En-tête

Lettre n°151- Décembre 2016  Janvier 2017

 

 Sommaire

 

 

L’agenda

L’éditorial

Nouvelles de l'association

Résonances spirituelles

Démocratie et spiritualité

Les chemins concrets de l’évolution des sociétés

Propreté, sobriété et patience dans la vie démocratique

Echos d’ailleurs

Libre parole

Informations diverses

Agenda

Les soirées conviviales et réunions au 250 bis Boulevard Saint-Germain (75007) (digicode extérieur : 25B01 ; intérieur dans le hall: 62401 ; salle au premier étage)

• Lundi 13 février à 19H: Conviviale d’actualité

Comment nous situer pour lesélections présidentielles ? Quels critères retenir dans un monde en mutation ? Animation : Jean-Claude Devèze et Jean-Baptiste de Foucauld.

• Lundi 6 mars à 19H : Conviviale (Thème à déterminer)

• Lundi 24 avril : Conviviale (Thème à déterminer)

• Mercredi 29 mars à 18H : Assemblée générale de D&S à 18 H à l’ODAS, 250 bis bd St Germain, 75007 Paris.

• Mardi 9 mai à 17H : Conseil d’administration de D&S à l’ODAS également.

• Méditations interspirituelles les mercredi 25 janvier, le 22 février, le 22 mars, le 26 avril, le 24 mai, le 28 juin de 18h15 à 19h15, auForum 104, 104 rue de Vaugirard (75006

• Groupe "cheminements"le lundi 27 février2017 à 16h (exceptionnellement), salle Gandon au 21 rue des Malmaisons (75013)

• Formation 2017 « Ethique du débat » à Lyon : Samedi 18 mars 2017, au café culturel « Le Simone » 45 rue Vaubecourt  69002 Lyon Métro A station Ampère-Victor Hugo ou Perrache. Régis Moreira et Fabrice Morand-Thérain animeront une nouvelle session sur l’éthique du débat. Inscription à envoyer à D&S 21 rue des Malmaisons 75013 Paris (30€ + 10€ repas)

• Groupe "D&S de Grenoble" : jeudi 16 mars 2017 à 18h, Maison des associations, 6 rue Berthe de Boissieux, Grenoble. Partage spirituel laïque autour du thème: "Pour moi, sur quelles valeurs spirituelles l’action politique doit-elle s’appuyer ?

Notre histoire 

DEMOCRATIE ET SPIRITUALITE EN QUESTIONS

Pour un vivre ensemble porteur de sens

Patrick BRUN 

Avec la contribution de membres de l’association 

Le livre

L’éditorial

 

Le temps de la réflexion

Une fois n’est pas coutume, il n’y aura pas dans cette lettre, à proprement parler, d’éditorial.

Devant ces grands craquements, le Brexit, l’élection de Donald Trump, la montée du populisme, le terrorisme, on ressent le besoin de prendre son temps, de réfléchir à ce qui est en train de se passer, de se donner le droit à la distance et au silence. Il y a un temps pour chaque chose, c’est la leçon de l’Ecclésiaste, du Yi-king et d’ailleurs aussi de l’Evangile.

On peut craindre que ces craquements ne soient pas des épiphénomènes, mais des changements profonds. Ce que l’on s’efforçait, maladroitement de construire peu à peu, la mondialisation, l’Europe, le progrès économique, social et écologique, le dialogue interreligieux et inter-spirituel auquel nous voulions apporter l’enrichissement de la liaison fécondante entre démocratie et spiritualité, tout cela est remis en cause profondément. De partout monte un besoin de retrait, de frontière, de barricade, d’identité close et exclusive, de chefs sécurisants.  De nouvelles formes de conflits apparaissent, dont nous n’avons pas les clefs de lecture. Les comportements atypiques ou déviants se multiplient à tous les niveaux. Les populismes et terrorismes en tous genres s’en donnent à cœur joie. Le couple exclusion/relativisme n’en finit pas de produire ses ravages, car il est invivable de vivre dans l’exclusion et/ou la précarité tout en étant privé de reconnaissance et de repères. Situation à haut risque, où les idées folles peuvent  séduire et accroître les problèmes au lieu de les régler, où le besoin de renverser la table sans considération des conséquences peut devenir irrésistible.

Important : D&S recherche un(e) secrétaire général pour prendre la suite de Paul-Philippe Cord qui souhaite se recentrer davantage sur ses autres activités, dont Emmaüs. Il faut y consacrer, en moyenne, une demi-journée à une journée par semaine, plus si l’on veut contribuer à développer l’association.

Contacter JB de Foucauld : jbdf@numericable.fr

Nouvelles de l'association

 

Organisation pour la lettre de D&S

Comme vous avez pu le remarquer, cette lettre arrive avec un peu de retard. L’équipe de production de la lettre de D&S est en cours de réorganisation. Notre objectif est désormais de sortir une lettre tous les deux mois, quitte à en accélérer ou ralentir le rythme en fonction de nos impératifs. 

 Formation éthique du débat

Résumé de la journée de formation 2016 par Régis Moreira :

Une quinzaine de personnes ont participé à la session de formation « Ethique du débat », animée par Jean-Claude Devèze et Régis Moreira, samedi 3 décembre 2016, dans les locaux de l’ODAS (Observatoire national de l’Action Sociale). Après avoir recueilli les attentes de chacun, en petits groupes, les expériences de débats ont pu être partagées afin de dégager les éléments facilitant ou entravant un débat. Puis fut exposée la démarche de Démocratie & Spiritualité consacrée à l’éthique du débat et ses règles. Parmi 6 propositions de thème de débat, « La politique des migrants » a été choisie en vue de construire des accords et des désaccords avec le jeu des 4 coins à partir de phrases de convictions parfois clivantes. Deux personnes se sont prêtées au jeu de la construction d’un vrai désaccord, qui en fait a révélé la difficulté de maintenir un « vrai désaccord ».

Quelques commentaires d’évaluation de la journée :

C’est une méthode complexe à réinvestir avant de maîtriser, certainement très exploitable, probablement à de multiples niveaux, dans des réunions.

Le travail d’animation effectué a été bien structuré et intuitif dans sa progression : conviction et responsabilité, l’animation a été dynamisante.

Nous comprenons que c’est un sujet de travail d’expérimentation « permanent » de D&S.

Relation entre les personnes : Bonne humeur et bienveillance, magnifique !

Voir le compte rendu de la journée du 3 décembre (lien)

 

Université d’été de D&S 2017

L’Université d’été D&S de 2017 aura pour thème « éducation, citoyenneté, spiritualité ». Elle se déroulera du vendredi 8 septembre 9H30 au dimanche 10 septembre 13 H au centre Jean Bosco à Lyon (comme en 2016). A réserver dès à présent dans vos agendas.

En introduction à cette UE, un texte rédigé par Jean-Baptiste de Foucauld : 

Nos sociétés sont travaillées depuis une trentaine d’années par de grands changements : dilution du lien social et règne de l’individualisme, impact de la mondialisation avec ses aspects positifs mais aussi ses inégalités territoriales, sociales, devenues plus visibles et plus concrètes avec l’arrivée des réfugiés et migrants , problèmes identitaires des jeunes générations qui se posent avec  acuité, voire avec violence,  en raison du climat régnant délétère de relativisme des valeurs et d’exclusion sociale, etc...

Le genre humain s’unifie. Mais il s’unifie dans de mauvaises conditions, qui génèrent de nouvelles formes de conflits que nous ne savons pas bien gérer. Nous sommes en effet confrontés à toutes sortes de différences, créatrices de tensions et d’inégalités qu’on ne peut plus éluder désormais.

Dans ce  contexte, aussi bien l’éducation à la spiritualité que l’éducation à la citoyenneté rencontre aujourd’hui de grandes difficultés.

L’une et l’autre constituent pourtant un levier d’action fondamental pour réussir le pari de l’unité humaine qui est devenu notre enjeu.

A la suite de ce constat, il nous parait intéressant que la prochaine Université d’été de Démocratie et Spiritualité se penche sur le lien à établir entre ces  trois notions : éducation, citoyenneté, spiritualité. Elles sont le plus souvent disjointes, l’instruction trop assimilée à la transmission des savoirs, s’intéressant peu à la citoyenneté et à la spiritualité, renvoyées à l’expérience civique et à la vie personnelle. N’est-ce pas là, précisément, ce qui doit changer, et comment faire ? Et d’ailleurs,  qu’entendons-nous exactement par éducation à la citoyenneté (qui ne se confond pas avec la politique) et par éducation à la spiritualité (qui ne se confond pas avec la religion) ? 

Dans ce contexte, Démocratie et Spiritualité envisage, au cours de sa prochaine Université d’été, de réfléchir à une approche interdépendante des trois notions d’éducation, de citoyenneté, de spiritualité, en examinant les différents champs où elle peut et sans doute doit se déployer dans nos sociétés développées : la famille, l’école, la cité, les réseaux sociaux.

Résonances spirituelles

 

Beauté du regard, de la nature, de la création…

Texte lu le mercredi 30 novembre à la méditation interspirituelle proposée par D&S au Forum 104

Le Beau. C’est un regard, un regard personnel dans l’instant, un regard qui accueille,

Un arrêt, un temps mort qui est Vivant.

Non pas seulement regard sur les grandes choses,

L’infiniment petit est infiniment grand, une gentiane isolée en montagne, une graminée qui flotte au vent, une vague qui se dissout dans le sable de la plage

Mais aussi : toute la Création, la nature immense, les grandes inspirations, les réalisations de l’homme à travers le temps.

Somptuosité de la nature : la lumière, les ténèbres.

Un instant, s’arrêter et se dire : ce Beau m’est donné gratuitement.

Merci mon Dieu de te rencontrer dans cette part infime et abyssale de la Création.

Religieux ou non, l’Art est le Resplendissement du Mystère.

                                                                                                         Antoinette Gassiat 

Beauté de la femme, de l’âme, de la vie…

Chez elle peut surgir un mouvement d’éveil qui la pousse à passer du paraître à l’être, à remonter jusqu’à la source, là où la beauté ne se fige pas dans une forme déjà donnée ; là où elle est toujours le désir du beau et l’élan vers le beau. Autrement dit, la femme est habitée par la nostalgie de relier sa beauté à une beauté infiniment plus grande et plus pérenne qu’elle. Intuitivement, elle sait que ce sera un long cheminement. Il lui faudra plonger dans la profondeur de son être, y enjamber tous les abimes que chaque destin a à assumer, abimes faits de peur, de blessure, de solitude et de souffrance. C’est au-delà de cet horizon qu’arde un vrai rayonnement, celui de l’âme, qui relève d’une autre lumière.

 Quand la beauté t’habite,

Combien l’assumes-tu ?

L’arbre assume le printemps

Et la mer le couchant,

Toi, comment assumes-tu

La beauté qui te hante ?

Toi qui habites la beauté

Tu aspires à une autre

Plus vaste que le printemps,

Plus vive que le couchant

- déchirante, déchirée -

Qui pourrait t’assumer

Hormis l’éternel Désirant ?

 A côté de la beauté du corps, il y a bien une beauté de l’âme. Celle-ci a pour nom « bonté », laquelle possède l’essence de la vraie beauté.

La bonté est garante de la qualité de la beauté,

La beauté, elle, rend la bonté désirable

 Tout est appel, tout est signe. Tel est le sens de la Voie, laquelle doit continuer sa marche de transmutation et reprendre un jour tout ce qui est de Vie.

De l’âme (François Cheng)

 Démocratie et spiritualité

 

Les chemins concrets de l’évolution des sociétés

Chronique hebdomadaire de Bernard Ginisty du 30 novembre 2016

 

Ces dernières semaines, les médias nous ont longuement entretenus des résultats du scrutin de la « primaire » de la Droite et du Centre en vue de la prochaine élection présidentielle. Les discours des différents prétendants pourraient se résumer en ces quelques mots : «plus réformateur que moi, tu meurs !». Et c’est sur la nature, l’intensité et le rythme des réformes dont la nécessité n’est contestée par personne que les principaux candidats aux suffrages des électeurs se sont affrontés. Depuis le 19ème siècle, deux grandes options « politiques » ont été la base des réformes proposées aux citoyens. L’une, s’appuyant sur l’idée de croissance indéfinie et de la foi dans les capacités des sciences de résoudre les problèmes a conduit à faire accepter le « despotisme éclairé » des experts. L’autre, au nom d’une analyse du sens de l’histoire, prônait une révolution qui « du passé fasse table rase » afin de construire un monde nouveau. Or, nous devons constater qu’aussi bien la foi scientiste des experts que l’espérance messianique des révolutionnaires ne font plus recette. Au lieu du monde réconcilié par la croissance des richesses ou la dictature du prolétariat, les barbaries sont toujours présentes.

 

Dans son ouvrage intitulé La Voie. Pour l’avenir de l’humanité, Edgar Morin développe une analyse qui peut nous aider à inventer de nouveaux paradigmes de l’action publique. Constatant l’échec des promesses tant technocratiques que révolutionnaires, il fait ce constat amer : « Deux barbaries se trouvent plus que jamais alliées : la barbarie venue du fond des âges historiques, qui mutile, détruit, torture, massacre ; et la barbarie froide et glacée de l’hégémonie du calcul, du quantitatif, de la technique, du profit sur les sociétés et les vies humaines » (1).Face à cette situation Edgar Morin dénonce la faillite de la pensée politique : « La pensée politique en est au degré zéro. (…) La classe politique se satisfait des rapports d’experts, des statistiques et des sondages. (…) Privée de pensée, elle s’est mise à la remorque de l’économie. Comme le disait Max Weber, l’humanité est passée de l’économie du salut au salut par l’économie » (2) C’est autour de l’idée de métamorphose qu’Edgar Morin propose une pratique politique qui ouvre des chemins qui échappent à ces barbaries et régénéreraient les capacités créatrices de l’humanité.

 

Un des plus grands poètes européens, Rainer Maria Rilke, nous invite à quitter les fantasmes violents de la révolution, pour le cheminement concret de la création au quotidien. Méditant sur les conséquences des grands massacres européens de la guerre de 1914-1918, il écrit ceci: « L’intellectuel devrait être a priori un adversaire et un négateur de la révolution, placé comme il est pour savoir avec quelle lenteur s’opèrent tous les changements d’importance durable, à quel point ils sont inapparents et, par leur lenteur même, presque invisibles ; et que l’esprit, dans son travail d’élaboration, ignore pratiquement la violence. (…) C’est à l’avenir que l’intellectuel est une fois pour toutes allié et inféodé, non pas comme le révolutionnaire qui prétend fabriquer du jour au lendemain une humanité libérée (qu’est-ce que la liberté ?) et heureuse (qu’est-ce que le bonheur ?), mais plus patiemment, en préparant dans les cœurs ces métamorphoses discrètes, secrètes, tremblantes qui sont seules à pouvoir produire les accords, les ententes d’un lointain plus clair » (3).

 

(1) Edgar MORIN : La Voie. Pour l’avenir de l’humanité. Editions Fayard, 2011, page 29

(2) Id. page 4647

(3) Rainer Maria RILKE (18751926)

: Lettre du 6 août 1919 à la comtesse Aline Dietrichstein in OEuvres,

Tome 3 Correspondance. Editions du Seuil 1976 p. 417418

 

 

 

« Propreté, sobriété et patience» dans la vie démocratique

Chronique hebdomadaire de Bernard Ginisty du 23 novembre 2016

 

La période actuelle est prolixe en discours convenus qui ne manquent pas de surgir à chaque échéance électorale. Journaux, télévisions, radios se font l’écho d’un déluge de critiques sur l’état de la société et sur l’indigence du programme et de l’action de ses adversaires politiques. J’ai pris l’habitude, lors de chaque élection, de relire Charles Péguy, homme engagé s’il en fut, mais non embrigadé. Relire les Cahiers de la Quinzaine permet de retrouver toute la densité charnelle, intellectuelle et spirituelle que peuvent véhiculer des mots comme « république » ou « démocratie » et de prendre de la distance avec le bavardage des communicateurs. Observant les mœurs électorales de son temps, Péguy écrivait déjà, il y a plus d’un siècle : « D’un bout à l’autre de la France, ce sont les mêmes problèmes qui sont enseignés de la même façon, qui font que tous les esprits finissent d’être coulés dans le même moule, qui font que nous sommes des critiques, que nous savons très bien trouver les points faibles de certaines choses (…) mais que nous ne sommes pas pour autant des inventeurs ».

Péguy pose la bonne question : l’espace public permet-il à chacun d’être un inventeur ? Plus fondamentalement, comment nos vies personnelles, familiales, sociales, professionnelles peuvent-elles être une invention de soi et non le destin écrit par les maîtres des marchés financiers, les rois de la publicité ou les grands prêtres médiatiques ?

Fils du peuple et de l’école communale laïque pour qui le peuple n’était pas un thème intellectuel mais une expérience charnelle, Péguy s'est toujours refusé à ce qu'il appelait "une pensée habituée". Ouvrir un volume de ses œuvres, c'est retrouver à la fois l'humour ravageur qui déstabilise les  notables enkystés dans leur parti, leur église ou leur université, et un  entêtement d'enfant à vivre et à espérer malgré toutes les difficultés de la vie. Il n’aura alors de cesse de se battre contre ceux qu’il appelle « les curés ». « Nous naviguons constamment entre deux bandes de curés, les curés laïques et les curés ecclésiastiques le curés laïques qui nient l’éternel du temporel et le curés ecclésiastiques qui nient l’éternel du temporel » (1). Militant engagé à travers l’affaire Dreyfus et le parti socialiste, il tonne contre la dégénérescence de la mystique en politique et la manipulation des mouvements militants par les chanoines prébendés de la politique.

Rénover la sphère publique, c’est retrouver l’agora faite de la richesse des échanges entre citoyens inventifs et créatifs. Il y a un rapport étroit entre la richesse intérieure de chaque citoyen et celle du débat public. Par-delà l’abondance des sondages et des analyses sociologiques, il est urgent de se rappeler avec Péguy : « On ne peut pas sociologiquer ni le génie, ni le peuple » (2). Le renouveau d’une société politique n’est pas le résultat d’un marketing mieux ciblé, mais le fruit d’un accroissement de la conscience et de la responsabilité de chaque citoyen. La démocratie vit du  travail permanent de chacun pour inventer le vivre ensemble que Charles Péguy définissait ainsi : « les travaux propres, les efforts probes, les patiences, les pratiques sobres de la solidarité » (3). 

 

(1) Charles PEGUY : Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle  in Œuvres en prose complète, Tome 3, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard 1992 page 668.

(2) Charles PEGUY : Brunetière in Œuvres en prose complète, Tome 2, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard 1988, page 636.

(3) Charles PEGUY : Cahiers de la Quinzaine, du 5 janvier 1904 in  Œuvres en prose complète, Tome 1, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard 1987, page 1261.

   

 

Echos d’ailleurs

Hommage à l’abbé Pierre

 Cela va faire 10 ans le 22 janvier que l’Abbé Pierre nous a quittés. Il fut une source d’inspiration pour les combats de milliers de femmes et d’hommes à travers le monde, et plus particulièrement pour la société civile française, qui aujourd’hui encore continue de porter haut et fort des valeurs d’humanisme et de solidarité. Cet anniversaire correspond à une année électorale qui va influencer durablement le projet collectif de la France. Nous croyons que la société civile un rôle à jouer dans les années à venir pour garantir que l’engagement, le courage et la lutte contre les injustices, tels que les incarnaient l’Abbé Pierre ne soient pas oubliés.

 

Nombreux sont ceux qui aujourd’hui envisagent l’avenir avec inquiétude. Partout, on sent des volontés s’émousser, et les désillusions prendre le pas sur les rêves. Nous, militants de la société civile, engagés de longue date pour la sauvegarde de l’intérêt général, partageons parfois ces moments d’abattement après l’annonce d’une énième mauvaise nouvelle. Et pourtant, quand nous sommes réunis dans l'action, c’est toujours la volonté de continuer, d’essayer à nouveau, ensemble, qui prend le dessus !

Parce que nous savons que nous sommes les ouvriers d'un immense chantier. Le chantier du siècle, colossal, vertigineux mais si enthousiasmant. Un chantier en construction, ouvert au public. Et nous avons à notre disposition les moyens, les outils et les plans dont nous avons besoin pour nous lancer avec conviction dans ce chantier. Nous sommes les entrepreneurs d'un autre modèle, d'une autre économie qui respecte et s'appuie sur la seule richesse qui compte : la richesse de la diversité humaine.

De cette force que nous tirons du collectif, nous voulons tirer aujourd’hui une leçon : il est temps d’unir durablement nos forces. Tous, nous avons des combats qui nous sont propres, nous agissons sur des thématiques précises : les uns auprès des plus démunis, les autres au chevet de notre planète, chacun à notre façon nous essayons de changer les choses. Avec bienveillance, nous nous observons, nous nous soutenons, mais nous travaillons côte à côte, sans presque jamais oser nous dire l’évidence : la société de demain ne pourra qu’émerger de la conjonction de nos efforts.

Nous voulons proposer aujourd’hui à tous les acteurs du changement de s’unir. Pas dans un nouveau collectif ou une nouvelle plateforme, mais dans une dynamique, une collaboration de long terme. Les modalités de cette collaboration sont à définir ensemble, mais nous souhaitons d’ores et déjà affirmer notre volonté de construire cet avenir commun à travers le texte suivant :

Nous continuerons...

Nous continuerons à affirmer qu’aucun être humain n’est illégal sur terre et que chaque homme, chaque femme, chaque enfant y occupe une place légitime. Nous continuerons à lutter, sans concession, contre un modèle qui produit de l’exclusion et qui détruit la planète. Nous continuerons à combattre toute forme de résignation et de repli sur soi.

Nous continuerons à opposer l’entraide à la compétition et à la concurrence de tous contre tous. Nous continuerons à défendre la justice sociale, l'accès universel et sans condition aux droits fondamentaux, la solidarité avec les générations futures. Nous continuerons à militer pour la liberté d'aller et venir, de créer, d'innover, d'imaginer d'autres possibles

Nous continuerons à construire des alternatives, des oasis de liberté et d'égalité. Nous continuerons à prendre des initiatives, petites et grandes, qui remettent l’humain au centre. Nous continuerons à rassembler tous ceux qui fabriquent dès à présent les solutions de demain. Nous nous déclarons responsables de notre communauté de destin, responsables de l’héritage que nous laisserons à nos enfants. Nous sommes les artisans d'une nouvelle forme de radicalité. Une radicalité humaniste et fraternelle.

Ensemble, nous décrétons l'état d'urgence sociale, écologique et solidaire. Ensemble, nous sommes déjà le monde de demain.

 

NB Le numéro du 19 janvier de La Vie nous rappelle avec force et pertinence l'importance de faire vivre l'héritage de l'abbé Pierre : incarner notre capacité d'indignation en s'impliquant au service de l'accompagnement des personnes en situation d'exclusion. L'interview de François Soulages et de François Le Forestier éclairent la façon actuelle de mettre en œuvre les messages de l'abbé Pierre : il s'agit d'allier des prises de conscience collectives s'appuyant sur des récits médiatiques authentiques, des initiatives générant des relations, des actions portant sur l'essentiel et des vies en communauté favorisant une fraternité en actes. La traduction politique de ces processus repose sur "un élan, une vision, pas seulement appliquer des mesures". Comme il l'est rappelé dans les deux articles, cette révolte contre la misère trouve sa source et son "carburant" dans "la conversion personnelle et spirituelle" à l'exemple d'un abbé Pierre qui priait beaucoup et d'un pape François qui nous invite à sortir de l'indifférence.

« Les Tisserands » d’Abdenour Bidar

Recension par Patrick Brun du livre  «Les tisserands. Réparer ensemble le tissu déchiré du monde ». Editions  Les liens qui libèrent (mai 2016).

 

Abdenour Bidar est l’auteur de « Plaidoyer pour la fraternité » et de « Lettre ouverte au monde musulman ». Nourri par le soufisme, il nous offre aujourd’hui une véritable philosophie des « liens qui libèrent » et une démarche d’engagement pour un monde fraternel. La métaphore des tisserands éclaire bien l’alternative proposée pour « réparer ensemble le tissu déchiré du monde ». La trame de ce nouveau tissage pourrait être constituée  de trois sortes de liens : le lien retrouvé avec notre moi profond, « source de vitalité et d’inspiration créatrice », le lien retrouvé avec autrui « dans le partage équitable, la tolérance et la coexistence pacifique », le lien retrouvé avec la nature, fait d’émerveillement, d’éveil à la puissance de la Vie et de symbiose »[1]. Les tisserands peuvent se partager le travail, certains choisiront d’être plus spécialement des tisserands du lien intérieur, d’autres du lien social, d’autres enfin du lien avec la nature. Mais tous sont appelés à participer à l’œuvre commune, à nouer leurs liens ensemble à partir d’un horizon commun. L’auteur conçoit ces liens comme fondements d’une vie qui a du sens, quel  que soit le nom que chacun donnera à ce qui le transcende, spiritualité pour les uns, religion pour les autres, « vie reliée » pour tous.

Une bonne partie du livre porte cependant sur ce qui est à la fois condition de cette « vie reliée » et fruit, la relation du moi individuel, du « petit moi » au SOI. Les développements du livre explicitent la notion de Soi selon différentes spiritualités et les démarches d’accès à l’intériorité. Le soi peut être identifié comme source intérieure, « tréfonds créateur » parcelle du TOUT. Unifier ses puissances intérieures dans l’intériorité du soi conduirait, pour l’auteur, et de façon analogique, à ce que maitre Eckart appelle la « naissance intérieure de Dieu dans l’âme ».

A partir de cette analyse, Abdenour Bidar appelle à une véritable révolution dans tous les domaines de la vie collective, politique, économie, écologie. Pour chacun d’eux, il appelle à croiser le « TripleLien ». Il déploie ainsi ce qui pourrait conduire à une société idéale, utopie mobilisatrice à laquelle il convie plus particulièrement la jeunesse.

Toutes ces perspectives appellent selon l’auteur à s’accomplir dans ce qu’il nomme « l’homme augmenté » non pas tant pour ses capacités de survie illimitées que grâce au processus de « divinisation » qui serait la visée de son utopie transfiguratrice.

Si nous pouvons être séduits  aussi bien par le style agréable du livre, que par la richesse des références, le projet de société auquel l’auteur nous convie et l’appel à une « vie reliée », en revanche la perspective de « divinisation » semble paradoxale alors que l’auteur récuse l’existence d’un Dieu personnel et annonce la fin de la religion. 

[1] Cette triple distinction est reprise selon l’auteur à Jean-Pierre Worms dans son ouvrage sur « les créatifs culturels »

 Bienvenue chez nous, tu y seras chez toi

Article de Monique Babin (Députée de Loire-Atlantique) paru dans « Bulletin de Chrétiens en Forum » (novembre 2016)

Je ne sais pas qui tu es, ni d’où tu viens. Je ne sais pas ce que tu fuis : la guerre ? La faim ? La torture ? Le souci des tiens confrontés à l’extrême pauvreté ? Je sais que forcément ce fut pour toi un déchirement absolu de quitter ta famille, ta maison, ton métier. Pour venir chez nous, tu as affronté la cupidité des passeurs, les mers, le froid, la rue.

Le 25 août …, il pleuvait terriblement sur Calais. Je t’ai aperçu dans le « jungle ». Instantanément tu es devenu, au creux de mon ventre, non plus « la crise migratoire » mais une personne. J’ai eu très mal de ta souffrance si visible, si honteuse.

Certains Français chez nous trouvent que ta place est là-bas sur les champs de bataille ou dans les bidonvilles. Plus triste encore, des Français ont oublié que certains des nôtres, comme toi, ont dû quitter notre pays pour échapper aux trains de la mort avant d’être accueillis par des Justes, dans des pays qui leur ont ouvert les bras. Sache que ces Français-là ne reflètent pas l’âme de la France.

Ici sur notre pays de Retz, terre de modération et d’humanité, des collectifs généreux sont nés pour t’accueillir, toi et les tiens. Dans nos communes, des élus se sont engagés depuis le premier jour et le représentant de l’Etat a pris sa juste part, avec le concours d’une association expérimentée, pour t’offrir à St-Brévin-les-Pins, un lieu de repos et pour t’accompagner dans tes démarches et ta reconstruction personnelle. Ces engagements divers sont cet autre visage de la France.

Pour répondre à la haine qui a pu se manifester, sans naïveté je veux te redire, à toi et aux tiens, que nous n’avons pas peur de vous. Vous êtes nos amis, nos frères, nos pères, des êtres humains, avec vos faiblesses et vos forces. Entendre que les migrants seraient forcément des criminels me fait horreur. Je voudrais au contraire vous aider à retrouver votre dignité bafouée sur les mers et dans les broussailles de Calais. A toi, migrant inconnu, je souhaite la bienvenue. Je serai heureuse de te rencontrer, de t’entendre, de partager. La fraternité créée t’aidera, je l’espère, à surmonter les obstacles qui subsistent. Car bientôt tu recevras les papiers actant la régularité de ta présence parmi nous. A ce moment précis tu seras sans doute très heureux. Mais ton combat ne sera pas achevé : les tiens seront encore exposés à l’extrême pauvreté, à la mort peut-être. Tu voudras travailler dur pour les aider. Tu vivras alors douloureusement le manque de reconnaissance, car tes diplômes n’auront aucune valeur aux yeux de ceux qui devront reconnaître tes compétences professionnelles. Il te faudra peut-être accepter des petits boulots pour survivre. Dans la fatigue et la solitude, tu perdras parfois ton esprit combatif. Tu liras alors dans les yeux, au pire l’ignorance et le mépris, au mieux la pitié.

Trop souvent ces questions sont abordées de manière unilatérale comme si seul l’étranger avait besoin de nous. Mais moi je veux que tu saches combien nous avons besoin de toi. La relation humaine, vraie, ne se construit que dans l’échange. Dans ce monde occidental, qui abandonne progressivement sa philosophie des droits de l’Homme au profit de biens plus matériels, et qui préfère la circulation des biens et des capitaux à celle des personnes étrangères, nous avons besoin de toi. Tu peux nous aider à un sursaut salutaire.

C’est par les actions que nous mènerons chacun de notre côté et c’est dans l’amour de l’être humain que nous retrouverons toi et moi, toi et le peuple de France, notre dignité. Pour tout ce monde à renaître je te remercie.

Libre Parole

 

Les conflits du Proche-Orient nous concernent tous

Jean-Claude Devèze 

Alors que les quartiers Est d’Alep viennent de tomber aux mains de la coalition hétéroclite soutenant la dictature syrienne, il est important de nous demander en quoi ce conflit nous concerne à divers titres, depuis l’accueil des réfugiés jusqu’à des prises de positions politiques qui influent sur nos futurs votes en 2017.

Notre préoccupation actuelle est d’aider à clarifier le débat sur les conflits du Proche-Orient (appelé aussi Moyen-Orient par les Britanniques et les Américains) et sur leurs conséquences ; c’est pourquoi cherchons à discerner comment ils recouvrent de grands enjeux qui nous concernent:

• un enjeu moral de respect des droits de l’homme et du citoyen qui conduit à refuser l’impunité des terroristes islamistes et des bourreaux massacrant leurs peuples comme des impérialistes régionaux et mondiaux qui sont prêts à tout pour faire triompher leurs intérêts, d’où notre devoir de nous montrer à la hauteur de nos valeurs ;

• un enjeu géopolitique de promotion des intérêts réciproques des nations, des peuples et des communautés dans la durée, d'où  l'importance que la France garde son indépendance vis-à-vis des impérialismes comme des idéologies et que l'Europe renforce sa capacité d'intervention pour contribuer à faire régner la paix ;

• un enjeu démocratique, d’où l’importance de former des citoyens qui se sentent assez libres intellectuellement et autonomes financièrement pour voter en conscience et pour s’impliquer dans une démocratie d'exercice citoyen continu et interactif ;

• un enjeu culturel, d'où au Proche-Orient comme en France la nécessité de faire vivre le meilleur de nos cultures et de nos spiritualités en incarnant leurs valeurs et en même temps de promouvoir une cohabitation interculturelle comme interreligieuse riche d'apports réciproques;

• un enjeu migratoire, d’où l’importance de limiter les migrations en rétablissant la paix et en favorisant la reconstruction dans les pays de départ comme en organisant l’accueil dans les pays d’arrivée et en y veillant à l’intégration de ceux qui y resteront.

Bien entendu, des positions divergentes peuvent s'exprimer sur les responsabilités des uns et des autres dans ces conflits et sur leurs causes historiques ; de même des sujets multiples peuvent être débattus comme la façon de lutter contre le terrorisme, de réguler les migrations, de traiter le problème kurde, de défendre les chrétiens d'orient, de responsabiliser l’Europe comme la communauté internationale, de négocier avec la Russie, de réconcilier sunnites et chiites, etc.

Pour lutter contre notre sentiment d’impuissance, proposons une implication à trois niveaux : informons- nous et débattons pour dégager un socle commun d’analyses et de convictions sur les principes à défendre pour faire triompher le bien commun ; explorons les voies constructives, en premier lieu  celle de la prévention des conflits armés et de la résistance non violente ; faisons chacun ce que nous pouvons là où nous vivons selon nos sensibilités et vocations tout en affirmant collectivement ce en quoi nous croyons.

Informations diverses

 

•  Le mardi 21 février, à 19h30 au Forum 104, le Pacte civique organisera sa conférence d’actualité trimestrielle.Elle sera consacrée au livre de JC Devèze, JB de Foucauld et P Guilhaume « Réussir la mutation démocratique », publié chez l’éditeur Chronique sociale à l’occasion des élections présidentielles de 2017.

 

• Le mercredi 22 février, à 19h30, au 92 rue St Denis, 75001 Paris (Communauté St Gilles, St Leu), métro Chatelet-Les Halles-Etienne Marcel, l’association La Traversée proposera, dans le cadre de son cycle de conférences sur « Diversité, Unité, la  reconnaissance de l’Autre »,une soirée animée par Pierre Coret, pédopsychiatre, intitulée « De Soi à l’Autre, le mouvement de l’unité ».

• Signalons en outre que La Traversée commence l’année 2017 avec un nouveau local, plus vaste,    situé 20 rue Jean-Baptiste Pigalle, 75009 Paris.

• Les 25 et 26 mars prochains, l’association Initial vous propose de participer  à son week-end annuel sur le thème: "Retrouver le bien commun". Congrégation du Saint Esprit, 30 rue Lhomond 75005 PARIS, métro Place Monge (ligne 7).Invité(e)s : Elena Lasida, docteur en économie et en théologie, et Maurice Bellet, philosophe,   théologien, psychanalyste, avec des interventions de :- Jean-Claude Devèze, Animateur de l'Observatoire citoyen de la qualité démocratique créé par le Pacte civique, Vice-président de Démocratie et Spiritualité. - Bruno Lamour, Président du Collectif  Roosevelt - Philippe Vachette, Initiateur de projets locaux en Savoie.

• Inscription sur le site d’Initial à envoyer avant le 15 mars.