli (2003), le président met en valeur la part d’utopie du philosophe ; elle est pour lui nécessaire « pour emmener un pays vers un idéal qui rassemble les uns les autres ». Une des raisons pour lesquelles l’histoire des Murs blancs est tombée dans l’oubli est, d’après les auteurs, les jalousies et les difficultés nourries par le quotidien de la vie en communauté devenue de plus en plus pesante ; cela n’a pas favorisé le renouvellement des générations qui auraient pu y habiter en portant un projet commun actualisé.

Grâce aux confessions recueillies et aux archives consultées, les auteurs ont réussi à nous faire partager l’aventure intellectuelle, politique et familiale des Murs blancs. Ce livre nous aidera-t-il à réfléchir sur l’inscription dans la durée de nos mouvements et sur la qualité de leur vie communautaire ? livJean

Jeaneut nous aider à se poser la question C’est t familial et politique. »

Jean-Claude Devèze

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ECHOS

 

Formation bienvenue le jeudi 3 juin 2021 à 18h

 

Le bureau de D&S invite les adhérentes et adhérents de D&S à participer à la formation "Bienvenue" le jeudi 3 juin, de 18 à 21h, en visioconférence. Nous vous proposons de découvrir l'historique de D&S, les éléments de la Charte et le texte d'orientation élaboré à l'occasion du 25ème anniversaire.

 Avec la participation de Jean Baptiste de Foucauld, co-fondateur de D&S, Daniel Lenoir actuel président, Marcel Lepetit chef de file du groupe de rédaction du texte d'orientation et Régis Moreira, administrateur.

Cette formation s'appuiera sur un diaporama commenté afin de soutenir le déroulé de la soirée, sous une forme interactive.

 Cet atelier « Bienvenue » est un temps d’échange et de dialogue pour approfondir les textes fondamentaux de D&S, tout en découvrant le contexte de leur élaboration, afin de donner du sens à l’adhésion à D&S, car les réflexions, cheminements et actions de D&S seront le produit du travail d’approfondissement collectif de ses membres.

Nous apporterons des réponses et dialoguerons à partir des questions que vous vous posez, par exemple :

-          Comment est né D&S ? Pourquoi ?

-          Quelle est l’intuition des membres fondateurs de D&S ?

-          Cette intuition est-elle toujours pertinente aujourd’hui ?

-          Qu’implique l’adhésion à D&S ?

-          Comment D&S peut-elle être une boussole dans l’exercice de nos responsabilités ?

-          D&S aujourd’hui et demain ?...

 

L’objectif de cette formation est de donner des clés de compréhension de notre recherche commune de fertilisation réciproque de la démocratie et de la spiritualité.

 

Pour s'inscrire et recevoir le lien zoom, merci d’utiliser le formulaire https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSfNCUAt_N1AeMOziakz_z4XoB2pvzyXySiBAk46XhSLOWImQg/viewform?vc=0&c=0&w=1&flr=0

Régis Moreira

                                                                                                  

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QUE FONT NOS PARTENAIRES?

 

Groupe Interreligieux pour la Paix 78 – GIP 78 

Groupe Interreligieux pour la Paix 78 – GIP 78 : GRAND AGE, FIN DE VIE : de la quête de sens à la quête de solidarité

La troisième et dernière réunion de ce cycle aura lieu jeudi 27 mai, à 20h30, sur le thème : Revisiter l’habitat intergénérationnel, avec François Genin, président de l’association Visitatio, Bernard Jouandin, président de Koyo, Henri Foucard et Thomas Wick.

 

Pour y participer : https://www.eventbrite.fr/e/billets-replacer-les-fragilites-au-sein-de-lespace-intergenerationnel-142544758209

 

 

Pacte Civique

La réunion prévue par le Pacte civique pour son 10ième anniversaire au CESE a dû être déplacée au mois de septembre en raison des contraintes sanitaires.

Baromètre : https://pactecivique.fr/2021/05/17/barometre-de-la-fraternite-2021/

Flash info: https://pactecivique.fr/flash-infos/

 

 

Les Cités d'Or

Rencontre avec les Cités d’or, mouvement d’éducation populaire.

Au cours de ma réflexion sur nos partenariats, je me suis souvenue de l’intervention à l’UE 2017 de Karim Mahmoud-Vintam, cofondateur et délégué général des Cités d’or, et j’ai eu envie de le contacter. Le 26 avril, nous l’avons rencontré en Visio. Rencontre enthousiasmante !

A l’origine du projet, deux frères – Karim et Sandy Mahmoud-Vintam, 30 et 26 ans, Tunisiens et Bretons par leur père, Guadeloupéens et Anglais par leur mère – réfléchissent en 2007 à leur avenir et à celui de la société. Le plus jeune a été broyé par le système scolaire dont il est sorti sans diplôme et qualification, tandis que l’ainé, Karim, a eu un parcours académique brillant et mène la vie professionnelle qu’il a choisie : producteur junior de films et de documentaires puis conseiller technique au Cabinet du Président du Grand Lyon, enfin secrétaire général d’une ONG franco-américaine. Pourtant, l’essentiel les relie : l’envie de donner du sens à leur vie, l’envie d’être utiles, aux autres et à la société. Ils décident alors de réunir leurs réseaux et leurs talents pour promouvoir l’insertion sociale à travers l’éducation artistique et culturelle dans les « cités chaudes » de Champigny-sur-Marne : en 2007 nait l’association Les Cités d’Or.

Pourquoi ce nom ? en référence à un dessin animé, Les mystérieuses cités d’or, qui relate la quête initiatique de trois enfants depuis l’Europe jusqu’en Amérique latine, et qui est devenu, pour plusieurs générations, une référence incontournable, synonyme d’aventure, de fraternité et de découverte ludique des civilisations du passé. Mais pour Karim et Sandy, les Cités d’Or c’est aussi et avant tout une référence directe à la Cité antique, berceau de la démocratie et du débat public dans le cadre de l’agora. Enfin, les Cités d’Or, c’est un clin d’œil à cette mine inexplorée et inexploitée que constituent les territoires de relégation de la République (banlieues de nos villes, espaces ruraux désertifiés), dont les habitants auraient tant à offrir, nous dit Karim.  

Le projet des Cités d’or, mouvement d’éducation populaire, régi par la loi 1901 et reconnu d’intérêt général en 2013, non partisan et non confessionnel, est à la fois civique et pédagogique, avec un double objectif. Le premier est de diffuser largement quelques « compétences humaines et civiques fondamentales », c’est-à-dire des savoirs, des savoir-faire et des savoir être mobilisables dans toutes les dimensions de l’existence afin que chacun devienne pleinement acteur de sa vie et pleinement acteur de la société ; le second est de faire vivre des espaces de fraternité permettant à chacun de se réconcilier avec les autres, avec lui-même, avec le monde, pour dépasser la blessure coloniale et inventer de nouveaux modèles. L’association a élaboré en interne un référentiel de compétences fondamentales, (le 1er du genre en France) qui fixe des objectifs pédagogiques (tant techniques qu'éthiques) dans la perspective d'accompagner de jeunes adultes vers l'autonomie et la citoyenneté, et de faire émerger des jeunes leaders "civiques" susceptibles de jouer un rôle d'entraînement positif sur leur territoire et dans la société.

Les Cités d’or développent des actions grand public : ainsi un.e adulte bénévole formé.e pendant au moins six mois peut devenir répondant.e, compagnon.ne de sens,  partageant les questionnements d’un jeune, en toute vérité et liberté, entrant en résonance avec lui sans lui apporter de réponse. Mais les Cités d’or mènent surtout des actions spécifiquement tournées vers la jeunesse. Leur initiative phare, les Écoles Buissonnières, veut tenter de répondre au décrochage scolaire massif actuel qui débouche sur un décrochage social et un désengagement civique. Elle propose à toute personne de 16 ans ou plus- des jeunes scolarisés ou déscolarisés, des jeunes vivant en centre-ville ou en banlieue, un parcours d'autonomie et de citoyenneté en groupe de 14 participants, en statut de service civique de 28 heures sur six mois.  Trois missions stimulantes au service d’un territoire et de ses habitants les aident à découvrir et renforcer leurs compétences, à se former et s’engager pour un monde meilleur. Ainsi la première mission consiste à auditionner publiquement une personnalité inspirante, sportive, artistique, politique (comme Christiane Taubira, Lilian Thuram, Costa Gavras ou Florence Aubenas), à se plonger dans son parcours, ses réussites comme ses échecs surmontés pour comprendre comment il/ elle a donné du sens à sa vie. La seconde mission est celle de « décodeurs » sur un sujet politique ou social de leur choix, afin de se faire un point de vue vérifié, libre et éclairé pour ensuite le partager sur les réseaux sociaux ou produire un contenu d’information multimédia. Chaque jeune choisit un sujet qui répond à l’un des deux critères suivants :  l’enjeu traité doit avoir un impact direct ou indirect sur la vie du participant ; le sujet traite d’un obstacle qu’il a rencontré dans sa vie.  Enfin il s’agit de conduire en binôme une enquête participative sur son territoire de mission, « sa cité d’or », en recueillant la parole des habitants pour mettre en valeur les parcours remarquables, « patrimonialiser » en quelque sorte leur mémoire sous la forme de leur choix : exposition photo, bibliothèque sonore, jeu de piste géant…et rédiger des cahiers de doléances sur le vécu des habitants -leurs colères, leurs initiatives, rêves, besoins- à proposer aux élus, au préfet, au commissaire de police pour alimenter le débat public. Tout au long du parcours, l’équipe des Cités d’Or accompagne collectivement les jeunes. Ces trois missions leur permettent d’explorer cinq compétences humaines fondamentales : -s'exprimer pour convaincre (en argumentant tout en restant à l’écoute de l’autre) ; - s’informer à travers des sources fiables et pertinentes par rapport à ses besoins, échapper à l’intox ; -Avoir confiance en soi et conscience de soi, se connaître et s’accepter ;-Entretenir et enrichir son environnement humain, dépasser l’entre soi social, cultuel, générationnel ; -Comprendre le fonctionnement du monde dans lequel on vit, pouvoir distinguer les enjeux sans les disjoindre, et les relier sans les confondre ; se familiariser avec les principaux acteurs, espaces et enjeux du monde ; entrer dans une pensée complexe.

À l’issue du programme, les jeunes accompagnés- 150 à 200 par an-ont gagné en confiance et estime de soi, ont développé un réseau et enrichi leur CV, ont pu former un projet de vie avec la possibilité de rejoindre une structure partenaire (études, accès à l’emploi, engagement associatif). Ils ont vécu une expérience transformante, dans le rapport à soi, aux autres et au monde.

Enfin les Cités d’or sont un organisme de formation destiné aux enseignants de l’Éducation nationale, aux acteurs de l’éducation populaire (éducateurs, animateurs) sur l’éducation à la citoyenneté dans une « spiritualité laïque du quotidien ». La citoyenneté ne peut se confondre avec l’étude des institutions et de leur fonctionnement ; elle se joue ailleurs, dans l’estime de soi, le rapport aux autres, au monde et la manière dont on s’y projette, nous dit Karim.    

L’association s’est dotée en 2020 d’un conseil scientifique, laboratoire sur les questions de citoyenneté et d’éducation à la citoyenneté, composé de personnalités comme Abdennour Bidar, François Dubet, Gaël Giraud, Delphine Horvilleur, Cécile Renouard, Dominique Schnapper et bien d’autres, sous la présidence de Pascal Perrineau.  L’association emploie une équipe de 10 salariés à temps plein et bénéficie de l’engagement d’une centaine de bénévoles. Elle est financée à 40% par les pouvoirs publics.  En 2018, le Sénat lui a décerné le Prix de la Démocratie de l’Institut Marc Sangnier qui récompense les initiatives impliquant les citoyens dans la vie publique et la vie démocratique.

 Si les Cités d'Or ont déjà accompagné près de 1 000 personnes, à Paris et à Lyon, l’association porte un ambitieux projet d’essaimage, en Guadeloupe puis dans les Hauts de France, à Champigny sur Marne ou ailleurs, en fonction des acteurs locaux.

D&S a signé un partenariat avec Les Cités d’or-belle illustration des valeurs que nous portons- pour développer une collaboration à la fois intellectuelle sur la laïcité, la responsabilité et l’éducation en lien avec la spiritualité et pour relayer cette superbe initiative civique et éthique, chacun de nos membres pouvant, s’il le souhaite, adhérer aux Cités d’or pour aider à la diffusion de leur projet.                                                                                                                                    

Eliane Fremann

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AGENDA

Réunions statutaires:

Prochains bureaux :

mardi 15 juin à 18h

mardi 6 juillet à 18h

Conseil d'administration

 lundi 21 juin, de 18h à 20h

 

Formation

"Bienvenue": jeudi 3 juin 18h à 21h (en visioconférence)

 

Prochaine Conviviale :

• mardi 8 juin 18h sur la situation politique en France  (en visioconférence)         

 

Université d'été 2021

L’Université d’été 2021 se tiendra les 10, 11, 12 Septembre 2021 à Lyon, au centre Jean Bosco

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L'Ours

Lettre D&S N° 181 - Mai 2021

ISSN 2557-6364

Directeur de publication : Daniel Lenoir
Rédactrice en chef : Monika Sander
Comité de rédaction : Laurence Fabert, Jean-Baptiste de Foucauld, Eliane Fremann, Daniel Lenoir, Régis Moreira, Nadia Otmane, Bertrand Parcollet

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